Lecture commune : Une histoire de sable

Pour bien continuer cette nouvelle année, Pépita, HashtagCéline, Bouma, Solectrice et YokoLulu vous proposent une lecture commune aux avis divergents sur Une histoire de sable de Benjamin Desmares aux éditions Rouergue.

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Jeanne, une adolescente souvent en colère, doit passer ses vacances d’hiver au bord de la mer avec ses parents dans un village déserté. Cela ne la réjouit pas du tout, elle pense qu’elle va bien s’ennuyer. Mais sa rencontre avec Alain et Bruno va tout changer…

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Pépita : Une histoire de sable…un titre qui vous a évoqué quoi ? Et une couverture étonnante aussi ?

Hashtagcéline : La couverture, seule, m’évoque l’adolescence, les fêtes et peut-être les excès… Le titre, en revanche, me fait m’imaginer une histoire d’amour au bord de la mer… Plutôt dans la douceur et la délicatesse. Le mot « sable » peut-être… Ensuite, j’avoue que ce titre et cette couverture, j’ai du mal à les associer. Et avec le recul de la lecture, je trouve que la couverture ne donne pas une idée de l’ambiance de ce roman. C’est, à mon sens, un peu dommage.

Yoko Lulu : Ce titre bien mystérieux m’a fait surtout pensé à des châteaux de sable et des maisons en bord de mer. Je trouve la couverture en total décalage par rapport à l’histoire, moi elle m’évoque une tentative de suicide.

Hashtagcéline : Je suis assez d’accord avec toi, si on pousse jusqu’au bout l’idée de l’excès dont je parlais, on peut penser au suicide.

Bouma : Autant le titre n’a eu aucune résonance en moi, autant la couverture m’a fait pensée à un lendemain de fête, un reste d’anniversaire, ce moment où l’on s’accroche à ses souvenirs. Je l’ai trouvé très belle.

Solectrice : Il faut dire que je n’ai pas découvert ce livre par hasard mais dans un contexte bien particulier : il se trouvait dans une boîte représentant une plage, entouré de petits cadeaux et d’adorables attentions pour mon swap d’anniversaire ! Alors, évidemment, je m’imaginais déjà une histoire de vacances, en bord de mer, douce et romantique…

Pépita : Et moi à un sablier qu’on retourne. Ce qui m’évoque le temps qui passe. Et la couverture à quelque chose de magique et de relaxant. Bien mystérieux tout ça !

Solectrice : C’est vrai qu’avec la tête à l’envers et les cheveux en pointe, on peut penser au sable qui coule. Mai les confettis nous envoient sur une autre piste et le geste d’abandon de la fille m’évoque plutôt l’insouciance d’un moment heureux.

Bouma : En tout cas, cette couverture elle ne donne pas trop d’indice sur le contenu du roman, non ?

Pépita : C’est certain ! Si on ne résiste pas à l’appel de la 4 ème de couverture, effectivement, aucun indice. Mais même le résumé est bien loin de ce qu’on y trouve !

Solectrice : En effet, on est aussitôt plongés dans un autre univers avec cette narratrice ado à vif. « Le matou miaulait par intermittence. […] Trois cents kilomètres à supporter ça. J’avais envie de l’épiler à la cire chaude, cet abruti. »

Solectrice : Vos attentes se sont-elles rapidement brisées quand vous avez commencé à lire ?

Pépita : Pas du tout ! je me suis laissée embarquer direct par cette atmosphère entre deux eaux, dans une sorte de lâcher prise et je ne me suis posée aucune question.

Hashtagcéline : Pas du tout, bien au contraire. J’ai été happée dès les premières pages par la voix de Jeanne et le ton très dur qui contrastait avec la première impression que le livre m’avait donné. Séduite, dès les premières pages, j’ai su que ce roman allait être un coup de coeur.

Bouma : Moi, j’ai trouvé le début plutôt sombre. La solitude de Jeanne face à ses parents si occupés m’a touchée. Et puis j’ai retrouvé cette envie d’être ailleurs, pas forcément propre à l’adolescence, mais accentué à cette période de la vie.

Yoko Lulu : Comment caractérisez-vous l’attitude du personnage principal ? L’avez-vous trouvée attachante ?

Pépita : Jeanne,elle m’a plu immédiatement, j’ai aimé son regard sur les choses, son auto-dérision, son sens de l’observation, sa faculté à réagir au quart de tour, à assumer sa solitude. Et encore plus quand j’ai relu ce roman pour cet échange.

Hashtagcéline : Pareil. J’ai été très touchée par Jeanne que l’on sent à fleur de peau. Sans vouloir caricaturer les ados (désolée Yoko Lulu), je trouve qu’elle sonne juste dans ses attitudes, ses excès, sa fureur et quelque part sa violence. Elle est effectivement surtout complètement perdue et peu sûre d’elle-même. Je l’ai trouvée injuste à certains moments mais vraie. Un très beau personnage.

Bouma : Je te rejoins complètement. Jeanne est très attachante, elle fait vraie (en tout cas par rapport à mes souvenirs d’ado) et m’a fait sourire à plus d’une occasion.

Yoko Lulu : J’ai au contraire eu beaucoup de mal à la supporter. Je la trouvais insupportable et bien trop en colère. Sa façon de toujours parler vulgairement m’a déplue, comme si une ado ne pouvait jamais être de bonne humeur (ou très rarement) et parler correctement.

Solectrice : Je dois avouer que son regard corrosif m’a dérangée de prime abord. Puis j’ai cherché à comprendre, à estimer la situation, la gêne avec ses parents, l’ambiance étouffante de cette petite maison. J’avais aussi envie de m’évader avec elle pour découvrir ce qui lui redonnerait le sourire.

Bouma : Et quelle évasion, non ? Avez-vous, comme moi, été charmée par ce paysage maritime hivernal ?

Solectrice : J’ai imaginé sans peine le décor gris, le sable volant et les maisons aux volets clos. Un univers propice aux détails décalés avec l’effervescence estivale d’une ville balnéaire. Une ambiance qui se prête au mystère aussi.

Yoko Lulu : Je trouve au contraire la description que Jeanne en fait plutôt repoussante. Mais à certains moments le paysage est effectivement attirant.

Pépita : Je ne dirais pas ça non. ça m’a plutôt oppressée. Cette désolation du paysage. Surtout ce qu’en ont fait les hommes à vrai dire. C’est un thème fort du roman. Car oui, tu as raison de le souligner, ce paysage hivernal a sa beauté mais aussi sa laideur. Jeanne ne perçoit que sa laideur puis peu à peu elle y perçoit autre chose. La rencontre avec Bruno et Alain y est pour quelque chose !

Solectrice : C’est vrai que son humeur fait varier son regard. Du gris, après l’affrontement avec ses parents, au rose, suite aux moments de romance où elle s’abandonne avec Alain.
« Je suis rentrée à la maison en longeant la mer.
Je veux dire, je marchais à un mètre d’elle, juste à côté. Quelqu’un nous aurait vu marcher ainsi l’une à côté de l’autre, il aurait pensé « tiens, deux vieilles copines qui se baladent ». Les vagues s’amusaient à essayer de tremper mes chaussures. C’était marrant. Tout était marrant. »

Hashtagcéline : A vrai dire, moi, ça m’a plutôt déprimée. Je trouve que le bord de mer, l’hiver, c’est triste. Un peu comme Jeanne quand elle en parle :  » En hiver; la mer est moche et elle pue du bec ». Du coup, je ne me suis pas franchement sentie bien. Mais j’ai trouvé que ce paysage hivernal, désertique et complètement abandonné donnait le lieu parfait pour laisser exploser la révolte de Jeanne, nourrissant également son ennui. Et puis, pour la suite, cet endroit est aussi le décor idéal. En tout cas, je trouve que Benjamin Desmares nous décrit tellement bien les lieux, qu’on a vraiment l’impression d’y être !

Solectrice : Avez-vous perçu aussi la recherche d’un refuge dans ce village déserté ?

Pépita : Oui, on sent Jeanne en recherche de rapports humains même si elle apparaît comme une ourse mal léchée ! Je ne sais pas si ça vous l’a fait mais quand elle découvre enfin la rue avec le supermarché et le bar (que ses parents avaient bien omis de lui communiquer), je me suis sentie soulagée pour elle ! Et là elle se met en mode « détective ». Elle perçoit des choses dans cette ville. L’auteur a déjà glissé des indices mais on ne les voit pas encore. J’ai aimé cet aspect « puzzle » où tout n’est pas donné d’avance, un peu comme ce paysage hivernal changeant et ce sable en mouvement perpétuel.

Yoko Lulu : Tout à fait. Le fait qu’elle y passe ses journées mais aussi qu’elle se sente seule le montre bien. Elle se sent oppressée chez elle et aimerait au plus profond d’elle avoir un refuge et des amis.

Hashtagcéline : Peut-être pas au début mais petit à petit, le calme et la solitude permettent à Jeanne de se poser. Elle s’apaise. Elle n’a pas le choix. Il n’y a rien d’autre à faire et pas grand monde contre qui s’énerver…

Bouma : Peut-être est-ce pour ça, que contrairement à vous, j’ai été charmée par ce village et son paysage hivernal… La découverte d’un nouveau lieu en dit beaucoup sur la personne en fonction des choses qu’elle retient. Le terme de refuge est bien trouvé en tout cas Sophie.

Solectrice : Quels passages vous reviennent où Jeanne et le décor semblent parfaitement s’accorder ?

Yoko Lulu : Je pense au moment où elle longe la mer, heureuse, laissant les vagues lui lécher les pieds, après sa dernière journée passée avec Alain.

Pépita : Sa vision du paysage et de cette station balnéaire change au fur et à mesure qu’elle s’attache à Bruno et Alain. Tant et si bien que la semaine de vacances vue comme un calvaire au début du séjour, elle regrette qu’elle soit passée si vite . Ces ados, j’vous dis !

Hashtagcéline : Celui-ci que je trouve très parlant de l’état d’esprit de Jeanne : « J’ai trouvé une petite niche entre deux rochers, bien humide, bien moche. Je m’y suis blottie et j’ai attendu. Au niveau de ma tête, coincée entre deux rochers, il y avait des algues noires et sèches, pleine de petites boules, ainsi qu’une boîte de jus en carton tout aplatie. Personne ne pouvait me voir. Le vent donnait en plein sur ma cachette. Le pluie tombait selon un angle parfait qui envoyait les gouttes en plein dans mon visage. Ma tête était dans le même état que la boîte de jus. Vide et aplatie »

Pépita : Parlons alors de cette rencontre avec Bruno et Alain. Bizarre ou pas du tout ? Vous l’avez ressentie comment ?

Solectrice : Grignotée par ce malêtre, tourmentée par sa rage, agitée par les bourrasques de mauvaise humeur, Jeanne semble se laisser gagner par une folie qui pourrait l’adoucir, la sauver. Alors, elle entre dans un autre univers, absurde, mais plus simple, doux et accessible comme on enfouit la main dans le sable et qu’on laisse filer les grains en ouvrant les doigts. Je me suis laissée emporter par cet échange surprenant mais bienvenu dans cette grisaille.

Yoko Lulu : Le jour où ils se sont rencontrés -Jeanne marchait dans la rue quand elle s’est sentie observée, elle s’est retournée et a aperçu deux garçons au look rétro, elle s’est alors enfuie- m’a paru plutôt réaliste, même si certains détails clochaient un peu : leur style, le fait qu’elle soit passée devant eux sans les voir. Et pour parler plus précisément de leur relation, la tournure qu’elle a prise m’a beaucoup déstabilisée. Je ne m’attendais pas à ça et espérais une explication plus rationnelle. Malgré tout, cette relation a eu du bon sur Jeanne et lui a permis de voir ce qui l’entoure d’un autre regard, comme ce village déserté ou même ses parents.

Pépita : Pour ma part, j’ai particulièrement adoré les passages de leurs premières rencontres, même si tu le soulignes à Raison Yoko Lulu, certains détails clochent. Leurs dialogues sont savoureux, leurs regards aussi sur ce qui les entoure, ce désœuvrement qui pourrait les faire couler, ils le rendent lumineux. Et là on découvre une autre Jeanne, qui se laisse engloutir par ses sentiments. On sent que c’est nouveau pour elle mais en même temps, elle s’y abandonne. J’ai trouvé que ce roman est une belle métaphore de la découverte amoureuse et du lâcher-prise que cela comporte.

Solectrice : La découverte amoureuse est en effet abordée avec pudeur. Le rythme du récit change aussi et on se surprend à attendre les rencontres pour en découvrir davantage sur ces frères.

Hashtagcéline : Bon, j’avoue que tout de suite je les ai trouvés bizarres, Bruno et Alain. Pourquoi? Je ne sais pas. Peut-être à cause de l’ambiance qui se dégageait de leur village et qu’ils avaient l’air d’être là, seuls, au milieu de nulle part. Je trouvais ça louche. Plus que leurs vêtements ou leur façon de parler, c’est le pourquoi de leur présence, ici, au même endroit, tout le temps, qui m’a mise mal à l’aise…Mais après tout, pourquoi pas. Comme Jeanne, ils n’avaient rien à faire de leurs journées.

Bouma : J’ai beaucoup aimé la relation qui existe entre les deux frères. Elle sonne juste. Leur relation à leur maison m’a beaucoup intriguée et je me suis longtemps demandée ce qu’ils pouvaient bien y cacher… Famille de fous ? Parents irritants ? Cadavres dans le placard ?

Solectrice : Entre la folie, la perception d’un malaise chez les habitants et les indices d’une autre époque, on bascule dans le fantastique ? Comment avez-vous ressenti ce glissement ?

Pépita : Oui, l’auteur apporte une part de fantastique ( je ne sais pas si c’est le bon mot mais je n’en ai pas d’autre) qui est déstabilisante -je te rejoins- mais en même temps la rationalité arrive avec le voile qui est levé sur une injustice. Ce roman oscille en permanence entre le réel et le fantasmé. Du moment qu’on l’accepte comme tel, sa beauté et son mystère sont époustouflants.

Yoko Lulu : Je me répète mais cela m’a vraiment déstabilisée. Je ne dirais pas que l’histoire relève du fantastique, plutôt que Jeanne est en quelque sorte folle.

Pépita : Ça ne m’a pas du tout effleurée la folie, mais alors pas du tout. Puisqu’au final il y a une explication. Après on y croit ou pas du tout. Mais certains faits sont tangibles et raccord avec la mutilation du paysage qui elle est bien réelle et la maison aussi. Mais je ne veux pas trop en dire au risque de spoiler.

Hashtagcéline : Moi non plus, je n’ai jamais songé un seul instant que Jeanne puisse être folle. Des éléments bien réels nous l’indiquent. C’est juste qu’il faut se laisser porter par ce côté un peu étrange et irréel. Mais je comprends aussi que cela puisse être déstabilisant.

Bouma : Tout à fait d’accord avec Céline, j’ai adoré ce côté « parallèle » que je n’avais pas vu venir (mais les prénoms auraient du me mettre la puce à l’oreille). Je n’avais pas vu le rapport à la folie, mais je comprends Yoko Lulu que tu es pu y lire autre chose que moi. C’est d’ailleurs une des forces de ce roman, à mon sens. Chacun peut y trouver un écho différent en fonction de sa propre vie.

Solectrice : J’aime bien ton hésitation sur les mots, Pépita, car le passage de l’investigation à la relation passionnelle n’est pas évident à caractériser. On accepte en effet cette double narration car elle nous transporte facilement et que les malaises se trouvent aplanis. Deux histoires de sable qui sont finalement soufflées par le vent, entre mirage et dessin fugace tracé sur la plage.

Pépita : En fait, pour préciser ma pensée, j’ai plutôt vu ce roman comme une invitation à accepter le merveilleux qui peut parfois surgir dans nos vies. Jeanne, cela la transforme. Elle repart avec ce jardin en elle. Ce secret. Par-delà ses parents. Elle en avait besoin pour exister par elle-même non ?

Hashtagcéline : J’ai trouvé que c’était vraiment bien amené. Et j’ai adoré ça! J’aime ces roman qui justement l’air de rien vous emmènent là où vous ne vous y attendiez pas. Benjamin Desmares y parvient merveilleusement bien tout en abordant un thème très fort avec ce village complètement défiguré par des constructions immenses et inutiles. Ce côté fantastique ne m’a pas du tout gênée, bien au contraire. C’est pour moi toute la force de ce texte ! Cela le rend très émouvant et apporte une dimension supplémentaire très intéressante.

Solectrice : Une histoire pas si sombre au final ?

Pépita : Non un roman pas si sombre en effet, mais plein d’espoir sur notre capacité à grandir.

Bouma : En fait, pour moi, elle ne l’a jamais été. Donc je ne dirais pas « au final ». Il y a parfois des moments dans la vie où l’on peut dire qu’ils font « date », qu’il y a un avant et un après. Pour moi, c’est à ça que fait référence Benjamin Desmares. Son héroïne est revenue changée et elle seule sait pourquoi, ce qui rend cette expérience d’autant plus précieuse.

Yoko Lulu : En le lisant je le trouvais au contraire bien sombre, mais finalement en y repensant je décèle un grand côté poétique et plus léger.

Hashtagcéline : Pour moi, cette histoire est loin d’être sombre. Elle est même plutôt optimiste. Jeanne, durant ces quelques jours, a grandi et pris conscience de beaucoup de choses. Elle a connu une aventure hors du commun qui, je pense, va avoir changé son regard sur ses parents et le monde qui l’entoure. Donc non, même s’il y a un côté assez triste et dramatique, c’est aussi une très belle histoire qui se termine comme on veut bien la prendre. Et aussi avec une note d’humour, celui de Jeanne.

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