Lecture Commune : Les Amoureux

Aujourd’hui, nous parlons d’une bd/album parue cette année aux éditions La Joie de Lire : Les Amoureux de Victor Hussenot avec sa belle couverture rouge et ses deux petits personnages.

Véritable COUP DE CŒUR pour Bouma, grande lectrice de BD, qui a décidé d’inviter Isabelle à échanger ses impressions sur ce titre.

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Bouma : Connaissais-tu le travail de Victor Hussenot avant que je t’en parle ? Si non, quel aspect t’a donné envie de le découvrir ?

Isabelle : Non, je ne le connaissais pas du tout. Nous aimons beaucoup les BD à la maison, mais ce n’est pas un support que je lis depuis toujours et il me reste énormément d’auteurs et d’albums à découvrir ! Quand tu m’as parlé de Victor Hussenot, j’ai regardé rapidement ce qu’il avait fait et j’ai été très intriguée par son graphisme très singulier.

Et il faut dire que la belle couverture rouge a attisé ma gourmandise ! Sa texture donne envie de la saisir, le ciel étoilé que l’on devine en arrière-plan invite à la rêverie et la danse des deux amoureux dégage une gaieté et une énergie communicatives

Et toi ? Qu’avais-tu lu de lui et qu’est-ce qui t’a donné envie de lire Les amoureux ?

Bouma : Moi, je suis tombée sous le charme de sa première BD jeunesse : Au pays des lignes qui a créé les petits personnages rouge et bleu des Amoureux ; et puis après j’ai lu Les étoiles du temps qui entraine le lecteur dans un questionnement presque métaphysique.
En fait, j’aime le fait que son travail graphique ne ressemble en rien à ce que j’ai l’habitude de voir et de lire. Alors quand j’ai vu que ce titre avait cette même particularité… j’ai sauté sur l’occasion.

 


Si tu devais résumer l’histoire ? Difficile travail pour un album qui n’a pas de texte, mais que dirais tu ?

Isabelle : Il s’agit, comme on l’aura compris, de deux amoureux esquissés, comme nous y reviendrons je pense, chacun d’une couleur – rouge pour elle, bleu pour lui. Nous les découvrons endormis et tendrement enlacés, mais une goutte de pluie tombe, suivie d’une autre… C’est le début d’une série de péripéties qui s’enchaînent sans discontinuer, faites de petits moments partagés, d’embûches, de retrouvailles. Ta question n’est pas facile, car il y a plusieurs niveaux de lecture : on peut voir ces aventures comme une métaphore de ce qui fait le sel et le charme de toute relation amoureuse ! Et toi, que dirais-tu de cette histoire ? Comment as-tu perçu cette narration sans texte ? 

Bouma : Moi je suis une grande fan du « sans texte » de manière générale pour plusieurs raisons. D’abord ce style permet de s’immerger complètement dans une narration uniquement graphique (qui peut parfois être déroutante) ; ensuite il permet à chacun de comprendre l’histoire différemment, ce qui, enfin, permet à tous les lecteurs quelque soit leur âge, leur culture, leur langue… de partager un moment de lecture.

Après, je trouve que Victor Hussenot exploite à merveille ce type narratif. Effectivement, il y a une belle métaphore de la relation amoureuse (avec ses hauts et ses bas). Les deux petits personnages ne racontent pas totalement la même histoire si l’on regarde bien. Chacun avec sa couleur en écrit une vision, un morceau… Et les deux ensemble forment parfois un tout, parfois se cherchent ou se répondent…

Pour moi la grande originalité de cette BD vient de là. Es-tu d’accord ?

Isabelle : Ce que tu dis sur le « sans texte » me parle beaucoup. Je n’ai jamais pensé à ce format comme à un support d’échanges interculturels, mais c’est une idée très belle ! Ici, les illustrations se suffisent effectivement à elles-mêmes : les deux amoureux sont si expressifs que l’on comprend tout. Et l’auteur déborde d’ingéniosité pour nous transmettre leurs idées, leur état d’esprit, leurs rêves et leurs terreurs, notamment en utilisant des bulles de pensée. J’ai peut-être une petite réserve en revanche sur la trame narrative. Comme je le disais, nous assistons à une série de péripéties, mais il m’a peut-être manqué une grande intrigue qui aurait été l’arc narratif principal permettant de lier l’ensemble, de la première à la dernière page. Cela dit, comme toi, j’ai été bluffée par la finesse que Victor Hussenot parvient à insuffler à partir d’un principe de base qui peut paraître simple – des lignes rouges, des lignes bleues qui se rapprochent, s’entremêlent, s’entrechoquent, évoluent de façon parallèle, divergent pour mieux se retrouver.

Il y a encore beaucoup à dire sur la forme de cette BD : qu’est-ce qui t’a frappée de ton côté ?

Bouma : Pour moi c’est l’exploitation de la page ! On ne retrouve pas les cases traditionnelles de la BD mais une diversité de propositions narratives impressionnantes. Parfois le dessin s’étale sur toute la page ; il peut aussi être découpé en 2, 3, 8 petits dessins pour montrer soit une immobilité, soit au contraire une intense activité… La découpe est à l’horizontale ou à la verticale en fonction des besoins des petits personnages… La seule contrainte semble être la lisibilité de l’histoire.

En fait ce que je trouve hallucinant c’est qu’on a cette impression de fluidité dans le trait de stylo. En lisant cet album, on se dit que l’on peut nous aussi faire une histoire comme celle-ci, vite fait, sur le coin d’une table ou d’un cahier. Alors qu’il n’en est rien. Cette impression de facilité cache un très gros travail à mon sens.

Isabelle : Oui, je suis tout à fait d’accord avec toi. Je me suis dit que j’avais envie d’offrir cette BD à plusieurs personnes de mon entourage qui aiment s’évader dans des dessins gribouillés au stylo bille, me disant qu’elles sous-estiment probablement les potentialités de ce type de dessin ! Mais comme tu le dis, il doit y avoir un énorme travail pour parvenir à incarner ainsi l’histoire en s’affranchissant à ce point des codes de la bande-dessinée. Je serais super curieuse de savoir comment Victor Hussenot a travaillé concrètement.

Une autre originalité formelle concerne le décor. Généralement réduit à sa plus simple expression – une page blanche, une forme grise évoquant un nuage, l’esquisse d’un rocher ou d’une marée montante… – il est, au fil des pages, de plus en plus façonné par l’imagination des deux amoureux, donnant l’impression d’un univers intérieur plus foisonnant (ou peut-être plus intéressant) que le décor extérieur.

As-tu également perçu l’imaginaire et la force des idées comme un thème essentiel de cette BD ?

Bouma : Oui, et tu le formules très bien. Finalement l’espace dans lequel les personnages évoluent semble être façonnés par eux (surtout quand ils finissent par avoir un crayon entre les mains). De manière générale, je trouve que cette BD est une ode à l’imagination.

Isabelle : J’ai trouvé cela très fort. La BD arrive, sans aucun texte, à parler de la complicité qui naît de l’invention de rêves communs, de la construction d’idées communes qui sont ensuite concrétisées, même si elles peuvent donner lieu à des fâcheries. Tu disais toute à l’heure que l’histoire racontée par chacun n’est pas exactement la même : il y a par exemple cette scène de fête où il a l’impression de danser seul alors qu’elle raconte une histoire où ils sont ensemble. Chacun a sa subjectivité, mais les rêves qu’ils dessinent chacun avec leur crayon s’entremêlent et s’unissent sous nos yeux. C’est beau !

J’aimerais bien avoir ton avis sur le public à qui cette BD se destine. Le thème de l’amour n’est pas forcément quelque chose qui parle beaucoup aux enfants, non ? Mais après tout, une BD sans texte se prête peut-être justement mieux qu’un long discours pour leur raconter toutes ces choses de la vie ?

À qui aurais-tu envie de faire partager cette lecture ?

Bouma : Moi, je la conseillerais à tous les âges. Les petits personnages ne donnent pas l’impression d’avoir un âge particulier, ce qui permet une identification globale quelque soit l’âge. Et comme on le disait tout à l’heure, les plus jeunes y verront une aventure extraordinaire tout droit sortie de l’imagination des personnages quand les plus âgés y découvriront une métaphore de la relation amoureuse. En tout cas, chez moi, tout le monde l’a lu.

En fait, je me disais que tout est dans le titre. Car si on le change on peut faire une toute autre lecture de cette BD, non ?

Isabelle : Mais oui ! Tu as raison. Le thème de la force des pensées et des rêves, nés de son imaginaire ou insufflés par un proche comme ici, qui peuvent nous permettre de soulever des montagnes et de faire face aux pires des tornades, me semble aussi présent que celui de l’amour, mais il y a un effet de cadrage très fort par le titre. Les critiques que j’ai lues insistaient toutes sur la métaphore de la vie amoureuse, mais il n’y a pas que ça. Et comme tu le dis, ces silhouettes à peine esquissées facilitent l’identification : elles pourraient appartenir à tout le monde.

Est-ce que tu as un passage que tu as particulièrement aimé ?

Bouma : Mon passage préféré… bien difficile à dire. Disons que le passage autour de la musique m’a beaucoup parlé, et la dispute à coup de géant armé m’a bien fait sourire. Et toi ?

Isabelle : J’ai adoré les passages où chacun des Amoureux donne libre cours à son imagination, pour le plus grand bonheur de l’autre. Il y a une double page où cet imaginaire est à la fois foisonnant et révélateur de leur personnalité respective. Il se sent bien dans son univers à elle, pourtant fait de falaises escarpées et arides à mille lieues de son propre imaginaire luxuriant, évoquant plutôt une sorte de forêt vierge pleine de vie… qu’elle semble prendre plaisir à explorer. Il y a aussi une scène rigolote qui ressemble presque à un jeu vidéo dans lequel le chemin vers l’être aimé est semé d’embûches. Je parie que ce clin d’œil à un autre univers amusera les enfants !

Bouma : Dernière question : est-ce que cette lecture t’aura donné envie de découvrir le reste de l’œuvre de Victor Hussenot ?

Isabelle : Oui, absolument ! Et avant tout, les précédents volets des aventures de nos deux Amoureux. Au pays des lignes m’intrigue énormément, j’ai très envie de continuer à explorer l’univers graphique de cet auteur avec cet album-là et je pense qu’il intéressera toute la famille. Merci beaucoup à toi pour cette découverte !

 

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Pour en savoir plus, voici les liens vers l’article de Bouma et d’Isabelle sur leurs blogs respectifs. On espère avoir attisé votre curiosité et vous avoir donné envie de découvrir cette BD !

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