En juin, lis des bouquins !

En attendant que le soleil cesse enfin ses enfantillages (il parait qu’il y a pour le moment une recrudescence des éruptions solaires) et décide une fois pour toutes de darder ses rayons vers nos contrées, bon an mal an, nos comparses d’A l’ombre du grand arbre continuent à lire…  A défaut de coups de soleil, voici leurs coups de cœur pour ce mois de juin !

Pour Alice – A lire aux pays des merveilles

« Pour moi, sans aucun doute, ce mois-ci, je vous présente un bel Objet Livre Non Identifiable, un chef-d’œuvre truffé de mille et un sens, sans dessus-dessous  : La déjeunite de Madame Mouche et autre tracas pour lesquels elle consulta le docteur Lapin-Wicott d’Elsa Valentin et Fabienne Cinquin. L’Atelier du poisson soluble, 2013. »

La suite sur son blog…

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Pour Céline – Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse
Né maudit d’Arthur Ténor, une réédition chez Nathan (mai 2013)

François est « mal né ».  Fruit d’une liaison « contre-nature » entre une Française et un « sale Boche », il n’en finit pas de payer pour un crime qu’il n’a pas commis…  La haine engendre-t-elle forcément la haine ?  Un chronique poignante d’une page peu glorieuse de l’après-guerre…
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Pour Sophie – La littérature jeunesse de Judith et Sophie
L’homme qui plantait des arbres de Jean Giono, Gallimard jeunesse 2010

À mon tour, j’ai découvert cette nouvelle de Jean Giono. Le narrateur de cette histoire raconte l’étrange objectif que s’est donné Elzéard Bouffier : réintroduire des arbres dans une nature désertique en montagne.
Sur fond écologique, c’est surtout l’énergie et la motivation immense de cet homme que je retiendrais et qui montre que l’homme est aussi capable du meilleur. Cette édition est agrémentée de deux beaux pop-up avant et après la transformation…
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Pour Pépita – Méli-Mélo de livres
Premier chagrin d’Eva Kavian chez Mijade, collection zone J
Un roman poignant sur la mort mais surtout sur la vie : une belle rencontre entre une jeune fille de 14 ans à l’aube de sa vie et une grand-mère qui veut préparer au mieux sa mort pour ses proches. Il y a dans ces pages un élan positif de générosité, de solidarité et de respect qui force l’admiration et qui fait réfléchir tout un chacun au sens de sa propre vie. Bouleversant.
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Pour Kik – Les lectures de Kik
Un mur sur une poule de Gilles Baum et Thierry Dedieu, GulfStream éditeur, 2013.
Comme un avant-goût, de ce que j’ai envie de lire cet été à l’ombre du grand arbre.
Lorsque la poule qui picore du pain dur, sur un mur, se fait enfermer entre quatre murs. Un bel album, aux illustrations sur fond noir, pour faire réagir à l’élevage intensif.
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Pour Carole – 3 étoiles, c’est un coup double !

Le Héron et l’escargot de Marie-France Chevron et Mathilde Magnan, et Ephémère de Frédéric Marais, deux fables modernes, sublimes, deux albums à la qualité éditoriale remarquable !

Son billet…

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Pour Bouma – Un Petit Bout de Bib
La Grande collection de Séverine Vidal et Delphine Vaute
Un album sur le temps de l’enfance, celui où l’on collectionne ces petites choses, ces petits instants, ces petits riens… qui mis côte à côte forment un grand tout indissociable de cette période.
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Pour Drawoua – Maman Baobab
Sweet Sixteen d’Annelise Heurtier
Un regard croisé avec La mare aux mots autour de ce roman qui traite de ségrégation raciale dans l’Amérique des années 50, point de vue d’une Blanche et d’une Noire, deux lycéennes de Little Rock, pendant l’intégration de 9 Noirs dans un lycée de Blancs. Une  interview de l’auteure également, un incontournable à lire cet été.
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Les Effacés, Opération 2 : Krach Ultime ! de Bertrand Puard
Puard Bertrand - Les effacés opération 2 Krach ultime
Le second tome palpitant d’une saga prometteuse … Bertrand Puard est doté d’un talent incontestable pour maintenir son lecteur en haleine au fil de tous les tomes de sa passionnante série. Dressant le portrait de notre société par ses plus sombres côtés, il alerte le lecteur tout en le faisant vivre une incroyable aventure généreuse en adrénaline et en sensations fortes. Incontournable !

Son billet…

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Si Mai, fais ce qu’il te plait
Juin, lis des bouquins
Quid de juillet ?
Ecris des billets, écoute les criquets, … ?
A vous de compléter !
Mais, surtout, bel été !

A l’ombre du grand arbre et ses quatre saisons, d’autres arbres…

Avec les premiers jours d’un nouveau printemps, notre grand arbre bourgeonne de mille idées… 

Pour preuve, pour son premier anniversaire, avant nos petits clins-d’œil à nos arbres préférés et notre grand concours pour gagner de splendides titres ainsi que votre propre petite graine de Grand Arbre, il vous offre aujourd’hui une sélection thématique autour de l’arbre…

Alors, qu’attendez-vous pour vous asseoir à son pied ?  L’herbe y est tendre et l’air y est doux… et nos blogueurs, rejoints par quelques anciens, Gabriel – notre jardinier-créateur en tête, vous présentent leurs coups de cœur sur le sujet…

Pour Gabriel – La mare aux mots : Mon arbre, Ilya GREEN, Didier jeunesse, 2013.

Puisqu’on me propose de chroniquer un livre sur le thème de l’arbre, il était évident pour moi de parler de Mon arbre d’Ilya Green, un album sur la naissance. Après tout je suis un peu le père d’A l’ombre du grand arbre, cet enfant qui grandit maintenant sans moi. Mon arbre c’est un album extrêmement délicat et tellement poétique, les mots et les illustrations d’Ilya Green nous touchent forcément. L’enfant a poussé sur cet arbre grâce à un peu de pluie et de vent… il est sorti d’un bourgeon. L’arbre est solide, puissant, il nous protège. On peut aussi jouer avec lui, s’y cacher, y découvrir des trésors. Quel bonheur d’être dans l’arbre. Un album délicat qui parle de tellement de choses… Chacun verra dans les images poétiques des choses différentes, un album qui nous fait rêver, imaginer. Un album avec plein de portes ouvertes, un petit bijou.

Aussi chez Pépita-Méli-Mélo de livres

Chez Anne – Enfantipages : Le géant petit cadeau, Rémi COURGEON, Pierre Castor

Pour moi mon coup de cœur arboricole est sans conteste le magnifique album de Rémi Courgeon, Le géant petit cadeau, aux éditions du Père Castor.
Un album formidable, sur la rencontre d’un petit garçon est d’une graine offerte par sa grand-mère. Une si petite graine, qu’elle n’est pas du tout à la hauteur de ses attentes… croit-il. Il la jette dans son jardin dans un mouvement de colère et elle se met à pousser, transformant la vie sur son passage. Le temps qui passe, l’amitié, la beauté, l’écologie… autant de thèmes qui se répondent avec beaucoup de grâce sous les doigts de l’auteur-illustrateur Rémi Courgeon. Un grand album qui souffle sans un mot une histoire universelle et belle : magique !

Aussi chez Alice – A lire aux pays des merveilles…

Pour Pépita – Méli-Mélo de livres… : Le saule pleureur de bonne humeur, David FOENKINOS et Soledad BRAVI, Albin Michel jeunesse. 

Une histoire d’amitié entre une petite fille de 8 ans au prénom unique au monde et un saule pleureur qui ne sait pas pleurer mais sourire…  Cette rencontre improbable à la faveur d’un déménagement à la campagne prend des allures de sauvetage d’un arbre voué à l’abattage pour le progrès. De la solidarité, de l’amour et de l’amitié, de la bonne humeur, tels sont les ingrédients de cette histoire d’arbre poétique. Vous risquez de verser une petite larme…  et de ne plus voir les saules pleureurs de la même manière. Une histoire originale et sensible.

Du côté de Céline – Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse : Le rêve de l’arbre, Maureen DOR et Olivier NOMBLOT, éditions Clochette, 2011.

L’histoire d’une amitié extraordinaire entre un petit garçon et un chêne qui deviennent tous deux grands…  Une manière tendre de parler du passage de l’enfance à l’âge adulte et du moment où chacun de nous largue ses amarres pour naviguer sur la grande mer de sa vie…

Voir aussi Drawoua – Maman Baobab…

 

Pour Alice – A lire aux Pays des Merveilles, il est des classiques qui méritent d’être mis à l’honneur comme L’arbre généreux, Shel SILVERSTEIN, L’école des loisirs, 1982.

arbreOKIl était une fois, une histoire d’amitié entre un petit garçon et un arbre. L’arbre lui offrait ses feuilles et ses fruits, et le petit garçon se balançait sur ses branches. Ils étaient heureux ensemble, en parfaite harmonie. Puis le petit garçon grandit, ses visites s’espacèrent mais les retrouvailles étaient toujours des moments de pur bonheur et leur amitié restait inconditionnelle. Construit chronologiquement, on suit au travers de cet album, le petit garçon qui passe par toutes les étapes de sa vie et qui exprime des besoins différents auxquels l’arbre essaie toujours de répondre, en toute générosité, comme un ‘mentor’ qui le guide vers son destin. Quelle belle relation les unit ! Quelle belle métaphore de l’existence !

Cet ouvrage s’apprécie autant pour son texte que pour ses illustrations épurées, en noir et blanc, qui offrent des cadrages changeants permettant au lecteur d’imaginer ce qu’il ne voit pas.
Plus qu’un simple album, « L’arbre généreux » est un livre de référence, un véritable conte philosophique.

Pour Dorota – Les livres de Dorot’ : Anatole et le chêne centenaire, Corinne BOUTRY (texte) et Marianne ALEXANDRE (illustrations), éditions Mazurka, novembre 2012.

Un déménagement pas facile pour un petit garçon, l’appréhension du changement, nouvelle école… Le chêne dans le jardin le rassurera, lui murmurera des secrets qui donnent la force d’y faire face.

Pour Sophie – La littérature jeunesse de Judith & Sophie : Une vie merveilleuse, Melissa PIGOIS, Éditions Belize
À partir de 3 ans

J’ai redécouvert il y a peu cet album que j’ai lu avec une classe de CP. Une feuille nous raconte sa vie de sa naissance en bourgeon au printemps à son envol à l’automne suivi d’un beau voyage. C’est une belle histoire, douce et mélancolique mais jamais triste. Les illustrations graphiques sont magnifiques et simples en même temps. C’est un livre frais, sobre et original.

Pour Corinne – De pages en pagesLe jardin des secrets, Marie-Hélène LAFOND, Lucie VANDEVELDE, éditions Les Minots
Le personnage plante ses petits secrets dans son jardin où poussent des fleurs de secrets. Seulement cette année, pas de fleurs de secrets! Mais le personnage y tient, à ses fleurs. Il décide donc de partir à leur recherche… Barnabé, dans son châtaignier, saura lui dire où elles sont passées.
Les illustrations de ce bel album sont magnifiquement colorées, dans un style original et terriblement efficace.

Aussi chez Drawoua – Maman Baobab et 3 étoiles

Pour KikLes lectures de KiK : Il est magnifique. Au milieu de la double-page, un arbre semble sortir de la terre. Il pousse et traverse les saisons. Les branches se garnissent de feuilles peu à peu.
Dans ce livre, l’arbre est un pop-up. Il change à chaque double-page. Tout est beau, les couleurs, les mots, le papier, la forme de l’arbre. Je succombe.  C’est Little Tree de Katsumi KOMAGATA, imprimé au Japon pour les Trois Ourses.

Pour Bouma – Un petit bout de bib : Les Deux vieux et l’arbre de vie
de Patrick FISHMANN et Martine BOURRE, Didier jeunesse, 2013

Deux petits vieux et un arbre qui pousse dans leur maison. De plus en plus grand, il les emmène jusqu’au ciel.
Un bel album aux multiples sens de lecture, accompagné des magnifiques collages de Martine Bourre. Un conte porteur de sagesse et de vie.

Aussi chez Drawoua – Maman Boabab…

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Pour Carole – 3 étoilesForêt-Wood, Olivier DOUZOU et José PARRONDO, Rouergue

FW

Quand l’arbre ne cache pas la forêt, il la révèle : attention album beau et doux ! Une imagination qui s’étire à l’infini, foisonnante, fantaisiste, colorée à l’image de cette maison qui fête ses 20 ans !

Egalement chez Drawoua – Maman Baobab, Kik – Les Lectures de Kik et Pépita-Méli-Mélo de livres

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Pour Nathan – Le cahier de lecture de Nathan : Tobie Lolness, TIMOTHEE de FOMBELLE, Gallimard jeunesse 

Illustration de la version intégrale

Dites moi arbre, associez ce mot au livre et je vous dirais: Tobie.
Un simple nom, que peu de gens aiment alors que moi, je l’adore. Pourquoi ? Car il signifie tant de choses …
Tobie Lolness, le superbe diptyque écrit par le connu et talentueux Timothée de Fombelle, a bercé mon enfance. J’ai été marqué par la sublime et mélodieuse plume de son auteur, touché par le panel de sentiments qui se dégagent avec force des mots, pris par l’histoire de Tobie et des siens, Tobie traqué, Tobie aimé. J’ai été passionné.
J’ai adoré les personnages sans pareil qui parsèment ces deux romans et émerveillé par cet univers lilliputien, par cet arbre, monde de tout un peuple, par cet imaginaire.
Les personnages font désormais parti de moi, car d’un bout à l’autre de l’intrigue, ils se sont fait une place dans mon esprit, mes pensées, mon coeur. Car la fin m’a entraîné, bouleversé.
Tobie Lolness, alors que je n’avais même pas 10 ans, est le début d’une passion, d’une passion extraordinaire, et d’un tas de rencontres et de belles choses …
Tobie Lolness est le roman qui a changé ma vie.

Egalement chez Sophie – La littérature jeunesse de Judith et Sophie

Pour Za – Le cabas de Za : Les minuscules, Roald DAHL

Le dernier texte de Roald Dahl, un récit d’initiation, une aventure magnifique, au plus près de la nature. C’est le pendant parfait de Tobie Lolness, l’entrée dans le monde du petit peuple des arbres.

Aussi chez Céline – Qu’importe le flacon…

Pour Drawoua – Maman BaobabLes baobabs amoureux de Maïwenn Vuittenez, éditions Océan Jeunesse

Dans la vie, il y a les histoires de petites graines. Des petites graines qui germent, dans la vie, dans la nature et dans la poésie. Il y en a qui deviennent baobabs et il y a ces auteurs qui savent narrer ces histoires de petites graines et les illustrer avec douceur, couleur et toujours avec poésie. C’est ce que fait Maïwenn Vuittenez dans ce magnifique album qui conte l’amour au format baobab.

 » Emportée par le vent,
une graine avait voyagé jusqu’au bout de la savane,
et un baobab avait poussé là où aucun de ses semblables
n’avait jamais pris racine »

Et vous ?  Quel est votre coup de cœur arboricole ?  N’hésitez pas à nous en parler en commentaire…  

Après cette sélection d’arbres de papier, rendez-vous demain pour une sélection de nos arbres préférés, en sève et en branches ceux-ci !  Quoique, les liens entre les deux sont parfois ténus…  

Lecture commune : Encore heureux qu’il ait fait beau

Envie de soleil ? d’évasion ? d’aventure ? La croisière « A l’ombre du grand arbre » vous tend les bras !  Embarquement immédiat à bord de notre lecture commune.  Le thème de ce périple : « Encore heureux qu’il ait fait beau » de Florence Thinard, livre échangé dans le cadre de notre swap et sélection du prix des Incorruptibles 2013/2014 ( 25ème édition ).  A bord, pour vous servir, notre équipage de choc :

Pépita – Méli-mélo de livres, Za – Le cabas de Za, Alice – A lire Aux Pays des Merveilles…, Céline – Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse…

Céline : Puisque tout le monde est à bord : les bibs, la prof… les LECTEURS, on peut embarquer ! Un petit résumé pour se jeter à l’eau ?

Alice : Par un soir orageux, la bibliothèque Jacques Prévert s’enfonce dans les flots avec à son bord le directeur, une bibliothécaire, la femme de ménage, un prof de techno et la sixième F. Pas de panique ! Si tout le monde pense à l’arrivée rapide des secours, il faut organiser la vie quotidienne : les repas, l’électricité, les couchages, … mais la croisière dure, et une quinzaine de jours plus tard, la bibliothèque navigue toujours. Débrouillardise, émotions, courage, imprévus … que d’aventures pour nos Robinsons en herbe !

Za : Quelque part entre Robinson Crusoé et l’arche de Noé, voici un huis clos tout à fait improbable, parce que, pour certains, être coincés « à bord » d’une bibliothèque, c’est l’enfer !

Pépita : Une visite de la classe de 6ème F à la bibliothèque Jacques Prévert avec le prof de techno, rien de bien extraordinaire. C’est même plutôt l’avis du petit caïd de cette classe qui s’ennuie ferme. Mis à la porte par la belle bibliothécaire, c’est un raz-de-marée qu’il provoque ! La bibliothèque part à vau-l’eau…  Passée la stupeur, la vie s’organise à bord et chacun se dévoile sous un autre jour…  L’école buissonnière de cette façon-là se révèle bien plus enrichissante.

CélineDeux questions surgissent à la suite de vos réponses.
La première : L’élément modificateur comme celui de résolution de cette histoire semble être le rapport difficile qu’entretient l’un des protagonistes avec la lecture. Mais celui-ci ne peut expliquer à lui seul le fait qu’une bibliothèque prenne ainsi le large. Le fait qu’on n’ait à aucun moment une explication à ce sujet vous a-t-il gênées ?
La seconde : En parlant d’école buissonnière, cette vision d’une pédagogie participative en prise directe avec ce qu’ils vivent à bord est un aspect qui m’a particulièrement parlée. Est-ce un ingrédient qui vous a plu également ? Quels sont les autres ?

Za : La bibliothèque largue les amarres et c’est tout. C’est en effet un élément de l’ordre de l’absurde, mais qui ne m’a pas gênée une seconde. Souvenez-vous de la Prophétie des grenouilles… Comment imaginer sinon qu’ils soient enfermés dans le bâtiment ? Les autres solutions seraient plus prosaïques, et donc infiniment moins poétiques. C’est justement ce qui m’a attirée, qui m’a donnée envie de lire ce roman.
La vie s’organise « à bord » entre des individus qui se retrouvent à égalité, chacun apportant un savoir-faire, un savoir-être. Cet aspect m’a intéressée, l’abolition progressive des rôles, le dépassement des idées reçues.

Pépita : Je rejoins l’avis de Za. Qu’il n’y ait aucune explication à ce périple (ni au début, ni à la fin) ne m’a pas du tout gênée. D’ailleurs, les protagonistes de l’histoire ne s’en préoccupent pas plus que ça non plus. Le fait de s’affranchir de cette question fait que le lecteur part complètement à l’aventure lui aussi. C’est de l’ordre du symbolique toute cette histoire. Et la part belle est rendue à l’humain du coup : chacun est important, chacun peut apporter sa pierre, à son rythme, selon ses capacités, sans jugement aucun. Chacun peut être soi-même. J’ai beaucoup aimé aussi la part d’émerveillement devant la nature qui s’offre à la vue des enfants, le goût des plaisirs simples (comme manger le fruit de sa pêche, nager dans l’eau avec les dauphins) et le nécessaire respect dû à ce que la nature nous donne (comme l’eau par exemple). C’est une histoire à la fois pleine de sensibilité et de solidarité entre des enfants et des adultes qui portent un nouveau regard sur les uns et les autres.

Alice : D’entrée de jeu, on plonge dans cette aventure improbable sans se poser la question du comment, ni du pourquoi. C’est là toute la part de poésie, de rêve et d’imaginaire de l’histoire. Cela ne gêne en rien la lecture et finalement c’est ce qui apporte l’originalité et la fraîcheur au texte, qui devient alors une véritable aventure.
Adulte comme enfant, il n’y a plus de frontière, tous réunis autour d’un seul objectif : attendre les secours, s’adapter et survivre à cette traversée avec les moyens du bord.

Céline C’est vrai, ce récit nous embarque sans qu’on ait besoin à tout prix de connaitre le pourquoi du comment. On est bien trop occupés à suivre nos robinsons en herbe dans leur lutte quotidienne pour survivre ! Pourtant, qu’il s’agisse d’une bibliothèque n’est pas anodin. Quelle est l’importance de la lecture et des livres dans ce récit ? Quel(s) message(s) l’auteure a-t-elle voulu transmettre?

Za : Qu’il faut être coincé dans une bibliothèque sans pouvoir en sortir pour enfin se mettre à lire ? Je n’ose le croire…

Pépita : Dans cette histoire, la bibliothèque est désacralisée : elle n’est plus l’institution, ainsi que le personnel (la bibliothécaire et le directeur), qui représente le savoir et l’obligation à lire les livres qu’elle contient. Au contraire, les livres leur donnent du courage, leur montrent qu’ils ne sont pas si éloignés du réel. Les récits lus ancrent les enfants dans une transmission qui les dépasse mais les rassure aussi. Ils les nourrissent et les maintiennent en vie, au même titre que le poisson pêché ou l’eau de pluie recueillie. Ces livres leur permettent aussi de supporter leur situation, leur procurent du rêve et une évasion dans l’imaginaire. En gros, ce que la lecture apporte à tout un chacun qui y trouve du plaisir. Et aussi, qu’on peut lire n’importe où, sous les étoiles, dans la nature, au fond de son lit,… et même dans un bateau-bibliothèque…Ce n’est pas l’endroit qui compte, mais la rencontre avec ce livre-là, à ce moment-là et ce qu’il nous dit.

Alice : Le voyage.
Un voyage complémentaire de celui qu’ils sont en train de vivre : le voyage de l’esprit. Grâce aux livres, leur aventure est plus «légère», plus «supportable». C’est la fenêtre par laquelle ils s’échappent alors qu’ils sont dans un huis clos. Et en même temps, les histoires lues se rapprochent terriblement de leur traversée et les rassurent.

Céline : En parlant de livres, ce titre fait partie de la sélection du prix des Incorruptibles.  Quelles sont selon vous les raisons qui expliquent cette sélection?  

Pépita : Je pense qu’il a été choisi pour les messages que cette histoire véhicule : solidarité, respect des autres et de la nature, dépassement de soi, humilité,…  mais aussi parce que les enfants peuvent aisément s’identifier à ceux de l’histoire. La couverture est très belle aussi et ça, pour les enfants, c’est un sacré critère ! Le niveau de lecture est très accessible aussi. Et évidemment, il parle de la lecture, donc dans un prix qui défend cette idée, il a toute sa place ! Je le verrais bien en adaptation théâtrale.

Alice : Une idée de départ originale, complètement surréaliste et poétique.
Une écriture moderne et vive qui sait tenir en haleine.
Un vrai roman d’aventures avec moults rebondissements et situations cocasses.
Un beau plaidoyer pour la lecture.
Des personnages attachants.
Des beaux sentiments.
Florence Thinard n’a rien oublié pour séduire son lectorat, et ça marche !

Céline : Et toi Za, qu’est-ce qui t’a plu dans ce titre ?

Za : J’ai aimé l’absurde du départ, l’idée de cette bibliothèque pleine de ses livres qui rompt les amarres comme si elle était douée d’une volonté propre, comme si elle voulait qu’on la considère et que ces jeunes gens la vivent autrement. Le huis clos est un procédé souvent utilisé pour mettre les personnages en relief et ici, il est très bien mené. L’écriture est fluide, se lit avec plaisir. Et puis, je l’avoue, j’ai tendu le bras vers ce roman d’abord à cause de son titre, qui reprend une chanson des Frères Jacques que j’adore, La Marie-Josèphe.

Céline : Comme dans La Marie-Josèphe, nos héros sont un peu des marins d’eau douce. Heureusement, grâce aux talents de chacun, ils vont devenir de vrais loups de mer. Ils vont également puiser certaines de leurs idées dans les livres. A leur place, quels livres auriez-vous aimé découvrir dans les rayonnages de la bibliothèque ?

Alice : Peut être me serais-je mis plus sérieusement à la BD ?  Peut-être aurais-je flâné du côté des guides de voyage pour rêver à la destination finale ?  Sans aucun doute, j’aurais retrouvé un de ces livres doudous, un de ceux qui ne quittent jamais mes étagères, qui sont cornés à force de lecture et relecture et dont la proximité m’aurait sûrement rassurée.

Pépita : Difficile à dire ! Pas forcément des livres sur la mer, le voyage, etc,…  car j’aurais eu ma dose là ! Mais des contes et des histoires qui changent les idées, c’est sûr !

Za : Je ne sais pas trop… Peut-être aurais-je profité de l’occasion pour me déconnecter de la nouveauté et prendre une bonne dose de ces classiques que je délaisse trop depuis quelques temps.

Céline : Za disait un peu plus haut que, pour certains, être coincés « à bord » d’une bibliothèque, c’est l’enfer ! Elle doutait même qu’il soit aussi facile de passer du statut de « La lecture, c’est un truc de gonzesses » à celui de lecteur de romans comme « Moby Dick »…
Pour conclure, imaginons d’autres jeunes lecteurs coincés à leur tour dans une bib voyageuse… Pourraient-ils aller spontanément vers ce titre de Florence Thinard? Quels éléments pourraient les attirer, voire les rebuter ? Ce titre pourrait-il donner envie aux jeunes de lire, être une porte d’entrée vers d’autres lectures?

Pépita : Je ne suis pas certaine que le titre, référence à une chanson des Frères Jacques, soit une réelle entrée pour la génération d’aujourd’hui (ce n’est pas pour te vieillir Za !). Mais c’est un très beau titre. La couverture peut les attirer. Et s’ils se donnent la peine de commencer à lire, oui, je pense que les jeunes lecteurs peuvent facilement se laisser embarquer par cette histoire, à la condition de ne pas y chercher à tout prix une explication rationnelle. Et dès qu’un adulte s’en fait l’intermédiaire, le livre est embarqué lui aussi. Cette aventure, dont l’écriture est fluide et accessible, peut susciter l’intérêt des jeunes auxquels elle s’adresse, mais aussi celui des enseignants et des médiateurs du livre en général parce qu’elle défend une certaine idée de la lecture, donne une autre image de la bibliothèque, est un bel exemple de liens entre les êtres et qu’elle est résolument optimiste.

Za : Bien d’accord avec Pépita, l’allusion aux Frères Jacques est à mon usage personnel ! Je ne sais pas si, spontanément, des adolescents vont être attirés par un livre sur le livre, mais sans doute plus par une aventure humaine. Il y a un vrai suspense dans ce roman, on a envie de tourner les pages, de savoir comment les personnages vont s’en tirer, comment ils vont pouvoir subsister jusqu’à l’arrivée, s’il y en a une.

Alice : Rien que la couverture, elle donne envie. Les couleurs sont gaies et lumineuses. On dirait un dessin d’enfant. Elle traduit parfaitement l’histoire, on y retrouve les éléments essentiels : la mer, le beau temps, la bibliothèque, le toit de la bibliothèque, les adultes, les enfants, le doigt tendu vers l’aventure…. Bref, au premier regard, l’objet livre séduit et donne envie. Et la première impression visuelle, ça marche toujours !
Le titre aussi fonctionne bien : que des mots positifs dans une tournure qui s’adresse directement au jeune lecteur.
Sans ouvrir le livre, il a déjà tous les atouts pour séduire !
Je ne sais pas s’il amènera le lecteur vers Sinbad le Marin ou 20 000 lieues sous les mers, mais en tout cas, sa facilité d’accès pourrait rassurer les moins lecteurs de notre lectorat.

Céline : Nous arrivons tout doucement au terme de notre voyage…  Eh !  Oui !  Même les bonnes choses ont une fin !  Merci à vous trois pour cette traversée au beau fixe !  Un passage ou une phrase à partager avant de retrouver la terre ferme ?

Pépita : Je n’ai plus le livre…  prêté. Il voyage bien ! Donc, ce sera mon dernier mot Céline.

Za : Comme Pépita, mon exemplaire a rejoint son rayonnage à la médiathèque…
Ce sera aussi mon dernier mot !

Alice : Hissez les voiles, moussaillons ! Et…. bonne lecture !

Nos bouteilles à la mer…  sur ce titre …

Lecture commune – La fourmilière de Jenny Valentine

A l’occasion du Prix Farniente (prix littéraire organisé en Belgique), j’ai découvert cette petite pépite !  Des quatre titres proposés dans l’excellente sélection 13 + (Terrienne de Jean-Claude Mourlevat, Premier chagrin d’Eva Kavian, EPIC de Konor Kostick), La Fourmilière est mon préféré.  Une histoire qui parait banale de prime abord mais qui recèle un espoir infini en l’humanité.  Ensemble, malgré nos différences, on est les plus forts du monde !  Je n’ai donc pas hésité à la proposer en lecture commune à mes comparses d’A l’ombre du grand arbre…  Pépita Méli-Mélo de livres..., Bouma Un petit bout de bib, Drawoua Maman Baobab et Carole 3 étoiles ont intégré avec joie La colonie…

Céline Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse : Un petit résumé pour commencer ?

Pépita : Au 33, Giorgiana Street, dans un quartier peu réputé de Londres, vont se mêler plusieurs destins : Bohémia, dite Bo, dix ans, vient d’arriver avec sa mère Cherry, paumée, droguée, alcoolique…  Livrée à elle-même, la petite Bo va faire connaissance avec les autres locataires. Il y a Steve, le propriétaire, pas un mauvais bougre ; Mick qui va devenir très vite l’amant de Cherry ; Isabel, une vieille dame qui se mêle de tout et son vieux chien Paillasson et Sam, un jeune homme de 17 ans qui vient d’arriver lui aussi. De fil en aiguille, on va apprendre qu’il traîne un très lourd secret…

Bouma : Rigolo comme on s’attache différemment aux personnages. J’aurais commencé mon résumé par : c’est l’histoire de Sam, jeune adolescent fugueur, qui vient d’arriver à Londres. Il trouve refuge au 33, Giorgiana Street, où le propriétaire s’avère peu regardant de son âge en échange du loyer en temps et en heure. Lui qui cherche la solitude, elle sera de courte durée parmi les habitants hauts en couleurs de cet immeuble pas comme les autres..

Drawoua : Je rejoins Bouma, je commence par Sam. Fugueur de 17 ans. Il est le protagoniste principal, c’est autour de lui que la narration se joue. On ne sait pas à quel point jusqu’à ce que Bohemia entre dans sa vie. Et c’est bien l’incipit du roman : « J’ai aperçu une fille, une gamine. Ce n’est pas ici que tout a commencé, mais c’est une bonne entrée en matière« . Je, c’est Sam, le narrateur de ce premier chapitre. La petite fille, c’est Bohemia. Bo, narratrice du second.

Carole : J’ajouterais que dans cet immeuble londonien aux appartements petits et délabrés, chacun a sa place, chacun sa vie, chacun ses troubles. Mais ensemble, ils forment un tout : comme une fourmilière…

Céline : Que pensez-vous de la couverture ?  Rend-elle hommage au contenu ?

Pépita : La couleur est bien flashy, c’est le moins qu’on puisse dire ! J’ai essayé de trouver dans les visages les protagonistes de l’histoire, mais j’avoue que ça ne fonctionne pas très bien en ce qui me concerne. J’y vois plutôt des petits visages comme des petites fourmis, en hommage au titre. Ceci dit, je ne sais pas vraiment si c’est le but recherché. Globalement, je trouve que les couvertures de la collection Médium ne sont pas toutes des réussites…  Ce qui est sûr, c’est que l’envie de lire ce livre ne m’a pas du tout été donnée par cette couverture.

Bouma : Pour moi, elle était complètement rédhibitoire. Si vous ne m’aviez pas convaincue, je n’aurais surement jamais ouvert ce roman.
En ce qui me concerne, la couverture est vraiment un élément essentiel dans mon choix de livre. Et franchement, celles de l’École des Loisirs sont rarement mes préférées… C’est d’ailleurs fort dommage car leurs textes sont toujours de grande qualité.

Drawoua : La couverture m’a attirée oui. Par contre je ne la trouve pas spécialement représentative de la narration. Qui est qui, d’ailleurs ? Est-ce qu’on s’y retrouve vraiment ?

Carole : Ah moi j’ai pensé tous ces visages comme autant de fourmis ! Avec toute la palette des expressions du visage… du coup impossible de reconnaître les personnages du roman. Pour être honnête, quand je choisis un roman, je m’attarde peu sur la couverture. Ce n’est pas la même attente que pour un album. Pour le roman, la 4ième de couverture, hors recommandation ou conseil de lecture, c’est elle qui guide mes pas de lectrice ou alors bien souvent simplement le titre, voire l’auteur(e).

Céline : Les avis sont partagés en ce qui concerne la couverture…  En est-il de même pour le contenu ?  Coup de coeur ou coup de griffe ?

Pépita : Pour ma part, un gros, gros coup de cœur ! Je l’ai lu en vacances, en août dernier, il est passé entre toutes les mains à la maison et c’est unanime. La construction est très bien faite : on rentre dans cet immeuble par le biais de chaque personnage, comme si le lecteur toquait lui-même à la porte et disait : et vous, vous êtes qui dans l’histoire ?.
Au début, aucun lien apparent entre eux. Sauf pour Sam et Bohémia : on sent bien que pour ces deux-là, le lien est différent dès le début. Comme dans une fourmilière, on découvre peu à peu une réalité bien plus complexe qu’il n’y parait à première vue.

Bouma : Pour moi ce fut une jolie lecture, de celle qui vous emporte dans la vie des personnages, vous joue la réalité de la vie. Je ne pourrais cependant pas la qualifier de coup de cœur. Il m’a manqué le « petit plus » indéfinissable qui vous fait garder cette lecture bien au chaud au fond de votre cœur et dont vous êtes capable de reparler bien longtemps après.

Carole : Comme Bouma, j’ai beaucoup aimé ce moment de lecture. J’avais plaisir à retrouver chaque personnage le soir pour clore mes journées. Envie de connaître la suite des aventures, de voir se tisser les liens, parfois très forts, et de savoir la fin ! Donc moment agréable et belle découverte.

Drawoua : Gros coup de coeur. J’ai même déjà fait un passage éclair en librairie pour acheter un nouvel exemplaire et l’offrir !

Céline : Quels sont pour vous les points forts de ce roman ?
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Pépita : Ce roman est remarquablement bien construit : une fenêtre qui s’ouvre sur chaque personnage, agrandie de plus en plus pour nous en dévoiler davantage sur chacun, ses traits de caractère, ses parts d’ombre, ses manies…  Et puis l’étau se resserre entre eux, ils deviennent de plus en plus proches, s’évitent à nouveau, se cherchent encore jusqu’au secret de Sam qu’on pressent et dont la révélation monte crescendo…  Tout se met en place jusqu’au dénouement final. Le lecteur bouge les pièces du puzzle, échafaude des hypothèses, se perd, renoue le fil et est finalement mené jusqu’au bout. La psychologie des personnages, servie par une belle écriture, est très bien étudiée aussi : leur solitude qui devient leur solidarité.
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Carole : Rien à redire Pépita, très bien dit ! J’ajoute seulement la qualité de la traduction, spécialité s’il en est de l’Ecole des Loisirs. Quand je lis un roman anglophone, je sens tout de suite si la traduction est juste, et là bingo ! C’est fluide et bien écrit, et ça c’est suffisamment rare pour être souligné.
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Bouma : Il est difficile de répondre après Pépita… J’ai aimé l’ambiance générale de ce livre, la détresse de ses habitants, la volonté d’Isabel, vieille femme isolée, de recréer du lien quand les autres n’en veulent pas. J’ai aimé ne pas connaître le passé de Sam, son attachement à la solitude, et puis au fur et à mesure son attachement à Bo. Le ton est juste et donc forcément touchant.
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Drawoua : Bien sûr, il y a l’histoire, mais elle ne fait pas tout. La fluidité du texte, sa construction, l’attachement qui se crée entre les personnages, mais aussi entre les personnages et le lecteur sont des points forts du roman. Il y a un petit côté Ken Loach (néanmoins optimiste) qui se dessine aussi et qui n’est pas déplaisant.
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Bouma : Peux-tu expliquer le « côté Ken Loach » ?  Je ne connais pas ce réalisateur.
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Drawoua : Le cinéma de Ken Loach est totalement immergé dans le réalisme social britannique, avec, contrairement à Jenny Valentine, une pointe de pessimisme et peut-être de déterminisme qu’on ne sent pas chez notre auteure. C’est le côté tableau des habitants de l’immeuble, tout en bas de la classe sociale, qui m’y fait nettement penser. Le quartier est situé dans les bas-fonds londoniens, l’immeuble est indécent, on paye le loyer à la petite semaine, le propriétaire n’est pas regardant, peut-être parce qu’il ne veut pas savoir… Les portraits de personnages ne sont pas forcément reluisants. Cherry, la mère de Bo, notamment, est loin d’être clean. Elle traîne un lourd passé derrière elle et son présent n’a pas l’air bien glorieux. La différence entre Loach et Valentine, c’est certainement que Loach aurait envisagé un point de bascule peut-être catastrophique quand l’auteure de La Fourmilière a plus foi dans les relations humaines.
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Céline : Eclairage intéressant Drawoua !  Pour ma part, c’est justement cette note d’espoir qui m’a particulièrement plu.  Une note d’espoir double puisque l’auteure démontre par ce récit, en un, que l’union fait la force et, en deux, que chacun a droit a une seconde chance !  Puisque tu parles des habitants de l’immeuble, lesquels vous ont émue, fait sourire, énervée, … ?
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Carole : Une fois n’est pas coutume, j’ai beaucoup aimé le personnage de la petite fille Bo : sa répartie, son recul parfois, son intelligence émotionnelle,  ses réflexions sur le monde adulte et cette façon qu’elle a d’arrondir les angles avec sa mère. Et puis, Isabel, cette bonne femme un peu bourrue, maternante avec tous les habitants, parfois sans gène mais qui malgré tout crée du lien entre tous. Ce serait elle la reine des fourmis.
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Céline : Pourquoi « une fois n’est pas coutume » Carole ?
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Carole : Parce que je  » m’attache  » plus souvent aux enfants qu’aux adultes.
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Pépita : Tout comme Carole, je me suis beaucoup attachée à Bo et puis peu à peu, en la découvrant mieux, Isabel, mais j’avoue qu’elle m’a un peu exaspérée par moments ! Mais je me suis aperçue que sa curiosité insistante partait finalement d’un bon sentiment : mettre la personne face à ses responsabilités (ce qui est surtout valable pour Cherry, la maman de Bo). Je me suis aussi beaucoup attachée à Sam : ce personnage évolue, il est touchant de sincérité, sa carapace finit par se fendre pour aller à l’essentiel.  Il grandit.
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Bouma : Pour ma part, j’ai vraiment été touchée par le personnage de Sam, à la fois adolescent pur souche et déjà adulte. Sa détresse évidente dont on ne connaît pas l’origine m’a intriguée autant que Bo et Isabel, qui sont, disons le bien, de belles petites fouineuses. Sam est blessé, torturé, et a surtout envie d’être seul avec ses problèmes. J’ai retrouvé en lui la quintessence de l’adolescence : un mélange de cris de détresse et de refus d’aide simultanés. Lorsqu’il prend la parole dans le roman, c’est toujours un mélange de son passé, de son présent et d’un essai de futur, une façon bien à lui de concevoir la vie.
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Céline : L’auteure alterne les points de vue.  Est-ce un plus ou un handicap selon vous ?
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Carole :  Perso, j’ai adoré la double narration alternée de Bo et Sam. Je l’ai trouvée très bien menée, fluide, quasi naturelle en fait. Ils se complètent, se prolongent, se mêlent avec complicité tant dans la forme que dans le fond. C’est parfois un risque l’alternance des points de vue, mais ici c’est une réussite totale je trouve.
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Pépita : Oui, cette narration est extrêmement efficace : comme dans une fourmilière, il y a des va-et-vient, des reculs, des avancées, des tergiversations, mais au final, c’est au service de l’histoire, qui mine de rien, se précise et s’imbrique comme un tout, à travers les voix alternées des personnages. On ne perd jamais le fil.
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Drawoua : La narration est très fluide et le récit porté par deux personnages principaux qui deviennent narrateurs en alternance avec une focalisation interne fonctionne parfaitement.
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Bouma :  Comme mes comparses, je trouve cette narration alternée très bien faite, surtout que les deux protagonistes sont loin d’avoir le même âge (Sam a 17 ans et Bo, 10). L’auteur arrive à rendre crédible les deux paroles, leurs façons de penser, leurs manières de bouger. Par contre, je pense qu’un adolescent (public estimé de ce livre) aura peut-être plus de mal à s’attacher à la voix de la fillette, car elle lui sera plus distante. Je ne sais pas, je me questionne.
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Carole : Pas nécessairement Bouma. Je trouve que malgré son jeune âge, la petite Bo est très mature et cohérente dans ses réflexions. Elle a grandi seule et vite, trop peut-être, mais du coup elle se questionne avec pas mal de recul, elle maîtrise assez ses émotions et les actions qui en découlent, non ? Du coup, je me dis qu’un lecteur adolescent pourrait bien aussi  » adhérer  » à sa vision des choses.
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Bouma : Et oui Carole,  Bo est très mature. Mais pour bosser en bib, je peux t’assurer que pour certains ados entre la couverture bof et la 4ème de couv qui indique que l’un des personnages principaux a 10 ans, c’est rédhibitoire. Ils passent à côté d’un beau texte et c’est fort dommage…
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Pépita : Je rejoins Bouma et Carole : Bo est très mature, presque trop pour son âge…  mais c’est vrai qu’un ado normalement constitué n’irait peut-être pas spontanément vers cette lecture – et pour employer notre jargon à la mode – une médiation est nécessaire.
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Carole : Je me doute… peut-être plus pour les pré-ados alors ? Ca rejoint un peu le débat sur l’âge.
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Pépita : Exactement ! Chez nous, seules mes filles l’ont lu (11 et 13 ans) et ont adoré et mes garçons n’en voulaient absolument pas ! (sauf mon mari qui a beaucoup aimé) Pourtant ce Sam…  Il y a aussi encore très prégnant ce clivage fille/garçon, c’est dingue !
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Céline :   L’ai récemment fait lire à mes élèves de 13 ans.  Ils ont davantage été perturbés par la voix narrative plurielle que par le jeune âge de Bo.  D’une part, elle est très mature et, d’autre  part, dans cet immeuble, on trouve un peu de tout en âges comme en personnalités…  C’est ça, je trouve, qui fait la richesse de cette fourmilière !
Sans en dévoiler trop, peut-on dire qu’il s’agit aussi d’un roman à chute (dont le retournement final crée un réel effet de surprise chez le lecteur)  ?
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Pépita : En ce qui me concerne, pas vraiment. L’adulte que je suis et assez grande lectrice, comme vous toutes, a fini par percevoir des éléments de réponse, y compris à la fin quand le rythme s’accélère et que toutes les pièces de puzzle trouvent leur place. Ceci dit, c’était très agréable de vérifier ses hypothèses à quelques détails près. Par contre, pour le public auquel il est destiné, roman à chute, je pense que oui. J’ai demandé à mes filles et elles ont été bluffées jusqu’au bout.
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Carole : Oui Pépita, je n’aurais pas mieux dit ! Les secrets chuchotés depuis le début du roman finissent par éclater au grand jour. Même si le procédé est connu, les révélations font tout de même leur effet au sein de cette fourmilière !
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Céline : Sans en avoir l’air, ce livre touche à de nombreux thèmes !  Quels sont les 3 premiers qui vous viennent spontanément à l’esprit ?  De quelle manière l’auteure les aborde-t-elle ?
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Carole : Je dirais : la solitude, la solidarité et le la nature humaine. L’auteure l’exprime par le fait que chaque individu solitaire est confronté à un moment à sa propre nature, et que la solidarité crée du lien entre chaque individu.
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Bouma : La déchéance, la famille et la pauvreté : tout cela avec le seul personnage de Cherry, la mère de Bo. L’auteure ne l’a pas avantagée : junkie qui enchaine les hommes auxquels elle rattache sa vie. On sent en elle une femme devenue mère par obligation plus que par désir. Le fait qu’elle soit capable d’oublier son enfant m’a fait mal au cœur, même si je sais que ce genre de situation peut être réelle.
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Pépita : Difficile de répondre après ces excellentes analyses ! J’ajouterai : le poids de la honte, l’importance de la parole et la force de l’amour. Honte du secret de Sam, qui l’isole dans une fuite en avant destructrice, délivrance par la parole (Isabel – la plus âgée – et Bo – la plus jeune – recollent les morceaux par touches successives de ces âmes perdues : Cherry et Sam) et force de l’amour : quand la parole se délivre, l’amour peut éclore pour tendre au pardon. Il se dégage de cette histoire finalement tragique une belle issue transcendée par tous ces éléments.
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Carole : C’est joliment dit ça ! Suis d’accord avec toi : la parole délivre de la colère ou de la honte, et la parole permet le pardon !
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Drawoua : Tout est dit par mes homologues, dans l’ordre dans lequel j’aurais aussi placé les thèmes.
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Céline : J’ajouterais celui du harcèlement scolaire vu du côté du harceleur qui regrette son geste mais ne trouve pas lui-même la solution pour s’amender…
Une phrase, un passage à partager ?
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Pépita : J’aime tout particulièrement les dialogues entre Bohémia et Sam, et particulièrement celui situé au milieu de l’histoire (pp.155-159) où ils se connaissent déjà assez pour se confier un peu mais pas suffisamment pour tout se dire. Bohémia a visé juste dans un des aspects du secret de Sam et il le sait. Il se livre un peu à elle, ils jouent au chat et à la souris mais on perçoit une confiance entre eux, sans doute liée à l’enfance. Le lecteur est heureux pour eux : ils se sont trouvés une petite fenêtre et leurs remarques sur leur situation sont touchantes de lucidité, je trouve. C’est à la fois simple et juste.
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Carole :  Pas de passage particulier à citer, juste un ressenti : la chaleur des liens humains.
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Bouma : Je citerais Sam, qui en toute fin d’un chapitre, imagine une lettre à sa mère :

« Dans ma tête, j’ai écrit une lettre :
Chère maman,
Comment vas tu ?
Je vis avec une bande de cinglés.
« 

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Drawoua : C’est vrai que cette citation est pas mal. Quand on sait, on la décode. Quand on ne sait pas, on se dirait bien que l’enfer c’est les autres. Je la compléterai donc avec le passage dans lequel il est le narrateur et Bohémia vient lui dire qu’elle part. Lui, il se rallonge sur son lit. N’agit pas. Ne s’endort pas non plus. Il pense qu’il est quelqu’un de mauvais, à un point qu’on n’imagine pas. Que cela lui semble flagrant maintenant mais qu’il a mis trop de temps à s’en apercevoir.  Il se relève, sort à proximité d’une cabine téléphonique, est à deux doigts d’appeler Max. Et ne le fait pas finalement. Quand il rebrousse chemin, c’est pour aller frapper à la porte de Bohémia. La narration bascule. Chapitre 14.
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Carole : Je rebondis sur la réflexion de Sandra : l’enfer c’est les autres, oui car cet immeuble, cette fourmilière, c’est un huis-clos. Chacun est le bourreau /révélateur de l’autre.
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Céline : Ah ! marrant !  Tout le long de ma lecture, j’ai également pensé à ça.  A part quelques sorties extérieures au début et à la fin, ainsi que quelques balades dans Londres, tout se déroule à Georgiana Street, microcosme  que nous observons avec la curiosité d’ethnologues avec la question du docteur Bernard O. Hopkins en tête : ensemble, vont-ils réussir à soulever des montagnes ?  Ce livre pourrait d’ailleurs très bien s’adapter en pièce de théâtre… Pour ce qui est de vos extraits (très touchants, surtout celui de Drawoua qui m’a mis les larmes aux yeux), ils révèlent tous à quel point Jenny Valentine, sous couvert de nous raconter une histoire d’apparence banale, arrive à nous toucher au plus profond de notre humanité.  C’est aussi pour cette raison que je vous ai proposé cette lecture.  La plume de l’auteure m’a embarquée dès les premiers mots.  De mon côté, j’aime beaucoup cette phrase :
« Si tu savais à quel moment ta vie allait commencer à dérailler, est-ce que tu arrangerais les choses avant qu’il soit trop tard ? »
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Pour conclure, peut-être d’autres titres de cette auteure à proposer ?
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Pépita :  Ce livre a été nominé pour le prix sorcières en 2012 catégorie Romans ados, ce n’est pas pour rien ! J’envisage de lire Ma rencontre avec Violet Park dès que j’en aurai le temps…  Elle a aussi écrit une petite série beaucoup plus légère et pour une tranche d’âge plus jeune : Ma petite sœur chez Gallimard jeunesse en Folio cadet (4 titres sortis dont le dernier en janvier 2013 : Ma petite sœur et moi, L’anniversaire de ma petite sœur, Ma petite sœur et moi en vacances, Ma petite sœur et le bébé). Des tranches de vie entre la narratrice et sa petite sœur Coco.

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Bouma : Merci à toutes pour m’avoir entrainée dans cette Lecture Commune sans laquelle je serais passée à côté d’un beau moment de lecture.
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Céline : Merci à vous quatre !  Finalement, A l’ombre du grand arbre, c’est également une fourmilière !  C’est sûr, ensemble et avec vous, nos lecteurs fidèles, nous pouvons soulever des montagnes !
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Pour aller plus loin:
* les billets de :
Drawoua Maman baobab
* un autre titre de l’auteure :

Lecture commune – Le Tourneur de Page

La dystopie est un genre à la mode…  que les jeunes et les moins jeunes adorent !  Aussi, conseillée par Gabriel de La mare aux mots, j’ai eu la curiosité et l’envie de découvrir cette saga de Muriel Zürcher.  Et je n’ai pas été déçue !  J’avais trouvé mon nouveau Harry Potter.  Cerise sur le gâteau : ce succès était partagé par mes comparses d’A l’ombre du grand arbre !  Aussi, nous nous sommes retrouvées ici avec plaisir pour partager cette lecture.  Au rendez-vous, Carole de 3 étoiles, Dorota des Livres de Dorot’, et Kik du blog Les lectures de KikPour couronner le tout, l’auteure a bien voulu répondre à quelques-unes de nos interrogations (à la fin du billet).

Céline : La première fois que j’ai lu le titre de la série de Muriel Zurchër, m’attendant à un récit dans l’univers des livres, je me suis dit :
« Ben !  Ca commence bien, ils ont oublié le « s » à pages ! »
Ma lecture m’a prouvé que j’avais tort…  Alors, pourquoi ce titre : « Le tourneur de page » ?

Kik : Moi j’ai trouvé la signification dans le tome 2. Lorsque le projet du Tourneur de page est expliqué plus en détail.  Il veut tourner la page. Dans cette expression, il n’y a pas de S à page, et je pense que le titre vient de cette expression.

Dorota : Pour être franche, le titre ne m’a pas dérangée…  C’est le résumé qui m’a interpellée et comme j’aime la dystopie…  C’est en cours de  lecture que je me suis dit que c’était évident… être heureux tout le temps, tourner LA page, l’explication est venue après.

Carole : J’ai cru exactement la même chose que toi Céline en découvrant le titre ! Mais une fois la première page tournée, j’ai compris que je ne pourrais m’arrêter qu’à la fin…  et c’est exactement ce que j’ai fait ! Je n’avais pas lu de dystopie depuis 1984 de George Orwell et Fahrenheit de Ray Bradbury, donc autant dire que le niveau était bien élevé dans ma représentation de ce genre littéraire. Et je n’ai pas été déçue…  J’ai assez vite compris ce que le Tourneur de page représentait alors et pourquoi ce titre.

Céline : Evoquons un peu plus le « pitch » de cette série…  Sous la Bulhavre, le tourneur de page a créé une nouvelle société d’une ennuyeuse perfection.  Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Kik : Pour ceux qui baignent dans la perfection, il ne semble pas que l’ennui soit ce qu’ils ressentent. Ils sont canalisés, programmés, formatés, ils ne s’en rendent même pas compte. Par contre, pour tous les autres qui sont sortis du système, c’est une autre histoire.

Céline : Par ennuyeuse perfection, j’évoquais justement cette vie réglée comme du papier à musique où tout est réglé dans le moindre détail (jusqu’aux barbecues à organiser avec les voisins).  Pire, avec la misphère greffée à la naissance sur le nombril de chaque habitant de la Bulhavre, les tourneurs de page manipulent les émotions et effacent la douleur, la tristesse ou le malheur.  Les habitants sont ainsi privés de leurs souvenirs, de leurs émotions, de ce qui fait leur humanité…
Au fait, pouvez-vous m’en dire un peu plus sur cette histoire ?

Carole : C’est une histoire de pouvoir : pouvoir pour contrôler, régir, façonner, canaliser, diriger… Mais qui dit pouvoir, dit contre-pouvoir : contre-pouvoir pour rêver, vivre, lutter, avancer, comprendre. Dans un monde aseptisé, des enfants et des adultes vont mener leur propre quête afin d’échapper à l’ordre établi. Et comme toute quête, il y aura des péripéties, de l’aventure, des rencontres, des liens forts, de la peur, des rires et des larmes, de l’affrontement et qui sait…  peut être une vie meilleure au bout puisque choisie, non plus subie.

Kik : Tout commence par un accident. Un enfant désobéit. Il va à l’encontre d’une simple règle d’heure de réveil. La misphère, implantée dans son nombril, qui régit ses humeurs et sa perception du monde réel, se casse. Il est alors le témoin d’évènements dont il ne devrait pas être conscient normalement. Sa mémoire aurait dû être effacée comme celle des autres membres de sa famille, mais l’absence de sa misphère change tout. Quel est ce monde dans lequel on peut faire disparaître des gens ? Qui dirige ces hommes manipulateurs ?
D’un quotidien réglé minutieusement, le héros se retrouvera projeté dans un monde dangereux où il est difficile de savoir de quoi demain sera fait.

Dorota : Pas grand chose à ajouter… Carole et Kik décrivent l’essentiel.  C’est justement cet éveil de la conscience qui fait le départ de l’aventure! L’aventure où on ne peut plus « tourner la page » sur la vie qu’on veut nous voler par formatage… Au contraire, on tourne les pages du livre pour en savoir plus.

Céline : Outre le suspense lié à une intrigue bien ficelée, quels sont à votre avis les ingrédients qui expliquent cet effet « page turner » ?

Carole : Je crois que les personnages y sont également pour beaucoup ! On s’attache à leur personnalité, on doute comme eux, on rêve avec eux, on a peur pour eux : l’identification pour ma part s’est faite immédiatement, surtout avec Alkan, Tahar et Artelune. Et puis il y a aussi le style et l’écriture : les fins de chapitres, le rythme, les dialogues. Tout nous embarque et nous pousse à continuer la lecture.

Kik : L’univers décrit est « mauvais », une organisation opprime les habitants et réduit presque à néant leurs libertés. Pourtant, j’ai eu envie de savoir comment et pourquoi. C’est pour cette raison que j’ai continué encore et encore à tourner les pages du premier tome. Pour le deuxième tome, il s’agissait plutôt d’une envie de découverte d’un nouveau monde plus sauvage, et puis je voulais savoir comment les héros allaient s’en sortir.
Pour le troisième tome, je souhaite savoir ce qui suivra le chaos.

Dorota : La fraîcheur des personnages, leur engagement dans cette cause hors du commun… En plus, souvent, j’oubliais que ce livre est une dystopie. Je me suis retrouvée dans un récit d’aventure, d’amitié, d’amour naissant, le tout mené tambour battant ! Une belle histoire avec un rythme effréné.

Céline : A propos des personnages, l’auteur nous offre une galerie riche et variée : garçons, filles; jeunes et moins jeunes; « bons », « mauvais »; …  Quels sont ceux que vous retenez et pourquoi ?

Dorota : J’aime beaucoup Artelune. Curieuse, franche, indépendante, pleine d’énergie. Tahar aussi, avec sa soif de dessiner, une passion inassouvie, vu les conditions sous la Bulhavre. La vieille dame, Liriana, m’a impressionnée par sa résistance, son intégrité, sa détermination pour vivre  une vie différente de celle qui lui a été imposée.
Pour finir, j’ai adoré le personnage d’Iriulnik, LA méchante de l’histoire. On la déteste dans le premier tome, le deuxième apporte pas mal de révélations sur ce personnage…  Bonne ou mauvaise, Iriulnik est un pilier de cette aventure. Un personnage très abouti et complexe.

Carole : Exactement comme Dorot’ ! Artelune remporte mon prix du chouchou : pleine de répartie, courageuse, déterminée, entraînante : j’adore !

Dorota : Et toi Céline, tes petits préférés dans ce livre ?

Céline : Pour moi aussi, les personnages féminins remportent la palme : Artelune, Liriana, Iriulnik…  Toutes trois des personnages avec des caractères bien trempés.  Dans le 2e tome, c’est l’évolution de la « méchante » de l’histoire qui m’a davantage tenue en haleine.  Incroyable quand même son parcours d’enfance, effrayant même !  Côté masculin, je donnerais ma voix à Olius, l’Abominable, qui les suit et ce malgré des croyances et un mode de vie totalement différents !
Et toi, Kik ?

Kik : Je réfléchis depuis deux jours à cette question, et je me suis rendue compte que pour ces romans je n’ai pas de personnage préferé. Il n’y en a pas un qui sort du lot, je suis intéressée par le devenir de tous les personnages, aussi bien les gentils que les méchants.

Céline : C’est vrai Kik !  L’auteure n’en bâcle aucun et tous nous intéressent.  Cela doit être lié au fait qu’elle change constamment de point de vue et qu’on peut suivre tour à tour l’évolution de l’un puis de l’autre…  Cette façon de construire le récit vous a-t-elle plu à vous aussi ?  Et tant qu’on parle de style, que pensez-vous de la plume de Muriel Zürcher ?

Kik : Il y a quelque chose d’haletant dans l’écriture de Muriel Zürcher, le récit embarque le lecteur toujours plus en avant. On ne s’ennuie pas. Toutefois, le récit prend son temps.  Je ne sais pas trop comment expliquer cette dualité. Tout ne se passe pas en une semaine, les héros parcourent de grandes distances. Le temps passe, les choses évoluent lentement. L’auteur précise régulièrement à quelle saison on se trouve, car le temps s’écoule en mois plutôt qu’en jour. Et pourtant, on a l’impression que tout défile, et qu’il existe une pression constante sur les jeunes héros.

Carole : Entièrement d’accord avec toi Kik ! C’est là toute la réussite de l’auteure : étendre l’intrigue sur le temps de façon à nous prendre dans les filets spontanément ! Et ça fonctionne ! On est suspendu à chaque dernier mot des chapitres dans l’impossibilité de s’arrêter ! Magie de la lecture !

Dorota : Que dire de plus? Pas de temps mort dans ce roman. L’aventure et le suspense sont là, tout le temps. On voyage, on frissonne, on s’inquiète pour la suite. Efficace et passionnant.

Céline : Toutes ces qualités de fond et de forme sont-elles présentes tant dans le 2e tome que dans le premier ?  Autrement dit, votre enthousiasme est-il toujours aussi intact ?  Attendez-vous avec impatience le 3e et dernier volet ?

Kik : J’ai ressenti la même envie de tourner les pages dans les deux tomes, par contre, j’ai été déçue par la fin du tome 2 (que je ne vous révèlerai pas ici ! of course !), qui est un peu trop théâtrale à mon gout. Je lirai le tome 3, mais je l’attends avec moins d’impatience que le 2 à la fin du tome 1.

Dorota : J’attends la suite avec la même frénésie que pour le deuxième tome.  Il a fini en feu d’artifice (comme l’a remarqué Kik), mais j’attends avec l’impatience la façon d’agir de ceux qui ont emporté la victoire. Des fois,  on a des surprises…  Et, en plus, l’enfance d’Iriulnik met du piment dans l’histoire (là, tout le monde a envie de découvrir le tome deux, allez-y, à vos bouquins !)

Carole : Comme Kik et Dorota, je me suis empressée d’enchaîner le tome 2. Il s’est passé 3 jours entre le tome 1 et le tome 2, ce fut long ! La fin du tome 2 m’intrigue beaucoup… J’ai très envie de découvrir le tome 3, avec un peu moins d’impatience pour être honnête. Je ne sais pas du tout à quoi m’attendre mais je suis convaincue que Muriel Zürcher saura de nouveau m’embarquer par son écriture !

Céline : Je pense que nous sommes un peu moins impatientes car, quelque part, même si l’auteure termine ce deuxième tome par de nouvelles questions, il s’agit quand même d’une conclusion.  Pour ma part, je me demande comment l’auteure va redémarrer l’histoire.  J’imagine mal par exemple que tout s’enchaine sans un certain laps de temps…  Peut-être allons-nous retrouver les personnages avec quelques années de plus !  Tiens, ce serait peut-être une question à poser à l’auteure !
Pour conclure, que diriez-vous aux jeunes pour les convaincre de lire cette série ?

Dorota : C’est une saga magique…  Dystopie, certes, les amateurs du genre seront comblés. Ceux qui n’aiment pas les récits de ce genre y trouveront leur compte également. Pourquoi? Tout simplement parce que ce livre est avant tout une grande aventure, remplie de situations inattendues, pleine d’humanité et de courage.

Carole : Je lui tendrais le livre en lui disant :
 » Fais attention, tu ne vas pas pouvoir t’arrêter ! Et si tu es en manque, j’ai aussi le tome 2 ! »
D’ailleurs c’est exactement ce que j’ai fait avec le fils d’une amie qui a 10 ans… Deux jours après dringgggggggggggg  » Il me faut le 2 !!!  » : MAGIQUE !

Kik : Tu as entendu ce qu’elles ont dit les autres filles ? Tu le prends, tu le lis et tu verras à la fin tu me demanderas de te prêter le tome 2 ! Allez file !
Bonne lecture !

Grâce à Gabriel, nous avons pu poser nos questions à Muriel Zürcher.

ALODGA : Combien avez-vous prévu de tomes ?

Muriel Zürcher : Trois. Le dernier sortira en octobre prochain.

ALODGA : D’où vous est venue cette idée de misphère dans le nombril ?

M. Z. : L’invention de la misphère vient de l’idée du récit lui-même : la misphère est là pour matérialiser l’emprise de la société sur chaque homme qui la compose. Au nom de l’intérêt général, on renonce à sa liberté et on cède le contrôle de son corps et de son esprit. Pire ! Tout le monde (ou presque !) accepte que ses propres enfants soient soumis à cette contrainte.  Ce « presque », c’est le cocon où s’épanouit le récit.

Le nombril m’a semblé le lieu de la greffe idéal. D’abord parce que, intuitivement, j’ai pensé que c’était une porte d’entrée crédible d’un point de vue physiologique. Je n’ai pas fait de recherches particulières : comme pour le reste des éléments techniques du récit, j’ai visé la vraisemblance plus que la vérité scientifique. Ensuite, parce que la portée symbolique du nombril est très forte : le fait de couper le cordon ombilical est le geste qui sépare le nouveau-né de sa mère et lui donne son autonomie. D’ailleurs, cette signification perdure bien après la naissance puisqu’on utilise l’expression « couper le cordon » à tous les âges de la vie. Donc, greffer  une misphère à l’emplacement du cordon ombilical, cela signifiait symboliquement le remplacement d’une dépendance à la mère par une emprise de la société.

ALODGA : Vous êtes-vous inspirée de vrais enfants pour construire vos personnages (notamment Artelune, Alkan et Tahar) ?

M. Z. : Artelune, Alkan et Tahar sont des personnages de fiction, mais je ne les ai pas construits.  À cette période, je réalisais des recherches pour écrire un documentaire sur les émotions. Et plus j’avançais dans ce travail, plus j’avais envie de basculer du côté de la fiction. Les deux frères, qui trainaient par là, se sont imposés à moi en même temps que l’idée fondatrice du récit : le fait qu’un gouvernement exploite les souvenirs et les émotions pour produire de l’énergie durable. Artelune est arrivée juste après : j’ai vite compris que l’histoire ne pourrait pas se faire sans elle !

ALODGA : Comment fait-on pour trouver une si diabolique Iriulnik ? Imagination ? De vraies personnes insupportables ?

M. Z. : Pour construire le personnage d’Iriulnik, je ne me suis pas inspirée d’un individu réel en particulier (ou sinon, je ne le dirais pas… je tiens à dormir sur mes DEUX oreilles !), mais j’ai aménagé à ma sauce le tableau psychiatrique d’une personnalité perverse narcissique. Pour le premier tome, je voulais que ce personnage soit l’archétype du méchant, sans aucun élément qui puisse l’humaniser. Sur la quatrième de couv, il est noté : « dès 11 ans » : il s’agissait de donner des repères clairs aux plus jeunes lecteurs. La personnalité d’Iriulnik se complexifie dans le deuxième tome : d’abord parce on découvre ce qu’elle a vécu pendant son enfance et que cela éclaire son comportement d’un jour nouveau, mais aussi parce qu’elle instaure une relation dérangeante avec la petite Piupy. Et Iriulnik réserve encore quelques surprises aux lecteurs du tome 3 !

ALODGA : Le tome 2 pourrait constituer une conclusion en soi même s’il se termine sur la question de l’après. Si vous êtes d’accord de lever un coin du voile, peut-on savoir comment vous comptez redémarrer l’histoire ? Peut-être allons-nous retrouver les personnages avec quelques années de plus ?

M. Z. : La structure narrative des trois tomes suit l’évolution politique de la Bulhavre. Dans le premier tome, Iriulnik et son armée de tourneurs conservent la mainmise sur l’organisation de la vie sous la Bulhavre et dans l’Outre-Monde. Le récit ne s’achève donc que partiellement : les héros ignorent  quel sera leur avenir, ni même s’ils réussiront à survivre. Ils ne peuvent faire confiance à personne puisque les tourneurs ont détruit ou chassé tous leurs appuis. Cette situation correspond à celle d’un opposant qui vit sous un régime dictatorial : seul ou en petit groupe, susceptible d’être arrêté à n’importe quel moment, incertain quant à son futur.

Dans le tome 2, les héros ont conduit la révolte. Ils ont retrouvé des repères : qui est qui, qui pense quoi. Ils sont sereins quant à l’avenir : enfin les principes et les valeurs auxquelles ils croient passent au premier plan. La fin fait écho à ce sentiment des héros : ça y est, ouf, le cauchemar est terminé. Alors,  l’histoire est bouclée… ou donne l’impression de l’être.

Sauf que la révolte n’est pas une fin, c’est une première pierre sur laquelle tout reste à bâtir. Et ce défi est loin d’être simple à relever, comme l’actualité de ce début d’année 2013 nous le rappelle. Dans le tome 3, les héros ne tarderont pas à voir les problèmes arriver…

Mais ce parallèle entre le découpage des tomes et  le fonctionnement politique de la Bulhavre reste à sa place : en toile de fond. C’est l’aventure et les relations entre les personnages qui  occupent le premier plan.

ALODGA : Rétrospectivement, trouvez-vous vos romans  » engagés  » ? Quels messages (éventuels) avez-vous désiré faire passer ?

M. Z. : J’écris des histoires avec ce que je suis : ma vie, mon expérience, mes préoccupations, mes interrogations, mes principes, mes convictions… Inévitablement, ces éléments résonnent dans mes récits, avec plus ou moins de force. Une trilogie offre plus d’espace qu’un court roman, donc ça finit par faire un drôle de vacarme dans le Tourneur de Page ! Mais mon objectif n’est pas de faire passer des messages.  J’écris des histoires, libre à chacun d’y lire ce qu’il veut.

ALODGA : Que pensez-vous de l’engouement des jeunes pour la « dystopie » ? Le Tourneur de Page s’inscrit-il dans ce genre littéraire qui a le vent en poupe ?

M. Z : Au moment de commencer l’écriture du Tourneur de Page, je connaissais peu la littérature jeunesse d’anticipation. C’était une erreur, bien sûr ; l’arrogance du débutant, probablement. Depuis, je travaille à rattraper mon retard. Si j’en crois les lecteurs au bagage théorique conséquent qui se sont penchés sur le Tourneur de Page, alors, oui, cet ouvrage s’inscrit dans le genre de la dystopie.  Je pense que les jeunes aiment ces récits d’abord parce qu’ils racontent de belles histoires riches en aventures et en émotion ! Mais aussi parce qu’ils font écho aux angoisses collectives qui traversent le monde : la peur du désastre écologique, la crainte de voir la démocratie remise en cause pour un système totalitaire qui rassure avec des certitudes, le sentiment que les connaissances et compétences qu’on acquière aujourd’hui ne seront peut-être pas celles nécessaires pour vivre demain.

ALODGA : Votre roman a une dimension écologique indéniable. Est-ce un domaine qui vous préoccupe ?

M. Z. : Comment ne pas s’en préoccuper ? Mais on se sent tellement désarmé, pris en sandwich entre l’ampleur du problème et les dérisoires petits gestes qu’on peut mettre en œuvre.

Hier, j’ai lu un article (1) dans lequel Paul Ehrlich (biologiste) parlait du déni des décideurs et des médias concernant l’évolution du climat et de celle de l’homme. Il précisait : «Nous estimons que la probabilité d’éviter l’effondrement de la civilisation globale n’est que d’environ 10%. Et nous pensons que, pour le bénéfice des générations futures, cela vaut le coup de se battre pour monter cette probabilité à 11% ».

Moi aussi, je joue l’autruche. Je continue à vivre.

(1) « Notre civilisation pourrait-elle s’effondrer ? Personne ne veut y croire. » article de Stéphane Foucart publié dans le supplément « culture et idées » du Monde du samedi 9 février 2013.

ALODGA : Lisez-vous vous-même de la littérature jeunesse ?

M. Z. : Oui, mais je ne lis pas que ça.

ALODGA : Que diriez-vous aux jeunes pour les convaincre de lire Le Tourneur de Page ?

M. Z. : Je suis nulle à ce petit jeu-là.  Je leur dirais peut-être d’aller lire vos blogs ?

Si vous n’êtes toujours pas convaincus, suivez son conseil…  judicieux 😉
Voici nos liens :
Pour le tome 1 :
Céline – Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse
Dorota – Les livres de Dorot’
Gabriel – La mare aux mots
Kik – Les lectures de Kik
Pour le tome 2 :
Céline – Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse
– Gabriel – La mare aux mots
Dorota – Les livres de Dorot’
Extra :
Une autre interview de l’auteur chez Gabriel de La mare aux mots

Un tout grand merci à Muriel Zürcher et à Gabriel pour leur collaboration généreuse.

Bonne lecture !