Troubles par Claudine Desmarteaux

Troubles de Claudine Desmarteaux
Albin Michel Jeunesse – Wiz, 2012

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Une Lecture Commune avec Céline – Qu’importe le flacon, pourvu qu’on est livresse, proposée par Bouma – Un Petit Bout de Bib

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Bouma : Aujourd’hui nous vous présentons une lecture commune autour de mon gros coup de cœur du mois de janvier, un roman ado, troublant, comme son titre l’indique. Un sujet inquiétant, une manière d’écrire qui m’a captée, pourtant le sujet de ce roman peut porter à polémique. Aujourd’hui nous parlons du genre de roman que vous n’oublierez pas.

Première question : Comment résumerais-tu ce roman ?

Céline : Sous la forme d’un synopsis, clin-d’œil au cinéma, troisième homme de ce récit :
Paris. Camille et Fred, deux ados, deux amis d’enfance. Tous deux sur le fil, tous deux victimes collatérales de drames familiaux. Chacun sa came. Le cinéma pour Camille. L’alcool, les joints et plus si affinités, pour Fred. Soirée après soirée, voyage au bout de la nuit. Lassitude. Dégoût. Drame.

Bouma : Tu as écrit un résumé qui ressemble vraiment beaucoup à ce roman. Les chapitres sont courts, voire très courts, amenant un rythme effréné, une tension à l’histoire. Cette tension, l’as-tu ressentie comme moi ? Cela a-t-il gêné ta lecture ?

Céline : Oui, cette tension est palpable dès les premiers mots et s’accentuent au fil des pages. On sent dès le départ qu’un drame est en préparation ! Une fois l’effet de surprise passé, ce rythme effréné et ce style saccadé m’ont plutôt donné envie de continuer ! L’écriture et la référence au cinéma contribuent d’ailleurs, pour ma part, au succès de ce titre. Et de ton côté, quels sont les aspects qui t’ont particulièrement plu ?

Bouma : Pour revenir à ce que tu disais, je n’ai pas senti le drame venir. Je me le suis pris en pleine tête, comme les protagonistes. Par contre, j’ai aimé que la trame ne s’arrête pas là, que l’auteur montre que le film comme la vie continue.  J’ai aussi aimé cette description très réaliste (à mon sens) de la réalité quotidienne des adolescents. C’est une période de doutes, de choix et d’affirmations. Ce n’est pas une époque facile et les adultes ont tendance à trop souvent l’oublier à mon sens. D’ailleurs, dans le texte, Camille doute de sa sexualité. Mais Camille est un prénom mixte. Est-ce un garçon amoureux de son meilleur pote ? Une fille attirée par d’autres filles ? Qu’en penses-tu ?

Céline : Je pencherais plus pour un « il »… Il me semble que cette identité collerait davantage avec le titre et les sentiments ambigus que Camille éprouve pour son ami d’enfance. Mais je n’en suis vraiment pas certaine. Quoi qu’il en soit, tu as raison, l’auteure nous laisse K.O. certes mais avec néanmoins une note d’espoir :

« Quand les plaies seront refermées, les blessures cicatrisées, viendra le temps des bourgeons et des promesses. »

Ce qui m’a surprise cependant c’est l’attitude attentiste des adultes ! Tout le long de ma lecture, j’ai eu envie de crier : « Mais bon dieu, quand allez-vous réagir ? ». Et toi, ce manque de réaction t’a-t-il également interpellée ?

Bouma : Je n’ai pas franchement été interpellée par cette absence, ou en tout cas cette « non intrusion » des adultes dans le récit. Claudine Desmarteaux déroule son histoire du point de vue de Camille, un(e) adolescent(e) (parce que moi je voyais plutôt une fille en Camille mais bon bref, passons) et nous montre donc SA VISION de l’histoire. Elle est auto-centrée, et ça ne m’a pas plus étonnée que ça que pour elle/lui les adultes n’aient aucun rôle à jouer dans son quotidien outre celui de réfrigérateur et de distributeur.
Un dernier mot pour la fin ?

Céline : Nos hésitations et interrogations sont symptomatiques je trouve. (L’auteure pourra peut-être en lever certaines ?) Cette lecture est de celles qui remuent, vous emmènent au-delà des conventions, des apparences, des jugements trop rapides… Claudine Desmarteaux apporte un certain éclairage sur une jeunesse désabusée et pourtant pleine d’espoir ! Un paradoxe qui interpelle et rend ce texte particulièrement fort ! Un de ceux qu’on n’oublie pas…

Bouma : Exactement. Un texte troublant dont je suis ressortie chamboulée par tant de beauté dans l’écriture de l’indescriptible.

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Et pour en savoir toujours plus, voici nos avis sur nos blogs : Qu’importe le flacon et Un Petit Bout de Bib.

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Cette lecture commune a soulevé nombre de questions comme vous avez pu le lire, et nous remercions chaleureusement Claudine Desmarteaux d’avoir pris le temps d’y répondre (ainsi que son éditeur Albin Michel Jeunesse pour la mise en relation).

1. Comment vous est venue l’idée de Troubles ? Vous êtes-vous inspirée de faits réels ou d’une situation dans votre entourage ?

CD : Après Teen Song, j’ai eu envie d’écrire encore sur l’adolescence, une période à hauts risques, faite d’exaltations, de découvertes, mais aussi d’une certaine errance, voire d’ennui, parce que la réalité est rarement à la hauteur des attentes immenses qu’on a quand on est ado. On zone, de fêtes en soirées. On se cherche, on cherche l’amour… C’est douloureux, de sortir de l’enfance, on éprouve un sentiment de vide, de perte, d’angoisse morbide, parfois.
Ce texte est une fiction qui s’est nourrie de mon imagination, de bribes de mon expérience personnelle, de celle de mes enfants (j’ai une fille de 19 ans à qui je fais lire tous mes textes en cours d’écriture), de films que j’ai vus et aimés… Il est parti aussi d’une envie de décrire des scènes de cinéma.

2. Ce roman parle en partie de harcèlement. Est-ce un thème qui vous touche particulièrement ?

CD : C’est un thème qui touche chacun d’entre nous. Depuis la première cour de récré jusque dans le monde de l’entreprise, on est confronté à des situations de harcèlement, plus ou moins graves, plus ou moins féroces, qu’on subit ou qu’on inflige (parfois avec une certaine lâcheté, ou de l’inconscience). Ça fait partie du jeu social. En bande, parfois la cruauté peut se déchaîner.

3. Dans cette histoire, les adultes sont plutôt inexistants voire démissionnaires. Est-ce un constat que vous tirez de la vie réelle ?

CD : Non, ce n’est pas un constat et je ne juge personne. Ni les ados, ni leurs parents. S’ils sont défaillants, c’est parce qu’ils ont du mal à faire face à leurs propres problèmes, mais aussi parce que les adolescents s’éloignent d’eux, ne leur confient plus rien. En grandissant, les enfants veulent s’affranchir, couper le cordon, et c’est bien normal. Les parents sont souvent les derniers informés. Ils idéalisent leurs enfants et font parfois preuve de naïveté, ou d’aveuglement.
Dans Troubles, pour se protéger d’une situation pourrissante (ses parents ne s’entendent plus mais sont forcés de cohabiter pour des raisons économiques), Camille prend ses distances. Les parents font ce qu’ils peuvent. Ils sont toujours trop absents, ou trop étouffants… Les parents parfaits, c’est comme la licorne, ça n’existe pas.

4. Aviez-vous l’intention d’écrire pour le public adolescent dès le départ de cette intrigue ?

CD : Pas forcément. Dans tous mes livres jeunesse, je m’adresse aussi aux adultes. Mais je suis heureuse d’avoir publié ce livre en roman ado, j’ai fait de très belles rencontres avec des lycéens sur Troubles.

5. Avez-vous visionné l’intégralité de la filmographie de Camille ? Comment avez-vous choisi ces films ?

CD : J’ai choisi des films que j’ai aimés et qui m’ont marquée. Ils ont tous un lien avec le désir, l’amour, les pulsions… Je les ai visionnés parfois plusieurs fois, pour choisir les scènes, les décrire… Tous ces « morceaux de cinéma » disent à quel point c’est complexe, tout ça, et à quel point cela échappe à notre contrôle. Camille est quelqu’un d’assez introverti, toujours en retrait, qui observe la vie un peu comme un film. Camille décrit avec précisions des plans, des scènes, mais ne dit rien sur ses propres désirs.

6. Pouvez-vous lever l’ambiguïté concernant le sexe de Camille ?

CD : Camille est un prénom mixte. C’est au lecteur de faire son choix. Cette ambiguïté participe au trouble.
Mais si vous tenez à savoir si pour moi, Camille est une fille ou un garçon, je répondrai : un garçon (qui refuse de s’avouer les sentiments amoureux qu’il éprouve pour son meilleur ami Fred).

7. et enfin… avez-vous un autre roman pour les adolescents en préparation ?

Un nouvel opus de la série du petit Gus, Le petit Gus au collège, sort en août 2013. C’est un roman illustré qui s’adresse à tous, et plus spécialement aux 9-13 ans.
Je n’ai pas commencé à travailler sur un autre texte pour l’instant, mais j’écrirai encore pour les adolescents. J’aime ce public, ouvert, fragile et touchant. L’adolescence est une période de la vie riche et complexe, dont on ne sort pas indemne mais qui construit l’adulte qu’on deviendra.

[Cette interview a été réalisée au début de l’été.]

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Nous espérons que cette lecture commune vous aura fortement donné envie de lire ce titre. Bonne lecture.

Une réflexion sur « Troubles par Claudine Desmarteaux »

  1. Ce récit semble très intéressant et me fait penser à « Junk » de Melvin Burgess. Là aussi, les « dangers » et les égarements de l’adolescence nous sont décrits. Ces livres, qui peuvent choquer certains, sont malgré tout nécessaire tant ils abordent des thèmes actuels.

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