Plus tard je serai moi

En cette période d’examens, ce titre de roman « Plus tard je serai moi » écrit par Martin Page aux éditions Le Rouergue (collection Doado) ressemble à un défi lancé à bien des parents inquiets pour leur progéniture. Et si finalement, les plus stressés et les plus stressants, c’était eux ? Et si finalement, il suffisait de leur faire confiance à nos jeunes pour prendre en main leur avenir ?

Alice-A lire aux pays des merveilles, Carole-3étoiles et Drawoua-Maman Baobab ont accepté de partager cette lecture pleine de fantaisie et d’humour avec Pépita-Méli-Mélo de livres.

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Pépita : Quelle est la raison principale qui vous a poussée chacune à avoir envie de lire ce livre ?

Carole : C’est très subjectif mais j’assume : l’auteur et l’éditeur sont pour moi deux incontournables ! J’adore cette collection, j’adore Martin Page ! Donc ce n’était pas négociable qu’il ne passe pas entre mes mains ! Et puis le titre et la photo de Théo Gosselin en couverture, forcément !

Alice : La proposition sur cette lecture commune a coïncidé  avec mon arrivée sur A l’ombre du grand arbre et je me suis lancée dans le grand bain sans trop réfléchir. Entre temps, j’ai participé à la lecture sur «Encore heureux qu’il ait fait beau» qui a démarré plus tôt. J’en conviens le titre est accrocheur et il interpelle forcément. Une bonne formule, tellement convaincante ! Martin Page ne m’était pas inconnu mais sans que ce soit un auteur dont je sois totalement fan.

Drawoua : Comme Carole, le titre du roman très incitatif et en même temps poétique, l’auteur dont j’ai la curiosité sans l’avoir auparavant lu et la maison d’édition qui fait partie de mes favorites. Dit comme ça, cela ne vous inciterait pas à la lecture, vous ?

Pépita : Cela rejoint totalement mon envie, à la différence que j’ai déjà lu des livres de cet auteur. C’est carrément le titre qui m’a accrochée : je trouve cette formule épatante. Martin Page a toujours le don de trouver des titres percutants ! Et je trouve que cette formule peut s’appliquer non seulement à des jeunes en devenir mais aussi à tout un chacun lorsqu’il se retrouve à un carrefour de sa vie. C’est une formule pleine de liberté et d’ouverture sur les possibles.

Carole : Le titre est beau oui. Et effectivement comme tu le soulignes Pépita, Martin Page est doué pour la formule !

Pépita : Chacune votre tour, un petit topo sur l’histoire ? Juste pour donner un aperçu à nos lecteurs…

Alice : Séléna est une jeune ado discrète et solitaire qui ne sait pas réellement ce qu’elle veut faire de sa vie. Elle y a déjà réfléchi, c’est sûr, mais de là à avoir une idée précise ! Jusqu’au jour où ses parents lui avouent que cela ne les dérange pas si elle devient artiste musicienne, poète, peintre …. ! Pour elle, ils achètent un appareil photo, des pots de gouaches, de beaux stylos et du papier et font livrer un piano ….sans que Séléna ne soit sensible à aucun de ces cadeaux. Mais les parents de Séléna sont prêts à tout, sous prétexte que les artistes ont eu une enfance difficile. Comment peut- elle alors résister face à la pression exercée, alors qu’elle souhaite juste savoir qui elle est ?

Carole : Sélena a 16 ans, l’âge des possibles, l’âge des passions, l’âge de la quête. Et on assiste à un basculement : par leur comportement, ses parents lui donnent un rôle de parent symbolique je trouve. Elle qui n’est pas encore adulte les observe avec une certaine maturité, voire gravité.

Pépita : Parlons justement du thème de ce livre. Alice a lâché le mot : pression parentale. Avez-vous été surprise de la manière dont l’auteur aborde cette problématique ? Adhésion, rejet, perplexité ?

Alice : Martin Page choisit de traiter son thème de la pression parentale en renversant totalement la maturité de ses personnages et en insistant fortement sur le cocasse de la situation. Il pratique un humour à la fois léger et piquant qui donne à réfléchir sans être moralisateur. C’est un exercice périlleux, mais que l’on sent poindre dès la quatrième de couverture et donc dans lequel je suis rentrée sans difficulté.

Drawoua : J’ai effectivement été surprise par la manière dont l’auteur traite le sujet. La pression est si forte qu’elle est omniprésente, devient excessive, bascule dans la folie. Je n’y ai pas perçu l’humour. La tension, le récit, la mise en scène font tendre la narration vers le dramatique plutôt.

Pépita : Je vous rejoins totalement quand vous dites que de cocasse, la situation devient dramatique. Les parents de Séléna vont effectivement très loin et on se demande si cela va s’arrêter. On rit un peu jaune par moments. On est mal à l’aise.

Carole : Je rebondis sur vos réponses : l’auteur pousse le comportement des parents à l’extrême, ce qui touche parfois au cynisme, et moi ça me fait rire ! En revanche, Séléna reste droite je trouve : elle s’amuse de la situation au début, est ensuite agacée, mais finalement elle n’est jamais complètement déstabilisée. En ça je la trouve certes mature et réfléchie mais surtout complètement convaincante. Ce qui est original dans ce roman, c’est l’inversement des codes : les parents qui basculent, voire régressent, qui testent leur ado, et elle, stoïque, qui observe, analyse, réfléchit. J’adore !

Pépita : Je te rejoins Carole : les rôles sont inversés à l’extrême et je pense que c’est justement le parti pris de l’auteur : dénoncer cette pression parentale souvent insidieuse, inconsciente mais en la caricaturant pour nous la balancer en pleine figure, nous les parents ! Quant à Séléna, je ne l’ai pas du tout perçue comme mature mais plutôt comme indifférente à toute cette escalade. Comme une ado quoi. Elle connait trop bien ses parents pour ne pas les croire. Elle continue à vivre sa vie. Par contre, cela m’a gênée que les deux adolescentes, Séléna et son amie Vérane, ne soient que collégiennes. Je les aurais senties plus crédibles dans leur comportement si elles étaient lycéennes. C’est une faiblesse du roman là je trouve.

Drawoua : C’est peut-être parce qu’elles sont collégiennes que l’on peut les qualifier de matures comme le fait Carole. Je ne vois pas le positionnement de Séléna comme de l’indifférence. Plutôt comme un retrait conscient ou non qui lui permet de se protéger du danger certain que représentent ses parents. D’ailleurs, finalement, et sans en dire vraiment la fin, c’est ainsi que ce roman se termine et Séléna fera d’ailleurs ses choix consciemment.

Alice : Le personnage de Séléna me parait un peu trop « parfaite », un peu trop sage, même. Une fois la surprise et l’inquiétude passée vis à vis de l’attitude de ses parents, jamais elle ne s’accorde une idée un peu ludique, jamais elle n’évoque l’intention d’en profiter. Pas de dérapage, beaucoup de prudence et de modération. Tout cela accentue le renversement des rôles : elle a tous les traits de caractère d’une adulte raisonnable.

Pépita : Vos réponses me permettent de revenir sur l’image renvoyée des adultes dans cette histoire. Je pense en particulier au principal du collège, M. Blimp. Séléna et Vérane sont apparemment assez proches de lui dans leurs centres d’intérêts. Qu’avez-vous pensé de ce message de l’auteur ?

Alice : Pas très causant ce M. Blimp, jamais il ne prend la parole. Assez surprenant son dada pour le cerf-volant et le club qu’il en a créé au collège et dont il est le seul et unique membre. Quant à sa passion pour le rock, elle laisse Séléna assez perplexe. Un personnage toujours présent en filigrane tout au long du récit, et qui s’installe à pas de loup pour finir par être un élément essentiel du dénouement. Un adulte qui a gardé une âme d’enfant et chez qui Séléna a trouvé un allié. Le seul qui puisse comprendre que sous un costume austère et sérieux sommeille la part artistique de chacun.

Pépita : Effectivement, on en sait plus sur ce Monsieur par son comportement que par sa voix. En-dehors des parents de Séléna, c’est le seul adulte dans cette histoire dont l’auteur a forcé le portrait, mais dans l’autre sens. En dehors de sa fonction de principal de collège, il a gardé des centres d’intérêts à la fois enfantin (le cerf-volant) et adolescent (joueur de guitare rock). Un message pour nous dire que même adulte, il est important d’être soi, de cultiver ses rêves comme en écho au titre, sans peur du jugement des autres.

Carole : Je suis d’accord avec toi Pépita sur le portrait de Mr Blimp, un corps d’adulte assez froid et peu causant avec une âme d’enfant/ado qui se laisse porter par ses passions. Une espèce de force tranquille qui contraste avec les parents au bord de l’hystérie. Son statut institutionnel lui confère du pouvoir, mais il n’en abuse pas et reste accessible. Je trouve que sa présence questionne sur les notions de pouvoir (institutionnel) et d’autorité ( parentale ou d’adulte). Pour peu il me rappellerait quelqu’un…Il incarne très bien le titre du roman d’ailleurs. J’aime la sensibilité et la liberté qui s’en dégagent.

Pépita : Pensez-vous que l’auteur aborde là une question de société ?

Alice : Une  » inquiétude » de société, voulais tu dire …… Carrément.

Drawoua : Pas directement une question de société, ni une inquiétude. Par contre une question et une inquiétude de parents, de parents d’adolescents et d’adulescents, oui complètement. Prises à contre-pied, bien sûr.

Pépita : Maman de quatre enfants, dont trois ados, je suis directement confrontée à ces choix d’avenir que nos enfants doivent faire trop jeunes…C’est difficile à 13-15 ans ! Il y a de quoi être déboussolé…Le collège et le lycée d’aujourd’hui n’ont plus grand chose à voir avec ce que j’ai vécu…Et ces institutions mettent la pression sur les parents quant à l’avenir de leurs enfants et c’est parfois angoissant. En tant que bibliothécaire cette fois, je suis assez effarée de l’angoisse de certains parents face à l’appropriation de la lecture en particulier et de la réussite scolaire en général de leur progéniture, le plus souvent sans se remettre en question dans leur éducation. J’ai aimé dans ce roman la prise de distance nécessaire de l’héroïne, la caricature des parents et leur obstination (pas si loin de la réalité parfois !) et l’injonction de ce titre qui rappelle une évidence de choix de vie.

Carole : En tant que prof au lycée, je te rejoins complètement Pépita sur la pression institutionnelle et parentale… Quant au titre, il résonne en moi comme une évidence rapport à l’intrigue mais surtout à l’éducation à la liberté de choix, au libre-arbitre et à la responsabilité des renoncements. Aujourd’hui, la société façonne et cloisonne les gens, les jeunes en particulier. Etre soi, c’est le plus grand luxe qu’on puisse s’octroyer. Et c’est pour moi le seul moyen efficace de ne pas finir comme des tartes : dans des moules !

Pour terminer cette lecture, je laisse le mot de la fin à Séléna : « Il faut être patient avec les parents. Ils ont peur de ne pas être parfaits. Il subissent une pression sociale très forte pour faire de leur enfant l’être le plus doué et le plus charmant qui soit. Ils tentent de ne pas commettre les erreurs de leurs propres parents, et pour cette raison, en font d’autres. Dans ces conditions, ils ne peuvent que mal se débrouiller».

Martin Page a accepté de répondre à nos questions : ses réponses dans la chronique de demain !

Et pour aller plus loin, voici nos avis sur cette lecture sur nos blogs respectifs :

Alice-A lire aux pays des merveilles

Drawoua-Maman Baobab

Pépita-Méli-Mélo de livres

2 réflexions sur « Plus tard je serai moi »

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