Sur la ligne de départ de cette lecture commune, on trouve Sophie LJ, Alice, Pépita, Bouma et Colette, affichant une motivation à toute épreuve pour répondre à ma série de questions sur ce petit roman.
Aussi loin que possible, Eric Pessan. Ecole des Loisirs, 2016.
A vos marques-pages, prêtes ? C’est parti !
Deux jeunes nous tournent le dos sur la couverture, le titre nous intrigue sur l’objectif à atteindre… Quelles étaient vos appréhensions avant de commencer cette histoire ? Et qu’est-ce qui vous a donné l’élan pour cette lecture ?
Alice : « Objectif à atteindre », » élan », j’aime bien ce choix lexical qui donne déjà des indices sur une des pistes de ce roman. Mais je n’en dis pas plus, car ce n’est pas encore le but de ta question…
Moi, j’ai beaucoup aimé le titre que je trouve très ambitieux. Enigmatique, percutant comme un slogan mais positif.
Quand à la couverture, ce n’est pas le fait que les deux ados soient de dos qui m’a intriguée, mais j’ai plutôt été touchée par leur accolade, symbole d’une certaine fraternité.
Au premier coup d’oeil, ce livre est pour moi plein d’amitié et d’espoir.
Sophie LJ : J’ai aussi beaucoup aimé le titre de ce roman. Je me demandais où il m’emmènerait justement.
Une fois ouvert, j’ai été bien vite embarquée dans la course de ces deux jeunes qu’on suit avec plaisir et inquiétude aussi.
Bouma : Je n’aurais sûrement jamais ouvert ce roman s’il ne m’avait été conseillé par ma libraire. Certes la couverture laisse penser à une histoire d’amitié et le titre sonne comme une promesse mais mes envies de lecture à ce moment là étaient très loin de cette thématique.
Pépita : J’avais déjà lu un roman de cet auteur et j’avais été frappée par son écriture. Et j’ai trouvé la couverture et le titre bien en accord : aussi loin que possible…une promesse, un défi à relever, deux jeunes garçons, il n’en fallait pas plus pour que j’ouvre ces pages.
Colette : Cette lecture est un excellent souvenir car elle m’avait été conseillée par ma bibliothécaire préférée qui m’avait prêté ce livre à l’aube de notre expédition familiale à la Réunion et je l’ai lu d’une traite sur la plage de l’Hermitage pour me soigner d’une mauvaise angine qui m’empêchait d’aller me baigner dans l’eau transparente avec mes garçons ! Aussi loin que possible, quand même c’est un titre sacrément prometteur, une bribe de rêve comme on aimerait en glisser à l’oreille de chaque enfant croisé sur notre chemin…
D’un rythme haletant, ce roman débute comme une respiration saccadée et annonce la distance. Vous êtes-vous préparées à le lire d’une traite ou avez-vous été happées par cette course ?
Pépita : Complètement happée par cette course car j’ai trouvé que le style d’écriture imprimait un rythme à l’histoire, on se sent courir avec les deux garçons, j’ai ressenti vraiment cette impression. Mais j’ai fait des pauses aussi, non pas pour reprendre mon souffle mais pour intérioriser ce que je venais de lire. Je sentais bien confusément que dans cette histoire, ce n’est pas seulement « courir » le message qu’a voulu faire passer l’auteur.
Bouma : Moi aussi j’ai été happée dès les premiers mots par la présence de ce narrateur et l’écriture imagée d’Eric Pessan. On a l’impression de courir en lisant (je voudrais que tous les livres me fassent ça !)
Colette : J’ai été complètement happée car je voulais absolument comprendre pourquoi ces deux jeunes avaient autant besoin de s’échapper.
Sophie : En général, je commence un roman quand je suis sûre d’avoir un peu de temps devant moi. Celui-ci, je n’ai pas pu le lire en une fois mais deux ont suffit. Je pense qu’on pourrait même le lire à voix haute… même si on risque d’être un peu essoufflé !
Alice : Je me souviens de ces premières pages ou l’on passe les différentes barrières qui nous amènent du centre ville au periphérique, à la banlieue et puis … prendre une bonne bouffée d’air frais et de verdure en pleine figure ! Le rythme était donné, les foulées venaient naturellement les unes après les autres, le souffle se maîtrisait de mieux en mieux, les muscles commençaient à se faire sentir … de vraies sensations d’une bonne sortie de running ! Et je sais de quoi je cause ! Après la machine est lancée et le physique se rôde, c’est alors la tête qui rentre en action et l’on cherche à savoir ce qui pousse ces deux ados à courir. Après quoi ? Après qui ?
Comme la première page nous en informe (par une prolepse), les deux garçons voient naître au fur et à mesure de leur périple « les véritables raisons » de leur course. Sachant seulement qu’Antoine et Tony venaient d »une cité, qu’aviez-vous imaginé sur leurs motivations ?
Pépita : Aussi curieux que cela puisse paraître, rien du tout ! J’ai suivi leur périple comme il venait, en les trouvant très respectueux des traces qu’ils pouvaient laisser. Et curieusement, quand les motivations sont arrivées-mais le sont-elles vraiment ?-j’ai retenu mon souffle : je ne voulais pas que cette course spontanée soit « souillée » en quelque sorte par une espèce de chose genre » faut rentrer dans les cases ». Eric Pessan a su garder l’esprit jusqu’au bout je trouve et je pense que la réussite de ce roman tient aussi à ça : à ce travail d’équilibriste, au fil du rasoir, pour ne pas tomber dans le cliché et les stéréotypes.
Alice : Comme Pépita, rien non plus. Et c’est vrai que cela titille notre curiosité, que l’on se demande ce qui peut guider cette course et j’ai particulièrement apprécié que tout cela ne tombe pas dans le cliché de la cité. Le dérapage aurait pu être facile, mais non Eric Pessan maintient bien son cap, son équilibre et sa finesse. Pas de misérabilisme non plus, pas de « too much », juste ce qu’il faut pour que cela soit touchant.
Sophie : Je n’avais trop rien imaginé en dehors d’une fugue. Par contre, pendant un moment au cours de l’histoire, j’ai cru que ça allait mal finir ! J’avais du mal à voir comment on pouvait aller vers du positif.
Colette : Déformation professionnelle sans doute, j’ai vu de nombreux fantômes, rencontrés sur mon chemin d’enseignante d’élèves en fuite, pousser nos deux amis à courir. Ce n’est pas tant leur situation de jeunes de cité qui a créé cette attente mais simplement le fait qu’ils soient au cœur de cet âge de tous les élans qu’est l’adolescence.
Reprenons leur élan et ouvrons les yeux…
« Une expiration.
Je m’accroche au rythme de nos pas, je n’écoute plus que le heurt de nos semelles et l’écho que rendent certains entrepôts. J’oublie le grondement continu du périphérique, j’oublie les moteurs (…)
Deux inspirations.
On avance.
Des machines martèlent du métal, des chiens aboient. »
Les deux coureurs font abstraction du décor, de ce monde désolé qui les entoure. Et vous, avez-vous été sensible à cette toile de fond sonore et visuelle ?
Pépita : oui tout comme toi j’ai été très sensible à cet univers et je pense qu’un film pourrait aisément en émerger. J’ai entendu leur souffle s’accorder, leurs semelles claquer, le bruit de la ville, le silence de la campagne,….comme si l’auteur avait voulu que le lecteur soit presque en train de les suivre en vrai.
Colette : les bruits de la ville m’habitent et me rassurent, j’aime les retrouver dans mes lectures même si c’est pour tenter de les oublier.
Sophie : J’ai bien aimé l’ambiance citadine que créaient les décors. Je me souviens moins des autres. C’est vraiment le côté urbain qui m’a marquée, le point de départ dans un environnement de cité, les bruits, le décor. On s’en imprègne assez bien même si c’est secondaire pour eux. Je n’ai pas le livre sous la main mais je me souviens particulièrement d’un début de chapitre où ils sont devant l’autoroute. La vitesse des véhicules défile sous leur yeux alors qu’ils sont justement arrêté pour la première fois. J’ai bien aimé ce contraste du style « la vie continue ».
Alice : Je ne me souviens pas des bruits de la ville… c’est vraiment le souffle de leurs respirations qui pour moi a rythmé cette lecture et la cadence de leur pas, de leur course.
Bouma : Ce décor très citadin m’a permis de me plonger très facilement dans le récit car il me rappelle mon quotidien et tous les bruits urbains qui peuplent ma vie. C’est presque une bande-son, tant le côté sonore du décor prend de la place.
Oubliant l’univers réaliste dans lequel évoluent les deux adolescents, j’ai souvent pensé à un conte en lisant ce roman : deux héros en quête pour échapper à leur sort, quelques rencontres menaçantes, d’autres souriantes, bienveillantes et des abris providentiels sur le chemin. Me suivez-vous sur cette piste ?
Pépita : maintenant que tu le dis oui pourquoi pas ? Mais non je ne l’ ai pas lu comme un conte mais comme un fait de société actuel.
Colette : Je ne l’ai pas du tout lu comme un conte (en même temps le schéma actantiel que tu décris est un schéma que l’on retrouve dans la plupart des récits, mais c’est vrai qu’ici la brièveté du récit pouvait faire songer au conte) mais comme une histoire d’amitié réaliste et moderne.
Alice : Tout comme mes copinautes, je n’ai absolument pas vu ce livre comme un conte et je ne sais pas si je m’avancerais jusque là. C’est pour moi un roman d’actualité avec sa part d’engagement et d’indignation. Un réveil des consciences assez finement amené.
Je trouvais que rien n’arrêtait ces personnages et qu’il y avait un aspect merveilleux dans le fait qu’ils parvenaient à mener leur course au bout, en volant sans être arrêtés ou en s’abritant sans être découverts, comme si cette aventure échappait à la réalité. Mais je ne voudrais pas forcer l’interprétation du récit, qui est bien ancré dans la société actuelle, je le reconnais.
Sophie : Je n’ai pas pensé au conte non plus en le lisant. Mais en y pensant j’imagine assez bien une réécriture un peu onirique et fantastique de cette histoire.
Des souvenirs émergent en pagaille, des projets naissent. Sur la ligne d’arrivée, l’écriture prend le relai de la course et le reste de la vie des héros s’ouvre, entre parenthèses. Ce roman intimiste nous donne à penser, prolonge l’écho des pas dans nos têtes. Après l’avoir fermé, quels mots ou pensées résonnent encore en vous ?
Pépita : je l’ai lu à sa sortie, ce roman, et cette lecture commune ravive des souvenirs encore très forts en moi : je dirais « humanité et leçon de vie ».
Colette : « parce que c’était lui, parce que c’était moi »…
Bouma : Ce roman m’est apparu comme une parenthèse et il reste comme tel dans ma mémoire. Il raconte un instant singulier dans la vie de personnages, un instant pour lequel il y aura désormais un avant et un après. Ce sont des choses qui arrivent à chacun dans la vie, et ce sont donc mes propres souvenirs de ces instants particuliers qui me reviennent en filigrane de cette lecture ; tous les moments d’amitié partagée qui ont sillonné ma vie pour la construire… Y compris ma découverte de ce beau projet, et les summer book camp des dernières années.
Sophie : Pour moi cette course, c’est la façon des héros de tourner la page à un moment de leur vie. Cette course c’est une accélération qui va les emmener vers autre chose, très vite car ça devient vital pour eux deux. Ce qu’il me reste de ce roman c’est cette invitation à sortir de sa zone de confort pour passer à autre chose.
Alice : Que me reste-t-il de ce roman ? Après cette lecture commune, une envie de le relire …