Il y a presque 2 ans, Rouge Tagada inaugurait la collection Romans graphiques de Gulf Stream. Cette bande dessinée signée Charlotte Bousquet – et la tendresse de ses mots – et Stéphanie Rubini – et la douceur de son dessin – marquait quant à elle le début d’une série de romans graphiques prenant tous place dans la même classe de collège, se centrant chacun sur l’un de ses membres et sur une thématique particulière. Il y a eu l’homosexualité pour le premier et avec Mots rumeurs, mots cutter, les deux auteures revenaient à la rentrée 2014 pour nous parler du harcèlement scolaire.
Homosexualité, harcèlement scolaire ou quelque autre problème que peuvent rencontrer les adolescents, il est question, dans chacun de ces deux albums sensibles, d’amitié, d’exclusion, de solitude, de solidarité, d’espoir et des chemins qu’il faut, difficilement, emprunter pour grandir.
Nathan : Qu’est-ce qui vous a poussé à découvrir ces deux romans graphiques ? Lequel avez-vous lu d’abord ? Racontez-nous votre petite histoire …
Sophie LJ : J’avais repéré cette belle couverture rouge et toutes les bonnes critiques sur ce livre. Mais ce qui a fini de me convaincre, c’est de trouver Rouge Tagada dans un colis swap offert par… Nathan.
Bouma : En ce qui me concerne, j’ai commencé avec Rouge Tagada qui initiait alors une nouvelle collection des éditions Gulf Stream intitulée « Les graphiques ». C’est curieuse de voir ce que proposait cette maison, que j’affectionne, dans le domaine de la BD que je l’ai ouverte.
Céline du flacon : J’ai d’abord été intéressée par Mots rumeurs, mots cutter. Quand j’ai lu la présentation de l’éditeur, je me suis immédiatement dit qu’il pouvait représenter un très bel outil pour aborder la thématique du harcèlement scolaire avec mes élèves. Après lecture, c’est le cas. Ensuite, en prévision de cette lecture commune, j’ai eu envie de découvrir Rouge Tagada…
Solectrice : J’avais vu passer Rouge Tagada sur vos blogs mais je ne savais pas que c’était une BD à ce moment-là, et les fraises ne m’attiraient pas tellement. Mais quand j’ai entendu parler de Mots Rumeurs Mots cutter, le thème m’intéressait vivement (comme enseignante en collège, pour comprendre et faire partager cette histoire), la couverture (d’un violet vif) me donnait très envie aussi. Plus tard, j’ai eu l’occasion d’emprunter Rouge Tagada et je me réjouissais de retrouver l’univers des deux auteurs…
Nathan : Rouge Tagada et Mots rumeurs mots cutter, ce sont deux romans graphiques qui se passent dans une même classe de collège … et, comme vous l’avez dit, c’est l’occasion de se centrer sur deux thèmes assez difficiles. Quels sont-ils ? Lequel vous a le plus touché ? Et pensez-vous qu’ils soient au final un bon moyen de les aborder ?
Céline du flacon : En résumant, ces deux titres évoquent des sujets encore bien trop tabous : l’homosexualité pour Rouge Tagada et le harcèlement scolaire pour Mots rumeurs, mots cutter. Pour ma part, j’ai été davantage interpellée par le second. Il m’arrive assez souvent de détecter des signes de harcèlement au sein de mes classes. Par expérience, le discours moralisateur n’a que peu d’impact (pour ne pas dire aucun). Peut-être que la lecture de cet album peut délier les langues, ouvrir le débat et permettre de prévenir plutôt que de guérir ! Le fait que cette histoire se vit au sein d’une classe et que les protagonistes sont des jeunes comme eux peut certainement aider aussi !
Sophie LJ : Je pense en effet que c’est une bonne manière de les aborder et de montrer que, dans une classe, il se passe beaucoup de choses et qu’on ne sait pas tout. J’ai préféré Rouge Tagada parce que j’ai beaucoup aimé les deux personnages auxquels je me suis très vite attachée. Et puis ça évoque la grande recherche de son identité au moment de l’adolescence avec ses nombreux doutes.
Solectrice : Les thèmes sont abordés avec sensibilité. Moins sensible au malaise exprimé dans Rouge Tagada, cette histoire d’amour m’a semblé assez simple. En Mots rumeurs, mots cutter, j’ai trouvé l’écho de plusieurs histoires d’élèves rencontrés, de brimades entendues et de peines confiées ; ce thème m’a d’autant plus touchée que le scénario démontre comment on peut rapidement basculer dans cette situation, sans pourtant tomber dans la morale.
Bouma : Pour moi c’est Rouge Tagada qui m’a le plus marquée. Parce que je découvrais Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini, et parce que j’ai été plus confrontée aux questions sur la définition de l’amour, de l’amitié, de la frontière entre les deux et sur la recherche identitaire à l’adolescence.
Nathan : En fait, les deux auteures arrivent à toucher juste et en profondeur les cordes sensibles de nos sentiments… Et je dis les deux auteures parce que le dessin et le texte me semblent indissociables … qu’en pensez-vous ? L’un vous a-t-il plus touché que l’autre ?
Céline du flacon : Tu as entièrement raison et cette alchimie commence dès le graphisme des couvertures. Que ce soit la couleur, le choix du titre et du dessin, le toucher velouté, tout donne envie d’entamer la lecture. Pour ce qui est du contenu, j’ai été autant séduite par le texte que par les illustrations. Ces dernières apportent une foule d’informations complémentaires qui permettent par exemple de situer les personnages dans la classe ou de saisir les non-dits… Texte et image s’enrichissent donc mutuellement.
Sophie LJ : C’est vrai que dans ces livres, on sent que le texte et l’illustration sont mis sur un pied d’égalité. Personnellement je suis un peu plus sensible aux illustrations. De manière générale, en BD/romans graphiques, c’est l’image qui retient plus facilement mon attention.
Bouma : Quand je lis ce type d’ouvrage, je fais souvent deux lectures : une du texte d’abord puis je reviens sur les illustrations dans un second temps. Si le tout est bien fait, je ne peux comprendre l’histoire qu’après ces deux lectures et c’est le cas de Rouge Tagada et Mots rumeurs, mots cutter. Alors pour moi impossible de dissocier les deux.
Solectrice : Très attirée par les images aussi – univers ado-fanzine, et beaucoup de détails -, j’ai trouvé que les paroles s’y adaptaient bien par leur vivacité et leur légèreté.
Nathan : Et ces deux écritures si différentes, elles ont provoqué quoi ? La douce et vivace complexité des émotions que j’ai ressenties en lisant ces deux bandes-dessinées me semble réellement riche…
Vous pouvez me citer trois émotions que vous avez vous-mêmes ressenties à la lecture des deux ouvrages ?
Céline du flacon : Trois émotions… Pas simple comme question. Peut-être de l’attendrissement, de la colère impuissante et de l’espoir. De manière générale, ces jeunes qui se construisent et affrontent les aléas de la vie me touchent en plein cœur. Pas tous les jours simples d’être un ado ! On aimerait pouvoir encore les protéger mais on sait que ce n’est pas (plus) possible.
Mots rumeurs, mots cutter m’a renvoyé en pleine face cette cruelle mécanique du harcèlement qui part d’un rien, se met en marche tel un rouleau compresseur et qu’on peine à stopper… Pas plus tard qu’aujourd’hui, j’ai appris qu’on avait volé les lunettes d’une élève de la classe où je suis titulaire. Troisième mésaventure après le vol de ses chaussures puis de son sac de piscine. Ne pas pouvoir régler le problème me frustre au plus haut point. Heureusement, je veux toujours croire en des lendemains meilleurs. Et ces titres vont dans ce sens : il y a toujours quelque part une petite voix qui écoute, une main qui se tend, un geste d’apaisement et d’amitié…
Bouma : Pas facile effectivement de répondre à cette question. Pour moi, il y a eu la joie avec Rouge Tagada qui est un hymne à l’amour. Puis la tristesse avec Mots rumeurs face à ce qui est malheureusement une réalité. Et entre les deux l’émerveillement de découvrir un duo qui fonctionne bien et qui apporte jeunesse et vitalité à des sujets difficiles.
Solectrice : J’ai également éprouvé de l’angoisse aux côtés de la jeune narratrice (surtout dans Mots rumeurs, mots cutter). De la colère, face aux réactions des soi-disant amies qui s’éloignent ou qui blessent impunément. Du désarroi, comme enseignante (on ne voit pas tout, on découvre tard, on ne sait comment faire face). Du soulagement enfin. Je partage l’espoir de Céline en un lendemain serein, où chaque adolescent puisse trouver sa place dans ce monde parfois cruel et connaître des amitiés sincères par-delà les différences. Puisse ce livre dire la douleur d’être exclu et donner envie d’aller vers l’autre !
Sophie LJ : Tout est dit là, empathie, inquiétude, et puis l’émerveillement, en effet, pour ce bel objet.
Nathan : Le prochain album sort début février et aura pour personnage central ce personnage qui, justement, à la fin de Mots rumeurs, mots cutter, apporte l’espoir et l’amitié. En quelques mots, qu’en attendez-vous ?
Solectrice : La couverture et le titre semblent annoncer plus de noirceur… J’aime l’idée de tirer le fil de ces histoires croisées et de démêler, sans doute, des histoires de lecteurs par des dialogues justes et des dessins tendres. Comme j’ai apprécié le regard porté sur ce monde adolescent, j’ai hâte de découvrir l’histoire de cet autre personnage.
Sophie LJ : Je suis impatiente de découvrir cette nouvelle histoire avec un autre personnage de la classe et surtout un autre sujet que j’espère tout aussi émouvant et actuel.
Bouma : Je n’avais pas fait de rapprochement particulier entre les deux premières histoires. Ce sera donc l’occasion pour moi de découvrir ce nouveau titre (et de relire les anciens) sous un nouveau jour. Impatiente en tout cas !
Céline du flacon : J’adore l’idée de ces destins croisés. A chaque nouveau tome, les auteures apportent une petite pièce à un tableau qui dépasse l’individu. Ainsi, je trouve qu’elles nous rappellent que nous faisons partie d’un tout ! Ça casse notre vision plutôt nombriliste et ça, c’est très chouette ! Hâte donc de découvrir ce troisième titre !
Merci à Bouma, Céline, Solectrice et Sophie qui ont mené ce débat avec sensibilité et qui nous montrent bien que ces deux albums, quel que soit notre âge, quel que soit notre parcours de vie, arrivent par leurs mots et leurs traits, à nous toucher profondément, différemment et intensément.
Une interview des deux auteures par Nathan.
Nos avis sur Rouge Tagada:
- « Elles posent sur cette marmite de sentiments en ébullition un regard à la fois tendre et sans concession. Non, ce n’est pas simple d’être adolescent ! » Céline
- « Le duo de Charlotte Bousquet au texte et Stéphanie Rubini aux illustrations fonctionnent à merveille. » Sophie
- « Je me suis pris une vraie claque avec ce livre simple, juste et très fort. » Bouma
- « Ce roman graphique propose une grande palette d’émotions, de beauté et de justesse. Une réussite. Un coup de cœur qui a su m’accompagner … » Nathan
Nos avis sur Mots rumeurs, mots cutter:
- « Voilà donc une deuxième histoire tout aussi convaincante que la première. » Sophie
- « Sans jamais tomber dans le sordide, les deux auteurs, Charlotte Bousquet pour le texte et Stéphanie Rubini pour le dessin, décortiquent toute la mécanique du harcèlement scolaire. » Céline
- « Une lecture fluide et accrocheuse qui vous restera longtemps dans la tête. » Bouma
- « On ne sait plus finalement où commence l’une, où commence l’autre, les deux auteures unissent leurs deux arts pour n’en faire qu’un et c’est brillant, poignant, sans jamais oublier de rappeler au lecteur que même dans les pires moments, il y a l’espoir. » Nathan
En vous lisant, j’ai aimé la douceur de vos avis face à ces thématiques douloureuses.
Mais une chose m’interpelle vis-à-vis des enseignants : vous sentir impuissant face à une situation de harcèlement. En tant que parent d’ados, ça m’interroge…
et avez-vous utilisé ce livre comme support comme vous l’annoncez ? ça m’intéresserait d’avoir du coup le retour de cette expérience.
Merci pour ce très bel article!
Il est complètement complet! ihi 😉