Pas de mots mais pourtant beaucoup de choses à dire : ce sont les livres sans texte. Ce n’est pas toujours facile pour les adultes de s’approprier des livres où l’image règne, et pourtant ces albums sont porteurs d’une imagination sans fin ! En quelques questions, nous allons tenter de vous faire découvrir ce genre si spécial qui mérite de passer dans les mains des enfants… et des parents !
Sophie : Les livres sans texte, ce sont souvent des albums, parfois des BD, fait uniquement d’illustrations. Avant de rentrer dans le vif du sujet, j’aimerais savoir si vous-mêmes vous êtes ou avez été lecteurs de ce genre de livres ?
Colette : Oui je suis lectrice d’albums sans texte même si ce ne fut pas une évidence au départ : c’est avec Le Colis rouge de Clotilde Perrin que tout a commencé ! Je l’ai découvert par hasard à la bibliothèque il y a presque 6 ans et j’ai été complètement happée par les illustrations si dynamiques, si poétiques, tourbillonnantes de détails tous plus magiques les uns que les autres. Et c’est complètement enchantée par un livre dont j’avais l’impression qu’il pouvait être 1000 fois exploré sans jamais raconter la même histoire, que je me suis mise en quête d’autres images !
Céline du Tiroir : L’Arche de Noé, de Peter Spier a marqué mon enfance. Comme Colette, la richesse et la magie des illustrations m’enchantaient, leur pouvoir évocateur décuplé par le fait qu’il n’y ait pas de texte, ou très peu. C’est moi qui me construisait mon histoire, en observant d’autant plus attentivement ces illustrations, et des années après, je me souviens encore avec beaucoup de précision de ces images…
Chlop : Quand j’étais petite, j’avais Le petit chaperon rouge de Warja Lavaster, cet album est incroyable et avec mon père et ma sœur, on se le racontait longuement, prenant toujours un grand plaisir à réinventer l’histoire. Je n’ai pas d’autre souvenir d’albums sans texte dans mon enfance, j’ai retrouvé ce type de livres beaucoup plus tard dans ma vie professionnelle et j’ai mis un moment à être à l’aise avec.
Pépita : On peut être déconcerté par les livres sans texte en effet ! Pour moi, aucun souvenir d’enfance en rapport avec eux, ils n’existaient pas encore ? C’est avec les éditions Autrement (malheureusement disparues…) que j’ai découvert ce nouveau genre d’albums, notamment avec Le voleur de poule. Quelle liberté dans la narration ! Quelle appropriation par l’image ! Et autant d’histoires à chaque fois qu’on ouvre ce type de livres ! Et il y en a pour tous les âges maintenant… Les livres sans texte sont des chemins ouverts vers l’imaginaire, celui que nous avons tous en nous sans forcément le savoir… Si on en prend la peine, ils permettent de révéler cette part de nous, ce que les enfants ont encore. Ils peuvent aussi être très utiles pour des personnes en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme ou de handicap. Ils sont une porte vers l’écrit.
Kik : Ce ne sont pas les livres que je lis en premier, mais j’aime les découvrir par hasard et me laisser prendre par surprise. Récemment, j’ai conseillé ce type de livres à une psychomotricienne qui travaille avec des enfants sourds/muets.
Sophie : Souvent les livres sans texte bloquent le lecteur adulte. Comment expliquez-vous cela ?
Pépita : Ils ont tout simplement l’impression que sans texte, ils n’auront pas la ressource nécessaire pour imaginer l’histoire suggérée par les images. Et puis ça prend plus de temps, plus d’investissement le soir au moment du coucher après une journée de travail. ça ressort déjà avec le texte cette barrière ; combien de fois j’entends : « une histoire pas trop longue hein ? »…Ceci dit, ça peut déconcerter les enfants aussi. J’ai une anecdote à ce sujet : dans la bibliothèque où je travaillais avant, j’avais des albums prêtés par la BDP (NDLR : bibliothèque départementale de prêt), notamment Le voleur de poule dans la collection histoires sans parole chez Autrement. Un enfant avait écrit au crayon à papier toute son histoire en bas de chaque page ! j’ai dû rembourser le livre bien entendu. Je me pose la question : y a-t-il une réelle éducation à l’image alors que paradoxalement on baigne en permanence dedans ?
Colette : Très bonne question que celle de l’éducation à l’image Pépita ! En effet, je pense qu’à part peut-être ceux qui ont eu la chance de faire de l’histoire de l’art, c’est un domaine très peu exploré, auquel le lecteur lambda n’a pas accès facilement. Et même quand tu es censé(e) l’enseigner -et que tu n’as aucune formation pour le faire – c’est vraiment un univers très particulier, riche de codes, de références, d’un langage propre.
Petite anecdote à mon tour : le soir chez nous c’est Papa-Poil-de-Pinceau qui lit et il n’aime pas du tout les albums sans texte et me les laisse ! Et pourtant tous les soirs depuis 3 ans il invente une histoire de A à Z pour notre grand-Pilote-de-Balançoire, mais à partir de rien, alors que l’album sans texte l’oblige à se conformer à une trame à laquelle il n’adhère pas spontanément. Alors que moi j’aime être guidée par l’image, c’est mon filet de sécurité pour mon grand saut dans le vide des histoires-du-soir !
Bouma : Je rejoins les réponses de mes copinautes. Il est difficile de s’approprier un album sans texte car aucun mot ne vient guider notre lecture. Personnellement, j’adorais ces albums étant enfant notamment quand je ne savais pas encore lire car j’avais l’impression de pouvoir les lire toute seule, sans adulte pour DIRE l’histoire. Et du coup, j’en lis peu voire pas du tout à mes propres enfants, pour les mêmes raisons. Je les pense à même de se créer leur trame narrative et de la raconter. En fait, on échange un peu les places dans ces moments-là. J’écoute leurs histoires et j’adore ça.
Chlop : Je pense que les adultes ont l’habitude de poser leurs yeux sur le texte, quand il n’y en a pas, ils ne savent pas où regarder! C’est d’ailleurs pour ça que souvent, dans les albums avec du texte, ils passent à coté de certaines subtilités de l’image. Les enfants, eux, ont l’habitude de regarder et d’interpréter les images, dès la naissance, ils lisent les émotions sur le visage des adultes, ils communiquent beaucoup comme ça. Je crois que les adultes ont du mal avec ces livres, parce qu’ils n’ont pas le mode d’emploi, ils ne savent pas quoi en faire. Mais il n’y a pas besoin d’en faire quelque chose, il suffit d’admettre que, pour une fois, les enfants sont les experts et les laisser nous guider, ils savent, eux.
Carole : Je vous rejoins sur le manque d’assurance des adultes, sur le peu de confiance qu’on accorde aux petits pour nous guider aussi ! J’en fais d’ailleurs partie, petite je ne lisais aucun album sans texte, et toujours pas de BD. J’explique ça par le fait d’une part que je suis beaucoup plus sensible aux mots qu’aux images, et d’autre part je ne sais pas lire les images. En maternelle, j’ai bien essayé pour ouvrir le champ des possibles à mes élèves et pour les sensibiliser aux arts visuels, mais j’avoue n’avoir jamais été confortable. L’album sans texte me fait sortir de ma zone de confort de lectrice, clairement !
Sophie : Peut-être que les livres sans texte pourraient être une première approche de la lecture autonome, qu’en pensez-vous ? L’illustration est travaillée pour suffire à comprendre l’histoire, on pourrait très bien imaginer que l’adulte, surtout s’il n’est pas à l’aise avec ce genre, laisse l’enfant libre de sa « lecture ».
Chlop : Absolument, c’est d’ailleurs mon approche, je me laisse guider par les enfants et je suis généralement émerveillée de constater à quel point leur lecture de l’image est pertinente.
D’ailleurs, le mécanisme qui est en jeu quand ils regardent un album sans texte me semble proche de celui de la lecture: associer des images pour faire émerger le sens, combiner les signes, c’est semblable.
Pépita : Je te rejoins Chlop, les enfants sont très à l’aise, ils n’ont pas encore les filtres qui nous encombrent nous adultes. Comme je le disais plus haut, les livres sans texte sont une porte vers l’écrit, ils permettent la verbalisation en partant de l’image, et donc de s’approprier le langage.
Sophie : Pour terminer, comment conseilleriez-vous un album sans texte à un adulte réticent ?
Pépita : De se laisser mener par son imagination, de lâcher prise, de partager ce moment avec son enfant qui va lui apprendre…Et si ça a marché, de revenir en emprunter d’autres et si ça n’a pas pas marché, de revenir aussi…
Carole : Oui de faire confiance à l’enfant, de se laisser guider par ses émotions, et de convoquer l’enfant qu’il était…
Colette : Demandez à votre enfant d’inverser les rôles pour une fois : c’est lui qui raconte et vous qui l’écoutez, un vrai délice !!!
Chlop : Si ce sont des gens qui travaillent avec des enfants, je leur dirais d’observer les enfants à des moments où leur collègues présentent des albums sans texte. En général, c’est magique.
Pour tous je dirais que les enfants sont des lecteurs de l’image très performants, il ne faut pas les sous-estimer, ils ont les capacités pour entrer dans un récit tout en image, ils savent se passer de mots.
Merci à Colette, Céline du Tiroir, Chlop, Pépita, Kik, Bouma, Carole d’avoir participé à cette discussion. Et si le sujet vous intéresse, voilà quelques articles en ligne très intéressants sur les livres sans texte.
Un album sans texte est-il sans intérêt ?, Marie-José Parisseaux, 2011
Albums sans texte : la preuve par l’image, Sophie Van Der Linden, 2010
Les albums sans texte sont de grands bavards, Anne Rabany, 2010
Et on vous retrouve jeudi avec une sélection de nos livres sans texte préférés !
J’adore je suis à la recherche de ce genre de livres que je trouve très riches ! Nous en avons un où il faut suivre les pas d’un petit enfant … ma fille l’adore !
Discussion très intéressante, merci! Je dois bien dire que bien que j’adore et admire les albums sans texte, je n’en achète pratiquement jamais à des enfants. En partie parce que je sais que leurs parents ne les leur liront jamais…