Lecture commune : J’aime pas les clowns de Vincent Cuvelier et Rémi Courgeon

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J’aime pas les clowns de Vincent Cuvelier et Rémi Courgeon. Gallimard, 2015

Bien avant de savoir que ce livre s’inscrivait dans une trilogie, j’ai été attirée par le titre et le duo d’auteurs. Une promesse alléchante avant de découvrir une histoire qui n’est pas forcément celle attendue. 

Avec  Pépita (Meli-Melo de livres) et Colette  (La collectionneuse de papillons), nous avons eu plaisir d’en parler autour d’une lecture commune, de se questionner et de vous en faire profiter !

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Alice :  « J’aime pas les clowns »  – A la découverte du titre, j’ai pensé à une histoire de cirque, mais à regarder de plus près la couverture, j’ai commencé à être interpellée. Sans avoir ouvert le livre, quelles sont vos premières impressions, vos premières suppositions, vos premiers questionnements ?

Pépita : J’avoue que des trois de la trilogie, c’est celui dans lequel j’ai eu curieusement le plus de mal à entrer. Les deux autres sont plus explicites. Ayant lu les deux autres, je m’attendais à un sens caché. Mais l’implicite est tel dans celui-ci que je l’ai relu plusieurs fois. Oui comme toi, une histoire de cirque à première vue. Mais dès les premières pages, on perçoit autre chose et on se demande bien ce qui va vous éclater à la figure à plusieurs reprises. Et cette fin qui n’en pas vraiment une…Je me suis d’ailleurs demandée comment les enfants percevaient cette histoire qui m’a serré le cœur, comme les deux autres d’ailleurs.

Colette : Quant à moi, qui n’aime pas les clowns non plus, j’ai trouvé cette couverture tout à fait angoissante ! Un clown dépité, le pantalon dégoulinant de je ne sais quel obscur liquide, un énorme seau sur la tête qui lui cache la moitié du corps avec cette ville en ruine en arrière-plan : comment dire à quel point j’ai trouvé l’image troublante, dérangeante. Heureusement il y avait ce couple mère-fille en arrière-plan pour me rassurer et instiller une goutte de poésie dans ce paysage macabre. En tout cas d’entrée de jeu, je me suis dit que cette histoire- là serait grave…

Alice : Une couverture que je n’ai pas vu au premier coup d’œil, j’étais plutôt emballée par le duo Cuvellier/Courgeon que j’adore. Mais pour moi, une couverture qui a pris tout son sens une fois le livre refermé. Je trouve qu’elle recompose la totalité de l’histoire.

D’ailleurs qui se lance pour un petit résumé (maintenant qu’on sait qu’on ne parlera pas de cirque !) ?

Pépita20160926_113038 : Une grand-mère emmène sa petite fille au cirque voir les clowns, dit-elle. Sur le chemin, la ville est en ruine. Sauf que la petite fille n’aime pas les clowns. Moi non plus, lui répond la grand-mère, mais j’ai changé d’avis. Puis on les retrouve sous le chapiteau pour le spectacle et les clowns arrivent. Malaise de la petite fille. A la fin du spectacle, la grand-mère l’emmène devant la roulotte face au grand clown.

Alice : Tiens cela fait deux fois que je me trouve face à des personnes qui disent qu’il s’agit d’une petite fille. Pour moi, c’est un petit garçon, la grand mère dit « mon grand ».

Colette  : Ah oui, je confirme, c’est un petit garçon, à l’air renfrogné et aux cheveux en bataille, mais qui écoute d’une oreille attentive l’histoire de sa grand-mère. Pourquoi a-t-elle changé d’avis sur les clowns, sa grand-mère, elle qui comme lui ne les aimait pas petite ? Cette question nous plonge dans le passé, dans les souvenirs d’enfant de cette vieille dame à la robe fleurie et au parlé familier, à une époque où la seconde guerre mondiale venait de se terminer et où tout était à reconstruire, y compris l’histoire familiale…

Pépita : Ah ben ça c’est marrant parce que je n’ai plus le livre en main et au premier jet j’ai écrit petit garçon et j’ai eu un doute ! …Je l’ai lu trois fois ce livre, je n’arrive pas à le saisir…

Alice : Ah oui ? Qu’est qui reste insaisissable dans cet album  Pépita ? 
Une ville en ruine, un enfant que sa grand-mère traîne au cirque, l’occasion de voir resurgir  des souvenirs douloureux sur la seconde guerre mondiale…. on se trouve face à un récit enchâssé dans l’histoire en fait , on navigue entre le moment présent et le passé que raconte la grand-mère. Je suis d’accord avec Colette, le ton a toute son importance, il est aussi gai que l’histoire est triste.

C’est justement quelque chose que j’ai terriblement apprécié dans cet album, ce décalage entre le fond et la forme, pas vous ?

Pépita : Ben moi il me met mal à l’aise ce décalage, il y a trop à lire entre les lignes, à la première lecture, j’ai pressenti un drame plus grand que l’histoire elle-même. Cet album me fait peur, même adulte. Il me brûle. La première fois, je ne suis pas allée jusqu’à la fin. J’ai fermé à la page du chapiteau. C’est la force des images qui me font ça, plus que le texte que je ne trouve pas si gai non plus ! Cette insistance de la grand-mère, avec sa bonhomie apparente, elle rajoute du malaise non ? Et puis je l’ai rouvert, finalement, je voulais connaitre la fin…si fin il y a. Et puis cette question immédiate : comment les enfants vont-ils comprendre le « vrai » message ? Faut-il nécessairement qu’ils le saisissent d’ailleurs ? Je ne sais pas, je n’ai pas la réponse…mais ça me titille.

Alice : Très intéressant de voir comment nos avis divergent ! C’est ça la richesse de nos lectures communes !
Je suis d’accord, le texte n’est pas gai sur le fond, tout est dans l’intonation, le langage, l’interpellation … mais à ton inverse, je crois que cela apporte aussi la note d’espoir et je trouve que cela plombe moins le récit.
Je voulais aussi parler des illustrations, les couleurs utilisées : ces couleurs chaudes et particulièrement ce jaune qui nous suit de bout en bout et qui est un écho au texte ( robe jaune, fleur jaune…, cheveux blond, ..).
Mais aussi du décalage qui continue à être utilisé par les auteurs, de ces oppositions entre texte et image. Personnellement j’ai été interpellé par la page où le texte décrit la guerre alors qu’un dromadaire mâchouille un programme et que dans le ciel est écrit le « cirque Zoli ». C’est sûr ce décalage est là pour déranger et ça marche ! Mais il est vraiment pour moi tout l’optimisme et l’espérance qu’il faut garder par les temps difficiles.
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 Pépita : Ces éléments que tu décris, je ne les ai pas vus de suite. Leur charge symbolique est forte. Le jaune : le soleil, la lumière ? Le chameau et le cirque sur fond de ruines, le retour de l’insouciance dans un pays en reconstruction, en plus les vaincus, sans doute. J’ai été happée par le malheur d’abord et par le recul dont fait part l’enfant. Il ne veut pas y aller. Il est forcé. ça m’a gênée cet aspect-là. Beaucoup. Car on n’explique pas, sauf des pistes symboles dans les images. Puis les autres lectures m’ ont permis de décrypter.
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Alice : Rajouterais-tu quelque chose Colette ? 
Colette : Alors en ce qui me concerne j’avoue que je n’ai pas du tout adhéré au ton du personnage de la grand-mère, le registre familier qui caractérise son discours me semble non pas en décalage avec le contexte historique mais avec l’essence même du personnage : je ne peux croire qu’une femme née à Berlin dans les années 40 dans un milieu où l’on emmène ses enfants au cirque parle ainsi. La bonhomie apparente de cette grand-mère je n’y crois pas, soit elle est surjouée soit l’auteur est passé à côté. Par contre j’ai beaucoup aimé l’originalité du choix narratif, que l’on n’entende qu’elle et pas les réponses de son petit fils. C’est comme si tout ce qui se jouait ici se jouait surtout entre elle enfant et elle adulte.
20161006_210244Quant aux illustrations elles sont d’une infinie poésie et mêlent subtilement beauté et désastre. J’aime tout particulièrement cette page où la petite fille et sa maman font la queue pour entrer sous le chapiteau, on ne voit que leurs ombres, mais l’illustrateur a percé de points de lumière la robe à pois rouges de la narratrice enfant.
Alice : Et si nous revenions à cette fin, très ouverte finalement. A moi, elle m’a fait l’effet d’attendre une suite. Et comme cet album s’inscrit dans une trilogie, je me suis dit que ce n’était pas impossible … et vous, qu’en pensez vous ?
Pépita : Ah oui, la fin…elle m’interpelle beaucoup car on pourrait l’interpréter de différentes façons non ?
Colette :  Je n’ai pas encore lu L’Histoire de Clara, mais je ne perçois pas du tout les deux autres albums comme une suite, certes ils abordent la même période historique mais il n’y a aucun rappel ni de personnages ni d’intrigues, ni même d’illustrations de l’un à l’autre… Et sinon concernant la fin de J’aime pas les clowns elle me rappelle celle des nouvelles à chute que j’ai tant de plaisir à faire lire à mes élèves et j’apprécie vraiment qu’un auteur d’albums ait pris le pari d’utiliser ce procédé littéraire. C’est une fin ouverte mais qui finalement ne laisse pas tant d’interprétations possibles, mon Grand-Pilote de 7 ans a tout de suite formulé la même hypothèse que moi une fois l’album refermé.

Pépita : Je n’ai rien à ajouter par rapport à la trilogie si ce n’est qu’elle a une force certaine et qu’elle s’attache à montrer les humains, de quelque bord qu’ils soient, dans les souffrances de la guerre. Il y a la guerre en France à travers le destin de ce bébé juif, l’après-guerre en Allemagne et un focus sur une famille juive. Et à chaque fois une approche différente. On peut lire indépendamment ou alors voir le lien entre ces trois histoires.Et ça fait réfléchir. C’est autre chose que les livres d’histoire. On devrait les lire dans les écoles je trouve, n’est-ce pas Colette ?

Colette : En ce qui me concerne je lis beaucoup d’albums à mes élèves et avec un immense plaisir ! Pour aborder le thème de l’enfance dans la seconde guerre mondiale je leur lis depuis deux  ans Le bébé tombé du train de Jo Hoestlandt et André Prigent mais pourquoi ne pas leur lire les trois albums de notre échange !

Alice : Je veux bien que l’on reparle aussi de l’appropriation faite de cette histoire par les enfants. Un retour de ton grand pilote Colette ?

Colette : L’autre jour à l’heure des histoires, mon grand pilote apercevant cet album m’a demandé de lire ce livre là en particulier, « c’est quoi ce livre avec le violon ? » Quand j’ai compris de quoi il parlait, j’ai hésité, cogitant sur l’adéquation entre le récit et l’âge de mon Grand-Pilote mais rien n’y a fait c’est CE livre là qu’il voulait (et mon hésitation a augmenté sa curiosité pour cet album).

Quand j’ai demandé à mon Grand-Pilote pourquoi il a eu envie de lire cet album, il m’a répondu : « J’ai vu un violon et comme je joue du violon j’ai eu envie de lire cette histoire. Le clown avec un seau d’eau renversé sur la tête je me suis dit que finalement c’était quelque chose de triste et j’aime bien les histoires tristes, je sais, je suis spécial » !!!

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Contre toute attente, mon grand pilote le plébiscite régulièrement depuis 15 jours, il apprécie tout particulièrement les « bizarreries », les « monstres » de l’album : le cheval boiteux, le funambule sans bras, l’éléphant efflanqué, cela l’interpelle visiblement et l’image joue ici un rôle vraiment clé, comme si elle racontait une autre histoire dans l’histoire. J’avoue que je ne peux m’empêcher de relier l’album au film Freaks de Tod Browning qui explore également cet univers du cirque et du monstrueux.
Quant à mon petit pilote il est très attentif lui aussi aux animaux qui paradent douloureusement dans cet album et il suit avec plaisir les personnages de la maman et de la petite fille à travers leur déambulation dans le cirque et ses coulisses. Je crois que contrairement à la narratrice, mes fils aiment bien les clowns…

Pépita : Les enfants sont étonnants et les tiens en particulier Colette !

Alice : J’aime bien cette anecdote et je la trouve très chouet’ pour conclure cette lecture commune ;  comme une petite cerise sur le gâteau.

Et voilà, à vous de vous faire votre propre avis …

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L’avis d’Alice sur son blog :

Par une métaphore remarquable, par des illustrations et un jeu de couleur parfaitement maîtrisé, Vincent Cuvelier et Rémi Courgeon réussissent un tour de maître épatant et nous offre un magnifique album exigeant et intelligent. 
Un album qui, sans trop en dire en offre beaucoup, à la fois touchant comme le clown blanc et souriant comme l’Auguste…

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