Une humanité en « Petit point »

La semaine dernière, on vous proposait une sélection de livres sur le thème de l’exil ici. Poursuivons avec l’album Petit point de Giancarlo Macri et Carolina Zanotti publié chez Nuinui qui offre un beau message d’espoir pour les générations futures.

À l’ombre du grand arbre, on l’a lu et voilà ce qu’on en dit !

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Petit point, un titre énigmatique et une couverture qui en est remplie, une quatrième de couverture qui n’en dit guère plus : « Des petits points pour découvrir un monde meilleur. Un livre pour tous les petits, même ceux qui ont grandi. ». Qu’est-ce qui vous a donné envie d’ouvrir cet album et qu’est-ce que vous en attendiez ?

Pépita : C’est d’abord l’éditeur que je ne connaissais pas qui a aiguisé ma curiosité. Après, je n’en attendais rien de spécial, si ce n’est de la curiosité. Des petits points partout et un petit point en titre… je me suis dit : sur la différence ? Ce n’est pas nouveau ce point de vue en littérature jeunesse.

Colette : Ce qui m’a donné envie de lire cet album c’est ma bibliothécaire préférée comme souvent ! À la médiathèque, Il y a une étagère consacrée aux nouveautés et aux prix de lecture : Petit point y était présenté dans la sélection du prix de la ville 2016-2017 dans la catégorie Pépite-lecteur en herbe 10/12 ans. Gage de qualité par excellence pour moi. Mais comme Pépita, j’avais déjà lu de nombreux albums qui utilisaient le point de manière symbolique pour aborder des sujets d’ordre moral ou philosophique. Alors, j’étais intriguée : qu’offrait-il de neuf cet album là pour être dans la super sélection de ma médiathèque de choc ?

Et alors, qu’avez-vous trouvé comme histoire dans ce livre ?

Pépita : Une vision très symbolique et très parlante de l’immigration, de la pauvreté, de l’histoire, une bien belle approche de la tolérance, de l’ouverture à l’autre. Mais plus que cela, ce que j’ai vraiment apprécié, ce sont les différents niveaux de lecture de l’approche. Je pense que du coup on peut l’utiliser avec différentes tranches d’âges. Et quel support épatant pour parler de politique au sens large avec les enfants !

Une histoire sur l’immigration : pas facile comme sujet. Qu’avez-vous pensé de la façon dont l’album est traité ?

Pépita : J’ai trouvé que l’approche était simple, avec des mots concrets mais surtout ce qui rend plus explicite le sujet, ce sont justement les petits points : le livre devient support narratif de l’idée avec ces petits points qui se déplacent d’une page à l’autre pour exprimer l’abondance des uns, la pauvreté des autres, que ce sujet est politique mais que si les citoyens se donnent la main pour aller vers l’autre, alors tout est possible. Une enseignante là où je travaille était dubitative lorsque je l’ai présenté en comité de lecture. Je lui ai suggéré de tenter. Elle a une classe de CM2. Au début les élèves ont trouvé cela trop simple puis rapidement l’approche prend de l’épaisseur et là le débat a éclaté dans la classe. Elle a eu l’idée de le donner à un collègue de CE1 et là pareil, pas au même niveau mais les enfants ont aussi été passionnés.

Colette : Certes aborder le sujet de l’immigration dans un album jeunesse c’est aborder un thème complexe et j’imagine que l’album ne se lit pas du même œil selon que l’on est un petit point blanc ou un petit point noir… Pour ma part je trouve particulièrement réducteur de n’aborder ce thème que sous l’angle matérialiste : les petits points noirs ne sont ils seulement heureux dans leur pays que parce qu’ils ont des maisons, des jeux et des hamburgers ? Et les petits points blancs que parce qu’ils n’en ont pas ? N’y a t il pas un petit quelque chose en plus qui permet à tous ces petits points noirs de vivre en harmonie ? Et qu’est ce qui pousse ces petits points blancs à quitter leur page ? Si j’apprécie tout particulièrement le graphisme et le format de cet album, le texte qui l’accompagne est pour moi trop minimaliste pour un sujet aussi complexe. Sans texte il aurait peut être même eu encore plus d’impact.

Mais ce côté matérialiste n’est-il pas là pour simplifier le propos ? Finalement, ça n’empêche pas de se situer dans l’histoire, on comprend vite de quel côté on est et aussi ce que l’on peut apporter. C’est d’ailleurs là-dessus que se poursuit l’histoire, qu’avez-vous pensé de ce dénouement en « happy end » ?

Colette : Si nos bibliothécaires engagées lisent cet album aux familles issues de l’immigration, crois-tu qu’ils pourront se dire qu’ils ont quelque chose à apporter ? Qui apporte quelque chose ici ? C’est Petit point noir qui s’en va « coloniser » la page de Petit point blanc pour lui apprendre à construire, à faire à manger et à s’amuser. Mais qu’apporte Petit Point blanc à part sa détresse et sa pauvreté ? Bien sûr, je projette sur cet album ma connaissance de l’histoire du monde et mes préoccupations d’adulte mais à l’heure où le sujet des migrations est particulièrement d’actualité sur notre sol, il me semble que cet album ne développe pas une vision de l’accueil et de l’échange réciproque à laquelle je suis profondément attachée.

Pépita : Je ne dirais pas qu’il simplifie le propos mais qu’il est aussi dans l’air du temps non ? D’un côté les riches (avec des symboles de riches) et de l’autre les pauvres. Le dénouement montre tout simplement dans sa symbolique de la main tendue que tout est possible, qu’il suffit d’un peu de bonne volonté. Je pense aussi qu’il faut faire confiance aux enfants pour se l’approprier avec justesse parce que nous adultes, nous y projetons nos propres filtres (matérialisme, colonialisme, etc…). Cependant, je trouve que le propos prend une autre tournure avec la symbolique de l’hémicycle parlementaire. D’une approche à première vue enfantine, le débat se place alors sur un autre niveau. La fin, très positive, démontre alors que c’est à tous de s’y mettre.

Oui Colette je perçois très bien ce que tu veux dire mais je ne le vois pas pareil : au contraire cet album montre une réalité, celle d’hier et d’aujourd’hui. Il part de cette réalité-là. Il montre que ça s’est passé et que ça se passe comme ça mais qu’une autre voie est possible : celle de la solidarité, celle de la main tendue mais à égalité. Et que c’est à tout niveau que chacun peut agir et qu’on n’est pas dans qui apporte plus ou moins, chacun peut apporter ce qu’il peut dans un partage équitable. C’est ce qui m’a en tous cas sauté aux yeux avec ces petits points, que j’ai fini par voir comme des êtres humains.

Michelangelo - Creation of Adam.jpgColette : J’avoue que je reste très dubitative sur le symbole finale des mains tendues car j’y ai vu à première lecture une réécriture du tableau de Michel-Ange : La création d’Adam. Du coup je ne comprenais pas vraiment ce que ce tableau venait faire là. Si la réécriture n’est pas volontaire elle m’interroge vraiment !

Pépita : Oui j’y ai vu ce tableau mais aussi l’universalité du geste. Oui on peut dire aussi qu’il aborde la politique de l’immigration, je suis aussi d’accord avec ce point de vue mais il tente de l’englober dans une vision plus humaniste, non ?

Sophie : Ce que j’ai eu envie d’y voir dans cette fin faite de générosité et d’entraide, c’est surtout une ligne à suivre pour les générations futures. Alors qu’aujourd’hui, chacun garde bien pour lui ce qu’il a, dans cette histoire, que ce soit dans le cadre de l’immigration ou non, on propose autre chose. Je trouve que cette invitation à l’entraide, ou à l’aide tout court si l’autre n’a rien a proposé dans l’immédiat (quoique on construit toujours mieux à plusieurs), est belle. Je doute que les enfants qui grandissent aujourd’hui baignent dans cette culture du partage avec autrui alors un tel message me donne envie de le partager.
C’est ce qui m’a touché dans ce livre, au delà de la question de l’immigration, on prône la générosité et pour moi c’est une lueur d’espoir pour les générations à venir.

Qu’avez-vous pensé du graphisme de cet album tout en noir et blanc, fait de points ?

Retrouvez les contes de Warja Lavater sur le site des Editions MaeghtColette : Le graphisme est pour moi l’atout indéniable de cet album : utiliser le point, signe commun à toutes les langues, à tous les humains et ce dès le plus jeune âge pour symboliser l’humanité à la fois dans sa diversité et dans sa multiplicité est à la fois très simple et très ingénieux. J’ai toujours apprécié les artistes qui utilisaient des symboles pour raconter des histoires comme la génialissime Warja Lavater dans sa réécriture des contes traditionnels. Et je trouve que le grand format de l’album participe de l’esthétique de ce livre et nous offre une sacrée vue en plongée sur cette immense humanité de points noirs et blancs.

Pépita : Je vous rejoins sur le graphisme, c’est extrêmement parlant, bien mieux que tous les discours.

Voilà un petit aperçu en vidéo de l’album Petit point, par la librairie Decitre.

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Comme le disait Pépita plus haut, l’éditeur n’a pas été pour rien dans notre envie de découvrir cet album. En effet, c’est une toute jeune maison d’édition suisse et on a eu envie d’en savoir plus sur leur structure et sur cet album.

Interview de Marcello Bertinetti, éditeur chez Nuinui

Nuinui est une toute jeune maison d’édition. Pouvez-vous nous expliquer sa genèse ?

Nuinui a été fondée au printemps 2014 par moi-même, à Chermignon en Suisse.
Je suis le fondateur d’une autre maison d’édition, les éditions White Star, en 1982, et j’ai beaucoup d’expérience dans ce domaine.
Nuinui signifie « Grandgrand » dans la langue polynésienne.

Vous publiez des livres sur des sujets de société contemporains comme Petit point. Est-ce militant de votre part ? Ou une envie de se démarquer dans le paysage éditorial jeunesse actuel ?

Nous publions beaucoup de sujets dans le domaine de la jeunesse, et on a accepté avec enthousiasme de publier Petit Point, car on l’a trouvé original et extraordinaire.

À côté de ça, vous avez aussi une grande place pour les livres de loisirs créatifs et les livres animés. Qu’est-ce que vous souhaitez mettre en valeur dans ces genres là ?

Nous sommes spécialisés dans le domaine des origamis, et je pense qu’on est l’éditeur leader dans ce domaine en langue française.

Vous éditez en français et en italien. Comment s’est fait ce choix ?

Je suis d’origine italienne et je connais bien le marché italien.
Maintenant je vis en Suisse romande et publier en français est impératif et important.
Comme on fait la création des livres, c’est un important investissement, on peut partager ces coûts entre les deux éditions et ça nous aide dans l’économie du livre.

Comment travaillez-vous avec les auteurs ?

On travaille avec beaucoup d’auteurs pour les différents sujets, et il n’y a pas une seule règle.

Giancarlo Macri et Carolina Zanotti - Terre.Quels sont vos projets éditoriaux à venir ?

Cet automne on publie un autre titre exceptionnel de Macrì et Zanotti, les auteurs de Petit Point : Terre. Ce titre lance un message aux enfants pour sauvegarder la nature et notre monde qui est en péril.

On a aussi d’autres titres importants pour la jeunesse, pour les loisirs créatifs Peter Skinner - New York - Un siècle de photographies aériennes.et origamis, comme en particulier : Origami modulaires d’exception de Tomoko Fuse, japonaise, une des créatrice d’origamis les  plus importantes au monde.

On publie aussi un grand titre illustré de grand success: New York un siècle de photographies aériennes, de Peter Skinner.

Pour en revenir à Petit point, on peut dire que c’est un album qui parle d’un sujet particulièrement d’actualité. C’est un livre qui suscite le débat notamment selon si on se trouve du côté des points blancs ou des points noirs. A quel âge le conseilleriez-vous ?

On aime dire que « c’est un livre pour tous les enfants, même s’ils sont adultes ! ».
De 1 à 99 ans ! Mais plus sérieusement pour les enfants de 5 à 12 ans.
Le Petit Point à été publié en français, italien, anglais, allemand, espagnol et chinois !

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Merci à l’éditeur Marcello Bertinetti pour ses réponses et à Pépita et Colette pour m’avoir suivie dans cette lecture !

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