Lecture commune « Des crêpes à l’eau »

Les auteurs de littérature jeunesse n’ont plus peur de mettre les enfants face à des lectures aux thématiques sociétales que l’on croyait inappropriées pour eux auparavant. Aujourd’hui, que ce soit dans les albums ou les romans, on parle de la mort, de la maladie, de l’homoparentalité, du chômage et j’en passe. C’est à un et même plusieurs de ces thèmes forts que Sandrine Beau a consacré son roman Des crêpes à l’eau publié chez Grasset jeunesse, en 2011, pour les jeunes lecteurs.

Pépita de Méli-Mélo de livres, Carole de 3 étoiles et moi de La littérature jeunesse de Judith et Sophie avons pris grand plaisir à discuter de ce livre à l’ombre de notre arbre…

Avec ce titre un peu étrange Des crêpes à l’eau, qu’attendiez-vous de ce roman ?

Pépita : Mettre de l’eau dans les crêpes, ça peut alléger la pâte, donc, je me suis dit, rien d’anormal. Mais si on lit la quatrième de couverture, on se rend compte que la précarité est le thème du livre. Ce titre est donc emblématique de l’histoire. Je suis aussi l’actualité de Sandrine Beau sur son blog et quand je l’ai vu, je l’ai acheté pour la médiathèque et lu quand je l’ai reçu.

Carole : J’ai eu envie de lire ce roman en lisant la chronique de Gabriel sur La mare aux mots (pour changer !). Je savais donc de quoi il retournait et le thème principal. Je connais trop peu l’écriture de Sandrine Beau, il était temps d’y remédier !

SophieLJ : Le titre ne m’a pas beaucoup parlé au départ. En vraie bretonne, des crêpes à l’eau pour moi, c’est comme du beurre sans sel ! Mais comme Carole, c’est en lisant la chronique de Gabriel que j’ai eu envie de lire ce livre. La précarité n’est pas facile à expliquer aux enfants, ça me semblait intéressant de voir comment Sandrine Beau allait l’aborder.

Est-ce que l’une de vous peut-nous faire un petit résumé pour mieux comprendre l’histoire ?

Carole : Chez Solène et sa maman, c’est le système Débrouille qui s’installe ! Au programme : la plus petite liste de courses, les produits de première nécessité, les vêtements un peu démodés… Mais toujours dans la bonne humeur et dans l’espoir de jours meilleurs. Oui mais, un jour, le monsieur des HLM débarque dans ce système bien rôdé et là c’est le drame !

SophieLJ : … et là c’est le drame, Solène et sa maman pourraient être expulsées.

Pépita : Heureusement, des paroles échangées pour un si lourd secret à porter, une main tendue de Zoé et son papa Basile, et fin des malentendus ! La vie peut reprendre ses droits, le bonheur, ça n’attend pas !

Aborder des thèmes sociaux, ce n’est pas facile dans des livres pour la jeunesse et en particulier pour de jeunes lecteurs. Ici, on parle de famille monoparentale, de précarité, d’expulsion d’un logement, et même de tentative d’abus sexuel. Quel est votre avis sur la façon dont Sandrine Beau a abordé ces thèmes ?

Pépita : Sandrine Beau le fait avec beaucoup de tact et de sensibilité, comme toujours. Les choses sont plus suggérées que dites réellement (sauf l’unique scène avec le papa de Solène que j’ai trouvée assez crue). Avec des mots accessibles pour les enfants. Les chapitres très courts allègent aussi la gravité des thèmes abordés. Les enfants d’aujourd’hui sont loin de grandir sous cloche ! Je trouve que le mérite de cette première lecture est d’aborder des situations concrètes, qu’un camarade de classe peut très bien vivre. Il a le mérite aussi de souligner l’importance de la parole et exhorte à ne pas rester dans l’isolement. Que de l’aide est toujours possible. Avec en filigrane le respect de la dignité de chaque être humain. Des valeurs, à mon sens, utiles à inculquer dès le plus jeune âge.

Carole : Je rejoins complètement ton analyse Pépita : l’écriture de Sandrine beau est subtile, sans exagération, très juste. Malgré la dureté des thèmes abordés et des scènes suggérées, il n’y a pas de violence gratuite, ni de misérabilisme. L’entraide, la solidarité, le respect et les droits de chacun sont mis en avant avec beaucoup de pudeur et d’humilité. Ce roman est un bon support de dialogue en classe ou en famille.

SophieLJ : Je suis d’accord avec vous, Sandrine Beau aborde ces sujets avec beaucoup de tact sans surprotéger le lecteur. J’ai aussi apprécié qu’elle prône le dialogue en montrant que Solène en parlant à une amie a permis de déclencher la solution.

Même si tous les sujets que j’ai cités dans ma question précédente sont bien liés entre eux, ne pensez vous pas que Sandrine Beau a voulu trop en mettre dans ce livre qui ne fait qu’une quarantaine de pages ?

Carole : On peut se poser cette question en effet… Je me dis que tous les thèmes sont liés par l’histoire, et sa lecture est fluide. Donc pour moi il n’y a pas de surcharge thématique. On aurait aimé que l’auteure développe davantage certains points, mais c’est un roman court qui s’adresse à de jeunes lecteurs. C’est frustrant pour nous adultes, mais suffisant pour les plus jeunes je pense. L’idée est possiblement de sensibiliser, pas de tout expliquer.

Pépita : Effectivement, en si peu de pages, beaucoup d’évènements se surajoutent. Je te rejoins aussi Carole dans ce que tu exprimes mais en même temps, je ne peux m’empêcher de penser que c’est réaliste : un malheur n’arrive jamais seul dans la vraie vie et une situation précaire conduit souvent à une spirale descendante. Ces pages le décrivent très bien. La prouesse de Sandrine beau est de ne jamais tomber dans le pathos mais de garder une certaine dose d’espoir. Et c’est heureux, vu la tranche d’âge visée.

En bonne première lecture, les illustrations ont une place assez importante dans ce roman. Que pensez-vous du style de Sandrine Kao et de sa façon d’illustrer l’histoire ?

Carole : Effectivement, pour des lecteurs débutants, c’est bien qu’il y ait quelques illustrations, ça aère le texte, de quoi encourager les plus réticents. Les illustrations de Sandrine Kao sont plutôt douces, simples et efficaces je trouve.

Pépita : Pour ma part, j’adhère assez aux illustrations : elles sont douces, collent bien à l’histoire et permettent une aération bienvenue.

SophieLJ : Je trouve aussi que l’interprétation du texte est bonne et que les passages illustrés sont bien choisis. En revanche, je n’ai pas accroché au style de Sandrine Kao.

Quelques mots pour conclure sur cette lecture avant le laisser la parole à l’auteure ?

Carole : Je souhaitais lire ce roman depuis l’été, je ne suis pas déçue ! C’est une lecture agréable et les thèmes abordés intéressants. Je suis ravie qu’on en fasse une lecture commune d’ailleurs. Je suis plus sensible aux mots qu’aux images, mais le binôme fonctionne bien. Seul bémol à cette découverte : la référence à une marque de gourmandises chocolatées, dans le texte et les illustrations… j’ai vraiment beaucoup de mal avec ça en littérature jeunesse.

Pépita : J’avais déjà lu ce petit roman avant cette lecture commune et je l’ai retrouvé avec plaisir. J’aime le style de Sandrine Beau, cette façon bien à elle d’aborder des sujets graves avec tact et optimisme. L’ensemble texte et illustrations m’a plutôt convaincue. Tout comme Carole, j’ai du mal à admettre ces allusions publicitaires, qui m’ont fait tiquer…Néanmoins, c’est une lecture à découvrir si ce n’est pas déjà fait et je ne doute pas que ce débat va vous inciter à vous plonger dans cette littérature jeunesse réaliste.

Sandrine Beau a gentiment accepté de répondre à quelques questions que nous avions envie de lui poser. Nous la remercions toutes les trois de sa participation.

Des crêpes à l’eau est-il un roman commandé par l’éditeur ou est-ce une envie personnelle d’écrire sur ce sujet ?
C’est une envie personnelle d’écrire sur ce sujet. La précarité est quelque chose qui me touche beaucoup et ça me semblait important de pouvoir « en parler » aux enfants, par le biais d’un livre.

L’histoire est-elle inspirée de faits réels ?
Comme dans chaque histoire, il y a des bouts de moi dedans. Forcément. Mais pas que ! Il y a aussi tout simplement des morceaux de la vie telle que je l’observe autour de moi. Je crois qu’on est inspiré par tout ce qui nous touche avant tout. Alors, ça peut être un article lu, un témoignage entendu, une rencontre avec une personne particulière… Ou des fragments de ça et d’autres fragments de ci…

Le thème sous-jacent est la famille monoparentale, est-un sujet qui vous tient à cœur ?
J’ai une famille « classique », avec un schéma papa-maman-enfants, mais comme je suis une enfant de parents divorcés, peut-être que ce n’est pas anodin… De toute façon, pour ce roman-là, il ne pouvait pas en être autrement. Les difficultés de cette maman et de sa petite fille, sont liées au fait de leur situation familiale.
En même temps, parfois dans certains autres de mes livres, comme L’étrangleur du 15 août par exemple, le jeune Thomas vit seul avec sa maman, parce que c’était plus simple, « scénaristiquement » parlant. C’est beaucoup plus facile qu’il se retrouve isolé chez lui, s’il ne vit qu’avec un seul parent !

Pour quelle tranche d’âge conseilleriez-vous ce roman ?
L’éditeur conseille à partir de 6 ans, mais comme à chaque fois, ça dépend de la maturité de l’enfant. Ensuite, je pense que l’on peut parler de sujets dits « difficiles » à tout âge, et d’ailleurs quand je vais dans des classes, les jeunes enfants qui l’ont lu ne mettent pas en avant le côté « difficile » de l’histoire, mais le plaisir qu’ils ont eu à le lire. Et la plupart du temps, il déclenche de jolies discussions.

Connaissiez-vous l’illustratrice ou est-ce l’éditeur qui vous a mis en relation ?
Je connaissais Sandrine Kao et ses illustrations pleines de poésie, mais je ne suis pas intervenue sur cette partie, c’est l’éditrice qui l’a choisie.

Comment s’est passé votre collaboration pour ce livre ?
Même si je n’avais pas mon mot à dire, puisque c’est l’éditrice qui gérait toute cette partie, Sandrine a eu la gentillesse de me montrer ses premiers croquis et les différentes étapes de son travail, jusqu’aux illustrations finales. C’était très touchant, comme à chaque fois, de voir ses personnages naître des mains de quelqu’un d’autre…

Avez-vous eu des retours d’enfants sur ce que vit la petite héroïne ?
Dans les classes où je vais en interventions, les enfants réagissent beaucoup. Ils sont émus par la vie pas toute simple de Solène. Ils aiment aussi beaucoup la fantaisie de sa maman, et craquent littéralement pour Basile et sa fille Zoé, qui deviennent un peu les « sauveurs » de la famille.
Je me souviens aussi d’une phrase que m’a dite un petit garçon et qui m’a fait monter une boule dans la gorge instantanément : « J’ai bien aimé Des crêpes à l’eau, parce que c’est un peu mon histoire… »

Retrouvez nos avis chez Méli-Mélo de livres, 3 étoiles et La littérature jeunesse de Judith et Sophie. Encore merci à Pépita et Carole de m’avoir accompagnée dans cette lecture. Et merci à Sandrine Beau pour sa participation.

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