Entretien avec Gilles Bachelet

Vous avez forcément déjà vu, si ce n’est déjà lu, un album de Gilles Bachelet. Un trait reconnaissable entre tous, un humour dévastateur et un sens du décalage remarquable… Inutile de dire que sous le Grand Arbre nous sommes de grandes admiratrices du travail de cet auteur-illustrateur. L’ancienne équipe l’avait interviewé à l’occasion de la sortie de son album Les coulisses du livre jeunesse, album dont elle avait fait une lecture commune ; et nous vous avons présenté nos classiques préférés ainsi qu’une lecture commune de Résidence Beau Séjour. Poussées par une curiosité toujours plus grande, nous avons eu envie de lui poser des questions sur son parcours et son œuvre. Questions auxquelles il a accepté de répondre avec une grande gentillesse !

Gilles Bachelet. Source : site des éditions du Seuil.

De quelle manière êtes-vous arrivé à la littérature jeunesse ?

Ce n’était pas une vocation précoce. Je comptais faire des études pour être vétérinaire. Mon père qui était artiste m’avait fait faire du dessin très jeune, mais je n’avais pas tellement aimé. J’ai fait des études scientifiques mais il s’est avéré que je n’avais pas le niveau en physique-chimie et en mathématiques. Je me suis demandé quoi faire, et comme il y avait beaucoup d’artistes dans les amis de mes parents et je me suis tourné vers des études artistiques.

Durant une longue période vous étiez très prolifique sur les réseaux sociaux. Pourquoi avez-vous arrêté de publier sur ces canaux ?

J’ai été très actif pendant trois ans, et puis j’ai eu l’impression d’avoir fait le tour. Je me suis lassé. J’ai retrouvé des illustrations que j’avais publiées, postées ailleurs sans que je sois crédité ou étant attribuées à quelqu’un d’autre. Mais ce n’est pas nécessairement un arrêt définitif, peut-être seulement une pause.

Comment choisissez-vous les sujets de vos albums ?

C’est ce qui me prend le plus de temps. Je n’ai pas de méthode particulière, je passe beaucoup de temps à chercher l’idée du prochain. Cela peut venir d’une discussion, d’une rencontre… Parfois, c’est un hasard.
Par exemple, Champignon Bonaparte c’est venu d’une discussion avec mon éditeur qui venait de voir un spectacle sur le Premier Empire et il a pensé que ce serait amusant de faire un album situé à cette époque. Le champignon m’est venu rapidement, inspiré par le chapeau de napoléon. Le Chevalier de Ventre-à-terre est né lorsque mon éditrice m’a appelé pour me rappeler que je leur devais un album et qu’elle devait boucler le catalogue. C’est un peu moi ce chevalier, j’ai tendance à procrastiner. Alors j’ai fait un album avec cet escargot.

Vos albums jouent souvent sur le décalage entre le texte et l’illustration. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce procédé ?

J’ai commencé par illustrer les histoires écrites par d’autres, mais cela m’ennuyait. J’ai eu envie d’inventer mes propres histoires et j’ai commencé avec Le singe à Buffon. Quand j’ai illustré la phrase « Il fait pipi dans sa culotte », le décalage est apparu et cela a été un déclic.

Pour Mon chat le plus bête du monde, j’avais envie de faire un album sur mon chat, et parallèlement c’était une période où je dessinais beaucoup d’éléphants. C’est venu comme cela. Dans Une histoire d’amour, à aucun moment il n’est indiqué qu’il s’agit de gants de vaisselle et d’objets ménagers.

Trouvez-vous que votre style a évolué au cours du temps et de quelle manière ?

Mon style a peu évolué. Certains illustrateurs comme Thierry Dedieu cherchent un style différent pour chaque album. Je travaille de la même façon depuis mes débuts, à l’aquarelle.

Il vous arrive de vous mettre en scène dans vos albums. Y’a-t-il un élément déclencheur pour que cela arrive ou est-ce prévu depuis le départ ?

C’est un peu cabotin de se mettre en scène. J’ai commencé avec Mon chat le plus bête du monde. Comme c’était une histoire inspirée du chat que j’avais à l’époque et qui était réellement très bête, je me suis mis en scène naturellement. Et il m’arrive de le refaire parfois, comme dans Résidence Beau Séjour.

Nous serions très curieuses d’en savoir plus sur la manière dont vous travaillez concrètement. Avez-vous des rituels d’écriture ? Des horaires définis ? Travaillez-vous généralement sur un seul projet ou vous arrive-t-il d’en développer plusieurs en même temps pour qu’ils se nourrissent les uns les autres ?

Je n’ai pas de rituel. Il arrive que je ne dessine pas pendant de longues périodes. J’ai travaillé pendant 20 ans pour la presse et la publicité, puis j’ai enseigné l’illustration et les techniques d’édition à l’Ecole Supérieure d’Art de Cambrai pendant 17 ans. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire mes propres histoires. Je cherchais un sujet pendant l’année, en dehors de mes heures de cours, puis quand je l’avais trouvé je travaillais sur l’album pendant l’été, puis sur une période de 4 ou 5 mois en tout. Je n’enseigne plus mais j’ai gardé ce rythme de travail à fond sur un album.

Quels sont vos outils préférés ? Travaillez-vous sur ordinateur ?

J’utilise l’ordinateur pour me documenter et pour de petites retouches quand j’ai oublié quelque chose. Mais je réalise l’essentiel de mes illustrations à la main.

Vous faites très souvent référence à vos autres albums et au travail de certains autres auteurs. De quelle manière choisissez-vous ces citations ?

Ce sont des hommages à des coups de cœur. Certaines de ces références sont identifiables mais d’autres sont personnelles. Par exemple, il m’arrive d’utiliser des objets ayant appartenu à mon père, ou à mon fils.

Avez-vous un livre de chevet et si oui lequel ?

Je n’ai pas un livre de chevet mais plusieurs. Ce sont surtout les albums que j’ai lu dans ma jeunesse comme Little Nemo, Tintin (par exemple je fais référence à l’univers d’Hergé dans XOX et OXO et dans Hypermarquête), l’époque de Pilote, Gotlib…

Est-ce qu’il y a des illustrateur/trices – auteur/trices qui vous inspirent ?

Les illustrateurs qui m’ont le plus influencés sont probablement Benjamin Rabier et aussi Benito Jacovitti. J’avais vu des bandes dessinées de Jacovitti quand j’étais enfant et je l’ai retrouvé beaucoup plus tard dans Charlie Mensuel. Même chose pour Benjamin Rabier, j’avais découvert les albums de Gédéon chez des amis de mes parents et, des années après, alors que j’étais étudiant aux Ardéco, je suis retombé dessus sur une brocante et j’ai réalisé que ces dessins étaient restés profondément gravés dans ma mémoire…

Lisez-vous d’autres auteurs de littérature jeunesse ou de littérature générale ?

J’aime particulièrement le travail des auteurs-illustrateurs comme Philippe Corentin, Claude Ponti, Tomi Ungerer, Clothilde Delacroix ou Benjamin Chaud…

Avez-vous déjà reçu des sollicitations de certain(e)s qui souhaiteraient travailler avec vous ?

Oui, cela m’arrive mais je les refuse. J’ai fait une exception pour La paix, les Colombes ! avec Clothilde Delacroix mais c’est un album écrit à quatre mains. Nous avions échangé des dessins sur Facebook et les éditions Hélium nous ont proposé d’en faire un album.

La paix, les colombes !, Gilles Bachelet et Clothilde Delacroix, Hélium, 2016.

Avez-vous un lecteur idéal en tête quand vous écrivez ?

Moi-même. Je dois me faire rire. Quand il était petit, mon fils m’a servi de cobaye, c’était mon premier lecteur. Mais je ne veux pas écrire pour une tranche d’âge en particulier, j’aime l’idée d’un album qui parle aussi bien aux enfants qu’aux adultes. Je sais que les enfants ne verront pas certaines références (celle à Shining dans Résidence Beau Séjour par exemple), mais elles m’amusent et j’espère qu’elles amusent leurs parents.

Lors du salon où nous vous avons rencontré, une enfant s’est exclamé « Il est trop cool Gilles Bachelet ! » Quel est votre rapport à vos lecteurs et à partir de quel âge pensez-vous qu’ils parviennent à saisir le second degré inhérent à votre travail ?

Les élèves de maternelle ne perçoivent pas le second degré. Mes albums sont plus destinés à des élèves de CE2, CM1 et CM2. J’ai récemment écrit un album pour les plus petits, Une histoire qui… dans lequel j’ai fait attention à ne pas mettre de références qu’ils ne pourraient pas saisir.

Avez-vous un souvenir à nous partager d’une rencontre particulière avec vos lecteurs ?

Mes souvenirs des rencontres scolaires sont un peu floues, elles se mélangent. Les plus marquantes se sont déroulées dans les classes dans lesquelles les élèves avaient vraiment travaillé sur mes albums. Quand mes albums ont servi de support à des travaux artistiques ou à un spectacle par exemple, cela nourrit les échanges avec les élèves.
L’année dernière, une classe avait réalisé des travaux sur tous mes albums, c’était très touchant. Dans ce cas ce ne sont pas eux qui me rencontrent mais moi qui les rencontre.
Quand je rencontre des enfants et qu’ils viennent ensuite me voir avec leurs parents dans un salon, je me rends compte que ces rencontres sont marquantes pour eux.

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Merci infiniment à Gilles Bachelet pour sa disponibilité et le temps qu’il a accordé à nos questions !
Nous espérons vous avoir donné envie de (re)découvrir tout ses albums. Pour la liste complète, rendez-vous sur la page que lui consacre les Editions Seuil Jeunesse.

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