A l’ombre du grand arbre, on sait recevoir, même quand les feuilles tombent sous la pluie ! Aujourd’hui, nous recevons donc… les invités !
Carole (3 étoiles) : Bonjour à tous et toutes, quelqu’un peut-il m’expliciter ce titre pour commencer ?
Céline (Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait LIVRESse) : Plutôt complexe comme première question ! Si on reprend la définition du dictionnaire, un invité est une personne invitée par une autre. Sauf qu’ici, l’auteure ne nous révèle jamais l’identité exacte de l’un comme de l’autre. Sauf que les invités en question ne le sont pas vraiment, ils profitent de l’hospitalité culturelle de leurs hôtes pour s’inviter, s’installer, s’imposer, asservir, profiter, piller, … Arrivés en amis, ils finissent par montrer un autre visage, celui d’oppresseurs !
Za (Le cabas de Za) : Ce sont des invités qui s’invitent ! Et les gens qui les reçoivent, contraints et forcés, font preuve d’hospitalité. Naïfs qu’ils sont…
Carole (3 étoiles) : Et quelqu’un peut me planter le décor, l’époque et les principaux personnages ?
Gabriel (La mare aux mots) : Je pense que c’est ça le souci du livre, d’après moi. On ne sait pas quand et où ça se passe, on ne sait pas qui sont les invités, de qui on nous parle. C’est intemporel et universel, c’est à la fois la force et la faiblesse du livre.
Céline (Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait LIVRESse) : Gabriel a tout à fait raison ! Cette histoire ne fait à aucun moment référence à des situations passées ou présentes mais en filigrane, l’adulte, lui, y verra sans doute le spectre du colonialisme voire de l’esclavagisme. Mais qu’en sera-t-il du jeune lecteur ?
Gabriel (La mare aux mots) : Justement moi je n’ai compris qu’on y parlait du colonialisme qu’après avoir fait des recherches… Je l’ai lu septique, intrigué… je l’ai fait lire à ma compagne qui a eu la même réaction… Nous parle-t-on des immigrés ? Est-ce un livre raciste ? J’avais l’impression que le livre aurait pu être écrit par quelqu’un d’extrême droite ! Puis quand j’ai su de quoi ça parlait je me suis dit » ah ok… » et du coup on a une autre vision du livre. Le souci est qu’on ne comprend pas, d’après moi, en le lisant et que donc c’est dangereux.
Céline (Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait LIVRESse) : C’est vrai que cela peut porter à confusion ! Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est la petite note en avant-propos qui nous propose une clé de lecture:
« De l’école, Charlotte Moundlic se souvient avoir appris ceci: « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir envers les autres dans un esprit de fraternité. » Elle a toujours trouvé ça bien comme article, c’est normal que ce soit le premier. »
Puis certains éléments ont confirmé mon hypothèse : les invités ont des chaussures, ce qui n’est pas le cas des hôtes, par exemple. L’auteure aurait peut-être pu expliciter ces propos en postface de son histoire, comme l’a par exemple fait Janne Teller dans son Guerre – Et si ça nous arrivait. Cela aurait permis de lever toute ambiguïté !
Carole (3 étoiles) : A votre avis, ce livre s’adresse à quelle tranche d’âge du coup ? C’est précisé sur la 4 ème ? Une note de l’éditeur ou de l’auteure ?
Za (Le cabas de Za) : Cette collection se veut transgénérationnelle. Les textes sont courts, lisibles dès 8 ou 9 ans. Ils sont vite lus à haute voix et constituent un support idéal au débat. Dans le cas des Invités, je ne me vois pas trop le faire lire à des enfants sans l’accompagner d’une explication préalable et/ou surtout d’une discussion après la lecture. Le côté intemporel et non situé géographiquement nécessite un échange avec l’adulte et c’est ce qui pourrait en faire tout l’intérêt d’ailleurs.
Gabriel (La mare aux mots) : J’allais justement dire ça, je ne le mettrai pas dans les mains d’un enfant sans en parler après. Donc à partir de là, oui je dirais 8-9 ans.
Céline (Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait LIVRESse) : Je pense aussi que cette lecture doit être préparée, encadrée et prolongée… Je serais curieuse d’entendre les commentaires d’enfants de 8-9 ans ! Avec les plus grands (10-14), il pourrait faire l’objet de recherches complémentaires sur le colonialisme, l’esclavagisme, les droits de l’Homme… La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme illustrée par Folon pourrait être un bon point de départ. Enfin, là, c’est la prof qui parle !
Carole (3 étoiles) : Chacun de vous pourrait me dire ce qu’il lui a plu et déplu ?
Za (Le cabas de Za) : J’aime la brièveté du texte (c’est la marque de la collection), sa simplicité (dans le bon sens du terme), la langue claire et directe de Charlotte Moundlic. D’ailleurs, il ne faut pas manquer de lire ses albums illustrés par Olivier Tallec, ils sont formidables ! En revanche, la question du colonialisme ne saute pas aux yeux à la première lecture et cela peut prêter à une redoutable confusion, à cent lieues bien sûr des intentions de l’auteure.
Céline (Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait LIVRESse) : J’ai aimé le style particulier de l’auteure (des phrases simples, courtes voire coupantes); le sujet à la fois original et intéressant qui amène au débat de fond sur les rapports entre les hommes; la manière de l’amener (une histoire anodine qui tourne, sans crier gare, à l’horreur) ainsi que le fait que le narrateur soit un enfant – l’histoire qu’il nous raconte n’en a que plus de poids… Le point négatif, c’est cette petite note explicative finale qui fait défaut. Il ne faudrait pas que ce titre soit mal interprété et qu’au lieu d’atteindre son objectif premier qui est de prôner le respect de l’autre, le (jeune) lecteur y voit un motif d’avoir peur de l’Etranger.
Gabriel (La mare aux mots) : Le texte est très beau, très poétique. Charlotte Moundlic a une vraie plume. Le fait qu’on ne comprenne pas forcément de quoi ça parle m’a plus dérangé que déplu… et ça fait débattre ! (et un livre qui amène le débat est forcément intéressant).
Bibliographie sélective de Charlotte Moundlic :
Les Invités, éditions Thierry Magnier, 2011
Juste en fermant les yeux, éditions Thierry Magnier, 2009
La croûte, illustré par Olivier Tallec, Flammarion, 2009
Le slip de bain, illustré par Olivier Tallec, Flammarion, 2011
Mon coeur en miettes, illustré par Olivier Tallec, Flammarion, 2012
Petit maboule et Juste en fermant les yeux, Thierry Magnier, 2008
Nos billets sur Les invités :
Céline B : http://lacoupeetleslevres.blogspot.fr/2012/06/les-invites.html
Gabriel : http://lamareauxmots.com/blog/prives-de-liberte/
ça donne vraiment envie de le lire pour se faire son propre avis…
je l’avais déjà lu (en préparation d’un pris de lecture) et justement écarté pour son côté ambigu. Ceci dit, c’est très bien écrit comme l’est cette collection.
Bon article ! 😀