Si chaque nouvelle parution d’Hélium est une bouffée d’air frais, chaque nouveau Susin Nielsen est un délice. On en déguste chacun des mots sans même les voir défiler tant ils sont plaisants, tant on les avale les uns après les autres sans indigestion. Susin Nielsen en effet manie l’art de la narration comme peu savent le faire, traitant de sujets graves, profonds, avec une légèreté indéniable, un humour sans faille, des personnages drôles, touchants.
Dans Le journal malgré lui, elle mêle de nombreuses intrigues, elle met au centre de son roman beaucoup de thèmes ambitieux, mais qu’elle aborde avec douceur, avec talent. Ses personnages s’entrecroisent et tissent leurs liens. Ses mots pénètrent le cœur du lecteur. Son histoire nous habite.
Débat sur ce roman vainqueur du Governor General’s Literary Avrard, le plus prestigieux prix canadien anglais pour les romans adolescents.
Nathan : On commence en douceur … avec une pensée pour ces Lecteurs pressés qui sont de passage et saisissent ces quelques mots au vol. Envoyez-leur quelques-uns au passage. Seulement quelques-uns pour poser l’intrigue et leur donner envie de se poser ici à leur tour.
Pépita : Un journal malgré lui, ça intrigue… mais le titre ne triche pas. Le héros commence à écrire un journal sur le conseil de son psy alors qu’il lui fait croire le contraire. Psy ? Journal ? On se dit thérapie ? Mais pourquoi ?
Céline : Ce qui n’est pas le cas du sous-titre entre parenthèses : « écrit uniquement parce que mon psy y tient, mais franchement c’est moisi« . Loin d’être moisi, ce journal lui permet de mettre progressivement des mots sur ses maux. Côté lecteurs, il nous entraîne dans un festival d’émotions qui font le grand écart entre l’horreur et le rire ! Jubilatoire !
Alice : L’intrigue? Quelle est l’intrigue ? Y en a-t-il qu’une ? Ou bien y en a-t-il plusieurs ? Autant que de rencontres et de personnages ? Peut-être, mais l’intrigue c’est surtout CA, et CA, ça ne se dévoile pas. Petit à petit juste écouter les confidences d’Henry pour comprendre ce qui l’a amené à consulter un psy.
Bouma : Les thèmes cités précédemment : cruauté, fraternité, famille sont évidemment le centre de ce roman. Pourtant ce que je retiendrais c’est aussi le DRAME vécu par Henry K. Larsen et son journal malgré lui qui retransmet ses émotions. Tout tourne autour de CELA et sans en dévoiler plus qu’il n’en faut, je me suis dit être contente de ne pas vivre en Amérique du Nord. Pour CA.
Nathan : Vous le dites vous-mêmes … beaucoup de thèmes, beaucoup d’intrigues: une sacrée construction à démêler pour mettre de l’ordre dans ses idées. Mais vous, quel est le thème qui vous a le plus marqué, quel est le plus important selon vous ?
Alice : Sûrement le rejet et la cruauté des ados entre eux. Henry lui-même en est à la fois à l’origine et victime.
Au premier degré, les descriptions faites d’un bon nombre de personnage à travers ses yeux peuvent paraitre humoristiques, mais si on prend un peu de recul, elles sont assez moqueuses et parfois même très dures.
Pépita : Je partage l’avis d’Alice ! J’ajouterais la fratrie et les relations familiales dans ce qu’elles ont parfois de terrible dans les non-dits, les frustrations, l’amour et la haine.
Céline : De mon côté, je parlerais de traumatismes psychologiques, de blocages qu’il faut lever, du long et difficile chemin de la guérison…
Nathan : Si moi je suis resté profondément retourné par ce thème de la cruauté des ados entre eux qu’Alice souligne, je trouve vos autres idées pertinentes !
Pour réussir à en parler, Henry va devoir s’entourer de nombreux personnages … des voisins un peu lourds, des amis ringards, un psy miteux, des parents déchirés … quels sont ceux que vous retenez ? Ou que retenez-vous de cet ensemble ?
Alice : Particulièrement, le personnage de la maman. En tant que mère, comment se remettre de ce drame, comment ne pas culpabiliser, comment avoir encore envie d’avancer, comment ne pas accuser, comment continuer à donner de la place à Henry, comment vivre cette éloignement géographique… Et moi, comment aurais-je réagis à sa place ?
Pépita : Pas moi ! La maman, je ne comprends pas… qu’elle puisse s’éloigner de ceux qui lui restent comme ça. Au contraire, j’aurais eu besoin de m’y accrocher. Sa froide distance m’a heurtée. Le papa, je l’ai trouvé très touchant dans sa fragilité et j’ai été tout autant touchée par cette relation faite de hauts et de bas, de pudeur masculine, de chagrin dissimulé mais partagé. J’ai beaucoup aimé Farley et le voisin qui apporte les petits plats, ses coups de gueule avec Karen, à laquelle je me suis curieusement identifiée. C’est un roman qui me rappelle sous certains aspects un autre que nous avons partagé en lecture commune sur le blog : La fourmilière de Jenny Valentine. Des personnages réunis là au hasard de la vie, avec leurs failles et qui vont devenir solidaires.
Bouma : J’ai eu un gros coup de cœur pour ce gentil voisin qui vient nourrir père et fils. On ne sent que de la bonne volonté de sa part à la recherche d’un contact. C’est beau et touchant. Je me suis amusée avec sa « copine » qui ne ressemble à aucune autre et j’ai été touchée par le personnage de son frère ainé dont la présence irradie le livre.
Tout comme Pépita, la flopée de personnages secondaires, chacun apportant un petit plus à l’intrigue générale m’a rappelé La fourmilière de Jenny Valentine, la pauvreté en moins peut-être…
Céline : Comme Bouma et Pépita, je pense que tous les personnages ont leur importance : un peu comme une série de pièces qui, prises séparément, n’ont guère d’allure mais qui, ensemble, constituent une belle image. C’est vrai, comme dans La fourmilière, c’est l’union qui fait la force et tous contribuent, d’une manière ou d’une autre, à surmonter le cataclysme vécu par le héros et son père. Le personnage que je retiens est le psy qui – on s’en rend compte lorsqu’il est remplacé par une autre psy bien moins douée, a vraiment le tour pour amener Henry sur les chemins de la parole… Sans lui, pas de journal et pas de mots sur le « Ça » et « l’Autre chose »…
Nathan : Il est vrai qu’il n’y a pas vraiment de personnage qui m’a considérablement marqué et je garde plus dans la tête une image d’ensemble sur cette « fourmilière » comme vous le soulignez … en revanche, je rejoins Bouma sur la présence du grand frère et des sentiments qu’éprouve Henry pour lui m’a beaucoup touché …
J’aimerais aussi aborder un élément qui réunit un peu tout le monde: la soirée familiale, la passion entre amis, les liens qui se nouent … et le point commun entre tout cela c’est le catch et l’émission hebdomadaire dont Henry est fan ! Votre point de vue sur ce point original et pertinent (ou non !) ?
Céline : Comme je l’écris dans mon billet, je ne suis pas du tout fan de catch ! Par contre, ici, ces combats sont autant de petites paraboles qui permettent de mieux comprendre où en sont les personnages. (Ces intermèdes « catchesques » m’ont d’ailleurs fait penser aux histoires que la Mamy rose d’Eric-Emmanuel Schmitt raconte à Oscar pour lui faire passer des messages.) De plus, cette passion commune qu’ils partagent est une des clés qui permettra à Henry de se relever. Donc, oui, cette thématique a toute son importance dans l’histoire.
Pépita : Pas spécialement férue de catch non plus mais comme le souligne Céline, le catch fait le lien. Avec la vie d’avant, celle de maintenant et peut-être celle d’après. Cette passion du catch est comme un cordon ombilical qui relie encore un peu Henry à sa maman, lui permet de penser à son frère en dehors du ça, amorce le peu de conversation qu’il a avec son père et lui fait mieux connaitre celui qui va devenir son meilleur ami, Farley. Il donne un sens concret à la vie d’Henry, le relance, le projette. C’est un élément essentiel du roman même si nous, Européens, n’avons pas cette culture. J’ajouterais que le catch agit comme un exutoire : le catch est codifié, c’est une violence encadrée, c’est truqué, les matchs se suivent, les combats prévisibles, alors que ce qui a surgi dans la famille d’Henry est bien réel et est d’une violence inouïe. Une fois que c’est joué, pas de retour en arrière possible.
Alice : Je vous rejoins sur votre analyse de l’utilisation du catch. Parfois, en plus, j’ai même ressenti le choix de cette parenthèse sportive et hebdomadaire comme un souffle de légèreté pour enlever du drame au drame.
Bouma : Le catch, même s’il arrive désormais en France, reste typiquement américain. La façon dont Susin Nielsen le traite permet aux non-initiés que nous sommes d’en comprendre les codes et les aboutissants. C’est un exutoire pour Henry mais pour le lecteur c’est aussi et surtout une touche d’humour et de légèreté dans un monde de brutes. Au final, cela pourrait être un tout autre hobby (théâtre, football, boxe, chant…) mais ce choix nous rappelle que même entre sociétés dites « modernes » ou « développées » les choses sont très différentes d’un pays à l’autre et pas uniquement sur les passe-temps…
Nathan : Puisque tu parles de ces références, j’ai remarqué qu’il y en avait certaines que je connaissais étonnamment ! Pour celles qui ne vous ont rien évoqué, cela vous a-t-il gêné ? Glisser tout un tas de petits éléments culturels comme celui-ci : pari risqué ou ancrage dans la réalité ?
Pépita : Cela ne m’a absolument pas gênée : j’ai lu les précédents romans de cette auteure et même sans ça, la littérature, c’est aussi la découverte d’autres univers, d’autres cultures, d’autres façons de faire, de dire, de se comporter. C’est une posture de curiosité sur le monde et dans ce roman, on est servi de ce point de vue-là. « Lire, c’est voyager ; voyager, c’est lire » a dit Victor Hugo.
Alice : Non, non, non, aucune gêne à la lecture et je rependrais bien ton terme « ancrage dans la réalité ». C’est exactement ça, cela nous permet de se plonger encore plus dans cette histoire, dans l’entourage d’Henry et donc dans notre bulle.
Bouma : La lecture de ce roman est tellement fluide que ces références ne m’ont absolument pas gênée.
Céline : Si tu parles des références culturelles, aucun problème pour moi non plus. Au contraire, ces clins d’œil sont plutôt sympathiques et plairont aux jeunes lecteurs fans de séries made outre-Atlantique. En outre, peu importe les lieux, les sujets traités sont eux universels. Pour ce qui est des références à ses précédents ouvrages, aucune gêne non plus puisqu’il s’agit du premier titre que je lis de Susin Nielsen. Bien au contraire, celles-ci m’ont donné envie de découvrir ces livres…
Nathan : Justement j’allais y venir ! Pour ceux qui ont lu les autres Susin Nielsen: qu’avez-vous pensé du personnage d’Ambrose réutilisé (un clin d’œil aux fidèles lecteurs que j’ai adoré !) ? Et quel est votre roman préféré écrit par cette auteur ?
Pour les autres cela vous a donc donné envie de lire les autres ? Le personnage d’Ambrose vous a-t-il plu ?
Alice : Oh oui alors, hâte de découvrir les autres titres de cette auteure que je n’avais pas lus jusque-là… même si Dear Georges Clooney m’avait fait de l’œil il y a quelque temps !
Pépita : C’est très curieux car je n’ai pas réellement retrouvé le même personnage que dans le roman Moi, Ambrose, roi du scrabble. Dommage car l’idée est excellente ! Mon préféré ? Je ne sais pas, ils traitent de sujets différents mais toujours un personnage adolescent en souffrance comme héros principal, tous très attachants et des intrigues très bien menées. La même fluidité, le même humour, cet esprit décalé aussi. C’est une auteure que je suivrais.
Bouma : Dear George Clooney, me fait de l’œil depuis un moment aussi. Nul doute qu’au vu des qualités narratives de Susin Nielsen, je lirais cet autre roman un jour ou l’autre.
Pour aller plus loin …
Nos billets: Nathan, Céline, Pépita, Alice
Autres romans de l’auteure : Dear George Clooney : Kik, Nathan, Pépita
bah bravo ! je ne vous félicite pas : encore un titre sur ma PAL ! Vous me donnez très très envie de lire ce roman et de découvrir davantage cette auteure ! Lecture commune réussie haut la main !
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