Après les attentats, je voulais seulement rêver que cela ne s’était pas produit.
Après, j’ai pensé à ce que l’on pourrait lire, dire ou écrire pour apaiser les peines.
Après, des mois après, j’ai voulu lire ce que des auteurs avaient écrit pour les jeunes sur les attentats.
J’ai lu Samedi 14 novembre de Vincent Villeminot. Editions Sarbacane
J’ai d’abord trouvé que ce roman portait un regard détaché sur les attentats mais j’ai ensuite été saisie par ce que la victime décidait de faire du terroriste qui était à sa merci, même si l’histoire se « finit bien », même si on ouvre des portes sur un dialogue, une réconciliation.
L’avis de Lucie, par ici.
Après, j’ai eu envie de poser des questions à l’auteur, Vincent Villeminot, qui m’a aimablement répondu :
Le récit, qui m’a semblé pudique et même poétique, dans le premier acte laisse place à une violence déboussolée. Ce contraste est-il un effet recherché ?
Le livre commence juste après les tirs, par un silence, une stupéfaction. B. a besoin de temps, où il répète ce qu’il a vu, vécu, sans y croire. La violence, oui, il était nécessaire qu’elle survienne ensuite. Avec brutalité, comme une explosion – et comme une perte. Une perte qu’on ressent chez chacun dans les entractes, et une défiguration de B. dans les actes. C’est d’ailleurs ce qu’il reproche dans l’acte 4 au terroriste, Abdelkrim – de l’avoir déshumanisé.
La confrontation imaginée entre une victime et un terroriste était-elle un préambule nécessaire au pardon et au dialogue ?
Quand j’ai commencé ce roman, c’était à cause d’une question : « Après ça, comment on continue, ensemble? Est-ce qu’on peut continuer? » Moi, je n’étais pas en situation de me poser la question du pardon, même si je suis convaincu que le pardon libère. Je ne fais pas partie de ceux qui pouvaient éventuellement choisir de pardonner, on ne m’avait rien fait à moi – et je ne voulais pas « me mettre à la place de… » Ce que je voulais, c’est savoir si quelque chose « entre nous » était encore possible. Mettre une victime en face d’un des tueurs, les enfermer dans la même pièce, et voir ce qu’ils auraient à se dire, me semblait une façon de répondre à cette question. Et puis, je me suis rendu compte à l’écriture que ce que le tueur avait à dire ne m’intéressait pas. La confrontation qui m’intéressait, c’était celle de B. et Layla, le frère de la victime et la sœur du terroriste. Deux innocents. Parce que c’est eux qui vont devoir continuer, ensemble ou l’un contre l’autre.
Comment vous est venue l’idée de la poursuite et du passage à l’acte insensé de B. ? Est-elle l’expression d’une sourde colère ?
Ce qui se passe entre B. et Layla, c’est d’abord l’expression et les conséquences de la violence du vendredi, elle engendre d’autres violences. C’est le programme absurde fixé par la phrase : « nous sommes en guerre ». On pourrait en rester là, dans ce cycle, indéfiniment. Mais dans le roman, de la part des deux jeunes gens, il y a un ressaisissement. Un dialogue, oui, et au-delà, même.
La composition en cinq actes fait-elle écho au genre de la tragédie ?
Oui, c’est une tragédie, et j’en rappelle d’emblée les règles – cinq actes, unité de temps, presque de lieu, trois protagonistes, pas de « deus ex machina ». La mécanique semble en place dès le début. Mais la tragédie s’enraye, s’inverse, on échappe à la fatalité, et parce qu’on a besoin de plus d’un jour pour solder certaines choses (parce que c’est une illusion de penser que tout se résout rapidement, aisément), le dernier acte s’écrira au futur. Comme une profession de foi sur l’avenir.
Pourquoi avoir confié le sort de l’assassin à l’imagination du jeune lecteur ?
Parce que c’est une façon de dire: très sincèrement, ce qu’il va devenir est sans intérêt. Après les attentats, on a beaucoup parlé d’embrigadement, de déradicalisation, on s’est en un sens laissé fasciner par les tueurs, on leur a donné le nom qu’ils revendiquent, « djihadistes », au lieu de les appeler simplement des tueurs… Ici, dans ce livre, on ne parle ni des raisons d’agir des terroristes, ni des moyens de les neutraliser. Mais simplement des moyens de continuer ensemble, entre personnes qui désirent ne pas se tuer. Et des obstacles qu’on nous met dans les jambes quand nous prétendons nous rencontrer.
Les remerciements font corps avec le roman. Cette mise en page était-elle décidée dès le début de l’écriture du roman ? Les scènes finales, qui apparaissent comme des scènes coupées ou un épilogue, vous semblaient-elles facultatives pour le lecteur ?
Non, cette idée s’est improvisée en cours de route. Pour moi, les remerciements étaient une façon de parler de la façon dont le livre s’est construit, de dire « d’où je parlais », ce qui me paraissait important. Je ne suis pas un témoin, ni une victime, juste un romancier qui s’est mis au travail quelques jours après les attentats, grâce à des gens qui m’ont « mis en route », à d’autres qui m’ont accompagné. J’avais confiance dans le pouvoir qu’a la fiction d’éclairer l’avenir.
Quant aux scènes finales, elles sont nées dans le dialogue avec mon éditeur : envie, de sa part, de cette scène d’enfance sur la plage dont nous avions parlé ; envie, quant à moi, de la scène sur les planches de théâtre. Elles sortaient toutes deux du cadre de la tragédie, et c’est là que l’idée de bâtir un post-générique s’est imposée. C’était cohérent avec B., qui est étudiant en cinéma, et pense en plan-séquence, parfois. Mais elles sont partie intégrante du roman, une sorte de conclusion et de déclaration.
Après la lecture de ce roman et de quelques autres sur les attentats, je me suis posé des questions et je les ai posées aux copinautes d’A l’Ombre du Grand Arbre où elles ont fait naître d’autres questions. Alors, un petit échange est né de ces mots :
Peut-on parler des attentats en littérature jeunesse ? N’y a-t-il pas un côté malsain à exploiter cette terrible actualité pour attirer des lecteurs ? Est-il indispensable de construire des fictions autour de ces événements funestes ?
Pépita
« D’emblée je dirais oui et non :
oui parce que rien ne devrait être interdit en littérature jeunesse
et non parce que tout dépend de l’approche.
Une autre question me vient à l’esprit : est-il nécessaire d’aller au devant des questions des enfants ? J’ai eu le sentiment sur ce sujet en particulier de la précipitation à éditer sans trop de recul. Le risque est de rajouter de l’angoisse là où il n’y en avait peut-être pas. »
Sophie LJ
« Il faut voir l’approche des auteurs. Je trouve ça un peu difficile d’écrire un roman sur ce sujet précisément, en effet, est-ce que ça ne rajoute pas de l’angoisse, des questions ?
Je trouve ça plus pertinent de montrer comment on peut apprendre et continuer à vivre dans ce contexte plutôt que de se replonger dans l’horreur avec un manque de recul certain. Marie-Aude Murail le fait aussi dans Sauveur et fils mais c’est très léger. »
Colette
« Aller au devant des questions des enfants, n’est-ce pas créer un problème inutile ? Surtout que personne n’est capable de répondre à cette angoisse sourde qui peut naître dans le coeur des enfants… »
Après, nous avons pensé proposer quelques titres sur cette thématique. Les voici :
Alice d’A lire au Pays des Merveilles a lu :
La fille quelques heures avant l’impact d’Hubert Ben Kemoun. Flammarion
Un concert qui tourne mal et un épilogue de l’auteur disant qu’il avait fini de l’écrire avant la folie du Bataclan.
Son avis par ici.
Little sister de Benoit Séverac. Syros
Une fille qui part sur les traces de son frère, parti vers la Syrie…
Son avis par ici.
Sophie de la Littérature Jeunesse a lu :
A la place du cœur d’Arnaud Cathrine. Robert Laffont
J’aime bien l’idée de l’auteur qui a voulu placer son histoire dans ce contexte sans en faire le thème principal.
Lucie des Lectures lutines a lu :
Maman aime danser de Didier Pobel. Bulles de savon
Un enfant découvre l’absence de sa mère et se raconte.
Son avis par ici.
Après l’orage d’Hélène Romano et Adolie Day. Editions Courtes et Longues
Dans cet album, un enfant raconte l’orage des fusillades et la tristesse qui a envahi son quartier, jusqu’à ce que ses parents lui expliquent. Enfin un rayon de soleil !
Pour conclure, j’ai trouvé que le poème de Gilles Brulet illustré par Anne Laval, nous donnait un bel espoir et laissait place à la vie. Le voici :
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