Zelda la rouge

Et voici le retour des lectures communes sur notre blog collectif avec un roman haut en couleurs, coup de cœur 2013 de trois d’entre nous :

Zelda la rouge de Martine Pouchain

Aux éditions Sarbacane

Collection EXprim’.

9782848656472FS

Un roman qui a su nous toucher par son franc-parler, par les thématiques fortes qu’il aborde et dont les personnages ne laissent pas indifférent.

Au cours de notre discussion, nous n’avons pas souhaité trop en dévoiler sur l’intrigue…

Céline du blog Qu’importe le flacon, pourvu qu’il y ait Livresse, Sophie de la Littérature de jeunesse de Judith et Sophie, Nathan du Cahier de lecture de Nathan, ont répondu à mes questions (Pépita-Méli-Mélo de livres).

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Pépita : Il y a toujours un petit quelque chose qui nous pousse à lire un livre par rapport à un autre : quel a été pour vous l’élément déclencheur pour vous donner envie de lire celui-là ?

Sophie : Tibo Bérard, le directeur de la collection eXprim’, m’avait parlé de ce livre lors de l’interview que j’ai fait cet été. À la simple mention du nom de l’auteure, Martine Pouchain, j’ai eu envie de le lire. Le premier roman que j’ai lu d’elle m’a beaucoup marqué et depuis, je la suis toujours avec plaisir et je n’ai jamais été déçue.

Nathan : C’est pour moi aussi le nom de l’auteure qui m’a poussé à le lire, mais aussi tout simplement celui de la collection. Il faut savoir que le premier roman que m’a envoyé Exprim’, c’était un de cette auteure, alors il y a comme un lien un peu particulier qui me lie à elle. De plus, Tibo Bérard nous avait proposé à quelques blogueurs de choisir la couverture du roman, entre deux différentes, alors j’avais hâte de savoir ce que ça allait donner, le texte !

Céline : J’ai été attirée de prime abord par la couverture (c’est celle-là que tu avais choisie Nathan ?) et par le titre qui suggèrent une histoire de guerrière comme je les aime et puis, ai été saisie par l’accroche intrigante de l’éditeur « Une comédie romantique émouvante, abordant le thème de la vengeance et du handicap » et vos commentaires élogieux ont fait le reste…

Pépita : Si vous deviez définir ce roman en trois mots, quels seraient-ils ?

Céline : C’est court trois mots ! Il y a tellement de sentiments qui se bousculent dans ce roman… Amour fraternel, vengeance et pardon…

Nathan : Je trouve les mots de Céline très bien choisis … mais je dirais amour, tout simplement et ajouterais différence et espoir.

Sophie : Amour, c’est incontournable en effet. Handicap parce que ça pose des questions intéressantes sur ce sujet. Et Pardon pour terminer.

Pépita : J’ajouterais famille, solidarité et écoute de l’autre.

Beaucoup de thématiques en effet dans ce roman. Mais seulement six personnages principaux : les deux sœurs, Zelda et Julie, Paul, le voisin âgé, Jojo et Kathy les colocataires, et Baptiste. Lequel vous a le plus touché ?  

Nathan : Chacun d’eux a un petit quelque chose qui m’a touché … et si j’ai failli pencher pour la joie de vivre de Zelda, je choisirais finalement Paul. Il y a beaucoup à dire de ce vieil homme qui vit seul. Cet amour de la solitude. Son chat pour compagnie. Et cet arbre. Cet arbre qu’il peint depuis des années, sans jamais changer de sujet. Ce symbole de force et de stabilité. La vie à l’état pur. Le temps qui passe et ne mourir qu’après des années. Un vieil homme plein de vie et de beauté.

Sophie : J’ai pas mal réfléchi à ta question et ce n’est pas facile. Ce n’est pas très original mais c’est Zelda que j’ai préféré. J’ai trouvé très beau la force qu’elle avait, déjà de vivre avec son handicap et puis aussi d’accepter de ne plus chercher le coupable, pour enfin pouvoir revivre.

Céline : Ils étaient tous attachants, touchants et criants de vérité… J’ai admiré Julie pour l’empathie qu’elle témoigne à ses « petits vieux », été époustouflée par la maturité de Zelda et mon cœur s’est serré pour Paul, ce papy de substitution qui pose sur la vie un regard bienveillant d’artiste et de philosophe. Baptiste ne m’a pas laissée indifférente non plus, loin de là ! Il cherche la rédemption en se lançant dans un métier qui le tue à petit feu et en se confrontant délibérément à sa victime. Même s’il est le « méchant » de l’histoire, il a des circonstances atténuantes et son sort ne peut que nous interpeller. A-t-on tous droit à une seconde chance ?

Pépita : Tout comme vous, j’ai été touchée par chacun des personnages chacun à leur façon. Mais peut-être davantage par ces deux sœurs, très différentes mais ce sont les circonstances de la vie qui ont forgé leur caractère. Julie m’a emballée par son côté garçon manqué et par sa sensibilité à fleur de peau qu’elle cache sous sa carapace. Et que dire de Zelda ? Tout comme toi, Sophie, j’ai été très touchée par son approche de la vie, par sa grande tolérance et par son côté très réaliste, prendre les choses comme elles viennent et par son franc-parler. Elles s’équilibrent ces deux sœurs. Elles se portent mutuellement quand l’une flanche et elles se connaissent si bien. Et Paul ! Quelle bienveillance ! Et Jojo et Kathy, quel bonheur ! C’est un livre qui m’a fait penser à « Ensemble, c’est tout  » d’Anna Gavalda, où on se choisit une famille quand elle fait défaut et où on apprend à vivre avec les autres. Est-ce un aspect du roman qui vous a convaincu(e)s ?

Sophie : Je n’avais pas fait le rapprochement avec « Ensemble, c’est tout » mais en effet, il y a des points communs. J’ai beaucoup aimé ce regroupement familial de toutes ces personnalités si différentes qui ont été en quelque sorte abandonnées par leur famille d’origine. C’est un aspect qui m’a bien plu en tout cas.

Nathan : Je ne dirai pas qu’elle « fait défaut » cette petite famille. Sauf si tu entends par là qu’ils sont tous bien différents et doivent apprendre à s’unir, alors oui, sans doute. Ils sont tous un peu sur des planètes éloignées et pourtant il se trouve finalement qu’ils vont vivre ensemble et, peut-être s’aimer. C’est ça une famille après tout : ensemble contre le reste du monde.

Pépita : Faisons un petit focus sur les deux sœurs : Zelda et Julie. Le roman est tout de même construit sur la presque-alternance de leurs deux voix. Une relation fraternelle très forte façonnée par les aléas de la vie et quels drames elles ont dû affronter ! Qu’auriez-vous à dire de leurs liens : fusion, dépendance, bienveillance, besoin d’émancipation,…?

Sophie : Je trouve ces deux sœurs très complémentaires. L’une est dure et ne rêve que de vengeance. L’autre est pleine de vie et d’une force incroyable. Pour ça, elles ont une relation très proche pas loin d’être fusionnelle, elles ont besoin l’une de l’autre pour « s’équilibrer ». Et pourtant pour les mêmes raisons, elles ont besoin de s’éloigner l’une de l’autre. Julie a besoin de vivre sa vie qu’elle avait mis en parenthèse pour sa sœur et Zelda se sent freinée par la haine de sa sœur pour le responsable de l’accident.
En fait, elles font penser un peu à des jumelles, très proches mais avec un besoin de se forger leurs propres expériences.

Céline : Les circonstances de la vie les ont soudées. L’aînée a dû endosser le rôle de la maman, mettant sa vie entre parenthèses. Zelda, quant à elle, a mûri bien plus vite qu’une autre adolescente de son âge. Ce qui fait que la différence d’âge entre elles deux s’est gommée peu à peu et que, lorsque l’une flanche, l’autre prend le relais. Pour avancer, elles doivent chacune régler leurs conflits internes. Sur ce chemin, Zelda semble plus avancée. C’est à ce prix et avec l’aide des personnes bienveillantes qui les entourent qu’elles vont pouvoir enfin prendre leur envol, s’émanciper et vivre leurs vies de femmes. A ce titre, une phrase du récit me plait tout particulièrement : « L’union de plusieurs impuissances produit parfois des miracles ».

Nathan : Je suis très d’accord avec les deux avis de Sophie et Céline. C’est vrai que sur ce point là, l’auteur est très forte: on n’est pas dans la caricature, dans l’amour fou ou les disputes incessantes, on est dans une justesse de sentiments épatante.

Pépita : En dehors des deux sœurs, la figure de ce jeune homme Baptiste qui arrive dans leur vie dévoile peu à peu ses parts de lumière et d’ombre. Je rebondis sur une question qu’a évoqué Céline plus haut : le droit à une seconde chance et pour aller plus loin, la place du pardon dans nos vies. Et en particulier dans celles de Zelda et Julie, qu’elles n’abordent pas de la même façon. Comment avez-vous trouvé cet aspect-là du roman ? La façon dont le traite l’auteure ? Cette part de voyeurisme qu’elle y a induite ? Car finalement, le lecteur veut savoir lui aussi « Qui a fait ça à Zelda  » ?

Nathan : Pour le « Qui a fait ça à Zelda », je n’appellerais pas ça du voyeurisme. On est une présence insaisissable pour nos deux soeurs mais pourtant on vit avec elle, on est pris d’affection et l’auteure fait planer un suspense autour de cette question qui revient souvent alors forcément, on a envie de savoir aussi.
Quant au pardon, j’ai trouvé cela assez marquant. Zelda est passée à autre chose, elle. Elle n’a peut-être pas pardonné, mais elle continue à vivre, se bat. Julie, elle, est détruite par l’infirmité de sa sœur, elle ne peut pas oublier, elle ne peut pas passer à autre chose. Elle y repense à chaque regard posé sur Zelda. On rejoint sans doute là la question précédente. Il faudrait que Julie prenne du recul et s’éloigne un peu de sa sœur, pour laisser le temps à son cœur d’oublier un peu. Je garde un souvenir un peu confus de la fin, peut-être cela vient-il du livre, mais pourtant, j’en garde un sentiment de forte émotion. Je vous laisse la découvrir …

Céline : C’est pour moi un des thèmes porteurs de l’histoire. Toutes proportions gardées, cela me fait penser à la chanson de Goldman « Et si j’étais né en 17 à Leidenstadt ». Plutôt que de porter des jugements, le lecteur s’interroge : comment aurais-je réagi à la place de Baptiste, de ses parents, de Zelda et de sa sœur ?. Les réponses sont loin d’être simples, la question ne l’est pas non plus. Ce n’est que confronté à la situation qu’on peut vraiment voir ce qu’on a dans nos ventres !

Pépita : Je ne suis pas tout à fait d’accord avec toi Nathan sur le « voyeurisme » : j’ai trouvé l’auteur très forte sur ce point-là. Elle arrive à mener le lecteur vers une sorte de compassion, non pas pour Zelda (qui a acquis une maturité hors du commun face à son handicap), mais pour Julie ! La fin du roman est tout même très forte dans le suspense ! Le lecteur retient son souffle, se demande si Julie ne va pas aller au bout de son délire, j’avoue avoir eu de l’empathie pour elle, cette colère rentrée depuis des années qui ressort enfin. Elle le tient « son » meurtrier parce que c’est le sien, c’est entre lui et elle, c’est lui ou c’est elle. Au paroxysme de la fin, on en est là et le lecteur en est tout pantelant d’émotions, non ? Et tout comme dans une des nouvelles de Jean-Claude Mourlevat dans « Silhouette », j’avoue m’être surprise moi-même à vouloir l’y aider, …mais est-ce la solution ? Je te rejoins dans ton analyse Céline. Qu’aurions-nous fait à sa place ? On n’est jamais totalement à la place de, et plus que le handicap, ce roman parle bel et bien de Pardon d’une manière magnifique.

Nathan : Alors peut-être ne réagissons pas tous de la même manière. Après tout, là est la beauté de la lecture non ? Moi j’étais un peu entre deux positions, à la fois compatissant et en même temps un peu effrayé par sa réaction …

Sophie : Le pardon est une question importante dans ce roman. Il y a Julie qui ne pardonne pas et Zelda, qui sans pardonner, choisit un peu d’occulter le chauffard de sa vie pour pouvoir la poursuivre sans la haine qu’elle voit au quotidien dans le regard de sa sœur. On peut en effet voir une part de voyeurisme dans la présence de Baptiste au sein de la famille. Il a connaissance d’évènement qu’il cache volontairement et regarde la détresse de Julie sans jamais se manifester. Forcément, à un moment donné, on se dit « Mais quel lâche ! ». Rapidement, on peut aussi comprendre sa position : la culpabilité, la peur, la maladresse peut-être tout simplement, mais une forme de courage aussi car il aurait pu rester chez lui avec ses remords et ne jamais se confronter à ses responsabilités.

Pépita : Personnellement, j’ai été littéralement embarquée par le style d’écriture très direct de Martine Pouchain. Est-ce aussi votre cas ? Vous connaissiez cette auteure ?

Nathan : De mon côté, j’avais déjà lu « Traverser la nuit », et le style de « Zelda la rouge », bien que beau et touchant, est loin d’être aussi puissant que celui, renversant, passionnel, de cet autre roman qui m’a sacrément secoué ! A lire donc !

Céline : Même ressenti de mon côté. J’ai plus particulièrement été touchée par les mots de son héroïne qui analyse froidement la manière dont on traite nos ainés. Non, je ne la connaissais pas mais si vous avez d’autres titres à me proposer, je suis preneuse… Je note déjà celui proposé par Nathan !

Sophie : J’avais déjà lu plusieurs livres de cette auteure dont un m’avait particulièrement bouleversé. À chaque fois, j’ai été totalement captivé par son style et ses histoires. Elle amène toujours à se questionner, à se mettre à la place des personnages et elle le fait remarquablement bien.

Pépita : Est-ce pour vous un roman plutôt optimiste ou pessimiste ? Une dernière impression ?

Sophie : Pour moi, c’est sans aucun doute un roman optimiste, au moins pour Zelda. Elle a réussi à passer au-dessus de son handicap, à vivre sa vie pleinement, c’est une belle leçon de courage. Pour Julie et Baptiste, c’est plus partagé, ils ont atteint le pardon mais ça ne s’est pas fait sans peine loin de là, puisqu’on a largement dépassé le parcours le plus court vers celui-ci. Ce que je veux dire, c’est qu’en plus de l’accident qui les avait brisé, cette quête du pardon les a aussi amené vers d’autres blessures.

Nathan : Optimiste ! Un roman qui invite à se battre. Parce que si la vie nous met parfois des obstacles en travers de notre chemin, et à certains plus qu’à d’autres, il n’y a qu’une seule chose à faire : se battre. Pour surmonter les obstacles, pour aller mieux, pour avoir ce qu’on veut, pour bien se comporter, pour être une « bonne » personne. Pour vivre comme on l’entend.

J’aimerais pour ma part finir sur une citation d’un autre Exprim’, le superbe « Frangine » de Marion Brunet:  « Quand on a une vie différente, on prend ces risques-là : rejets, ruptures, critiques. On peut regretter, se cacher dans un trou. Ou alors on décide d’être bien, on se bat, on mène la vie qu’on veut, la vie comme on l’aime. »

 En espérant que notre échange vous donnera envie de le lire à votre tour…

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Nos chroniques respectives :

Céline-Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait Livresse

Sophie-La littérature de Judith et Sophie

Nathan-Le cahier de lecture de Nathan

Pépita-Méli-Mélo de livres

2 réflexions sur « Zelda la rouge »

  1. Quelle chance j’ai d’être lue avec autant d’attention ! ça donne envie d’écrire, et en même temps ça met une sacrée pression ! Vais-je être à la hauteur ? Et si vous n’en doutez pas, moi oui. Le doute est-il fécond ? Nous verrons.
    Merci à vous.
    Martine Pouchain

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