Une nouvelle série de Marie-Aude Murail-Sauveur & fils- nous a enthousiasmées !
Voici un échange sur les deux premiers tomes et chut ! on est déjà plongées dans la suite…
Pépita : Sauveur & fils, avec ces cochons d’inde en couverture, vous vous attendiez à quoi ? A du Marie-Aude Murail en tous cas non ?
Chlop : A vrai dire, je n’avais pas vraiment d’idées pré-conçues. Je n’ai pas lu la 4eme de couv et je ne savais pas trop à quoi m’attendre, si ce n’est que je me doutais que j’aurais plaisir à le lire. (Parce que j’ai confiance dans Marie-Aude Murail pour faire des livres qui me plaisent mais aussi parce que j’ai confiance dans celle qui me l’a offert pour cerner mes goûts 😉
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Colette : J’avoue je n’ai pas du tout eu de coup de foudre pour cette couverture ! J’ai même cru que les graphistes étaient en panne d’idée ! Mais bien entendu quand je me suis plongée dans l’histoire de Sauveur et que j’ai découvert la hamstérologie, il m’a semblé finalement très judicieux d’avoir choisi ce personnage là pour le mettre en couverture ainsi que d’autres membres de sa grande famille pour celle du tome 2. Il aurait été de toute façon contre productif de nous présenter une quelconque image de Sauveur ou de son fils, car eux, nous avons terriblement besoin de nous les inventer, de les apprivoiser, de les envisager !
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Alice : La couverture ne m’a pas emballée de suite, mais ce sont vos premiers retours de lectures et ceux de mon entourage qui m’ont donné envie de retrouver la plume et la personnalité de Marie-Aude Murail. Je n’ai pas toujours accroché à tous ses textes ( Malo de lange par exemple, ou Le tueur à la cravate..) mais quand elle s’attache à mettre les considérations sociétales au cœur de ses romans, avec en plus un petit côté militant, je suis conquise !
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Bouma : En toute honnêteté ce sont vos coups de cœur successifs pour ce roman car entre le titre qui ne me parlait pas et la couverture… eh bien j’aurais fait l’impasse…
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Pépita : et bien moi j’ai adoré la couverture, non pas esthétiquement car elle est pas terrible mais j’ai bien aimé le clin d’oeil de la fin et la hamstérothérapie, j’ai trouvé ça chouette !
Et ce Sauveur alors, au prénom prédestiné, il sauve qui ? Des hamsters ? Des cochons d’Inde ? Lui-même ?
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Colette : Sauveur sauve toute une ribambelle d’enfants perdus, des petits, des grands, et de mille manières différentes … et je dirai que celui qu’il sauve le moins c’est lui -même.
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Alice : Quel prénom prédestiné ! Sauveur sauve les patients qui défilent dans son bureau, pas que des enfants d’ailleurs. Il ne les sauve pas à proprement dit mais les aide à trouver leur propre chemin. Sauveur est un fin psychologue, qui écoute, ne juge pas et qui apporte sa bienveillance. Sauveur se sauve aussi lui même, en allant fouiller dans ses propres racines ( tome 1), en reconstruisant sa vie ( tome 2). Et enfin Sauveur sauve des hamsters ! Et c’est pour la bonne cause ! Qui l’eut cru ?
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Bouma : Sauveur et son fils Lazare n’ont pas des noms communs et ne le sont pas eux non plus. Cet homme apparaît comme un phare (tant par sa stature que par son rôle) dans la vie de son entourage (patients ou connaissances). Mais ce n’est pas un prénom facile à porter et il le dit de la plus belle des manières).
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Chlop : Je pense que malgré son nom prédestiné, Sauveur ne sauve personne. En bon psy, il essaye plutôt de permettre à chacun de se sauver lui même. Mais (est-ce à cause de son prénom ou à cause d’une trop grande capacité d’empathie?) dans cette tâche il se perd peut être un peu de vue et relègue ses propres problèmes au second plan. Il faut dire que sauver les autres, soi même, son enfant et les hamsters, ça fait beaucoup pour un seul bonhomme.
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Pépita : Qu’est-ce qui vous a particulièrement plu dans ces deux premiers tomes ? Le ton, les personnages, les situations, l’humour, …Et a contrario, y a-t-il un aspect qui vous a déplu, agacée,…
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Colette : Ils ne sont pas nombreux les petits faits qui m’ont agacé dans ce roman mais franchement le « VP » à tout bout de champ, j’avoue pour moi c’est du jeunisme inutile. Le vocabulaire ou les expressions qui ancrent trop dans une certaine forme d’actualité ou de mode ne servent pas l’oeuvre, voire même l’empêche d’atteindre à une certaine universalité mais ce n’est peut-être pas le but recherché même si toute la quête identitaire que mène Sauveur pour lui même mais aussi pour ses patients est pour moi véritablement une thématique profondément humaine et universelle.
Ce que j’aime dans ce livre, en tant que collectionneuse, c’est le côté « cabinet de curiosités » de la narration, toutes ces petites histoires qui se tissent au fil des pages, tous ces petits tiroirs de l’âme qui s’ouvrent à chaque fois que Sauveur reçoit un nouveau patient, c’est un ressort narratif qui permet d’explorer de nombreux aspects de la complexité humaine. C’est ce qui donne une épaisseur de sens à ce livre foisonnant.
Et puis le personnage de Sauveur m’a beaucoup appris pour moi-même : l’écoute dont il est capable, si elle semble tout à fait nécessaire pour faire un bon psychologue, elle me paraît aussi essentielle à chacun d’entre nous pour savourer pleinement sa relation aux autres. Disons qu’en quelque sorte j’ai été une patiente invisible de Sauveur et que l’écouter parler à ses patients a soigné mon incapacité à écouter vraiment, ce qui me permet dorénavant de mieux comprendre mes proches et de mieux leur répondre. En bref : Sauveur m’a fait progresser en communication bienveillante !
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Pépita : C’est le côté un peu trop parfait de Sauveur qui m’a un peu « agacée » et encore…mais bon, il a tellement de bons côtés, parfois un peu imprévisibles et…prévisibles aussi. Oui j’ai aussi aimé ces destins de cabossés qu’on laisse, qu’on retrouve, qu’on voit évoluer dans leurs contradictions, leurs peurs, leurs joies aussi. On s’angoisse pour certains, on se réjouit pour d’autres. Comme toi Colette, la parole bienveillante de ce thérapeute, son humour aussi, ses doutes m’ont apaisée. Après le côté vie moderne, oui bien ,je l’ai pris comme il venait, un peu comme une récréation. Et puis, ils font du bien aussi dans cette complexité humaine déballée entre ces murs !
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Alice : Moi j’ai adoré la capacité de Marie-Aude Murail à » inventer » des histoires mais aussi à leur trouver des issues. Pour pouvoir écrire ce livre, il faut sûrement être un peu « Sauveur » soit même. Du coup, je lui tire mon chapeau bas. Cette bienveillance dont fait preuve Sauveur, c’est aussi la sienne envers les ados qu’elle sait écouter et qu’elle ne prend pas pour des imbéciles.
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Chlop : Il n’y a rien qui m’ait déplut dans ces livres. Ce qui m’a particulièrement touché c’est le personnage de institutrice. On sent à quel point elle est dépassée, à quel point elle essaye de bien faire alors même qu’elle est à un an de la retraite, à quel point elle est perdue face aux problématiques de ses élèves. Elle essaye de se mettre à la page, est à l’écoute de toutes les nouvelles pédagogies et à force, elle en perd son bon sens. Cette façon qu’elle à de subir toutes les injonctions sociétales, même les plus contradictoires m’a fait penser aux mères qui ne savent plus comment s’y prendre à force de lire ça et là des conseils qui vont dans tous les sens. Ce n’est pas un personnage très important mais elle m’a vraiment émue.
J’ai beaucoup aimé aussi, surtout dans le tome deux, l’importance du milieu dans le quel se déroule l’histoire. Une ville moyenne dans la quelle on n’a pas l’impression de connaître tout le monde comme dans un village mais dans la quelle on découvre que les gens ont tous des connaissances en commun. D’où la problématique du secret professionnel et de tension entre vie personnelle et vie professionnelle pour Sauveur.
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Pépita : Transition parfaite avec les personnages : ils entrent, ils sortent, des nouveaux apparaissent dans le second tome, on retrouve ceux du premier tome : la construction du roman suivant l’agenda de Sauveur à la semaine……Qu’auriez-vous à dire sur cette galerie de personnages, ados ou adultes, qui peuplent le cabinet de Sauveur ? Sorte de Kaléidoscope des enjeux de société actuels, comment avez-vous vécu leurs confidences ?
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Bouma : C’est exactement ça. J’ai trouvé que Marie-Aude Murail grâce à son personnage de « Sauveur » abordait par le petit bout de la lorgnette (c’est-à-dire en constatant des faits et en laissant aux lecteurs le soin de se faire leur avis sur la question) une multitude de sujets d’actualité qui touchent de près ou de loin les lecteurs. Elle parle ainsi de divorce, du suivi thérapeutique, du racisme, de la monoparentalité, de la transexualité ou bien encore des familles homoparentales. Leurs confidences aboutissent finalement tous au même constat, je trouve : c’est le regard de la société, des pairs comme des pères, qui les poussent à entrer dans ce cabinet.
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Chlop : J’ai aimé la rencontre avec tous ces personnages parce qu’on les découvre à travers les yeux de Sauveur donc toujours dans la bienveillance. C’est un livre qui incite particulièrement à l’empathie, en montrant parfois plusieurs points de vue sur une même situation, comme par exemple le point de vue de la victime mais aussi de l’un des « bourreaux » dans une situation de harcèlement scolaire. Ça permet de comprendre que la réalité que ça recouvre est forcément nuancée.
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Alice : Les personnages ? Parfois je me suis un peu mélangée les pinceaux » C’est qui lui/elle déjà ? » mais j’ai toujours eu plaisir à les retrouver en me disant » Qu’est-il/elle devenu(e) ? » » Comment a t-il /elle avancé depuis la dernière fois ? » …
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Pépita : Du coup, à quel personnage vous-êtes vous le plus attachée ?
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Alice : Celui auquel je me suis le plus attachée ? Samuel qui a des problèmes avec l’hygiène et dont la mère est hyper possessive. Il prend encore plus de place dans le tome 2 et dégage une telle intensité émotionnelle que c’est sûrement le premier auquel je pense.
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Colette : Mon personnage préféré c’est Sauveur Saint-Yves. Je suis tombée sous le charme j’avoue, voilà un personnage masculin d’une générosité et d’une singularité assez extra-ordinaire. Et puis en tant que père, j’ai aimé qu’il ne soit pas aussi infaillible qu’avec ses patients, tout en se remettant en cause à la fin du premier tome jusqu’à prendre la poudre d’escampette sur son île natale avec son fils sur les traces de son histoire familiale, concrétisant en VRAI ce qu’il travaille chaque jour par la parole dans son cabinet : le retour aux sources, la question parfois si douloureuse des origines, l’élucidation des secrets de famille dont on est soi même les propres maîtres quand on devient parents, et la libération lumineuse quand le travail de deuil et de quête est terminé. J’ai trouvé cependant cet aspect bien moins présent dans le second volume, même s’il est capable de faire quelque chose qui a souvent traversé mon esprit de maman-prof d’élèves en grand désarroi : « adopter » Gabin !
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Bouma : J’avoue que Gabin m’a touché par son attitude toute adolesque à rester impénétrable bien que son quotidien s’effondre autour de lui.
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Pépita : Tout comme toi Bouma Gabin m’a beaucoup touchée par son flegme, son humour et quelque chose me dit qu’on va découvrir une autre facette de ce garçon dans le dernier tome ! J’ai été aussi bouleversée par Ella et par Samuel : leur regard sur le monde qui les entoure, et notamment les adultes, est une sacrée leçon !
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Ce roman est aussi un miroir révélateur des comportements des « grands ». En tant qu’adulte, avez-vous été interpellée ? De quelle manière ?
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Bouma : Oui, ce roman m’a fait encore plus prendre conscience du regard acéré des enfants sur les adultes. Ils sont capables de comprendre ou tout du moins de ressentir beaucoup plus de choses qu’on ne le pense. Et encore une fois, le poids de la société sur les épaules de chacun, adulte ou enfant, est ancré dans chaque personnage.
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Alice : Qu’est ce que être « grand » ? Pas si facile finalement … On porte tous en soi un fragilité, des failles,… et on fait du mieux que l’on peut pour assurer.
Les adultes qui traversent le livre de Marie Aude Murail nous révèlent leur incompréhension, leur défaillance, leur peur, leur doute, leur découragement, … mais ce n’est pas grave, il est important de montrer aussi à nos ados que les adultes ont le droit de ne pas toujours « assurer ».
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Chlop : J’ai trouvé intéressant de montrer aux lecteurs (donc, à des enfants à priori) que les adultes ne maîtrisent pas plus leurs sentiments, leurs émotions ou leurs environnement qu’eux. Parfois même, les choses sont beaucoup plus simples pour les plus jeunes. Par exemple sur la thématique de la famille recomposée et le couple homosexuel. C’est la fillette la plus jeune qui accepte le mieux l’homosexualité de la mère. Dans l’ensemble j’ai trouvé que les personnages, adultes comme enfants, sonnent juste parce qu’ils sont nuancés, imparfaits, c’est d’ailleurs ce qui les rend attachants.
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Colette : je crois que je ne vais pas répondre vraiment à la question mais je trouve que c’est un sacré défi d’avoir choisi pour personnage principal d’un roman pour adolescent un ADULTE. En tant qu’adulte passionnée de littérature jeunesse et surtout en tant que personne qui côtoie des jeunes tous les jours ou presque, je remercie Marie-Aude Murail d’avoir osé offrir à ses ados de lecteurs un personnage adulte auquel s’identifier, à qui faire confiance, à qui parler, avec qui se construire, se reconstruire et pas seulement parce qu’il est psychologue mais surtout parce qu’il est HUMAIN, profondément humain. Alors oui ce roman est aussi un révélateur du comportement des grands et de ce qu’ils font « subir » aux enfants mais aussi -et surtout, je suis optimiste- un miroir de ce qu’ils font pour qu’ils grandissent bien, pour les… sauver.
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Pépita : Si vous deviez choisir un seul mot pour définir ce roman et ce qu’il vous a apporté, quel serait-il ?
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Alice : Un seul ? Mais c’est dur dur, ça, alors j’en donne deux du « Bien-être ». Si je pouvais, je rajouterai, de la « sérénité », de la « bienveillance », de la « sagesse ».
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Colette : de l’amour :coeur: :coeur: :coeur: :coeur: !
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Pépita : Je dirais « Humanité » : Sauveur a le don de ramener toute chose et toute situation à l’humain aussi bien dans sa vie personnelle que professionnelle. Malgré les difficultés qu’il rencontre, les confidences qu’il entend, il garde le cap de l’humain et ce que ça fait du bien !
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Bouma : pour moi ce serait de la PATIENCE, j’ai bien avec Sauveur qu’il en fallait, et il m’en a fallu aussi pour voir l’évolution de ces personnages… et accessoirement pour attendre la suite !!!
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Pépita : Et pour finir qu’attendez-vous du troisième et dernier tome qui vient de paraitre ?
Alice : J’attends impatiemment de retrouver tout ce petit monde, bien évidemment. Je suis presque certaine que Gabin prendra encore un peu plus de place. Et peut être bien que l’on assistera aussi a des au revoirs. Ce n’est pas toujours facile de mettre fin à une thérapie, d’être certain d’avoir toutes les cartes en main pour avancer sereinement, d’avoir la force de penser que l’avenir aura maintenant une autre saveur…ce seraient bien que « nos » patients nous surprennent. On se dira alors : » Ce Sauveur, il est vraiment trop fort !
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Colette : Comme j’ai eu l’impression de délaisser un peu Lazare dans le 2e tome, j’espère le retrouver dans le dernier tome, renouer avec son histoire familiale et donc en savoir un peu plus sur Sauveur aussi. Et puis peut-être qu’avec Louise, ils vont agrandir la famille. Et puis il me tarde de savoir ce qui va arriver à Ella-Elliot que l’on a laissé un peu seule à la fin du tome 2. Sans parler des hamsters !
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Bouma : Je n’attends rien de spécifique pour cette troisième saison si ce n’est peut-être de découvrir un peu plus Sauveur.
Pépita : de la vie encore et toujours…(mais je ne dis rien; je l’ai lu le 3 !).
Une saison 4 est en cours d’écriture !
Nos avis de lecture :
*BONUS*
Pour aller plus loin :
La revue des livres pour enfants du mois de février 2017 dans son n° 293
consacre un dossier à Marie-Aude Murail
Ping : Sauveur & fils, saison 3 de Murail – Un Petit Bout de Bib(liothèque)