Professeur agrégée de lettres modernes et Normalienne, Pascale Maret a beaucoup voyagé. Elle a enseigné la langue et la littérature française en Côte d’Ivoire, en Argentine, aux Émirats arabes unis, en Birmanie et au Venezuela.
Ce n’est que tardivement qu’elle s’est consacrée à l’écriture de livres pour la jeunesse.
Gentiment, Pascale Maret a bien voulu répondre à nos questions après notre lecture commune de son dernier roman ado : Les Ailes de la Sylphide (Thierry Magnier, 2013).
– Comment vous est venue cette idée de parler du milieu de la danse ? Quel fut votre point de départ ?
J’adore la danse et m’étonnais de n’avoir pas encore eu l’idée d’un roman sur ce thème. Mais je n’avais pas envie d’écrire « une histoire de danse » un peu mièvre, s’attachant uniquement à raconter le parcours d’une jeune apprentie danseuse. C’est en voyant le film « Black swan » que j’ai réalisé combien il pouvait être intéressant d’exploiter l’aspect fantastique de tout ballet romantique pour construire une histoire. En même temps, le fantastique n’est pas un genre avec lequel je me sente beaucoup d’affinités, donc j’ai décidé d’écrire une histoire faussement fantastique, où le surnaturel ne serait qu’un travestissement de la réalité.
– Aviez-vous à l’origine cette histoire telle quelle en tête ? Ou s’est-elle construite peu à peu ? Notamment la résonance qu’induit ce ballet dans la réalité de cette jeune fille ?
En général, quand je commence la rédaction d’un livre, j’ai déjà assez clairement l’histoire en tête. Pour « la Sylphide », ça ne s’est pas du tout pas passé comme ça. J’avais donc l’idée de départ : une jeune danseuse qui s’imagine devenir la créature surnaturelle qu’elle interprète, parce qu’en fait elle se sent très mal à l’aise dans son corps et dans sa vie. Je voulais vraiment faire le parallèle entre le ballet et la réalité (par exemple le fait que le garçon délaisse sa première copine, la cousine, pour Lucie, comme le James du ballet délaisse sa fiancée humaine pour la Sylphide). Mais cela restait très flou : était-elle anorexique ? Souffrait-elle au fond d’être adoptée et de ne pas connaître ses origines ? Croyait-elle vraiment à son histoire ? L’intrigue était très simple, trop simple : gagnée par la confusion entre réalité et imaginaire, elle finissait par se jeter dans le vide sans son harnais lors d’une répétition, se blessant gravement. Mais je sentais confusément que ce personnage me cachait autre chose, de plus essentiel et plus douloureux, et qui ne m’est apparu qu’en cours d’écriture.
– Pourquoi la Sylphide et pas un autre ballet ?
Bon, « Le lac des cygnes », c’était déjà fait ! Plus sérieusement, « la Sylphide » est le premier ballet que j’ai vu intégralement, à la télévision (il n’était plus dansé depuis longtemps à l’Opéra et le chorégraphe Pierre Lacotte l’a d’abord remonté pour la télévision), c’est pourquoi j’ai toujours gardé une tendresse très spéciale pour cette œuvre. Ensuite cet univers de forêt mystérieuse et de créatures plus ou moins « elfiques » me paraissait tout à fait correspondre au fantastique très convenu que je voulais utiliser.
– Finalement, est-ce le ballet qui sert votre intrigue et le personnage de Lucie, ou l’inverse ?
La question est intéressante. Au départ, je pense être partie vraiment du ballet choisi, et on peut dire que mon intrigue et le personnage de Lucie en ont découlé. Mais finalement, ils s’en sont peu à peu émancipés, à partir du moment où j’ai eu la « révélation » du secret que Lucie cachait. Contrairement au ballet, où le fait de se livrer à l’homme entraîne la mort de la Sylphide (la métaphore de la perte des ailes comme perte de la virginité et désacralisation de la femme idéale me paraît assez claire dans le ballet), dans le roman Lucie finit par se réconcilier avec son corps et avec la sexualité grâce à l’amour de Théo.
– Lucie existe-t-elle dans la vraie vie ?
J’ai eu l’occasion de rencontrer dans les différents cours de danse que j’ai suivis des filles très mal à l’aise avec leur corps, donc plusieurs anorexiques. Mais le personnage de Lucie est une invention. Ce qui n’empêche pas qu’une fille réelle puisse se reconnaître dans le personnage, cela m’est déjà arrivé pour d’autres héros ou héroïnes que j’avais créés.
– Avez-vous pensé que vos lecteurs pourraient être plus que surpris par l’épilogue et qu’il puisse susciter un choc ?
Ma crainte était que le lecteur ne se laisse pas piéger et ne soit donc pas surpris par l’épilogue. Mon but était de créer la surprise, voire le choc. Il est possible que certaines jeunes lectrices soient choquées par l’évocation de ce qu’a subi Lucie, cependant rien n’est dit ou décrit de façon crue, car cela ne correspond pas à ma façon d’écrire, et cet ouvrage ne s’adresse pas à des enfants, mais à des ados. Mon livre peut être « choquant » pour ces derniers, car ils sont souvent très friands de fantastique, et acceptent très bien dans ce cadre la violence et les métaphores de la sexualité (le vampire est une figure bien connue d’une sexualité à la fois fascinante et dangereuse), or dans cette histoire je lève brusquement le voile sur le sens caché de la métaphore fantastique.
– A la lecture de notre conversation, vous constaterez que nous nous sommes interrogées sur l’attitude du personnage de la cousine, est-elle vraiment insensible au problème de Lucie ? Est-ce un évitement conscient ou inconscient ? Comment expliquer sa non-implication, voire son indifférence au mal-être de Lucie ?
Le personnage de la cousine reste assez secondaire, c’est plutôt une sorte de repoussoir. Elle est extrêmement différente de Lucie, qui lui paraît être une fille peu intéressante et pour laquelle elle éprouve de la condescendance. Egocentrique, comme on l’est à cet âge, elle ne perçoit guère le mal-être de Lucie et partage avec elle très peu de choses. Leur cohabitation leur a été imposée par leurs parents respectifs, et n’a pas créé de véritable intimité entre elles. Lorsque Théo va délaisser Margot pour Lucie, l’indifférence cédera la place à la jalousie et même à l’inimitié.
-Avez-vous participé au choix de la couverture (magnifique) ?
Non, c’est le choix de l’éditeur, et je dois dire qu’au départ cette couverture ne me plaisait pas du tout. Je la trouvais très esthétique et j’appréciais sa délicatesse, mais j’étais très gênée par le fait que le personnage soit trop enfantin et surtout n’ait pas du tout le corps et l’attitude d’une danseuse. J’aurais préféré une photo de danseuse. Je m’aperçois à présent que cette couverture plaît beaucoup. Une autre option aurait été de choisir une illustration plus « fantasy », donc plus commerciale, mais je pense que cela n’aurait pas servi le texte.
– A partir de quel âge conseilleriez-vous cette lecture ?
Comme je l’ai dit plus haut, ce texte n’est pas destiné aux enfants. Mais à quel âge entre-t-on dans l’adolescence? Cela dépend tellement que je ne veux pas m’avancer : à douze ans, certains sont très matures, d’autres à quatorze ont encore du mal à quitter l’enfance.
– Enfin, quels sont vos projets ?
Après « Les ailes de la Sylphide », j’ai écrit un petit roman plus léger qui cette fois s’adresse à des enfants. Il sortira l’été prochain et a pour titre (provisoire encore) « Bon Zigue et Clotaire ». En ce moment, j’essaie d’écrire un roman pour adultes qui est assez avancé mais ne me satisfait pas vraiment. J’irai néanmoins au bout de l’écriture, je n’abandonne jamais une histoire ! J’ai écrit également un conte, qui est actuellement en lecture chez un éditeur.Une chose est sûre : après une dizaine de romans pour les ados (et une dizaine d’années passées à me colleter à la maison avec les miens !), j’avais besoin de changer un peu d’ambiance !
Encore un grand merci à Pascale Maret pour avoir accepté ce jeu de questions/réponses.
Pour en savoir plus, faites un tour sur son site !