Lecture commune autour de deux titres d’Eva Kavian, une auteure belge qui n’a pas sa langue dans sa poche…

 

3, 2 , 1…  pour cette lecture commune inédite.
3 lectrices qui confrontent leurs points de vue : Pépita – Méli-Mélo de livres, Céline alias Alice – A lire aux pays des merveilles et Céline – Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse.
2 titres, 2 récits de vie, avec 2 narrateurs qui se connaissent, un garçon, une fille, une famille (décomposée, recomposée, …), des amis, des amours, des emmerdes…
1 auteure belge coutumière des thèmes qui touchent de près les ados d’aujourd’hui…

Si le premier titre, Premier chagrin, a moins fait débat, ce fut moins le cas du second, La conséquence de mes actes…  Jugez plutôt.

Céline : Peut-on affirmer que Premier chagrin et La conséquence de mes actes abordent des thématiques plutôt inédites en littérature jeunesse ?

Pépita : Je répondrais par l’affirmative pour Premier chagrin : plutôt rare en jeunesse d’aborder la fin de vie, à ma connaissance. Pour le second, la thématique est moins originale. C’est la façon dont elle est abordée qui l’est davantage.

Alice : J’ai beau réfléchir mais je me dis qu’en effet, je n’ai pas lu d’autres livres concernant l’accompagnement de fin de vie . Quand à La conséquence de mes actes, je suis d’accord avec Pépita, ce n’est pas tant le contenu (quoique certains événements m’ont laissée sans voix) que la mise en perspective qui est inhabituelle et déconcerte.

Céline : Vous avez bien circonscrit le thème délicat abordé par Premier chagrin. Vous restez plus vagues en ce qui concerne celui du tome suivant… Quelques précisions sur le thème peut-être ainsi que ces événements qui laissent sans voix? Et puis, en quoi l’approche de l’auteure est-elle originale selon vous ? 

Pépita : Dans La conséquence de mes actes, on fait la connaissance d’un jeune garçon dont les parents se séparent et c’est une source de souffrance immense pour lui. Sa mère révèle sa véritable orientation sexuelle, et son père, après un lourd moment d’abattement, convole avec une jeune femme qui n’est autre que son orthodontiste ! Et pour couronner le tout, on l’isole, lui : il doit passer ses vacances chez les parents de la petite amie de son père, avec la tribu de leurs petits-enfants, sans les connaitre, dans un trou perdu sans internet. Lui qui est accro à Twitter ! En plus, suite à son année scolaire catastrophique (étonnant, non ?), sa prof de français et son père se sont mis d’accord pour qu’il rédige un long devoir sur… la conséquence de ses actes. Ça fait quasiment quatre punitions ! Quatre raisons d’en vouloir à la terre entière pour un ado en pleine poussée d’hormones et finalement normalement constitué ! Je ne dévoilerai pas plus sur la fin sinon c’est tout dire…  Juste que ce roman s’apparente à des poupées russes. Et que les rôles sont bien inversés. C’est ça pour toi les événements qui t’ont laissée sans voix Alice ?

Alice : Un événement qui m’a laissée perplexe, c’est la mort du chien Léon. Je n’en ai pas compris l’utilité, et en plus j’ai trouvé ça violent. Comment l’avez vous compris, vous ?
Pour moi le thème de ce livre, c’est que la vie est ce que l’on en fait. On peut passer son temps à subir les événements et se lamenter sur son sort, jusqu’au jour où on rebondit, on s’ouvre aux autres, on communique, on accepte le destin et le cours des choses en est changé.

Céline : Comme toi Alice, je pense que ce titre parle effectivement de la nécessité de renouer le dialogue avec les autres. L’ado de La conséquence de mes actes s’est enfermé dans sa bulle et observe la réalité qui l’entoure à travers elle. Celle-ci lui apparaît déformée, dramatisée… C’est le cas de cet épisode avec le chien qu’il nous décrit à la manière d’un film d’horreur. Ce n’est qu’en nouant le dialogue avec la grand-mère chez qui il séjourne qu’il va pouvoir lever le voile sur ces apparences trompeuses. De mon côté, je trouve que cet épisode révèle bien cette propension qu’on les ados à amplifier, parfois à l’extrême, tout ce qui leur arrive… De manière plus générale, l’auteure s’amuse quelque peu à perdre le lecteur ! Cette façon de faire vous a-t-elle plu ? déplu ?

Alice : Autant j’ai avalé Premier chagrin, autant j’ai ramé sur La conséquences de mes actes. En effet, l’auteur joue à nous perdre, mais autant dans Premier chagrin, elle ne nous perd pas longtemps et on sait vite où on va. Du coup on se laisse entraîner dans le flot de la vie et des émotions. Autant dans La conséquence de mes actes, j’ai eu du mal à cerner l’imbrication des problématiques et j’ai parfois été perdue. Moins d’évidences.

Pépita : Les deux romans parlent de la nécessité de renouer le dialogue avec les autres… N’est-ce pas le cas de Mouche à l’aube de la mort qui essaie de retendre les fils avec ses petits-enfants et enfants ? N’avez-vous pas été mal à l’aise au début ? J’ai presque eu le sentiment qu’elle « utilisait » Sophie quand même…  mais non, finalement, son objectif apparaît plus louable que cela : la réconciliation. Et c’est aussi la thématique de La conséquence de mes actes. Traitée d’une manière différente. Pour moi, cet ado est certes égocentrique mais sacrément déboussolé. La fin m’a sur le coup un peu déstabilisée : je me suis demandée ce que j’étais en train de lire ! J’ai beaucoup aimé le style d’écriture des deux romans : beaucoup plus en retenue pour le premier et brut de décoffrage pour le second.

Céline : Tu as raison de le signaler Pépita ! La nécessité de recréer des liens est sans conteste la clé de voûte des deux livres. Comme toi, j’ai été surprise par le faux-semblant à l’origine de la rencontre entre Mouche et Sophie dans Premier chagrin, comme je l’ai été également par cette mise en abyme dans l’écriture de La conséquence de mes actes… Mais, au final, tous les personnages sont gagnants et tous évoluent dans le bon sens. Cette vision optimiste m’a beaucoup plu. Comme le franc-parler des deux héros. Tous deux présentent les choses de la vie et de la mort sans fioriture inutile ni pudeur exagérée. Le tout saupoudré d’humour et d’un zeste bienvenu de spontanéité, d’insolence voire de provocation… Je pense par exemple à la liste de Sophie concernant les formules funéraires… Un style « djeune » qui fait du bien et contrebalance des sujets difficiles !!!!
Tu partages cet avis Alice ?

Alice : Comme cela se sent déjà dans ce que j’ai pu dire, j’ai eu beaucoup de mal avec La conséquence de mes actes. 10 jours au compteur pour arriver au bout !
[Alors que j’ai pleuré comme une madeleine pour Premier chagrin et que je l’ai dévoré en une soirée.] Je n’y ai pas du tout senti l’humour que vous décrivez, j’ai pas accroché sur le héros dont je n’ai pas compris les attitudes, j’ai croulé sous la multiplication des personnages sans que chacun soit réellement exploité, j’ai pas compris pourquoi il y avait ces annotations en pied de page concernant Twitter : ce livre est censé être lu par des ados qui connaissent parfaitement le fonctionnement de Twitter…
Je ne dirais pas qu’il m’a déplu, le mot exact est plutôt : il m’a perdu. Je n’en ai compris le sens qu’à la deuxième lecture. Alors, oui, je suis d’accord avec vous et je l’ai déjà dit, tout cela parle de communication, d’acceptation et d’optimisme. Au lieu de subir, relevons nous les manches, car la vie est semée d’embûches qu’il faut savoir affronter pour mieux se construire et avancer.

Céline : Concernant Twitter, selon une étude récente, même si 89% de la population connait Twitter, il n’y a que 5% d’utilisateurs actifs.  D’où ces notes sont loin d’être superflues à mon sens. Pour le reste, c’est vrai, La conséquence de mes actes est déroutant et, je l’avoue, ma préférence va aussi à Premier chagrin. Ce qui n’est pas nécessairement le cas de mes élèves par exemple qui se disent plus proches de ce que vit le héros du premier titre… L’intérêt réside également dans le fait que, pour une fois, il s’agit d’un ado et non d’une adolescente qui raconte, comme c’est souvent le cas dans les récits de vie.

Pépita : C’est curieux, parce que, à ma lecture, je suis passée au-dessus de tout ça… internet, twitter, …  Autant j’ai eu la larme à l’œil et le cœur très serré pour le premier autant j’ai beaucoup ri (le passage avec les herbes comme PQ) au second et approuvé certaines phrases bien envoyées.

AliceAvez vous lu d’autres livres d’Eva Kavian ? 
Pour moi, sous un style d’écriture a priori accessible, elle aborde généralement des thèmes très durs et difficiles. Qu’en pensez-vous ?

Céline : J’ai également lu en son temps La Dernière licorne où elle évoque les sujets graves que sont l’euthanasie et l’univers psychiatrique. Le choix de ces thématiques « dures » est sans doute lié à sa formation initiale d’ergothérapeute, à son travail durant plusieurs années en hôpital psychiatrique et au fait aussi, qu’en Belgique, ces sujets sont moins sujets à polémique puisque, depuis quelques années déjà, réglés par la loi. A propos de ses thèmes, Eva Kavian s’explique elle-même :

« Si mes romans sont de pures fictions, ils sont cependant suscités par une émotion profonde, et, nourris, d’éléments vécus. Les thèmes : amour, désir, relation dans la fratrie et parents-enfants, familles monoparentales, deuils violents, solidarité, l’action comme outil face au désarroi. » (citation extraite du Répertoire des Auteurs et Illustrateurs de Livres pour l’Enfance et la Jeunesse en Wallonie et à Bruxelles).

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En complément de cette citation, nous avons voulu approfondir l’univers d’Eva Kavian en lui posant quelques questions, et c’est avec gentillesse qu’elle s’est prêtée au jeu.

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Les voix narratives que vous créez sonnent particulièrement justes.  Où puisez-vous cette connaissance pointue des ados ?
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J’ai trois filles adolescentes qui me parlent beaucoup, je suis baignée dans leur adolescence et je vis de près leurs drames, leur tourments, leurs rêves. Je pense que ceci explique cela. Mais aussi, pour écrire des romans, ils faut regarder le monde à travers les yeux de ses personnages. De roman en roman, j’apprends à le faire…
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– Pour Frank Andriat [interrogé cet été A l’ombre du grand arbre], malgré des thématiques différentes l’un et l’autre,  c’est l’humain qui guide vos plumes.  Etes-vous d’accord avec cette affirmation ?

J’explore l’humain et ses questions, en effet. En écrivant un roman, j’explore des questions, je cherche comment l’humain se débrouille avec la vie, au travers de personnages fictifs mis en situation problématique.
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– Dans vos titres, vous n’hésitez pas à aborder des sujets de société parfois brûlants d’actualité.  Peut-on parler de romans « engagés » ?

Je suis une personne engagée, et donc il est possible que mes romans le soient. Mais au départ, il n’y a pas une quête ou une cause. Ce sont les personnages, face à leurs drames, qui me guident, et probablement ma vision du monde, mon propre rapport au monde, qui nourrit l’ensemble et en donne la couleur, sans intention bien consciente au départ de « défendre une cause ». En général tout au moins.

Il est rare d’aborder la thématique du deuil en littérature de jeunesse comme dans votre roman « Premier Chagrin »: quelle est l’origine de cette histoire ?

L’origine de cette histoire est un souvenir personnel, que je prête à Mouche. Celui de la perte de ma grand-mère (mon premier chagrin), pour laquelle j’ai été livrée à moi-même, j’avais six ans. J’ai démarré l’histoire avec l’idée qu’aujourd’hui, on ne ferait plus cela à un enfant. Même si chacun reste seul, in fine, dans la souffrance. Cela dit, il n’y a aucun tabou pour moi, aucune censure, quand j’écris.  La littérature est un lieu privilégié pour se confronter à notre condition humaine, et ainsi avancer vers nous-mêmes. Il n’y a aucune raison de ne pas aborder le deuil, la perte, puisqu’ils font partie de notre vie. Selon moi, Premier chagrin est un livre sur la vie, plus que sur la mort. Mais la vie n’a de sens et de prix que parce que la mort existe.

Les héros de Premier chagrin et de La conséquence de mes actes sont liés.  Pourquoi Sophie est – elle si peu présentée dans La Conséquence de mes actes ? Serait-il possible qu’ils se retrouvent dans un même livre et vivent une aventure commune ?

Ouiiiii (voir le troisième tome de la trilogie, à paraître en mars !)
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Quand vous rencontrez des adolescents qui ont lu ces deux romans, que vous en disent- ils spontanément ?

Qu’ils ont aimé, qu’ils ont pleuré. Qu’ils ont pris goût à la lecture, pour certains. Ils disent que c’est une histoire triste (Premier chagrin), et quand je leur réponds que c’est un livre sur la vie, ils le regardent autrement… Les lecteurs sont tristes de la mort de Mouche. Je n’ai pas encore beaucoup d’échos de lecteurs de La conséquence de mes actes…Je pense qu’ils devraient trouver ce livre drôle, en fait.
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Quels sont vos projets littéraires ?
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En mars 2013, chez Mijade, « Tout va bien », dernier volet de la trilogie entamée avec Premier chagrin. Sophie et Gauthier sont amoureux, s’organisent pour faire un séjour linguistique ensemble. Rien ne se passe comme prévu. Gauthier se retrouve à Rome, Sophie accueille un américain. Ils s’écrivent et se sont promis de terminer leurs courriels par « tout va bien », pour ne pas inquiéter l’autre. Mais tout ne va pas si bien que cela, et ils en viennent à se demander si c’est bien ça, l’amour. Roman drôle et léger, qui aborde pourtant des sujets comme l’amour, le vrai, quand on est très jeune, mais aussi le rejet, le désir, les a-priori.
Toujours en mars: « On ne parle pas de ça », chez Oskar. Pour grands ados et jeunes adultes. C’est un livre dur, secouant. Quatre jeunes meurent, pour des raisons différentes, à des moments différents. Un concours de circonstances va réunir les quatre mères, qui font ce qu’elles peuvent, pour vivre cette peine innommable (d’ailleurs la langue française n’a pas de mot, pour nommer un parent qui a perdu son enfant). Si le sujet est grave et effroyable, il me semble nécessaire d’offrir un espace de parole sur la mort des jeunes, aujourd’hui. De ne pas en faire un tabou. Parce que quand cela arrive dans le réel, il n’y a pas de mot. Sujet grave, mais écriture rythmée, presque légère, parfois drôle. On n’est pas dans le pathos, mais dans la vie.
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De belles lectures en perspectives pour ce printemps, merci Eva Kavian !
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