Il y a parfois des livres bien difficiles à cerner. On les ouvre, on les lit, on est surpris, gêné parfois, on les relit pour tenter de comprendre, on s’interroge… C’est ce qui s’est passé à ma lecture de l’album Me voici de Friedrich Karl Waechter. Publié chez MeMo, une maison d’édition réputée pour la qualité de ses livres, je ne pouvais pas rester sur une impression négative. J’ai donc convié Pépita et Kik à ma réflexion sur ce livre.
Sophie : Cet album commence par la naissance de trois chatons. La famille étant déjà au complet, ils sont jetés à la mer. Qu’avez-vous pensé en lisant le début de cette histoire ?
Pépita : Je dirais… une entrée en matière abrupte, surtout quand on a l’album dans les mains : il est dit que après la naissance de quatre chatons quelques mois auparavant, « nous étions en trop ». Et l’impact des illustrations est très fort en plus. Le lecteur ressent un malaise grandissant.
Kik : Les premières pages, je les ai tournées, en me disant « Non, quand même pas… Arghhhhhh… Des chatons en trop… Ils vont être donnés au gentil petit voisin… Ah… non… « les pêcheurs nous ont fourrés dans un sac, ils sont partis au large ».
Sophie : Une fois les chatons à l’eau, un seul s’en sort. Avez-vous été rassurées par sa survie ou dérangées par la mort violente de ses frères ?
Kik : Il en fallait au moins un, sinon l’histoire aurait tourné court. Par contre j’ai été surprise de le voir seul. Comme si l’auteur choisissait le pire dans chaque situation.
Pépita : Rassurée, oui, on peut dire ça comme ça… Mais quel traumatisme et quelle survie ! Je n’ai pu m’empêcher de retourner en arrière plusieurs fois… espérant que l’histoire se serait transformée. J’ai trouvé certaines illustrations terrifiantes : la photo de famille au complet et l’autre avec les bras vides. J’ai cherché lequel est resté, ceux qui y sont restés et j’ai fixé les visages des chats adultes pour essayer d’y déceler quelque chose.
Kik : Pareil ! Lesquels sont condamnés ?
Sophie : Les deux chatons les plus faibles ne s’en sortent pas et la vie du dernier est en péril mais il survit. Je passe les différentes péripéties pour arriver directement à la fin de l’album. Comment avez-vous interprété la scène finale où l’on voit le chat à une porte d’entrée avec ce texte « Tu m’ouvres, quel bonheur, me voici. » comme seule indication ?
Pépita : C’est plutôt sur la phrase précédente que je réagis : « J’appuie sur le bon bouton ». Bouton d’ascenseur ? de sonnette ? ou celui de la vie ? Il s’est perdu ? Sinon, j’ai ressenti un soulagement certain en me disant que ça ne finissait pas mal, le sourire réapparait aussi mais je suis très perplexe sur cet album.
Kik : Pourquoi cette porte ? Effectivement. Quel Bouton ? Cette fin soulage. On comprend bien le titre. Mais toutes ces péripéties, elles contrastent énormément avec ce sourire, et cette image de petit chaton, tout gentillet, tout propre sur lui, bien habillé. Un peu de douceur dans un monde de brutes ?
Sophie : J’ai été plus « pessimiste » sur cette fin. J’y ai vu l’animal qui voue un amour sans faille à son maître, qui est prêt à tout pour le retrouver et qui revient chez celui qui a tenté de le tuer. Bref un pincement au cœur avec cette fin !
Pépita : On peut en effet interpréter cette fin de différentes façons : il y a presque dans l’attitude de ce chaton qui revient un message comme « Tu vois, la vie est plus forte, excuse, mais se débarrasser de moi, dans tes rêves ! »
Sophie : Je reviens sur une scène que je n’ai pas vue au premier coup d’œil et que je n’ai pas comprise. Durant son périple, le chat arrive sur une plage nudiste. L’illustration est assez peu détaillée pour qu’on ne s’en rende pas compte tout de suite mais malgré tout, quand on prend le temps de regarder, c’est assez visible. Vous avez pensé quoi de cette scène ?
Pépita : Pour répondre à ton interrogation sur la plage de nudistes, je ne vois pas trop en effet ce que cela vient faire là : j’ai même cherché le chat ! Ce n’est qu’une interprétation de ma part mais je me demande si l’auteur n’a pas voulu établir un contraste entre l’insouciance des couples sur la plage dans leur plus simple appareil avec l’horrible vécu de ce chaton, rescapé et qui arrive sur cette plage, cherchant son chemin, noyé dans cette masse humaine comme s’il n’était rien.
Kik : Cette scène, je lui aurai bien attribué l’abréviation WTF -What The Fuck !, comme un « Mais ça sort d’où ça ? ! – Je ne comprends pas ». Il n’y a pas d’interaction entre ces humains nus et le chat. On se demande ce qu’il fait là, ou ce qu’ils font là. Des humains dénudés, sans protection, comme le chat qui sort de l’eau ? Une marée de chaire humaine, un bain de foule, alors que le chat réchappe seul de la noyade ?
Juste avant il y a ce passage également, qui m’intrigue : lorsque le chat se fait attaquer par le requin, et qu’en faisant preuve de plus de malice il arrive à le coincer, et pour finir le chat mange le requin, tout cela se passant au fond de la mer.
C’est étrange, dans le sens qui sort de l’ordinaire, mais aussi dérangeant, déroutant.
Sophie : Dérangeant, déroutant, ce sont des mots que je retiens aussi pour cet album. En général, ce sont des qualificatifs que j’apprécie pour la littérature jeunesse, mais pour ce livre j’ai l’impression d’être passée à côté, de ne pas avoir compris ce que voulait montrer l’auteur. Malgré tout, j’ai voulu en parler avec vous pour réfléchir plus longuement sur cette histoire. J’en arrive donc à vous demander : si vous deviez défendre ce livre, quel aspect retiendriez-vous ?
Pépita : Ce que j’en défendrais ? Un aspect positif… le bonheur des retrouvailles mais j’aurais bien du mal à justifier du chemin pour en arriver là… parce que je ne comprends pas la justification elle-même de cet album, surtout venant de cette excellente maison d’édition qu’est MeMo. D’autant que la première et quatrième de couverture ne renseignent en rien du contenu… On peut saluer le beau travail de l’objet en tous cas : beau papier, agréable au toucher…
Kik : J’ai rerelu cet album, avec en tête la question, « Quels arguments utiliserais-tu pour conseiller ce livre ? ». Et puis je l’ai encore relu. Et je me suis demandé « Est-ce que je conseillerai ce livre? ». C’est étrange, je ne sais pas quoi répondre. Je l’ai prêté à une amie qui a une fille de 5 ans. Ça l’a perturbée. Il a été lu deux fois, et jamais plus réclamé, alors qu’elle est une lectrice compulsive. Je ne comprends toujours pas, pourquoi il arrive sur le « bon » bouton après avoir erré dans les rues. Je n’arrive pas à me faire à l’idée de ce chat qui mange entièrement un requin. Et cette plage rempli d’adultes nus… Où sont les enfants avec leurs seaux, leurs pelles, et leurs chapeaux pour les protéger du soleil ?
Sophie : Pour conclure, avez-vous un petit mot à dire sur les illustrations ?
Pépita : Contrairement à ce que l’histoire montre et enchaîne, j’ai plutôt apprécié les illustrations bien mises en valeur sur ce beau papier épais et crème avec ce style assez fondu. Les chats et chatons sont très bien représentés dans leurs attitudes, pourtant presque humaines. Les couleurs pastels donnent une certaine douceur… qui contraste avec la cruauté de l’histoire. Et c’est justement là le souci de mon point de vue : le fossé entre des illustrations agréables et cette histoire qui fait froid dans le dos. C’est très trompeur et cet album ne peut être mis entre toutes les mains. Ce n’est pas de la sensiblerie. Mais en tant qu’adulte en relation quotidienne avec de jeunes enfants, cet album me laisse très perplexe dans le ou (les) messages(s) qu’il délivre et à vrai dire, je n’ai pas trop compris le(s)quel(s)… Mais très contente d’avoir posé des choses ensemble grâce à cette lecture commune en tous cas.
Kik : Ce livre je le conseillerai peut être aux amateurs d’art. Car j’aime beaucoup le style des illustrations, même si le requin me fait peur. Les pages sont épaisses, le papier agréable au toucher, la qualité des impressions remarquable.
Après tout ce qui a été dit. Même en ayant laissé du temps à la réflexion, même en le relisant après l’effet de surprise de la première lecture, je n’arrive toujours pas apprécié ce livre. Je vois du courage, je vois de l’espoir, mais ces deux sensations sont noyées dans un brouhaha d’autres impressions.
Comme Pépita, j’ai aimé m’attarder sur ce livre, et pas simplement dire « Je n’ai pas aimé. NEXT ! » Il a été intéressant de partager nos points de vue.
Je vous propose de retrouver nos avis : Sophie, Pépita, Kik.
Voilà une lecture commune qui nous a laissée perplexes. On ressort avec le sentiment de ne pas avoir tout compris, d’être passées à côté d’un détail, d’une explication.
Et vous, vous en avez pensé quoi de cet album ?
Je suis un grand fan de cet album. Pourtant j’ai toujours beaucoup de mal à le conseiller à des clients de ma librairie, même s’il ammène systématiquement à des discussions passionnantes. Je suis ravi de voir que d’autres personnes partagent en profondeur sur cet album effectivement très inconfortable.
Je lis « Me voici » comme un témoignage. Celui d’un chat qui survit à une mort décidée par son propriétaire et revient au final vers lui. L’album peut se lire comme une parabole sur le pardon. Le fait que Karl Waechter donne de nombreux indices pour relier son récit à l’histoire du peuple allemand oriente la lecture de l’adulte (étonnant comme les chats peuvent être ici les souris Spiegelman). Mais ce n’est à mon sens qu’une des « options » historiques de l’album.
La double page de la plage nudiste m’avait stupéfié à la première lecture et je trouve toujours cette indifférence au sort du petit chat survivant presque aussi cruelle que le sort qui lui avait été réservé. Le retour du chat est d’une incroyable audace. Car lorsque le lecteur lui ouvre « tu m’ouvres.quel bonheur.me voici. » et tourne la page il doit accepter implicitement d’avoir été son meurtrier.
Merci pour votre approche riche de cet album. Votre commentaire est très intéressant et ça nous ouvre sur d’autres interprétations. Encore merci.
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Et bien merci de m’avoir fait découvrir cet album qui est en effet particulièrement « inconfortable ». Je n’ai pas pu le relire une 2e fois et je ne l’ai surtout pas laissé entre les mains de mes garçons. Mais votre lecture commune et l’avis d’Oulès Gwendal éclairent cette lecture et je me dis que je le proposerai bien à des ados.
Et je trouve ça vraiment chouette de l’avoir découverte lors d’un débat -publication à venir- ALODGA, et de découvrir ici dans les commentaires une librairie qui a l’air vraiment chouette !