Lecture commune : Au début.

Aujourd’hui, on vous parle d’un album qui bouscule les codes à tous les niveaux et dont la lumière nous a toutes marquées durablement.

Au début, Ramona Badescu, Julia Spiers, Les Grandes Personnes, 2022.

Colette. – Quelles ont été vos premières impressions à la découverte de cet album extra-ordinaire ?

Lucie. – Un peu perplexe au début (héhé). Surprise par le peu de texte, par ces immenses illustrations… La forme inhabituelle m’a questionnée, tu as raison de parler de « forme extra-ordinaire ».

Frédérique(Liraloin). – Une belle impression, tout d’abord car il a été le cadeau d’anniversaire offert par mon fils cadet, sa couverture est très intrigante (de la première à la 4ème de couv) !

Colette. – J’ai tout de suite adoré le format, le toucher du papier de couverture, les couleurs pastels, le dessin de Julia Spiers reconnaissable entre mille et je me suis dit que cela devait être un livre sur les saisons ! Un album pour enfants qui chanterait le printemps, l’automne, l’été, l’hiver… J’ai été très surprise en l’ouvrant !

Fédérique.- Oh ! extra cette première impression, c’est vraiment ça, rien ne laisse présager une histoire de famille.

Blandine. – Une impression de beau. Le format est grand, agréable, et les couvertures sont magnifiques, emplies de nature, qui laissent imaginer le passage du temps et des saisons entre les fleurs, les fruits et les oiseaux. J’imaginais bien un album sans texte ou presque, mais pas avec des humains. Le titre attire, interroge, tout comme l' »encadré » en flèche dans lequel il se trouve.

Isabelle. – Tout comme vous ! J’ai repéré cet album dans la vitrine d’une librairie et il m’a immédiatement attirée avec ses couleurs chaleureuses mais douces. Et en passant la main sur la couverture cartonné, même impression de douceur ! J’ai lu l’album avec mon fils et l’incipit qui parle d’un grand arbre, d’une maison pleine de vie m’a tout de suite parlé et rappelé le lieu où j’ai grandi.

Colette. – Le titre du livre nous mettait quand même sur la voie : qu’est-ce que ces quelques mots vous ont inspiré ?

Lucie. – J’avais compris suite à nos échanges en amont que cet album allait retracer la vie d’une famille au travers de sa maison. Mais « Au début » est un titre très ouvert, il aurait aussi pu convenir à un livre sur la nature, le temps qui passe… Ce qu’il est aussi d’ailleurs !

Frédérique. – J’avoue que je n’ai pas fait attention au titre plus que ça, c’est plutôt l’illustration de la couverture qui m’a interpellée et ce détail, le triangle en forme de flèche, qui invite à ouvrir le livre.

Blandine. – Au début… Oui un commencement, mais de quoi ? Je ne me suis pas trop posé la question, je me suis laissé (em)porter.

Colette. – J’avoue que tout de suite ces quelques mots m’ont fait penser au poème biblique de la Genèse ! « Au début il n’y avait rien » C’est un texte que j’ai longtemps fait étudier à mes petits élèves de 6e, je l’ai toujours trouvé très réjouissant, ce grand rien qui se transforme en monde foisonnant ! Un peu l’histoire de notre album d’ailleurs !

Isabelle. – Je n’ai pas fait le rapprochement ! Mais ces mots m’ont intriguée. Difficile de savoir quoi s’imaginer : au début de quoi ? Après tout, il y a toujours un début plus antérieur… Rechercher « le début » est souvent un exercice vertigineux, tous les enfants qui aiment poser des questions et remonter la chaîne des causes le savent.

Colette. – Que diriez-vous que cet album raconte ? Une fois ouvert qu’avez-vous découvert ?

Blandine. – L’album et sa narration « à l’envers » sont assez déconcertants. Les phrases sont lapidaires et l’illustration, dominante, ne correspond pas toujours pleinement. C’est intéressant comme une toute petite phrase peut orienter notre regard sur un point/un aspect d’une grande image, et pourtant la décrire toute entière. Un peu comme dans l’album La Perle, il y a un rapport micro/macro.

Lucie. – Justement, j’ai mis un peu de temps à comprendre quel était le propos. Le temps passe lentement au début, puis les années passent plus vite… C’est un peu comme dans la vie, on ne sait pas à quoi s’attendre réellement, on a une vision d’ensemble que bien après la succession des évènements.

Frédérique. – Ce vert qui domine la couverture intérieure et puis cet incipit très intéressant, qui invite à rencontrer une famille, ça m’a fait penser au film Milou en mai immédiatement. Et cette petite pousse qui accompagne la page de titre, une petite vie qui s’installe finalement.

Blandine. – Il y a d’abord le petit poème qui donne des indices. C’est délicat.
Avec la première phrase, sous l’illustration pleine page « au début, on était tous là, dans l’ombre fraîche du vieux néflier », j’ai cru à une histoire de deuil. Parce qu’avec la formulation « au début », je m’attendais à un « après » ou « ensuite »… Une disparition en tout cas. J’ai vu la date, mais sans y prêter vraiment attention, jusqu’à ce qu’elle se répète, puis aille en décroissant. Cet album raconte deux histoires parallèles je dirais. Celle d’une famille, dont on remonte l’origine, mais surtout celle du néflier, à l’ombre duquel, elle s’est déployée, comme lui ses branches, ses feuilles, ses fruits, et qui nourrissent les enfants et les histoires (de famille).

Isabelle. – Voilà, on le pressent dans ce que dit Blandine, cette histoire prend de court parce qu’elle n’est pas racontée comme un récit classique avec un début, des péripéties et une fin. On part plutôt d’une scène qui pourrait être le début de quelque chose et on glisse vers un début antérieur. C’est un album à remonter le temps qui nous donne à voir les prémisses de la première scène, puis leurs propres origines, et ainsi de suite.

Blandine. – Et lorsqu’on arrive à la fin, et que tout fait sens, on veut reprendre l’album en le relisant à l’envers…. comme nous y invite d’ailleurs la couverture. Parce qu’on l’a lu dans notre sens de lecture, par habitude. Mais on aurait pu s’en affranchir et partir dans l’autre sens, sans être perdus. Et on aurait découvert l’histoire de cette famille (d’abord du coup) puis du néflier, dans un sens chronologique, « normal ». Il y a comme une invitation à bousculer les codes, à les renverser/inverser, sans pour autant tout déstabiliser.

Isabelle. – Vous avez tout de suite saisi le principe ?

Lucie. – Pas tout de suite mais assez rapidement. Le saut dans le temps de cinq ans en arrière et la présence de la grand-mère tout de même bien reconnaissable aide un peu. Mais comme tu le disais, Isabelle, cette histoire n’étant pas racontée de manière classique le lecteur est immédiatement mis dans une position active de chercheur. Il cherche les indices qui vont le guider au fil de cet album. En tout cas c’est ainsi que je l’ai vécu ! Et comme Frédérique cette recherche m’a empêchée de me laisser emporter dès la première lecture.

Blandine. – Je crois aussi que c’est une expérience de lecture unique pour chacun. Nos premières impressions sont aussi le reflet de nous-mêmes et de nos attentes/expériences.

Frédérique. – La première lecture n’a pas été évidente pour moi, il m’a fallu ce temps d’observation tout de même, sans doute que la chronologie orientait trop ma perception des choses, j’aime me laisser emporter et je n’aime pas le « contrôle » en littérature. Puis au fur et à mesure de l’histoire j’ai de plus en plus apprécié ce choix narratif et cet axe. Que ce soit le néflier le « héros » de cet album.

Blandine. – J’ai ressenti exactement la même chose. Une sorte de déstabilisation, puis en seconde lecture, la poésie.

Frédérique. – Tout à fait Blandine, l’intérêt de cette lecture est ici, le fait de pouvoir commencer par la fin si nous en avons envie : la petite pousse a donné un fruit.

Isabelle. – C’est vrai que c’est un album très subtil. Il montre presque imperceptiblement les membres de la famille qui rajeunissent, leurs relations parfois longues qui rétrécissent, les époques qui changent et que l’on peut reconnaître à certains objets ou vêtements… Mon fils a très vite repéré ces éléments anachroniques : « les ordinateurs étaient vraiment comme ça dans les années 1990 ? »

Frédérique. – Maintenant que tu en parles, Isabelle, nous avons eu la même réaction avec mon fils, nous avons cherché les modes et nos références à travers les années. Quelle nostalgie surtout en arrivant dans les années 70 et 80.

Blandine. – Pour moi, ça a plutôt été les années 90 !

Lucie. – Les ordinateurs, les vêtements (le jogging de 1993 !), le caméscope ! A eux seuls ces objets sont un voyage dans le temps. En tout cas pour nous parents qui ont vécu cette époque. Je ne l’ai pas lu avec mon fils mais je suis curieuse de savoir ce que vos enfants en ont pensé.

Blandine. – J’ai adoré ces retrouvailles « rétro »!! Je ne l’ai pas lu avec mes enfants, car uniquement sur mon téléphone (et feuilleté en librairie), ce qui n’est pas idéal pour une lecture même à deux.

Frédérique. – Lucas a bien aimé car après notre lecture, nous sommes revenus sur différents détails et nous avons remonter l’histoire pour mieux comprendre le rôle de chaque personnage : commencer par la fin notre deuxième lecture a été plus simple pour identifier les enfants qui deviendront parents, puis grands-parents….

Colette. – Mon Petit-Pilote-de-Trotinette lui a remonté le fil en cherchant à identifier un personnage principal, c’est-à-dire un personnage que l’on retrouverait du début à la fin et dont on découvrirait le visage changeant au fil des pages. Est-ce que vous aussi vous avez cherché à identifier un personnage en particulier ? J’ai trouvé l’exercice difficile mais vraiment réjouissant !

Frédérique. – Oui, et d’ailleurs j’ai un peu répondu à ta question plus haut, le fait d’identifier les personnages permet de s’imprégner et un peu faire partie de cette famille. Ce que j’ai le plus aimé, ce sont les pleines pages où l’on voit un élément de la nature en gros plan comme pour mieux s’arrêter deux secondes et prendre le temps de respirer dans cette chronologie qui va un peu vite.

Isabelle. – Oui, tout à fait. Ça a été notre réflexe aussi et c’est pour cela que nous avons fait les allers et retours dont je parlais toute à l’heure surtout au début de l’album, scrutant les chevelures, les silhouettes, les gestes plutôt fraternels ou plutôt amoureux pour nous repérer dans cet arbre généalogique et cette famille ! L’impression de mener l’enquête, comme tu le disais Colette.

Lucie. – Comme vous j’ai fait des aller-retours et cherché des ressemblances dans les personnages pour les identifier. L’exercice s’est d’ailleurs révélé assez amusant, comme quand on feuillette de vieux albums photos.

Isabelle. – C’est devenu un jeu de traquer ces objets : tissus, motifs, tourne-disque, téléphone filaire, voiture…

Blandine. – Je n’ai pas du tout fait de tels aller-retours pour traquer les personnages. Hormis le néflier peut-être ! Mes allers-retours étaient surtout sur les rapports micro/macro. Comme par exemple entre les pages 9-10-11 où l’on voit la petite fille montrer le néflier ou le ciel du doigt. Puis on voit un plan large avec le néflier, un avion qui passe au-dessus dans le ciel bleu. Et sur la dernière page, elle ramasse une coquille d’œuf, et l’on comprend ce qu’elle montrait réellement : le nid. J’ai adoré ces subtilités.

Colette. – Une quête vertigineuse des débuts, des histoires parallèles, celle d’une famille, celle d’un arbre : cet album raconte-t-il vraiment quelque chose ? J’ai vraiment eu l’impression que l’incroyable puissance de ce livre était que justement il ne racontait pas, mais qu’il était une expérience à lui tout seul, une expérience incroyable de voyage dans le temps. Avez-vous eu aussi cette impression ?

Isabelle. – Je te rejoins complètement Colette. Ce livre ne raconte pas vraiment quelque chose (même si on pourrait le prendre par un autre bout pour retomber sur nos pattes avec un récit plus classique, on y reviendra j’imagine !) mais pourtant il y a une tension narrative qui vient, je crois, de l’expérience dont tu parles. Il y a un côté expérimental (qu’est-ce que cela va donner, jusqu’où peut-on remonter ainsi ?) et un peu vertigineux qui rend cette lecture très intrigante et ludique.

Frédérique. – Oui, j’ai eu cette même impression que toi Colette, ici c’est le néflier mais ça aurait tout aussi bien fonctionné avec une maison de famille, un lieu…

Lucie. – Ce livre m’a semblé à l’image de la vie : on ne sait pas vers quoi elle nous entraine tant que l’on a pas avancé, ni quels éléments auront finalement leur importance. La vision globale n’est possible qu’une fois que l’album est terminé. C’est effectivement un voyage dans le temps un peu vertigineux !

Frédérique. – Exactement Lucie, c’est vertigineux et ce voyage dans le temps est très émouvant.

Blandine. – Je l’ai plus ressenti comme l’inverse, un retour aux sources: « voilà d’où on vient. Voilà comment tout a commencé ». Une expérience oui, mais qui raconte quand même trois histoires parallèles : celle de la famille humaine, celle de l’arbre, et celle des oiseaux que nous voyons dans l’œuf, nourris, voler…. Mais une histoire qui peut se passer de mots… et de dates. Elles semblent être là pour nos parts cartésiennes. Cet album me fait penser à un album photo.

Isabelle. – C’est quelque chose qui m’a touchée (il y a plein de choses qui m’ont émue dans cet album). Cette manière d’imbriquer les temporalités, celle plutôt courte du nid d’oiseau, celle plus longue des vies humaines et d’une famille qui se renouvelle et celle plus longue encore d’un arbre qui s’épanouit et semble veiller sur tout ce joli monde. Cette lecture m’a donné l’impression de voir ces vies condensées, cela passe finalement vite et en même temps, cet album est dense de moments marquants !

Colette. – Et parfois le temps s’allonge comme dans ces deux pages consacrées à décembre 1960. Le même jour pluvieux. Deux pages que c’est long dans cet album ! Un moment sans doute particulièrement marquant. Et pourtant aucune naissance, aucune rencontre. De l’ennui. L’attente d’un coup de fil… J’ai adoré comment la perception subjective du temps était ainsi orchestrée, pour moi vraiment c’est brillant !!!

Isabelle. – Oui ! Peut-être mes pages préférées – aussi parce que les années 1960… Il y a aussi ce jour de décembre 2010 où un bébé s’éveille alors que juste avant, il dormait, et pendant ce temps la neige enveloppe le néflier… Les grands moments familiaux alternent avec des instants qui pourraient sembler banals, de tâches quotidiennes, de jeux, de tendresse ou même tout simplement de sommeil. Une existence, en somme.

Colette. – Vous soulignez qu’il vous a fallu plusieurs lectures pour saisir la « substantifique moelle » de cet album hors du commun : combien de fois l’avez-vous relu et pourquoi en avez-vous eu besoin ? Que recherchiez-vous, chères enquêtrices ?

Frédérique. – Je l’ai lu souvent, je ne sais plus combien, comme j’étais très touchée par ce cadeau, je voulais en profiter encore et encore.

Isabelle. – Pour ma part, j’ai pris le temps de revenir en arrière dès la première lecture parce que j’étais avec mon moussaillon et que nous avions envie de comprendre. Nous avons feuilleté dans un sens et dans l’autre les premières pages, pris le temps de reconnaître les personnages à différentes dates, de nous repérer dans la famille et dans ce jardin. Puis assez vite, nous avons trouvé nos marques et avons joué à identifier les fils conducteurs d’une époque à l’autre – par exemple les animaux domestiques. Et aussi ce qui caractérise chaque époque, comme par exemple la chambre d’ado dans les années 2000 qui ressemble un peu à celle que j’avais. Et pendant ce temps, nous ne perdions pas de vue que tout cela allait nous mener quelque part, et que nous nous demandions bien où…

Blandine. – Je l’ai lu 3 fois. Il y a eu la découverte, déstabilisatrice : le rapport images/texte. La quête de sens: rechercher les détails, saisir ce que l’album nous raconte, le regard orienté, les petits détails. La poésie, se laisser porter et laisser aller les résonances…

Colette. – Comme toi Blandine, j’ai lu cet album comme une relecture de l’histoire de la femme que j’ai identifiée comme personnage principal, un retour aux sources, là où tout a commencé et au final le début c’est quand même le jour où cette femme a semé des graines de néfliers dans le jardin de la maison familiale. Quel acte hautement symbolique ancré dans l’enfance ! Que de poésie et de philosophie, là, à portée d’images ! Et contrairement à ce qui a été dit plus haut je pense que l’album n’aurait pas la même poésie sans les dates. Les dates participent de la poésie et de l’infinie profondeur de cet album. Qu’en pensez-vous ?

Lucie. – A vrai dire une fois lancée dans la « lecture » je n’ai pas vraiment prêté attention aux dates, excepté pour vérifier le sentiment d’une époque (donné grâce aux objets évoqués plus haut), au physique des personnages… Pour moi elles ne sont pas indispensables.

Frédérique. – Pour moi les dates sont là pour nous aider à nous repérer dans le temps. La poésie de cet album est plus ancrée dans ce temps qui passe et notre œil au bout d’un moment ne fait plus attention aux dates…

Isabelle. – Je pense qu’elles sont utiles pour se repérer pour celles et ceux qui, comme nos enfants, n’ont pas forcément les clés pour décoder les indices glissés dans les illustrations. Mais personnellement, j’adore les dates. Je les retiens facilement et il me suffit d’en lire une pour déployer tout un imaginaire dans ma tête. Je lis « septembre 1997 » et je me souviens des tubes qui passaient à la radio, des vieux ordis qu’il fallait connecter à Internet à l’aide d’un modem, du parfum de l’adolescence. Je lis années 1950, années 1960, et j’ai une foule de films, de photos, d’événements qui me viennent en tête. Et puis il y a quelque chose de berçant dans cette litanie de mois et d’années qui rythment les pages. Ou dans quel sens dirais-tu que cela participe de la poésie, Colette ?

Colette. – Il me semble que la perception subjective du temps qui passe est rendue par la précision des dates : regardons cet été 1952 qui « dure » dix pages ! N’est-ce pas une manière de rendre cette intensité du moment présent caractéristique de l’enfance. Un été qui dure, qui s’étire, un été merveilleux qui nous marquera toute la vie alors qu’il n’a en réalité duré que trois mois. Un rencontre dans les années 60 et le temps s’accélère. Voici venu l’âge adulte et son rythme infernal.

Blandine. – Tu as parfaitement retranscrit ce sentiment d’élasticité du temps, qui se dilate/se rétracte, et de la perception qu’on en a. Comme ces week-ends et vacances qui passent toujours trop vite, à l’inverse des moments ennuyeux, difficiles.

Lucie. – Tu as raison, cela fait sens présenté comme cela. Je pense aussi qu’Isabelle a raison : ces dates sont nécessaires pour les enfants qui n’ont pas du tout les mêmes repères temporels que nous.

Blandine. – Les dates apportent une structure. Parfois elles sont indiquées, parfois pas. Parfois le saut dans le temps est grand, parfois pas. Celles dont on se souvient, pour de grands évènements, et parfois pour des choses « insignifiantes ». J’aime !

Colette. – Comment avez-vous imaginé le travail des autrices pour cet album ? J’ai été très surprise de voir 2 noms sur la couverture car je n’ai pas accordé beaucoup de place au texte mais en effet il y a un véritable travail d’écriture dans ce livre, une écriture implicite mais exigeante.

Isabelle. – C’est sidérant de réaliser que le texte, en fait, ne raconte qu’une histoire : celle du néflier. C’est lui qui est raconté par la narratrice. Et en fait, tout ce que donnent à voir les illustrations, ce sont des sortes de scènes secondaires qui se greffent sur cette histoire au long cours !

Colette. – Exactement Isabelle ! Comme si la véritable histoire de ce livre, comme Frédé le dit depuis le début, c’était celle de l’arbre et pas du tout des humains. Et là j’y vois tout un message philosophique implicite sur la place de l’humain dans la nature, une place toute relative..

Frédérique. – Quel texte, elle est ici cette poésie, « Au début » ce titre introductif que l’on retrouve comme une ritournelle à chaque évènement important. Ce néflier, témoin de ces scènes de vies qui se jouent devant lui.

Blandine. – En effet, le format choisi doit être précis, impactant. C’est un exercice exigeant. Il n’y a qu’une phrase que de temps en temps, polysémique, mais qui ne concerne que le néflier donc… Mais que nous rapportons certainement à nous-mêmes, humains. Cette forme nous permet de nous remettre à notre place dans la Nature, son Cycle, la Vie.

Isabelle. – J’ai perçu la même chose. Les générations vont et viennent sous le feuillage du néflier qui surplombe tranquillement tout ça. Il en a vu d’autres. Mais il y a quelque chose d’apaisant à voir que quelle que soit l’époque, les mésanges gazouillent, les fruits mûrs sont sucrés, les mouflets ont toujours joué et joueront toujours : « au début, on était enfants, et on n’a rien dit à personne. » Intemporel.

Frédérique. – C’est ce terme : intemporel qui définit parfaitement cet album tout comme cette nature qui sera toujours témoin d’une vie qui passe.

Colette. – Tout à fait ! Voilà un album qui nous invite à reconsidérer notre rapport au temps en mettant en parallèle la temporalité cyclique de la nature et l’horizontalité d’une vie humaine mais aussi à l’intérieur d’une vie humaine le ponctuel et l’intemporel. Un conte philosophique, une fable ordinaire, un album-à-voyager-dans-le-temps : voilà un livre difficile à faire rentrer dans une case !

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Vous pouvez retrouver les avis d’Isabelle, Linda et Liraloin en suivant les liens !

Lecture commune : Fin d’été

Pour finir l’été, nous avons préparé une lecture commune autour d’un album qui respire la fin des vacances et le désir de les prolonger encore un peu. Le très doux Fin d’été de Stéphanie Demasse-Pottier, illustré par Clarisse Lochmann.

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Fin d’été, Stéphanie Demasse-Pottier et Clarisse Lochmann, L’Etagère du bas, 2021

Lucie : J’avais envie de commencer en vous demandant comment vous aviez découvert le travail de Clarisse Lochmann, et sa collaboration avec Stéphanie Demasse-Pottier ?
Comme pour ma part c’est grâce à Colette, je suis curieuse de savoir ce qui la touche particulièrement ?

Linda : J’ai pour ma part découvert Clarisse Lochmann grâce à Colette qui nous a proposé son titre La passoire pour le prix ALODGA 2021. J’ai été séduite par son univers graphique et depuis je la suis de près. C’est sur son compte instagram qui j’ai eu vent de la sortie de Fin d’été que je me suis empressée d’acheter. L’occasion de découvrir la magnifique association de ces deux artistes talentueuses. Je viens d’ailleurs de me procurer leur dernier travail en commun Même les crocodiles n’ont pas sommeil !

Colette : Clarisse Lochmann a un style bien particulier, un univers à la fois flou et intense, que j’ai tout de suite reconnu quand j’ai vu la couverture de Fin d’été sur les rayonnages des nouveautés de ma médiathèque préférée ! C’est le bleu qui m’a fasciné, comme la première fois. Quand on a aimé un album à la folie comme j’ai aimé La Passoire, je ne pouvais résister à la tentation de m’agripper à cette fin d’été prometteuse. Et puis le titre de cet album a ouvert la porte des possibles et des souvenirs. Une porte qu’il me fallait plus qu’entrebâiller.

Blandine : C’est grâce à Colette, et sa proposition pour La Passoire, que j’ai découvert le travail de Clarisse Lochmann. Son univers graphique m’a immédiatement séduite et emportée. Pour Fin d’été, j’ai acheté l’album sans hésiter une seconde. La couverture est magnifique, et quel titre ! S’y entremêlent mélancolie, renouveau, transmission.
Quant à Stéphanie Demasse-Pottier, je la découvre avec cet album – et j’aime !

Lucie : Ce que dit Blandine au sujet du titre est très juste : trois mots, une petite fille qui ferme un parasol et nous voilà immédiatement renvoyées à nos propres souvenirs de départ. En tout cas ça a été très efficace pour moi. 
Avez-vous eu la même sensation ?

Linda : Je ne l’ai pas abordé sous l’angle du départ. Je pensais que l’album parlerait des vacances et des derniers instants que l’on savoure. Bien entendu cela a éveillé des souvenirs de ma propre enfance. Nous partions en juillet avec mes parents mais ils nous arrivaient souvent, jusque fin août, de goûter encore aux plaisirs des plages du nord avant de retrouver le rythme plus effréné qu’amène la rentrée scolaire.

Colette : Moi non plus, je n’ai pas du tout imaginé qu’il s’agirait d’un album sur le départ. J’étais tellement imprégnée encore de ma lecture de La Passoire que j’ai cru que l’album raconterait un évènement imaginaire, un mécanisme psychologique. Je ne m’attendais pas à une narration réaliste. Pourtant le titre aurait du me guider !

Lucie : Qu’ils relatent un mécanisme psychologique ou une narration réaliste, les deux albums que j’ai pu lire m’ont laissée avec une tristesse latente. 
Avez-vous ressenti la même chose ?

Blandine : Tristesse non, mais mélancolie oui. L’album, les illustrations « non figées » grâce à l’encre, nous transportent auprès des personnages, et nous emportent dans nos propres souvenirs, à la fois vrais et idéalisés. J’aimerais cette douceur de fin d’été/vacances, cette possibilité de prendre encore un peu le temps, de s’affranchir encore un peu des contraintes que la Rentrée entraîne.

Linda : J’ai pour ma part ressenti un profond sentiment de nostalgie, une volonté de retenir quelque chose, de faire durer un plaisir : les souvenirs de la nuit ou la joie des vacances.

Colette : J’ai tellement souffert de ce sentiment que la fin de l’été marquait : la fin de quelque chose de tellement plus grand et plus fort que simplement « la fin des vacances » que j’ai proposé à ma famille de ne plus laisser finir les vacances. Maintenant fin août, quand la rentrée approche, nous partons en vacances, au fil du rasoir, les jours juste avant de retourner à l’école. Une toute petite escapade mais qui nous fait nous sentir « rebelles et biens vivant.e.s » ! En fait le plus insupportable ce sont les quelques jours qu’on a tendance à prévoir pour reprendre les « bonnes habitudes » comme pour faire tampon entre deux vies, l’une de liberté, l’autre de contraintes. D’ailleurs ce sentiment en dit long sur les mécanismes qui régissent nos sociétés occidentales contemporaines dans lesquels le travail est encore très au cœur de notre existence, jusque dans son intime temporalité.

Blandine : Comme tu as raison Colette !! Cette habitude de « tout » prévoir, d’être constamment dans l’anticipation, dans le « au cas où », et qui finalement, nous empêche d’être dans le présent, dans l’instant, de vivre pleinement les moments qui s’offrent à nous, avec ceux qui nous entourent, eux-mêmes peut-être accaparés par leurs propres anticipations, parce qu’il faut se préparer, être prêts à … »
Quant au travail, il faut savoir couper, mettre de la distance, car il est facile de le laisser s’infiltrer à tous les moments de notre vie, par le biais des téléphones (surtout) qui nous servent à être joignables à tout moment et partout par les mails, messages, appels. Ou « simplement » pensées.

Lucie : Tu as raison Blandine, « mélancolie » est le terme juste.
Quant à la fin des vacances, ce petit moment volé m’a fait penser à ce que Timothée de Fombelle raconte dans Neverland : le départ du dimanche soir, à contre courant des vagues de retour pour un dîner-pique-nique à Fontainebleau (de mémoire). Cette capacité à saisir l’opportunité, à offrir des moments inattendus et précieux à ses enfants… C’est rare !

Blandine : Je vais faire remonter Neverland sur le dessus de ma PAL moi ! Ce qui empêche, ce sont des mécanismes ancrés d’habitudes, de transmission familiale, de craintes diverses. Il faudrait oser, oser oser même !

Linda : Oui c’est tout à fait ça ! Il est important de vivre l’instant présent, d’être spontané et de toujours laisser de la place à l’imprévu. Il y a toujours un plaisir immense à organiser les vacances, cela permet de se projeter. Mais une fois sur place, j’aime que nous ne fassions pas ce qui était prévu pour nous laisser porter par nos envies du moment. Au final nous savourons vraiment plus ces instants, pour la liberté qu’ils nous donnent de vivre pleinement une journée déconnectée de la rigidité du calendrier.

Lucie : Dans l’album, cette manière de retarder le retour m’a vraiment plu. Stéphanie Demasse-Pottier pousse plus loin que le traditionnel pique-nique sur la route. Cette nuit à la belle étoile est très jolie idée. Cela m’a donné l’impression que les parents n’avaient pas perdu leur âme d’enfant. Qu’ils sentaient la peine de leur fille et qu’ils décidaient de faire à leur famille un dernier cadeau, souvenir précieux, de leurs vacances. J’ai vraiment aimé que l’enfant semble associé à la décision de dormir dehors, au choix du lieu de campement…
Le souvenir et le temps (qui passe, que l’on décide de prendre ou non) me semble central dans cet album. Qu’en pensez-vous ?

Colette : Le temps en effet est au cœur de cet album : il y est question du temps que l’on prend, en famille, pour écouter ses émotions, les accompagner, leur trouver une manière de s’exprimer, de se transformer. On en parle souvent pour la colère mais plus rarement pour le chagrin, la mélancolie. Et puis dans cet album, c’est fait avec beaucoup de délicatesse, une certaine économie de mots, une forme de pudeur qui fait toute la beauté de l’écoute des parents. La tristesse de l’enfant résonne beaucoup en moi, j’imagine en vous aussi. Elle résonne sans doute d’autant plus que, souvent chez moi, elle n’a non seulement pas été entendue mais je n’ai jamais eu l’idée de l’exprimer. Peut-être vivions-nous cette mélancolie chacun.e de notre côté alors qu’il y a quelque chose de profondément joyeux à la vivre ensemble, à la célébrer ensemble.

Linda : Le temps rythme l’album de la même manière qu’il rythme nos vies. Que ce soit le temps que l’on prend, celui qui nous pousse à aller plus vite ou à ralentir, ici il est connecté aux émotions de chacun des personnages et c’est probablement pour cela que cet album nous touche autant. C’est aussi parce qu’ici les parents sont bienveillants, écoutent et accueillent les émotions de leur enfant avec délicatesse. Comme Colette, c’est quelque chose qui me touche intimement car mes émotions, surtout si elles étaient négatives, n’étaient pas entendues et il était même préférable de les taire. J’imagine que cela est lié à l’évolution du regard que l’on a sur l’enfant… Toujours est-il que je me demande également s’il ne serait pas plus agréable de partager notre mélancolie pour la rendre plus agréable.

Blandine : Je vous rejoins complètement sur le rapport au temps. Prendre le temps de faire les choses, comme de (re)connaître nos ressentis.
Je crois aussi qu’il y a quelque chose de générationnel dans l’expression possible des émotions et de leurs diversités. Pour preuve l’incroyable production (et pas seulement littéraire) autour d’elles. Ce qui était auparavant tu, indéterminé, non nommé ou réduit est désormais recherché dans toutes ses nuances. Être mélancolique, ce n’est pas forcément être triste ; être contrarié, ce n’est pas être en colère, etc. Parents et enfants sont encouragés à identifier les émotions. Cela crée ou renforce des liens, favorise des échanges et discussions. Mais il faut aussi garder de la spontanéité, de la surprise. Ce que font les parents de cet album. Et j’aime ça !

Lucie : Pour conclure, je vous propose de revenir un instant sur l’univers graphique de Clarisse Lochmann. Comme vous le disiez au début de cette discussion, c’est en grande partie ce qui vous a attirées vers cet album. J’ai eu la chance de rencontrer Clarisse Lochmann dans un festival, et elle plaisantait en disant qu’elle faisait des tâches et qu’elle débordait. Ces illustrations un peu floues sont en effet une marque de fabrique immédiatement reconnaissable. Que vous inspirent-elles ?

Blandine : Des tâches peut-être, mais avec un très fort pouvoir évocateur. J’aime qu’il n’y ait pas de contours, pas de limites, que ça déborde. La base est commune mais chacun y voit, y trouve, y ressent ce qu’il veut, ce qui s’impose. De fait, l’expérience de lecture est unique et sans cesse renouvelée. C’est très poétique. Paradoxalement, cette « liberté » peut aussi en dérouter certains.

Linda : De bien jolies tâches alors ! C’est un style graphique que j’apprécie énormément car ce flou laisse place à l’imagination de chaque lecteur et permet de laisser s’exprimer ses propres représentations. C’est vraiment poétique ! Comme le dit Blandine, ce style propose une expérience de lecture qui se renouvelle, ce qui est toujours très plaisant.

Colette : Ce que j’aime aussi dans le style de Clarisse Lochmann c’est qu’elle laisse les traces de ses esquisses, que l’on devine le crayon à papier. Je suis toujours pleine de gratitude pour les artistes qui nous montrent comment ils/elles travaillent, je trouve que c’est très généreux de partager avec nous, même implicitement, leurs secrets de fabrication.

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Nous espérons vous avoir donné envie de découvrir les albums de Clarisse Lochmann, qu’elle les ait réalisés seule comme La Passoire ou avec sa complice Stéphanie Demasse-Pottier comme Fin d’été ou Même les crocodiles n’ont pas sommeil ! Pour notre part, vous l’aurez compris, nous sommes sous le charme !

Lecture commune : Momo

Michael Ende est un auteur incontournable de la littérature jeunesse allemande : un talent de conteur immense, un imaginaire ahurissant, mais aussi et surtout un art de s’approprier de grandes questions philosophiques pour en faire de captivants récits d’aventure.
Dans Momo, il est question du temps. À l’heure de la course à la productivité et des écrans qui viennent combler chaque seconde de vide, nous avons eu envie de nous arrêter autour de ce livre et de méditer la valeur du temps passé à ne rien faire, à rêver, à jouer et à partager avec les êtres aimés…

Momo, de Michael Ende, 2009 pour la traduction en français, Bayard Jeunesse.

Isabelle : Michael Ende est un auteur absolument incontournable de la littérature jeunesse allemande, mais semble beaucoup moins connu en France. Aviez-vous déjà entendu parler de lui avant de lire Momo ?

Colette : Oui… grâce à toi ! Par le biais de ton article sur Jim Bouton et Lucas le chauffeur de locomotive notamment, et par une discussion que nous avions eue sur LHistoire sans fin que nous étions plusieurs à connaître grâce à l’adaptation cinématographique qui nous avait enchantées enfant ! Mais sinon en effet, il n’a pas, en France, la renommée qu’il semble avoir en Allemagne.

Lucie : Je connaissais L’Histoire sans fin de nom, mais je ne l’ai ni lu, ni vu l’adaptation. Cela me semble être son œuvre la plus connue en France.
Cela dit, suite à tes conseils et à la lecture de Momo, je l’ai acheté et je compte bien m’y plonger bientôt !

Isabelle : Pourquoi lire ce roman paru en 1973 en 2020 ?

Lucie : Ce roman est d’une perspicacité incroyable sur notre rapport au temps et ce que nous choisissons d’en faire. En réalité, le fait qu’il ait été écrit il y a près de cinquante ans m’a poussée à me demander si cette espèce de fuite en avant, de frénésie dans laquelle nous vivons est finalement si récente. J’ai vraiment eu le sentiment que ce roman avait été écrit par un de nos contemporains. Cela en dit long sur le talent et la justesse de Michael Ende !

Isabelle : Tout à fait d’accord avec toi. C’est vraiment bluffant de voir à quel point cette histoire est prémonitoire des évolutions de notre société, y compris les plus récentes. Je vois là une caractéristique des « classiques » de la littérature dont la pertinence résiste aux décennies qui passent parce qu’ils ont quelque chose d’universel. Michael Ende a vraiment, je trouve, un talent pour imaginer des contes philosophiques auxquels il insuffle une bonne dose d’aventures et de péripéties.

Lucie : Tu as parfaitement raison, cette résonance à travers le temps est vraiment la marque des classiques. Nous nous étions déjà fait la remarque à propos de L’étrange cas du docteur Jekyll et de Mister Hyde, il me semble.

Colette : Ce récit a quelque chose qui tient véritablement du conte plus que du roman, par conséquent il en découle une certaine intemporalité qui justifierait notre impression que ce livre peut être lu avec le même intérêt encore aujourd’hui. L’histoire de Momo ne semble pas liée à une époque particulière même si c’est vrai qu’on y lit clairement l’avènement d’une société capitaliste où le rendement serait la valeur suprême. Mais les surnoms des personnages, le fait que les « méchants » n’aient pas de nom, la présence constante du merveilleux en filigrane, les créatures imaginaires qui guident notre jeune héroïne misérable, tout nous rappelle la structure des contes classiques.

Isabelle : La thématique centrale du roman est celle du temps – d’ailleurs, le titre original en allemand est Momo et les voleurs de temps : est-il possible de le voler ?

Lucie : Voler le temps… Vaste programme ! Le titre allemand fait visiblement référence aux Messieurs gris. Selon moi il y a deux types de temps volé dans ce roman. D’abord celui qu’effectivement les Messieurs gris volent aux adultes, en les convaincant que le temps passé à autre chose qu’à travailler est du temps perdu. Mais il y a aussi la conception opposée, associée au personnage de Momo, qui est que le temps passé à jouer avec ses amis, à écouter, à rêver… C’est alors du temps volé aux Messieurs gris, c’est à dire au travail et à la rentabilité. Cette idée-là a trouvé un écho très fort chez moi.

Colette : Voler le temps n’est pas possible et les voleurs de temps ne volent rien finalement, ils thésaurisent sur ce que les humains veulent bien leur céder. D’après moi c’est leur liberté qu’ils troquent – mais j’avoue que je n’ai pas vraiment saisi contre quoi… Qu’ont-ils à y gagner ? Je ne l’ai toujours pas compris mais j’attends vos éclaircissements avec impatience ! En tout cas, l’introduction de cette notion dans le récit, lui donne une portée philosophique, faisant de Momo non seulement un conte mais un conte philosophique.

Isabelle : C’est vrai que ces messieurs gris sont inquiétants, on ne sait pas précisément ce qu’ils représentent. Mais en tout cas, ils ne sont pas humains et ne répondent pas à des motivations humaines. J’y ai vu plutôt la métaphore d’un système aliénant, louant la rationalisation du temps et l’élimination des temps non-productifs en faisant miroiter aux gens des bénéfices futurs. Un système qui n’est qu’une supercherie, puisque les fleurs de lys qui incarnent le temps épargné sont utilisées par les hommes gris pour fabriquer leurs cigares, un symbole des nantis qui pourrait renvoyer, comme tu le disais, à la critique de la société capitaliste.

Lucie : C’est exactement ça. Les humains « épargnent » du temps qui ne leur sera jamais rendu puisqu’il est utilisé par les Messieurs gris pour vivre. Ces personnages sont clairement présentés comme des parasites. D’ailleurs ils se multiplient au fur et à mesure du récit, plus ils parviennent à convaincre les adultes, plus ils deviennent nombreux. C’est un cercle vicieux !
Justement, comment interprétez-vous le fait qu’ils ne peuvent s’en prendre aux enfants que de manière indirecte ?

Isabelle : Peut-être les enfants restent-ils imperméables à l’idée de troquer d’hypothétiques rêves de futur contre des renoncements présents parce qu’ils vivent avant tout dans le présent et n’aiment pas différer leurs plaisirs. Et le bonheur de prendre le temps, ici et maintenant, de jouer, de se raconter et d’imaginer des histoires, qui le connaît mieux que les enfants ? Ils ont une approche intuitive et spontanée des choses qui les protège, en l’occurrence, contre des raisonnements en apparence logique, mais en réalité complètement bancals. Chez Momo, c’est peut-être encore autre chose, elle a quelque chose d’une résistante.

Colette : J’adhère complètement à cette interprétation ! Les enfants ne peuvent pas être sensibles aux arguments des voleurs de temps parce qu’ils ne vivent pas le temps qui passe comme les adultes. Ils ne se projettent pas, me semble-t-il, avant l’adolescence (et souvent parce qu’ils y sont forcés par les adultes…). Le jeu est le moteur de leur quotidien dans le roman, d’ailleurs c’est aussi grâce au jeu que les hommes en gris les ont piégés dans leurs dépôts. C’est d’ailleurs un des aspects caractéristiques de l’enfance me semble-t-il, cette insensibilité au temps qui passe. Cela m’évoque le Neverland de Peter Pan (ou de Timothée de Fombelle !)

Isabelle : Nous n’avons pas vraiment parlé de l’héroïne du roman. Qu’est-ce qui la rend si singulière ? Que vous-a-t-elle inspiré ?

Colette : Momo est une énigme… mais elle a un pouvoir incroyable : celui de savoir ÉCOUTER ! Je crois que savoir écouter les gens, c’est la plus grande preuve d’amour. Et Momo en est capable pour n’importe qui, ce qui en fait une créature hautement humaniste, généreuse, altruiste. Pure. Une héroïne dans le sens classique du terme.

Lucie : La capacité d’écoute de Momo est effectivement une caractéristique essentielle du personnage. Il est clairement expliqué qu’en écoutant les gens qui l’entourent ceux-ci se révèlent, soit par une imagination exacerbée dans les histoires ou dans les jeux, soit en trouvant eux-mêmes des pistes pour résoudre le problème dont ils étaient venus discuter. Cette vision de l’écoute est vraiment très inspirante. Ainsi que le fait qu’elle profite aussi bien aux enfants qu’aux adultes, qui sont traités sur un pied d’égalité avant d’être séparés par les messieurs gris.

Isabelle : Je vous rejoins tout à fait, cette écoute tranquille et attentive qui désamorce les disputes, apaise et suscite des idées, des histoires et des jeux est assez fascinante, cela donnerait envie d’en être capable ! Ça n’a pas l’air si extraordinaire, dit comme ça, comparé aux super-pouvoirs d’autres héros, mais on est finalement surpris, à la lecture, par ce que ce pouvoir de « perdre son temps » à écouter les autres implique. J’ai aussi vu Momo comme une résistante sur laquelle l’idéologie fallacieuse des épargneurs de temps semble glisser et qui lutte contre leur emprise avec beaucoup de courage et de générosité.

Lucie : J’aime beaucoup cette interprétation de Momo comme résistante. Il me semble que cela correspond aux discussions que l’on peut avoir par ici sur la manière dont on utilise notre temps, quels choix nous faisons vis à vis des réseaux sociaux, etc. Nous essayons d’avoir des utilisations réfléchies et raisonnées, et le personnage de Momo est inspirant dans cette optique de garder du temps pour l’essentiel.

Colette : Je vous rejoins sur le fait que Momo incarne une figure de résistante mais je ne la vois pas comme un personnage militant, elle ne revendique pas ce qu’elle incarne, c’est ce qu’elle est qui résiste au système des voleurs de temps. Même si Gigi à un moment essaye de transformer cette résistante en mouvement politique ou en tout cas en revendication des enfants, la cohésion du mouvement ne dure pas.

Isabelle : Il me semble que Michael Ende a un peu sa propre façon d’écrire, même si beaucoup d’auteur.e.s pourraient avoir été influencés depuis par sa plume. Comment avez-vous trouvé son écriture ?

Colette : Je n’ai lu qu’une œuvre de cet auteur, je ne peux donc pas en dire grand chose mais en tout cas c’est certain que c’est une écriture particulière, qui m’a mise mal à l’aise parfois. Je ne saurais pas trop l’expliquer, j’avais l’impression d’être dans un monde post-apocalyptique, où il n’y a plus que des miettes d’humanité, un monde où le langage a perdu de sa verve, de sa poésie, où il en est réduit à sa plus simple expression. Heureusement la fin du récit avec l’intrusion du merveilleux, de Maître Hora, de la tortue Cassiopée, des fleurs horaires, a comblé ma sensibilité aux belles choses !

Isabelle : Sur le style, je te rejoins Colette sur l’art qu’a l’auteur d’insuffler du merveilleux, et même de la poésie, à ses récits. Ces fleurs horaires sont quand même fascinantes ! Les livres de Michael Ende débordent de trouvailles dont je me demande vraiment où il va les chercher. Comme Cassiopée, la doyenne-tortue qui avance à petits pas tranquilles vers le futur, capable de connaître les événements avec une demi-heure d’avance même si elle n’a pas pour autant de prise sur les événements… Je trouve que l’auteur a un peu le défaut de ces qualités : ses livres sont toujours un peu foisonnants comme si l’auteur se laissait entraîner par son imagination sans bornes, avec des intrigues secondaires qui peuvent parfois se déployer sur des pages (par exemple ici les jeux des enfants ou les longs discours des Messieurs gris). C’est encore beaucoup plus fort dans L’Histoire sans fin où il semble ouvrir sans cesse de nouvelles portes comme s’il voulait nous faire pressentir tout ce qu’il a sous le pied. On peut trouver le découpage de l’intrigue un peu heurté de ce fait et je proposerais ce roman plutôt aux lecteur.ice.s confirmés, capables de garder le fil. En même temps, c’est bien raconté et il y a quelque chose de réjouissant à cette luxuriance !

Lucie : C’est amusant, le merveilleux qui vous a enthousiasmée est peut-être ce qui m’a le moins plu dans ce roman (toute proportion gardée). J’ai lu ce passage de manière assez distanciée et j’y ai vu la seule marque de l’époque d’écriture du roman : années 70, flower power, etc. En vous lisant j’ai l’impression d’être passée un peu à côté, sauf de la tortue que j’ai beaucoup aimée. Il faut vraiment laisser sa rationalité de côté pour la troisième partie !

Isabelle : Je voulais aussi vous interroger sur quelque chose qui m’intrigue depuis la lecture de Momo : ce livre est très souvent comparé en France au Petit Prince de Saint-Exupéry, ou présenté comme une version féminine/allemande. Que pensez-vous de ce parallèle ?

Colette : Alors là, j’avoue que je n’ai pas du tout fait le parallèle ! Il y a en effet peut-être un peu de la même innocence chez Momo et Le Petit Prince mais le héros de Saint-Exupéry est bien plus volubile que Momo, il a tout un passé auquel il tient énormément alors que Momo n’en a absolument aucun. Il me semble que ce sont deux œuvres bien à part, mais chacune dans son style.

Isabelle : C’est quelque chose qui m’a surprise aussi, j’ai plutôt eu envie de penser à Orwell à la lecture ! Le Petit Prince est une lecture plutôt contemplative, alors que Momo est un roman plein d’aventures, avec une bonne dose de frissons. Le parallèle n’est probablement pas très pertinent, je me dis qu’il se réfère peut-être à la façon dont le regard « neuf » d’un enfant peut être révélateur du monde et des choses de la vie.

Lucie : Je suis d’accord avec vous. Ma lecture du Petit prince date un peu, mais je ne vois pas bien le lien entre ces deux œuvres. Je te rejoins, Isabelle, cela tient à mon avis plus au fait que l’on rencontre dans ces deux romans des enfants d’une grande sagesse qui peuvent changer notre regard sur le monde.

Isabelle : Peut-être encore un mot sur la couverture ?

Colette : J’ai lu quelque chose d’intéressant sur le blog Le saute-Rhin. Il explique que l’éditeur de Michael Ende a refusé que Maurice Sendak illustre la couverture de son livre, et qu’il aurait lui-même fait le dessin (il est super !) mais que Bayard n’aurait pas repris la couverture allemande pour lui préférer ce dessin très pauvre et un peu amateur de la couverture que nous lui connaissons…

Couverture allemande et couverture française de Momo

Lucie : La couverture est effectivement assez malheureuse. C’est sur cette seule image que mon fils a refusé de le lire, je trouve ça tellement dommage ! Mais j’avoue que comme je ne l’aurais probablement ni acheté, ni même feuilleté sur cette base, je ne peux pas le lui reprocher…

Isabelle : Auriez-vous envie de faire lire ce roman à quelqu’un ? À qui ?

Colette : À mes petits élèves de 6e ! Ce serait l’occasion d’un super débat philosophique !

Lucie : J’ai envie de faire découvrir ce roman à tous mes proches, adultes comme enfants. Comme il interroge notre rapport au temps ce serait un excellent point de départ pour une discussion. Mais il leur faut passer outre la couverture, ce n’est pas gagné ! Et toi Isabelle, à qui aimerais-tu le faire découvrir?

Isabelle : J’ai déjà été ravie que vous ayez été partantes pour le lire ! Et j’aime bien offrir aux enfants de notre entourage ce roman que nous avons tellement aimé que nous l’avons lu deux fois à voix haute.

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Pour en savoir plus, n’hésitez pas à lire les chroniques de Lucie, Linda et Isabelle.

En bonus : dans cette émission de France Inter, Alice Zeniter cite (à partir de 17:09) Michael Ende comme l’un de ses remèdes à la mélancolie, et parle notamment de Momo !

Une vie d’ours… à déchiffrer

Une vie d’ours (Christophe Fourvel et Janik Coat au Baron Perché) est un album que j’avais repéré il y a quelques temps déjà sur le blog de littérature jeunesse La Mare aux mots. Je viens d’en faire la lecture et elle a soulevé tant de questions que j’ai eu envie de demander à mes copinautes leur avis dessus.

Je remercie donc Colette (La collectionneuse de Papillons), Sophie (La littérature jeunesse de Judith et Sophie), Alice (A lire au pays des merveilles), Pépita (Méli-mélo de livres) et Kik (Les Lectures de Kik) d’avoir bien voulu donner de leur temps pour partager leurs avis avec moi.

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Bouma : Votre première impression face au titre et à la couverture de cet album ? Selon vous, quelle(s) thématique(s) vont y être abordée(s) ?

Colette : Quand j’ai découvert le joli portrait de famille de la couverture d’Une vie d’ours, je me suis dit que cet album là allait parler des relations parents-enfants, du quotidien d’une famille d’animaux aux grand yeux étonnés qui dévoraient surement la vie à pleine dents. Mais j’avoue que le petit autocollant prévu par les bibliothécaires de la médiathèque où je l’ai emprunté qui annonce « A lire avec un adulte » m’a mis la puce à l’oreille, cela annonçait que la lecture ne serait peut-être pas si évidente…

Pépita : J’ai tout de suite pensé à une histoire parodie du conte Boucle d’or et les trois ours et en effet, il y a un peu de ça dans cet album mais pas que… Je te rejoins aussi Colette dans ton impression : un album sur la vie de la famille ours. Il y a de ça aussi mais pas que…
Cependant, ce titre… Les deux termes principaux pour moi : « une » et « vie ». Une pour dire qu’elle est parmi tant d’autres et vie implique un début et une fin. Et effectivement, il s’agit d’un album beaucoup plus lourd de sens qu’il n’y parait à première vue. Au final, le titre s’éclaire après la lecture et il est tout à fait bien trouvé.

Alice : Vous ne trouvez pas qu’ils sont sans expression ces ours, en fait ? Seule la main levée de l’aîné nous invite à rentrer dans le livre. Si on la cache, on a une photo de famille, presque un peu triste.
Quant au titre Une vie d’ours, il m’a évoqué l’expression « Une vie de chien », … pas terrible, hein ?
Du coup, je me retrouve avec entre les mains un album qui me donne une première impression pas très optimiste.
Heureusement, le soleil brille dans le fond de l’illustration et cette famille a l’air unie.

 

Bouma : Et maintenant que vous l’avez lu. Que raconte-t-il réellement ?

Pépita : On entre effectivement dans le quotidien d’une famille ours et le temps qui passe fait son œuvre.

Sophie : Une vie tout simplement avec les jeunes qui vieillissent, les anciens qui partent et les plus petits qui arrivent…

Colette : Une vie d’ours ne raconte rien de moins que ce que son titre laissait présager. A part qu’en fait il ne s’agit pas vraiment d’ours ici mais bien d’êtres humains. Le zoomorphisme n’est là semble-t-il que pour sublimer la finitude de toute existence humaine. Parce que c’est cela le sujet de cet album : l’humaine mortalité. Mais là où les illustrations nous permettent d’entrer émerveillés dans l’histoire, le texte lui est direct comme un le coup de poing du même nom !

Bouma : Moi j’ai été surprise par ce zoomorphisme car je m’attendais à un livre sur le rythme de la vie de l’ours avec ses périodes d’hivernation par exemple. Quelque chose de plus joyeux et plus enfantin. Je pense que cette attente m’a été induite par les illustrations de Janik Coat.

le baron perché

Que pensez-vous de ces illustrations d’ailleurs ? N’y-a-t-il pas un décalage avec le sujet de l’album ?

Pépita : Oui, complètement ! Par ces illustrations, on entre dans l’univers enfantin et on s’attend effectivement à une histoire sur les ours mais le texte est en partie en contradiction : trop explicite, trop pour « grand » et parfois très dérangeant en ce qu’il ne laisse pas libre cours à sa propre interprétation, à ce qui est dit là sur la mort, le deuil et la vie qui passe.

Sophie : C’est vrai que ces illustrations font tout de suite penser à l’univers des petits et à une histoire simple de leur quotidien. Malgré tout, plus je regarde ce livre, plus le regard des personnages laissent une sensation inquiétante, peut-être là pour avertir sur le contenu de l’histoire !

Alice : Si je re-feuillette le livre en ne tenant compte que des illustrations, je les trouvent sans âme, manquant d’expressivité.
Clairement représentatives de la technique utilisée par Janik Coat (utilisation de logiciel).
Elles ne me dérangent pas… mais n’apportent pas grand chose au texte non plus.

Colette : Comme Alice, je trouve les illustrations très représentatives du style de Janik Coat. Je ne les dirais pas sans âme mais en effet notre famille d’ours est comme figée. L’âme est ailleurs pour moi, dans la couleur, dans les formes, dans ce graphisme épuré et délicat de l’artiste. Mais comme Pépita le souligne il y a un vrai décalage entre ces illustrations et le texte si cru, si dur, presque… inapproprié !

Kik : Je suis une grande fan de Janik Coat et ces ours ne m’ont pas dérangés. Je n’ai pas senti ce décalage. Certes il existe une certaine neutralité. Côme. Quelque chose de figé mais je l’ai plutôt perçu comme des photos de famille. Vous savez comme ces portraits de famille faits chez le photographe il y a quelques décennies. Pour moi, ce livre est comme un album de famille.

Pépita : Tout comme Kik, l’univers de Janik Coat, j’entre bien dedans, le côté figé ne me dérange pas puisqu’il est effectivement renforcé par les couleurs et leurs forts contrastes. Et que de beaux albums elle a dessiné !

Bouma : Nous ne sommes donc pas toutes d’accord sur ce décalage et tant mieux puisque ma question suivante tourne autour de votre ressenti face à cette lecture.

Comment avez-vous vécu cette histoire ? Quels sentiments avez-vous ressenti une fois celle-ci terminée ?

Colette : En ce qui me concerne, le texte m’a vraiment dérangée et c’est un album que je n’ai pas eu envie de lire à mes enfants, alors que je suis vraiment absolument fan de Janik Coat comme Kik. Je trouve la thématique de la vieillesse et du cycle de la vie très importante à aborder dès le plus jeune âge mais pourquoi cette manière de numéroter les enfants de la famille au lieu de les nommer et surtout pourquoi ces intrusions de ce langage dit « des adultes » ou « des journalistes » dans un album jeunesse qui se présente comme un conte ? Ces intrusions – il me semble que le texte n’en avait pas besoin pour être clair – gâchent un peu la saveur de l’implicite propre à la lecture fictionnelle.

Kik : J’ai été surprise plutôt que gênée pour ma part. Je n’ai pas tout de suite compris où l’auteur nous emmenait. Dès la fin de la première lecture, j’ai relu l’album pour percevoir les nuances et les détails dans les illustrations.
Peu d’albums évoquent le temps qui passe de cette manière, il faut être prêt après sa lecture à un enfant à répondre à d’éventuelles questions. Pour moi, il est bon de se questionner sur la vie et la succession irrémédiable des générations.

Sophie :Comme Kik, j’ai plutôt été surprise pour finalement remarquer que je ne me retrouvais pas dans cette histoire. Il y a une structure familiale très classique mais cette succession comme si les générations ne faisait que se répéter ne me convient pas vraiment. Certes le sujet est important mais il y a une ambiance angoissante qui m’a été désagréable à la première comme aux lectures qui ont suivies.

Pépita : Je vous rejoins totalement : trop d’explications dans ce texte qui ne laissent pas la part au cheminement intérieur de chacun. J’ai été mal à l’aise à la première lecture. Je l’ai donc laissé reposer et relu. Et là, un peu d’agacement en fait. On peut parler de la mort et du deuil et du temps qui passe à travers les générations aux enfants, et je pense même qu’on peut tout aborder avec les enfants, mais pas de cette façon-là. C’est trop appuyé, trop explicatif, comme si le lecteur n’était pas capable de comprendre presque ! Et du coup, je pense que les questions de l’enfant ne peuvent plus émerger, il n’y a plus l’espace pour. Je ne l’aurais pas lu à mes enfants petits ou alors, je n’aurais pas tout lu, ce qui demande de la part de l’adulte une pré-lecture tout de même et c’est dommage.

Alice : Une lecture très distanciée pour ma part. Et je rejoins Pépita, trop de textes explicatifs et une linéarité sans surprise : ainsi va la vie …

Bouma : Moi c’est aussi cette linéarité qui m’a dérangé. Ajoutez à ça, ce non esprit de famille permanent : chacun pour sa pomme et toujours le plus fort qui se sert en premier, les enfants n’ayant que les restes… Je sais en tant qu’adulte que l’histoire est une métaphore de la vie mais je ne l’ai pas trouvée pertinente.

Au final, le recommanderiez-vous ? Pourquoi ?

Pépita : Le recommander. Je ne sais pas en fait. Ou alors avec un accompagnement, voire une mise en garde.

Sophie : J’aurais du mal à le recommander comme je n’ai pas trop accroché. Et puis même si le thème colle avec une demande, l’âge est difficile à déterminer. Les illustrations irait bien à des maternelles mais le texte est long et le contenu pas évident.

Alice : Pas tellement convaincue, j’aurais du mal à le proposer.

Colette : Au final je n’ai pas lu à mes garçons, ce qui prouve bien qu’inconsciemment je n’y ai pas trouvé de quoi nourrir leur curiosité… Dommage, j’aime tellement les dessins de Janik Coat !

Kik : Moi je le recommanderai. Un certain point de vue, à compléter avec d’autres. Il apporte quelque chose de différent.

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Et bien voilà, il ne vous reste plus qu’à trouver cet album et à vous faire votre propre avis dessus.