Lecture commune : Torben Kuhlmann met la science à hauteur de souris

Vous l’aurez peut-être remarqué, ce mois d’avril est placé sous le signe des étoiles sous notre grand arbre ! Dès lors, impossible de ne pas parler de l’album Armstrong, une incroyable aventure à la conquête de l’espace qui nous a fait forte impression.

Notre enthousiasme débridé a finalement fait que c’est finalement de toute la série imaginée par l’auteur allemand Torben Kuhlmann que nous vous parlons dans ce billet ! Quatre tomes qui nous font découvrir, à hauteur de souris, des avancées scientifiques parmi les plus prodigieuses. Cela vous intrigue ? Cette lecture commune est faite pour vous !

Torben Kuhlmann, photo disponible sur son site

Isabelle : Les albums de Torben Kuhlmann sont devenus absolument incontournables en Allemagne, ils ne sont pas (encore) aussi connus en France. Comment les avez-vous découverts et qu’est-ce qui vous a donné envie de vous y plonger ?

Linda : En 2019, mon libraire mettait en avant Armstrong parmi une sélection de livres plus documentaires pour fêter le cinquantième anniversaire des premiers pas de l’homme sur la Lune. Ce fut un énorme coup cœur, et depuis j’ai continué à découvrir ses albums.

Colette : J’ai connu les albums magnifiques de cet artiste grâce au comité de sélection du prix des Incos niveau CM2-6e auquel je participe. Edison était dans la sélection (il a d’ailleurs été retenu). Ce qui m’a donné envie de plonger dans ce livre, c’est cette étonnante association entre l’univers des souris et l’univers scientifique. Je me suis tout de suite demandé comment ces deux univers allaient se rencontrer. Cela me paraissait improbable.

Isabelle : Pour notre part, nous avons découvert ces albums d’abord en allemand avec le premier tome, Lindbergh, suite à la visite de mes parents au musée du Zeppelin près du lac de Constance. Nous avons tout de suite été sous le charme des illustrations, puis de l’histoire, nous précipitant ensuite sur chaque nouveau tome de cette série. J’ai donc été ravie de voir que la maison d’éditions Nord-Sud permettait aux lecteurs francophones d’en découvrir la traduction !

Lindbergh, Armstrong, Edison, Einstein : plusieurs fils rouges traversent ces albums, avez-vous envie de résumer leur sujet et la façon originale dont il est traité ?

Linda : Chaque volume présente une avancée technologique et scientifique dans un domaine différent: l’aviation dans Lindbergh, la conquête spatiale dans Armstrong, l’ampoule électrique pour Edison, la théorie de la relativité pour Einstein. L’auteur place la recherche dans un univers fantastique dans lequel des souris passionnées feraient des recherches en parallèle, voir un peu avant, les scientifiques dont les albums portent le nom. Ces souris évoluent dans les murs de notre propre monde et doivent se montrer prudentes pour préserver le secret de leur vie.

Isabelle : Voilà ! À lire ces pages, on se dit qu’on était à mille lieues de soupçonner l’effervescence fébrile qui semble régner parmi ces adorables petits rongeurs. Dans l’imagination de Kuhlmann, leur manie de se lancer des défis complètement fous n’a d’égale que leur obstination à se jouer des obstacles liés à la gravité, à l’absence d’air ou à la pression hydrostatique ! Pour moi, les fils rouges de cette série sont une rencontre improbable entre science et fantaisie, une forme vraiment à la charnière entre le roman (avec un texte relativement long déroulant une histoire aux rebondissements multiples) et l’album illustré, et justement, à ce propos, un univers graphique vraiment singulier.

Que pensez-vous, donc, de cette rencontre entre science, histoire et fantaisie ?

Linda : Les personnages attirent le regard et permettent à l’auteur d’aborder des sujets riches tout en créant une histoire pleine d’aventures, de dangers sous-jacents en plaçant la recherche scientifique au cœur du récit. C’est un procédé vraiment pertinent. Le texte se veut assez long pour intéresser le lecteur un peu plus grand qui pourrait se détourner du format l’album, trop souvent destiné aux jeunes enfants. Ici le support permet d’éveiller la curiosité, de la nourrir tant au travers du texte que de l’image.

Colette : J’ai parfois trouvé le « prétexte » à l’évocation de la découverte scientifique tiré par les cheveux : la foire aux fromages dans Einstein n’a pas constitué pour moi une raison suffisante pour pousser notre petite souris à déployer tant d’énergie, tant d’effort, tant d’ingéniosité pour comprendre la théorie de la relativité et créer une machine à remonter le temps – et pourtant je me délecte de toutes sortes de fromages ! J’ai préféré l’élément déclencheur de la quête de Peter dans Edison : une vieille carte, un trésor à retrouver, un passé familial glorieux, voilà qui a le don de m’entraîner dans l’aventure ! De manière générale, je trouve que la structure des albums de Torben Kuhlmann nous invite à pousser la porte du passé et des progrès techniques qui jalonnent l’histoire de l’humanité à la manière d’une enquête, qui progresse étape par étape. L’auteur allie science, histoire et fantaisie avec aisance et maîtrise. Il me semble que les illustrations jouent beaucoup dans la construction de cette cohérence, ce sont les illustrations qui d’après moi rendent cette alliance plausible, crédible (alors qu’en fait si on y réfléchit bien, c’était un pari risqué : des souris qui aident les plus grands scientifiques du monde à aller au bout de leurs idées géniales, hum, hum, c’est complètement dingue !

Isabelle : Oui, cela reste une fiction un peu décalée, mais très sérieusement, en tant que chercheuse, je trouve qu’elle montre comme rarement les côtés les plus chouettes de la science : la soif de comprendre, les cogitations et expériences ratées face à des problèmes qui peuvent paraître insolubles, la recherche d’hypothèses plausibles, l’exaltation de l’expérimentation et de l’exploration de territoires inconnus… Le fait que cela soit raconté à hauteur de souris lui permet, en plus, de mettre en scène ce cheminement scientifique comme une aventure impliquant des bonds vertigineux et la fuite de redoutables prédateurs. Et mine de rien, pris dans ce flot de péripéties, on remarque à peine qu’on apprend une foule de choses.

L’univers graphique de cet auteur m’a semblé très singulier. Comment l’avez-vous trouvé ?

Linda : Je trouve la mise en page très dynamique. L’alternance d’illustrations pleine page, d’accumulation de vignettes ou de double pages crée la surprise à chaque page tournée. Très réaliste, le dessin de Kuhlmann regorge de détails qu’on prend plaisir à chercher et à trouver avec plus ou moins de facilité. C’est un vrai plaisir pour les yeux ! Chaque album prend des airs de journal de recherches avec ses croquis, photographies et textes.

Colette : Je me suis aussi délectée des doubles pages qui nous offrent de vastes paysages, peints avec une précision d’horloger. Certaines pages en appellent à l’infiniment grand, d’autres nous ramènent au minuscule. Il y a un véritable mélange de styles entre cases de bande-dessinée, photographie polaroïd, double page sans texte, pages de croquis, imitation de documents anciens… Il y a un petit côté grimoire avec ces albums, renforcé par la matérialité du livre, son épaisseur, sa belle couverture rigide. L’artiste joue aussi souvent des cadrages, avec des alternances de gros plans et de plans généraux qui invitent le regard à explorer l’espace avec curiosité, avidité comme les personnages le font avec leurs inventions. Pour moi les images de Torben Kuhlmann sont un univers à part entière à explorer.

Isabelle : Je vous rejoins sur la qualité des illustrations dont certaines sont vraiment à couper le souffle. Elles ont un côté vintage que j’ai trouvé réjouissant et original et comme vous le disiez, elles débordent de détails qu’on découvre au fil des lectures et de clins d’oeil aux mondes de la littérature et de la science. Quelle virtuosité ! Tu avais raison toute à l’heure, Colette, de souligner que ces illustrations sont essentielles pour nous faire entrer dans cette abracadabrante histoire de souris astucieuses.

Colette : Et qu’avez-vous pensé du dossier documentaire à la fin des albums ? Est-ce que vous le trouvez nécessaire ? On peut bien entendu ne pas le lire mais je me suis demandée en relisant celui sur Einstein à qui il s’adressait vraiment (je n’ai pas tout compris et j’ai éprouvé un immense regret de ne pas m’être plus intéressée à la physique…)

Linda : Pour ma part je trouve ce dossier intéressant car il permet d’aller plus loin pour découvrir un scientifique, un chercheur et ce qui le rend célèbre.

Isabelle : Moi aussi, j’ai bien aimé. Bon, c’est quand même un peu le choc : l’auteur parvient d’abord presque à nous faire avaler son histoire de souris pionnières de la connaissance pour ensuite nous révéler la véritable histoire de l’invention du Zeppelin, de l’avion, de l’éclairage électrique et de la théorie de la relativité, telle que la racontent les encyclopédies. Je n’aime pas trop que les fictions aient des intentions didactiques trop explicites, mais là, j’ai trouvé que c’était attrayant et vraiment intéressant – même moi non plus, je ne suis pas sûre d’avoir tout compris ! Ces pages finales ont en tout cas fait forte impression à mes enfants. Cela dit, comme je le disais plus haut, je retiendrais plus de ces albums quelque chose sur l’esprit et la méthode scientifique que sur la technique ou la théorie en question.

Isabelle : Finalement, qu’est-ce qui vous a emportées, ou moins plu dans ces albums ?

Colette : Ce qui m’a complètement convaincue dans ces albums, c’est vraiment l’univers graphique de l’auteur, ce talent pour représenter un monde à explorer. Ce qui m’a moins plu, même si je trouve cela joyeux et original, c’est le récit animalier, c’est d’avoir choisi la souris comme personnage principal, mais ce petit bémol est sans nul doute lié au fait que vraiment, vraiment, j’ai une peur panique des souris. Cela n’empêche pas que ce choix semble aller avec le classicisme des œuvres de Kuhlmann : la souris est un animal que l’on retrouve dans maintes comptines enfantines, dans de nombreux albums jeunesse, c’est un animal très familier dont on peut facilement imaginer que son petit monde s’étend sous le nôtre, dans les murs et sous les toits de nos maisons, derrière les étagères de nos librairies. La souris est souvent associée d’ailleurs aux expériences scientifiques mais ici pour une fois elle n’en est pas la victime mais l’initiatrice. Joli renversement, me semble-t-il !

Linda : Absolument. La souris me semble être un très bon choix car, comme tu le dis, c’est un animal très familier. Sa vie et la nôtre sont étroitement liées. Les rongeurs vivent dans nos murs et se nourrissent de notre nourriture. C’est aussi un petit rongeur réputée très intelligent. Ici, Torben Kuhlmann a su leur donner un air plutôt mignon qui doit jouer un rôle dans l’attrait de ses livres chez les enfants pour qui le titre n’est pas forcément parlant. Je crois qu’au final c’est ce mélange fantaisie, science, histoire qui me plait le plus. Mais bien sûr, le style graphique y est pour beaucoup aussi. Ces petites souris sont tellement mignonnes !

Isabelle : Je suis d’accord sur l’univers graphique et l’originalité de la proposition qui restent les énormes points forts de cette série et de cet auteur. Mon principal regret concernait l’absence de femmes scientifiques en quatre tomes. Il y aurait là une belle manière de les mettre en avant et j’espère fortement que Torben Kuhlmann y viendra !

Alors, ces albums, à qui avez-vous envie de les faire lire ?

Linda : À tous les enfants, curieux par nature, afin d’enrichir leur culture générale sans en avoir l’air.

Colette : À mes fils sans aucun doute ! Ils ont adoré découvrir les différentes aventures des petites souris de Kuhlmann. Mais sans doute pas du tout pour les mêmes raisons : mon fils aîné a aimé la part documentaire de ces albums, alors que mon cadet s’est régalé des aventures improbables des petites souris, il les a vraiment lus comme des récits d’aventures. Et je suis ravie que l’un de ces albums soit dans la sélection des CM2-6e des Incos de l’année prochaine. Proposer des albums riches, des lectures longues illustrées à ce lectorat là, c’est un super défi ! Garder le lien avec l’album à un âge où souvent on commence à s’en éloigner, c’est une belle promesse de lectures variées, diverses, multiples. Lire un texte, lire une image – et quelles images ! – ce sont deux processus différents qu’il m’importe de cultiver avec des adolescent.e.s.

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Et pour le plaisir de goûter aux superbes illustrations de l’artiste, nous avons chacune choisi une image en particulier à vous présenter.

Pour Colette, ce sera cette magnifique double page qui ouvre Edison, la fascinante plongée d’une souris au fond de l’océan.

Edison, La fascinante plongée d’une souris au fond de l’océan, Torben Kuhlmann,
NordSud, 2019.

Parce que j’adore cette atmosphère, ce mur couvert de livres jusqu’au plafond, ces tables chargées d’œuvres, et pas n’importe lesquelles, il n’y a qu’à voir les œuvres au premier plan qui comme des indices de l’aventure qui nous attend, que ce soit les œuvres de Jules Verne, d’ H-G Wells, Moby Dick, ou L’île au trésor. La vitrine, les voitures que l’on devine garées dans la rue, la petite clochette au dessus de la porte, le tourniquet qui présente les journaux , les cadres sur le mur, cette caisse enregistreuse en bois et puis ce libraire aux lunettes rondes, ce garçon en culottes courtes, tout nous invite au voyage dans le temps. Et puis il y a dans le mur du fond ce petit trou de lumière vive, ce petit trou qui nous happe, passage vers un autre monde, un monde minuscule…

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Le choix (cornélien) d’Isabelle s’est porté sur cette illustration tirée de l’album Einstein. Le fantastique voyage d’une souris dans l’espace-temps.

Einstein, Le fantastique voyage d’une souris dans l’espace-temps, Torben Kuhlmann,
NordSud, 2020.

On y retrouve l’identité graphique singulière de Torben Kuhlmann, son trait tendre et énergique pour dessiner les petites souris et son univers vintage – mécanismes d’horloge à l’ancienne, livres à l’épaisse reliure en cuir, tableau noir… Mais surtout, parole de chercheuse, cette illustration représente parfaitement les différentes facettes du travail scientifique : la formulation d’une énigme et la cogitation sur les hypothèses envisageables qui seront souvent schématisées comme ici à la craie à gauche, la lecture des nombreux travaux déjà disponibles qui viennent s’empiler sur un coin du bureau, la définition d’un protocole expérimental permettant de tester ses intuitions, phase à laquelle notre apprenti chercheur semble intensément consacré. De quoi susciter des vocations, non ?

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Après de longues hésitations pour Linda, le choix s’est finalement arrêté sur la double page qui ouvre Armstrong, l’extraordinaire voyage d’une souris sur la Lune.

Armstrong, l’extraordinaire voyage d’une souris sur la Lune, Toben Kuhlmann, NordSud, 2016.

Parce qu’elle résume parfaitement l’univers de Torben Kuhlmann avec son graphisme si réaliste et sa façon si singulière de placer le monde des souris à hauteur d’humain. Ses illustrations présentent très souvent des plans dessinés en plongée ou contre-plongée, une façon de montrer l’immensité du monde à l’échelle de ce petit mammifère. Sans parler de la richesse des décors qui en disent beaucoup, un tableau par-ici, un livre par-là, la maquette d’un avion dans ce coin, un globe dans un autre. Et en son centre, l’objet de toutes les questions. C’est un monde plein de curiosités qui s’ouvre pour son personnage mais aussi pour le lecteur qui doit prendre le temps de regarder partout pour ne rien manquer ni oublier.

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Pour en savoir plus, n’hésitez pas à lire nos critiques :

  • Les avis de Pépita et de Linda sur Lindbergh, la fabuleuse aventure d’une souris volante
  • L’avis de Linda sur Armstrong, l’extraordinaire voyage d’une souris sur la Lune
  • Les avis d’Isabelle et de Linda sur Edison, La fascinante plongée d’une souris au fond de l’océan
  • L’avis d’Isabelle sur Einstein, Le fantastique voyage d’une souris dans l’espace-temps

N’hésitez pas non plus à nous dire si vous en avez lu certains et ce que vous en avez pensé !

Lecture commune : Nuit étoilée de Jimmy Liao.

Au seuil de l’hiver, trois d’entre nous ont eu la chance de se retrouver. En vrai. Masquées mais enchantées ! Autour d’une tasse de thé, on a beaucoup discuté. Et puis Isabelle, aussi enthousiaste que Pépita sur ce sujet, a glissé dans les mains de Colette un album rare. Précieux, comme ce moment volé que nous venions de partager. De toute cette poésie, nous avons eu envie de parler. On vous livre donc aujourd’hui au seuil du Printemps, nos impressions de lecture.

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Colette. – Au seuil de ce livre, qu’avez-vous trouvé ? Sur quelle(s) piste(s) vous a lancées la couverture d’Une Nuit étoilée ?

Liraloin. La couverture au premier regard me fait penser à une belle amitié où rien n’est impossible et où tout est possible (le sourire des enfants), les étoiles qui laissent présager le temps qui passe et les jours qui défilent.

Pépita. Cette couverture, je la trouve incroyablement apaisante et si belle ! Ces deux enfants qui regardent le ciel avec confiance, côte à côte, en toute amitié, est d’un élan qui réchauffe le cœur ! J’ajouterais que cette bulle de bleu, aux contours mouvants, dans laquelle ils se trouvent dans la barque (symbole !) m’a fait l’effet d’une île protectrice, au milieu de ce ciel étoilé et de sa grandeur mystérieuse.

Leslivresdavril. Cette couverture est effectivement pleine de douceur et de poésie. Alors que le titre m’évoque évidemment le magnifique tableau de Van Gogh, l’illustration m’a fait penser au court-métrage de Pixar La Luna.

Isabelle. J’avoue que je n’ai pas fait tout de suite le rapprochement avec le tableau de Van Gogh, alors que le titre et les étoiles sur la couverture auraient pu me mettre la puce à l’oreille. Par contre, je suis tombée sous le charme de la poésie, de la douceur et de la rondeur des graphismes qui restituent ce qu’il y a de plus merveilleux dans l’enfance. En ce moment où nous sommes isolés de nos amis et enfermés entre nos murs, ce moment de contemplation partagée sous l’immensité du ciel étoilé m’a donné irrémédiablement envie d’ouvrir cet album.

Colette. – Vous soulignez la beauté, la paix, la douceur de la couverture que moi-même j’ai ressenties. Cependant, une fois l’album ouvert, nous sommes plongé.e.s dans une ambiance toute autre. Je ne m’attendais pas du tout à ce graphisme que je qualifierai de surréaliste ni à cette narration si particulière. Comment avez-vous vécu la découverte de « l’histoire » ? Avez-vous eu un double « choc » vous aussi ?

Isabelle. – Oui, je partage ton ressenti. En voyant la couverture, comme je le disais, je me suis dit que cette lecture allait être douce et réconfortante ; je ne me suis pas attendue un seule seconde à la solitude immense de cette enfant délaissée par des parents très occupés, dans un appartement où règnent l’ordre et une étrange géométrie, mais pas l’amour. Des scènes poignantes qui nous ont beaucoup remués – mon fils cadet n’a d’ailleurs pas pu se défaire de cette tristesse jusqu’à la fin du livre.

Pépita. – Tout comme vous, cette histoire m’a happée : j’ai d’abord été emportée par les illustrations, à tel point que j’ai vite lâché le texte pour y revenir ensuite. Les couleurs, l’implicite des images, le mystère qui en émane, la beauté, la douceur, la souffrance, la solitude, tout ça mélangé, c’est du coup un sentiment étrange qui vous envahit : comme si on contemplait tout en restant extérieur, sans possibilité d’entrer. Comme quand on regarde un tableau qui émeut. J’ai trouvé ça très fort pour un album dont la référence est justement faite au tableau de Van Gogh (représenté plusieurs fois d’ailleurs). Il y a quelque chose de surréaliste dans cet album et un va-et-vient entre réalité et rêve à la fois troublant et apaisant selon les pages.

Leslivresdavril. – Effectivement, on peut parler de choc, et dès la page de garde. Ce portrait de très près avec les yeux rouges m’a mise vraiment mal à l’aise ! Pour moi, la rencontre avec le garçon est un moment charnière tant dans le récit que dans les illustrations. À partir du moment où ils commencent à se parler les illustrations s’adoucissent. Les couleurs sont moins criardes, les dessins moins agressifs… J’ai trouvé que ce lien entre illustrations et état d’esprit de l’héroïne était vraiment intéressant. Ces illustrations sont tellement fortes qu’il est effectivement compliqué de les apprécier en parallèle du texte. Je rejoins Pépita dans la lecture en deux étapes, mais moi j’ai fait le contraire : j’ai lâché les illustrations pour y revenir après chercher des clés.

Liraloin.- Lors de ma lecture j’y ai vu toutes les références, enfin celles que je connais, à des tableaux : Magritte essentiellement, Van Gogh est venu après mais je n’ai pas du tout fait le rapprochement avec la couverture étoilée. Ce qui m’a le plus happée, c’est le ballon rouge et le buisson à l’arrêt de bus en forme de lapin. Oui, comme Colette, je trouve que l’intérieur est surréaliste et on ne s’attend pas du tout à rencontrer ces illustrations en lisant. Pour vous, que signifie le ballon rouge ?

Leslivresdavril. – Ce ballon rouge m’a directement attiré l’œil. Ma théorie serait qu’il symbolise quelque chose entre l’espoir et le besoin d’évasion de cette petite fille oppressée par ce quotidien étouffant (qui est d’ailleurs illustré avec force de racines et branches enchevêtrées, cages et autres fenêtres avec croisillons).

Colette. – A première lecture, je ne l’avais même pas remarqué, ce ballon rouge. Tout ce que je peux dire en relisant cet album, c’est que le ballon rouge disparaît dans la deuxième partie du livre, avec le bonheur retrouvé car oui je dirai que cet album fonctionne en 3 temps : l’insondable solitude, l’échappée belle, le retour au réel ; un peu comme en prosodie avec la protase, l’acmé et l’apodose, un mouvement ascendant couronné par un moment hors du temps suivi d’un mouvement descendant qui signe le retour au calme, à la sérénité.

Isabelle. – Ce ballon est l’un des éléments récurrents qui semblent dérouler un autre fil de l’histoire, en arrière-plan (il y en a d’autres, comme le buisson dont parlait Frédérique, les baleines et ces autres animaux intrigants qui habitent le quotidien de la petite fille). Quand j’ai lu l’album à mes enfants, ils les ont tout de suite remarqués, contrairement à moi. Il me semble que le ballon pourrait être une métaphore représentant la mélancolie de la fillette – ou au contraire ce monde merveilleux qu’elle déploie dans son imaginaire pour se réconforter. Comme le dit Colette, « l’échappée-belle » lui permet de surmonter son sentiment de solitude et d’enfermement, elle n’a plus vraiment besoin de tout ça à la fin de l’histoire.

Pépita. – Ce ballon, je l’ai vu comme une possibilité d’envol avortée, comme un fil à la patte en quelque sorte, comme une envie de s’élever et d’être entravé. Je rejoins Colette sur les trois phases de cet album et toutes les images qui se greffent implicitement sont comme des surimpressions d’imaginaire : cette petite fille a besoin de ça pour surmonter sa solitude.
Il y a un point qui me taraude dans cet album : j’ai lu des chroniques qui parlent de passage de l’enfance à l’adolescence. Je n’ai pas du tout vu ça. Au contraire, on reste dans l’enfance non ?

Colette. – Comme toi, ma chère Pépita, je n’y ai pas du tout vu le passage de l’enfance à l’adolescence mais vraiment une puissante histoire d’amitié. De ces histoires d’amitié bouleversante, intense comme dans les livres de Gary D. Schmidt par exemple. Le vocabulaire de la narratrice, ses préoccupations ne laissent pas du tout présager de l’entrée dans l’adolescence, me semble-t-il.

Leslivresdavril. – Je suis d’accord avec vous : pour moi aussi on reste clairement dans l’enfance. Mais on sent tout de même une évolution. Grâce à sa rencontre avec le garçon, elle sait maintenant trouver des ressources pour faire face aux difficultés et aux peines de la vie sans se réfugier systématiquement dans l’imaginaire. Ce qui est beau c’est qu’elle a su grandir tout en conservant sa capacité d’émerveillement.

Isabelle. – Je vous rejoins, c’est au cœur du pays de l’enfance que cet album nous transporte. J’ai ressenti la solitude, le sentiment d’être décalé.e par rapport à l’étrangeté du monde que les enfants peuvent vivre intensément parce qu’ils sont plus vulnérables, mais aussi parce qu’ils posent un regard neuf sur les choses qui n’a pas eu le temps de s’accommoder de leur absurdité. La capacité d’investir son imaginaire pour élargir et enchanter le quotidien est aussi quelque chose qui me semble propre aux enfants. Et surtout, comme le dit Colette, cette façon puissante de vivre l’amitié (tu parlais de Gary D. Schmidt, j’ai pensé pour ma part à L’amie prodigieuse, d’Elena Ferrante). Le texte m’a parfois fait penser aux poésies de Prévert que j’associe aussi à l’enfance.

Leslivresdavril. – Quel sens donnez-vous à ces citations de tableaux (et d’œuvres en général) plus ou moins connus et plus ou moins soulignés ?

Pépita. – Ces tableaux sont comme une promenade onirique à décrypter au fil des pages : mais je l’ai vu aussi comme une invitation à entrer dans l’art. ça ne vous est jamais arrivé de vouloir entrer dans un tableau ? Physiquement je veux dire. Ces illustrations qui m’ont happée dès le départ m’ont procuré cette envie-là et hop ! prise par la main, j’ai chaussé mes lunettes pour y lire les autres intentions artistiques. C’est vraiment fort !

Isabelle. – Tout à fait d’accord ! Cette scène où les enfants plongent littéralement dans La nuit étoilée de Van Gogh est jubilatoire. Elle donne envie de revisiter certaines œuvres d’art « en immersion » ! L’album montre aussi comment l’art et l’imaginaire peuvent se nourrir mutuellement – avec d’une part ces tableaux qui font rêver et inspirent la petite fille, d’autre part ce mur des baleines à la fin nourri des balades et rêves partagés par les deux enfants.

Leslivresdavril. – C’est très beau ce plongeon en effet. Ce passage de voyage rêvé est somptueux. On a l’impression de se déplacer à la fois dans des tableaux de Van Gogh, dans les souvenirs de l’héroïne et dans ses rêves, c’est très étonnant et remarquablement bien fait. Au passage, je trouve assez révélateur que l’appartement de la famille soit placé sous le patronat de Magritte avec Les amants et Le fils de l’homme alors que le grand-père a visiblement transmis son amour pour Van Gogh à sa petite fille.
Pour moi l’auteur oppose clairement les deux, qu’en pensez-vous ?

Colette. – J’imagine que l’auteur a voulu suggérer un parallèle entre l’histoire de sa jeune héroïne et les œuvres d’art qui jalonnent le récit. Je remarque que les tableaux de Magritte caractérisent la première partie du récit, ils ornent les murs de la maison. Pour moi, ils sont étroitement associés aux parents. Le premier tableau de Van Gogh apparaît dans la chambre de notre jeune héroïne juste après l’annonce de la mort de son grand-père. On voit une reproduction de La nuit étoilée sur le mur de sa chambre, au dessus de son bureau accompagné d’autres miniatures qui doivent être les oeuvres de la narratrice elle-même. Elle regarde par la fenêtre. Et c’est là qu’elle voit le garçon pour la première fois. Il me semble que La nuit étoilée est une peinture que Van Gogh a réalisée quand il était à l’asile à Saint-Rémy de Provence : c’est le paysage qu’il imaginait depuis la fenêtre de sa chambre. S’il y a un lien entre ce tableau et l’histoire de notre narratrice, c’est peut-être ce lien de la maladie mentale, car à la fin de l’échappée belle, c’est dans une chambre d’hôpital que nous la retrouvons, entourée de sa mère et de son père, La nuit étoilée surplombant le lit où nous la retrouvons transfusée. Finalement, cette histoire ne serait-elle pas celle d’une solitude que le deuil a transformé, sonnant le glas de la rationalité de cette enfant livrée à l’insondable profondeur de la tristesse ?

Leslivresdavril. – On n’a pas encore discuté de l’histoire, mais les détails disséminés dans les illustrations sont tellement intrigants ! J’ai l’impression que selon le type d’éléments auxquels on choisit de faire attention on obtient des indices différents.
On a parlé de la peinture mais il y a aussi les insectes et les animaux, et cet espèce de dragon qui se balade sur différentes pages. Vous avez des théories à son sujet ?

Pépita. – Tu as raison de le souligner Lucie, il y a tant à voir dans la lecture d’images dans cet album ! A chaque lecture, on en découvre des nouvelles. Les animaux et insectes renvoient à l’imaginaire foisonnant des enfants dans lequel ils se réfugient (et j’y place le dragon) et ces tableaux ne sont pas placés au hasard, tu as raison.

Liraloin. – Concernant le dragon, j’ai une p’tite idée. Il apparaît pour la première fois lorsque la petite fille se met en colère, elle se transforme pour aider le garçon. D’ailleurs c’est comme ça qu’ils « s’approchent ». Puis le dragon réapparaît juste avant qu’ils ne décident de quitter la ville : il n’y a pas de place pour eux, pour des rêveurs comme eux. Enfin il apparaît une dernière fois matérialisé dans l’ancienne chambre de la petite fille chez le grand-père. Le dragon est dompté, place à cette sérénité entre eux et chez la petite fille surtout.

Leslivresdavril. – Je suis tout à fait d’accord avec ton analyse du dragon Frédérique. J’ai pensé exactement la même chose. Mais en fait, pour moi il apparaît un peu plus tôt : on voit aussi un bout de queue par la fenêtre de la montée d’escalier alors qu’elle rentre chez elle après l’altercation dans les toilettes. C’est un peu comme si la colère montait mais que cette petite fille n’avait pas l’autorisation d’exprimer ses sentiments chez elle (la communication est absente, d’où Magritte) et qu’elle la chassait. Sauf qu’un jour, en effet, cette colère ne peut plus être contenue.
Ce voyage enchanteur et fondateur, est-il réel ou imaginaire à votre avis ?

Colette. – Voilà une question déchirante ! Mon cœur aime à voir dans ce fabuleux voyage et dans cette fabuleuse amitié une escapade réelle, un moment hors du temps, une parenthèse enchantée comme on peut parfois en connaître dans une vie. Mais ma raison me murmure qu’il faut se rendre à l’évidence : notre jeune héroïne s’est réfugiée dans l’imaginaire pour échapper au deuil, à la solitude et à l’incompréhension de sa famille. Ce que j’ai particulièrement aimé dans cette échappée belle, c’est que l’image envahisse la page au point d’en exclure les mots, j’aime bien cette idée, moi qui crois pourtant tellement au pouvoir de mots. Ce passage me rappelle les rêves que je fais parfois et qu’aucun mot ne peut traduire, si bien que je n’en garde que quelques impressions que je ne peux partager avec personne.

Pépita. – Je pense que ce voyage est réel. Avant lui, cette petite fille se réfugiait dans l’imaginaire, comme le dit Colette, pour supporter le deuil et sa solitude. Comme je me reconnais là-dedans ! Et puis cette rencontre avec une autre solitude qui vont se réunir pour partager du beau et du sensible. C’est réel car cela lui permet d’accepter. La construction de cet album peut paraître déroutante mais en fait, il faut juste lâcher prise.

Liraloin. – Dès que cet énorme soleil apparaît, il y a encore un changement. La barque est vide, la complicité s’est envolée, les enfants n’y sont plus. Soudain une belle double page avec cette baleine au milieu du bleu de l’océan qui me fait penser au garçon, lui qui aime tant les poissons. Quelle transition impeccable vers cette belle quadruple page s’ouvrant devant nous : que des portraits de cétacés et celui de la fille au milieu – lumineuse et souriante. Pas étonnant qu’elle soit là assise sur le parapet fixant la mer. Cette rencontre a changé sa vie à tout jamais. Oui « cette fois, le petit chien ne s’est pas transformé en un chien géant. » Il faut s’assumer maintenant même si tu es différente des autres.
En conclusion je dirais que cet album est bouleversant, dès les premières pages j’étais en larmes car durant mon enfance je me suis souvent « cachée » et les illustrations sont fortes, remuantes. Ici, le fait qu’elle rencontre le garçon juste au moment où elle fait le deuil de son grand-père est extraordinaire. Ensemble, ils se ressemblent et se complètent. Une lecture commune pleine d’émotion.

Leslivresdavril. – Je vois plusieurs étapes dans cette fin. La petite fille est évidemment triste d’avoir perdu son ami, son magicien. Mais pour moi il lui a tout de même permis de faire pousser la graine qu’avait plantée son grand-père, à savoir la capacité d’émerveillement. La page où elle est seule face à la mer, c’est vraiment ça pour moi. Elle a appris à prêter attention et se nourrir de la beauté du monde qui l’entoure. Et d’une manière ou d’une autre, soit parce qu’elle a été tellement triste que ses parents ont été forcés d’y prêter attention, soit parce que son ouverture au réel a permis de créer un lien avec eux, elle a aussi réussi à réparer quelque chose dans sa relation avec ses parents. Alors qu’ils semblent ne jamais lui avoir réellement prêté attention, on la retrouve en train de regarder tomber la neige en compagnie de sa maman.
Arrive le petit chien, et il lui suffit tel qu’il est. Elle sait maintenant profiter de ce qu’elle a, sans avoir à se réfugier systématiquement dans son imagination. Elle a grandi, a appris à gérer ses émotions, mais a gardé la magie de la beauté à laquelle sont si sensibles les enfants. Elle admire aussi bien un arbre en fleurs (qui fait d’ailleurs singulièrement penser à L’amandier en fleur de Van Gogh) qu’une toile (la fameuse Nuit étoilée) dans un musée.
La phrase « Quand le jour se lève, ta peine apaisée, garde en mémoire les ténèbres qui n’étaient pas sans beauté » qui est en quatrième de couverture dit ce cheminement douloureux mais nécessaire, qui à mon avis correspond plus à l’ancrage dans le réel qu’au passage à l’âge adulte.

Colette. – Une fois cet album intense terminé, qu’est-ce qui reste imprimé en vous ?

Liraloin. – Ce qui reste imprimé en moi c’est l’étrange vide que peut ressentir la petite fille et l’incompréhension que peut susciter le petit garçon, mais aussi cette belle complicité et une amitié fugace qui les marquera à jamais.

Leslivresdavril. – C’est étrange, je n’ai pas vraiment eu l’impression que cette lecture était « terminée » en refermant cet album. Cela ne m’arrive pas souvent mais j’y suis retournée, souvent, et je l’ai beaucoup fait lire autour de moi. Le cheminement est tellement foisonnant, la fin si ouverte… En fait cette lecture m’a poursuivie longtemps, mais je ne saurais pas expliquer ce qui est resté imprimé. C’est plus de l’ordre des sensations, difficile à exprimer. C’est à la fois rare et très étonnant.

Pépita.- Ma dernière impression ? Comme une envie d’y retourner encore et encore… Mais en laissant un peu de temps pour laisser les émotions continuer à m’envahir.

Isabelle. – De mon côté, je l’ai lu avec mes garçons et nos ressentis n’ont peut-être jamais été aussi différents. Pour ma part, j’ai été émue par la disparition du garçon, mais j’ai perçu la fin comme apaisante : la petite fille a grandi, elle n’a plus autant besoin de se réfugier dans des mondes imaginaires… Mon fils cadet, dix ans, a trouvé la fin insupportablement triste, j’étais stupéfaite. Son frère de onze ans et demi, lui, restait marqué par la beauté des pages parcourues.

Leslivresdavril. Je vois ce que tu veux dire Isabelle. Je pense que cette fin ouverte laisse la place au lecteur d’y projeter ses ressentis et son vécu.
On l’a lu tous les trois et aucun ne l’a pas interprété de la même manière.
C’est aussi ce qui fait l’intérêt de cette œuvre : elle est source d’interprétations et de discussions !

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Et c’est ce dont notre lecture témoigne ! Et on espère que dès que vous aurez plongé dans La Nuit étoilée, comme nous, comme la jeune héroïne aux longs cheveux noirs, vous en ressortirez changé.e.s !

La chronique du blog L’île aux trésors

La chronique du blog MéLi-MéLo de livres

La chronique des Livresdavril.

Des plaisirs minuscules, pour voir nos quotidiens autrement.

On ne le répétera jamais trop, dans ce contexte incertain et anxiogène, il est essentiel de prendre soin de ses proches et… de soi !
C’est pourquoi, sur le Grand arbre, nous avons donc décidé de vous offrir une sélection de livres recensant les précieux petits plaisirs de la vie.

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Lucie vous propose un album reçu lors du dernier SWAP : Le souffle de l’été. Alors que le froid s’installe, Anne Cortey et Anaïs Massini nous rappellent ces petits riens, instants fragiles et magiques qui font des vacances d’été réussies et des souvenirs impérissables.

Le souffle de l’été de Anne Cortey, Grasset Jeunesse

Son avis ICI et celui de Pépita.

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Dans la collection de papillons de Colette, il y a un auteur incontournable des petits riens, des plaisirs minuscules : c’est bien entendu Philippe Delerm. Célèbre pour son œuvre de littérature générale La Première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, il s’est livré au même exercice d’observation au microscope des petits plaisirs de la vie en explorant ceux si particuliers de l’enfance dans les trois tomes C’est bien, C’est toujours bien et C’est trop bien publiés chez Milan.

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N’hésitez pas, en écho aux textes de Delerm, à partager en lecture à haute voix le récit Cinq, six bonheurs de Mathis publié dans la collection « Petite poche » de chez Thierry Magnier. Le jeune narrateur s’y interroge sur ce qu’est le bonheur suite à un travail de rédaction donné par son enseignant avant les vacances de Noël. C’est drôle, c’est touchant, et infiniment poétique.

Cinq, six bonheurs, Mathis, Thierry Magnier, 2015.

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Une autre artiste a un talent incroyable pour cerner les microscopiques bonheurs de la vie et les sublimer à travers ses livres aux formats incroyables et aux illustrations si délicates. Il s’agit de Béatrice Alemagna. Un album en particulier nous permet d’égrainer ces si précieux instants de joie, furtifs mais résistants en nous : c’est le bien nommé La Gigantesque petite chose.

La Gigantesque petite chose, Beatrice Alemagna, Autrement Jeunesse, 2011.

Vous pouvez retrouver l’avis de La Collectionneuse de papillons par ici.

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Cette auteure ne cesse, à travers ses livres, de nous interroger sur notre rapport à l’essentiel. On vous invite à découvrir d’urgence avec vos plus jeunes lecteurs et lectrices Les Choses qui s’en vont qui a eu le Prix Sorcières Carrément beau – Univers Mini en 2020.

Les Choses qui s’en vont, Beatrice Alemagna, Hélium , 2019.

L’avis de Pépita

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Et pour vos plus grand.e.s, on vous conseille le très bel album Un Grand jour de rien qui raconte cette journée pluvieuse d’ennui que nous avons toutes et tous connu qui se transforme en incroyable aventure si on prend le temps de mettre le nez dehors et d’explorer la nature si généreuse au seuil de notre porte.

Un Grand jour de rien, Beatrice Alemagna, Albin Michel Jeunesse, 2016.

L’avis de Bouma par ici

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Cette initiation aux plaisirs minuscules commence dès la petite enfance. C’est ce que permet Emmanuelle Bastien dans son adorable album cartonné au format carré : J’aime.

J’aime, Emmanuelle Bastien, L’Agrume, 2015.

Et si vous voulez en savoir plus, faîtes un petit tour par et là.

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Pour les enfants un peu plus grands, l’album Les Choses précieuses est une invitation très poétique à regarder autrement le monde qui fait notre quotidien. Comme tous les albums d’Astrid Desbordes et Pauline Martin, on peut y lire toute la poésie de l’ordinaire.

Les Choses précieuses, Astrid Desbordes, Pauline Martin, Albin Michel Jeunesse, 2020.

L’avis de Marion Lua, invitée sur le blog de la collectionneuse de papillons par ici.

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Et parce que les petits plaisirs peuvent être autant de choses cachées au fonds des poches de nos enfants ou de nos sacs à main, pourquoi ne pas lire La Grande collection de Séverine Vidal et Delphine Vaute qui fait la part belle à tous les collectionneurs au sens propre comme au figuré.
Un album tendre et touchant aux illustrations faites en collage de petits bouts d’images, comme un écho au texte plein de poésie.

La Grande collection, Séverine Vidal, illustrations de Delphine Vaute, Philomène, 2012

L’avis de Bouma par ici

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Petit Garçon, de Francesco Pittau, est de ces livres qui parviennent à réveiller l’esprit de l’enfance chez leurs lecteurs de tous âges, ce monde où les idées fusent, la magie se déploie et les choses s’animent. Là bas, chaque jour apporte son lot d’émotions, de surprises et d’expériences fantaisistes qui se dégustent avec bonheur et de nombreux éclats de rire ! Comme ce jour où le garçon a dû traquer son vrai reflet, parti en vadrouille, où lorsqu’il s’était transformé en mouche. Ou encore la fois où il s’est fait réprimander par les motifs de son dessin qu’il avait certes un peu bâclé…

Petit Garçon, de Francesco Pittau (illustrations de Catherine Chardonnay), éditions MeMo, 2019.

L’avis d’Isabelle par ici et de Pépita

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Comment ne pas penser aux livres de Claude Ponti dans le cadre de cette sélection ? Dans Ma vallée, les Touims nous transmettent leur enthousiasme à inventer mille jeux, à savourer la vie qui fourmille dans la nature, à nous laisser bercer par le rythme rassurant des saisons qui passent, à rêver sans limite. Claude Ponti a l’art de restituer les chimères les plus savoureuses des enfants, qu’il s’agisse d’aménager un tronc d’arbre, de voler en se laissant emporter par une bourrasque ou de débarquer sur l’Île molle, entièrement comestible…

Ma vallée, de Claude Ponti. L’école des loisirs, 1998.

L’avis d’Isabelle par ici

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Fermons les yeux et laissons-nous également charmer par des poèmes. C’est la promesse d’Agnès Domergue et Cécile Hudrisier dans leur collection de haïkus illustrés d’aquarelles, qui égrainent en 3 vers (et tellement d’évocations) des contes, des fables et des mythes. A se rappeler ces histoires qui peuplent nos souvenirs, on frémit de bonheur !

Il était une fois… Contes en haïku
de Cécile Hudrisier et Agnès Domergue, éditions Thierry Magnier, 2013

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Ou bien laissons-nous bercer par de simples bruits familiers, cocons précieux si doux aux oreilles… Les bruits chez qui j’habite de Claire Cantais et Séverine Vidal. Un bel album découvert à l’occasion d’un swap offert par la Collectionneuse de papillons.

Les Bruits chez qui j’habite,
Claire Cantais et Séverine Vidal,
éditions l’édune, 2014.

L’avis de Lucie à retrouver par ici.

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Les plaisirs minuscules, ce sont aussi des sensations tactiles et visuelles. De véritables trésors, issus de territoires imaginaires. C’est le tiroir où s’accumulent des objets hétéroclites, que l’on aime retrouver, tourner entre ses doigts et observer minutieusement en pensant à des moments magiques, lectures d’enfance et personnages rêvés.

Serez-vous tenté.e.s de fouiller Dans les poches d’Alice, Pinocchio, Cendrillon et les autres… ?

Dans les poches d’Alice, Pinocchio, Cendrillon et les autres…,
Isabelle Simler,
éditions Courtes et Longues, 2015.

L’avis d’Adèle à retrouver par ici.

On prend ainsi beaucoup de plaisir à découvrir les inventions magnifiques de Frédéric Clément (un vrai cabinet de curiosité), qui nous emporte au pays des contes pour dénicher des merveilles. Entrez, entrez dans… le Magasin Zinzin !

Magasin Zinzin, pour fêtes et anniversaires : Aux Merveilles d’Alys,
Frédéric Clément,
éditions 1995

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Les plaisirs minuscules, c’est aussi partager un moment unique entre un grand et un petit… car souvent les grandes choses sont dans les plus petites. Un album que j’aime d’amour !

Quelque chose de grand, Sylvie Neeman & Ingrid Godon
La joie de lire

L’avis de Pépita

Et la joie de lire ? N’est-ce pas un de ces plaisirs intimes, mais essentiel ? S’il y a bien un album qui en parle trop bien, c’est celui-ci et c’est une référence parfaite pour clore ces plaisirs minuscules de la vie !

L’avis de Pépita

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Et vous, vos plaisirs minuscules qui emplissent votre vie, quels sont-ils ?

Journaux : des narrateurs de tout poil se livrent au fil des pages !

Qu’ils soient autobiographiques ou inventés, tenus sur une courte ou une longue période, les journaux proposent des récits du quotidien, un « je » assumé, un caractère qui s’exprime dans des moments graves ou anodins. Ils font un vrai carton en librairie et sont considérés comme une forme de « littérature-miroir » favorisant l’identification des lecteurs et une excellente porte d’entrée dans la lecture. Voici une sélection de nos chouchous du genre.

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Lucie vous propose des journaux d’animaux. Ou quand un auteur se met dans la peau de son animal de compagnie et imagine ses réflexions quotidiennes…

Dans Je mange, je dors, je me gratte, je suis un wombat, Jackie French relate avec humour le programme de ce petit marsupial dé-bor-dé. Le texte, très accessible est complété par les illustrations toutes douces de Bruce Whatley.

Je mange, je dors, je me gratte, je suis un wombat, Jackie French, Albin Michel Jeunesse

Son avis ICI.

C’est un tout autre ton qu’ont choisi Miriam et Ezra Elia pour donner la parole à leur hamster. Pour Edward chaque événement est source de réflexion, souvent amère, sur sa condition de captif. On s’y croirait.

Le journal d’Edward, hamster nihiliste, Miriam et Ezra Elia, Flammarion

Son avis ICI.

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Les jeunes enfants aussi peuvent tenir des journaux, surtout quelques jours avant un anniversaire important comme celui des 7 ans, quand sonne l’âge de raison. Dans le très bel album Le Jour de l’âge de raison de Didier Lévy et Thomas Baas publié par Sarbacane en 2017, nous suivons durant 7 jours le compte-à-rebours que le jeune narrateur lance avant sa fête d’anniversaire.

Vous retrouverez l’avis de la collectionneuse de papillons par ici.

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Les journaux intimes ne sont pas l’apanage des romans ou des albums.
La bande-dessinée s’est elle-aussi emparée du sujet pour proposer une forme hybride où l’on entre dans la peau du personnage sans pour autant voir (au sens propre) par ses yeux.

Un trait délicat accompagne la rentrée de la jeune Brune dans un nouveau collège. L’occasion d’un nouveau départ mais également beaucoup d’angoisse.

Les Secrets de Brune T.1 de Bruna Vieira et Lu Cafaggi, Sarbacane, 2017

L’avis de Bouma par ici

A travers un journal intime découvert derrière un radiateur, la jeune Morgane entre sans la savoir dans la vie et les secrets de son propriétaire. Une lecture fluide autour de personnages attachants et sensibles.

Journal d’un enfant de lune de Joris Chamblain et Anne-Lise Nalain, Kennes éditions, 2017

L’avis de Bouma par ici

Sans oublier l’adaptation de romans où le journal intime est au centre de l’histoire tel Calpurnia ou Le journal d’Aurore.

Calpurnia T.1 de Daphné Collignon d’après Jacqueline Kelly, Rue de Sèvres, 2018
Le Journal ‘Aurore T.1 par Agnès Maupré d’après Marie Desplechin, Rue de Sèvres, 2016

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Hisse & Ho, larguons les amarres ! Journal intime à quatre mains, la série Hisse & Ho en 5 volumes (écrite par Anne Loyer, éditions Bulles de savon) emporte le lecteur dans le quotidien d’une famille qui a décidé de faire le tour du monde en voilier. A son bord, papa cuisinier, maman prof de latin-grec et les faux jumeaux fille -garçon : Hisse et Ho. Chacun à leur tour, ils relatent leurs journées mais surtout leurs aventures puisque chaque escale est prétexte à résoudre une enquête. On voyage, on s’inquiète du dénouement, on se régale !

Retrouvez les chroniques de Pépita

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Si on parle de « narrateurs de tous poils » dans le titre de ce billet, comment ne pas célébrer Gurty, le premier chien écrivain de l’histoire de la littérature ? Son journal est désopilant, plein de sagesse, d’humour et d’odeurs délicieusement nauséabondes !

Le journal de Gurty, de Bertrand Santini, 8 tomes parus aux éditions Sarbacane.

Les avis d’Isabelle et de Linda

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Et pour terminer en beauté, voici un roman hors-classe qui se donne à lire comme un rapport de police – enfin, du commissariat du peuple aux affaires intérieures, puisque nous sommes propulsés dans l’Union soviétique de l’année 1941, au moment où le pays est attaqué par l’Allemagne national-socialiste. Rapport de police lui-même essentiellement composé par les fameux « cahiers », sorte de journal tenu par les jumeaux Viktor et Nadia, annotés avec beaucoup de zèle par le colonel Smirnov, en charge de l’enquête concernant leur « affaire ». Une lecture captivante, intelligente, bouleversante.

L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges. L’affaire des cahiers de Viktor et Nadia, de Davide Morosinotto, L’école des loisirs, 2019.

Les avis d’Isabelle et de Linda

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Et vous ? Aimez-vous la forme littérature du journal et quel serait votre chouchou ?

Lecture commune : Nos chemins.

Et si aujourd’hui, en rentrant du boulot, vous fonciez dans la médiathèque la plus proche de chez vous, vous empruntiez l’album Nos chemins d’Irène Bonacina publié chez Albin Michel, vous rentriez chez vous avant l’heure du couvre-feu, vous vous installiez sous un plaid, une couverture, une couette bien douillette et partagiez cette lecture avec les enfants autour de vous. Et si après, vous profitiez de la chaleur des seules personnes avec qui il vous est permis d’avoir un contact physique pour discuter. Discuter de la direction à prendre. Comme nous l’avons fait avec Linda.

Nos chemins, Irène Bonacina,
Albin Michel, 2019.

Colette.Si le chemin est un lieu archétypal de la littérature, lieu de transition par excellence, lieu de tous les possibles, en général on l’envisage au singulier. Et là, dès le titre de l’album, le voici au pluriel. Que s’est-il passé dans ta tête quand tu as découvert ce titre associé à cet étrange duo d’ours blancs marchant dans cette magnifique nuit constellée d’étoiles arc-en-ciel ?

Ladythat.- J’ai été plus interpellée par l’illustration que par le titre. Ces deux ours m’ont semblé emprunter des chemins différents (rapports aux nombreuses couleurs qui se déploient à leurs pieds), éclairés par une lampe à huile et les étoiles de la nuit. Le titre pose cependant la question de ces chemins pluriels : sont-ils identiques à l’ourse adulte et son petit? Ou doit-on imaginer qu’ils vont chacun emprunter un chemin différent ?

Colette.– Tu soulignes d’entrée de jeu les nombreuses couleurs sous les pieds des deux ours, auxquelles s’ajoutent les nombreuses couleurs des étoiles au dessus de leurs têtes : je ne sais pas si tu es comme moi et que tu feuillettes d’abord les albums avant de t’y plonger, mais un des aspects qui m’a tout de suite ravie dans cet album, c’est la technique de l’illustratrice, Irène Bonacina, une technique qui permet à la lumière de jaillir littéralement du livre. Est-ce que tu veux bien décrire cette technique et partager l’impression que cela a créé en toi ?

Ladythat.– Je ne feuillette pas forcément un album avant de le lire, j’aime m’y plonger directement et laisser mes émotions venir comme elles se présentent. Et ici c’est clairement la luminosité des illustrations qui m’a attrapé et ébloui tout au long de ma lecture. Quand je parle d’illustrations ce n’est d’ailleurs pas le terme approprié car Irène Bonacina a choisi une technique de collages rétroéclairés par une boîte à lumière. L’association des dessins des ours et de cette superposition de papiers déchirés, collés et peints, est dynamisée par la lumière qui crée un jeu d’ombres et lumières particulièrement saisissant. J’ai d’ailleurs trouvé que la progression du gris vers les couleurs donne vraiment le rythme du cheminement de Petite Ourse. Qu’en penses-tu?

Colette.- Je viens de relire l’album à partir de ta remarque et tu as vraiment raison, on peut lire l’histoire de Petite Ourse à travers le cheminement et la progression des couleurs ! Du gris du début de la marche vers le jaune incroyablement chaleureux de la rencontre avec Oumi pour aller jusqu’au rouge brûlant de la solitude et terminer avec l’arc-en-ciel des retrouvailles finales ! Quelle prouesse esthétique ! Merci de me l’avoir fait remarquer et appécier ! J’ai commencé à dévoiler l’intrigue de cet album à travers le déploiement des couleurs, mais toi, comment le résumerais-tu ?

Ladythat. – Je dirais qu’il s’agit d’un récit initiatique au cours duquel Petite Ourse traverse des épreuves et fait l’expérience du deuil et de la solitude avant de se relever grâce à une rencontre, une amitié qui laisse place à l’espoir d’un avenir radieux. Un avenir qui sera riche des expériences passées et de la mise en commun de deux héritages différents. Je me trompe peut-être mais c’est « l’éveil de la lanterne » avec son double reflet qui me donne cette impression de passé/futur imbriqué au cœur de la lanterne – une symbolique du foyer ? – renforcé par l’invitation de Petite Ourse à Oumi de partager ses souvenirs.En parcourant à nouveau l’album j’en viens à me demander si les oiseaux qui viennent se mélanger aux couleurs arc-en-ciel ne sont pas la matérialisation des souvenirs de Oumi.

Colette.- C’est une très belle interprétation en tout cas, ces oiseaux-souvenirs qui se mêlent aux couleurs arc-en-ciel de la lanterne transmise par Mamie Babka à Petite-Ourse. Ce qui est aussi très original, me semble-t-il dans cet album c’est la perception de l’espace : c’est comme si on était plongé dans un espace immense, naturel, minéral où s’explorent le vide, l’eau, la lumière, dans une sorte de retour à un monde primordial, élémentaire. Un monde qui pourrait aussi être un monde intérieur. On oscille pendant toute la lecture entre dépaysement et retour aux origines, non ?

Ladythat. – Oui! Absolument. On ressent un sentiment d’immensité tout en cherchant quelque chose de plus exiguë, à l’image de l’amour entre Petite Ourse et Mamie Babka qui est énorme dans le ressenti, et plus intime puisqu’il n’appartient qu’à elles deux. Aussi, lorsque Petite Ourse se retrouve seule, elle se retrouve face à l’immensité du monde et des possibles tout en recherchant la chaleur d’un sentiment d’amitié ou d’amour à partager avec quelqu’un de spécial.

Colette.- Que penses-tu de la citation de Lhasa en exergue de l’album :
« Je poserai mon pied
Sur la route vivante
Et je serai portée d’ici
Jusqu’au cœur du monde »
En quoi cette citation résonne-t-elle pour toi avec cet album si particulier ?

Ladythat.- Il me semble qu’au même titre que l’histoire de Petite Ourse ou du titre de l’album, cette citation de Lhasa parle du voyage qu’est la vie.

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Et si, sous votre plaid, votre couverture, votre couette bien douillette, vous souhaitez prolonger ce moment hors du temps, à réfléchir à la bonne direction, la vôtre, on vous propose de vous plongez dans les méandres de la voix envoûtante de Lhasa.