Sophie Van Der Linden s’invite sous le Grand Arbre…

Critique, formatrice et autrice de romans, de guides et d’analyses d’albums, Sophie van der Linden est à la fois une passionnée et une experte intarissable de la littérature jeunesse. Vous êtes probablement familier.e.s des articles passionnants qu’elle publie sur son blog ! Nous avons eu envie d’échanger avec elle sur notre passion commune. Une conversation qui nous a donné envie de nous plonger encore et toujours dans la merveilleuse offre d’albums qui continue manifestement de fleurir…

Sophie van der Linden, portrait disponible sur son blog

Quels regards portes-tu sur la production actuelle en albums jeunesse ? Quel est ton titre fétiche ? 

L’album ne cesse d’évoluer, de se diversifier. La création, en France, reste toujours aussi dynamique et inventive, tandis que des pays entrent en jeu et nous offrent de belles contributions. Je pense par exemple au Pérou avec l’album Migrants (Issa Watanabe) ou encore à la Corée qui nous apporte chaque année son lot de titres très originaux.

Un titre important pour moi cette année : Tu t’appelleras lapin (Versant Sud éditeur), conçu par une jeune créatrice belge, qui incarne une nouvelle génération, nourrie dans l’enfance par le renouveau de la littérature jeunesse et sans doute aussi de celui du cinéma (notamment Miyazaki). C’est un album vraiment très singulier qui, pour cette raison, ne peut pas faire l’unanimité, mais il est d’une grande puissance émotionnelle, parfaitement enfantin dans son approche. Les textes sonnent juste, très subtils, et parfois poignants, tandis que les images offrent une grande profondeur aussi bien plastique que symbolique.

A quoi tient la réussite d’un album selon toi ? (et son contraire)

À la sincérité de son projet littéraire ou artistique. En littérature jeunesse on croule sous les intentions : éducatives, morales, commerciales. Un album émancipé de toute intentionnalité est déjà important à prendre en compte. Ensuite, c’est très difficile à définir car l’album convoque une sorte d’alchimie. Grégoire Solotareff parle lui de mayonnaise, mais c’est la même idée : c’est un équilibre très fragile, pas seulement entre le texte et l’image, mais entre le contenu, la forme, le support, le thème, etc. Il suffit par exemple d’un texte un peu trop long, ou bavard, pour que tout l’équilibre s’effondre. Il m’arrive parfois de parler « d’albums parfaits » parce que tous les éléments, toutes les articulations sont abouties et identifiables. Mais ce n’est le cas que de quelques albums dont les moyens d’expression sont limpides. Les livres d’Adrien Parlange ou d’Adrien Albert (et je m’aperçois seulement en les écrivant de la récurrence du prénom), sont dans ce cas. Je ne dirais pas cela de Tu t’appelleras lapin, dont je parlais plus haut. Mais cela ne le rend pas moins cher et important à mes yeux. Simplement les règles de sa création m’échappent davantage.


Comment chroniquer un album : rendre compte de son implicite, du rapport texte/image ?

Il n’y a pas de grille d’analyse valable pour l’album. Je n’en ai en tout cas jamais utilisé. L’album est une matière vivante, libre et complexe. Qui échappe aux règles. En BD par exemple, on peut parler de mise en page traditionnelle ou régulière. Rien de tout cela dans l’album. Chaque titre est isolé et appelle une nouvelle histoire critique. Pas de grille donc, mais il faut s’armer d’une multitude d’outils. Pour faire l’analyse critique d’un album vous aurez parfois besoin des outils de l’analyse plastique, ou filmique, de la philosophie, de la poétique ou de la narratologie. Le théâtre peut aussi être un modèle pour un album qui se présente comme une scène sur laquelle évoluent des personnages.


As-tu l’occasion de « tester » la lecture d’albums avec le public jeunesse ? Si oui, qu’en retires-tu? Sinon, cela te manque-t-il et envisages-tu de le faire ?

Cela m’arrive très ponctuellement, lors d’ateliers que je peux parfois mener auprès d’un public jeunesse. Plus généralement, j’échange beaucoup avec les bibliothécaires ou les lecteurs, bénévoles ou professionnels, avec lesquels je travaille sur le long terme, pour connaître la réaction des enfants. Ce retour m’est essentiel. Il arrive qu’un livre que l’on pense « parfaitement enfantin » soit dédaigné par les enfants. C’est alors intéressant d’essayer de comprendre pourquoi. Mais ce qui arrive le plus souvent, c’est qu’un livre jugé « difficile », se trouve largement plébiscité par les enfants. C’est par exemple le cas de Rouge de Michel Galvin (Rouergue), le premier album de cet artiste adressé aux tout-petits. Il est tellement atypique dans sa narration qu’on pourrait croire qu’il aurait du mal à capter l’attention des très jeunes enfants. Or, les très nombreux retours, provenant de différentes sources, recueillis sur sa lecture auprès du public indiquent un intérêt manifeste. Il y a tant de préjugés sur ce que les enfants aiment ou n’aiment pas qu’il me semble absolument incontournable de rechercher ces retours du « terrain ». Il m’arrive même de passer commande d’un retour à tel ou tel réseau de lecture pour connaître la réception d’un album, afin d’avoir confirmation, ou infirmation, de mes repères critiques.


Penses-tu que la littérature jeunesse dans son ensemble est assez valorisée en France aujourd’hui ?

À l’évidence, pas du tout ! La recherche et l’enseignement universitaires sont très insuffisants, la formation recule dans tous les secteurs, il n’y a quasiment pas de journaliste spécialisé, les ouvrages critiques sont rares… Pourtant, c’est un domaine éditorial de premier plan, et on sait que la majorité des lecteurs appartient au public jeune. On a une production exceptionnelle à l’échelle internationale. Tout se passe comme si cette production n’était pas digne d’intérêt ni économique ni intellectuel. On ne doit la survie de la création qu’au travail acharné des éditeurs, des auteurs, du réseau de la lecture publique et des associations. Il est urgent d’élargir le spectre ! 

A quel moment tu t’es dit : je vais devenir formatrice ? Pourquoi l’album en particulier ?

La formation découle de mon activité critique et de mes publications. Suite à la publication de mon premier ouvrage sur Claude Ponti, en 2000, des bibliothèques m’ont contactée pour en parler. Idem après le deuxième, Lire l’album, en 2006. Le choix de l’album est le fait d’un parcours, personnel puis universitaire. Depuis l’adolescence je suis passionnée par la question du rapport entre texte et image, dans la peinture, la bande dessinée, etc. Par hasard, j’ai découvert l’album comme objet d’étude. J’ai su que j’avais trouvé mon centre d’intérêt ce jour-là.

As-tu des projets en cours ou des envies de nouveaux projets ? Peux-tu nous en faire part ?

Depuis plusieurs années, je travaille à rapprocher la création d’une audience large. Ce fut le sens du lancement de mon blog, et de mes premiers guides, Je cherche un livre pour un enfant, chez Gallimard Jeunesse en 2011. La série a connu un beau succès et il fallait réactualiser ces publications. Avec la présidente de Gallimard Jeunesse, Hedwige Pasquet, nous avons fait le choix d’un guide unique, généraliste qui aborde Tout sur la littérature jeunesse. C’est son titre, et son ambition, il paraîtra en mars prochain.

Tout sur la littérature de jeunesse de la petite enfance aux jeunes adultes, Sophie van der Linden, Gallimard Jeunesse, 2021.
Sortie prévue le 29 avril 2021

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Un grand merci à Sophie d’avoir répondu à nos questions avec une passion communicative !

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