[…]
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.
Paul Éluard, Poésie et vérité, 1942.
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Si à l’évocation de la liberté c’est ce magnifique poème de Paul Eluard (dont nous ne citons que la fin) qui vient à l’esprit, ce thème est central en littérature jeunesse. Liberté de grandir, de changer, de choisir, liberté physique ou psychique… la quête de liberté est à l’origine de certaines des histoires les plus belles, les plus fortes. Voici nos préférées.
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Quête de liberté
Quand ils apprendraient ce qu’il avait réalisé, les exploits qu’il avait accomplis, pensait-il, les goélands seraient fous de joie. […] Désormais ils pourraient sortir de leur ignorance, se révéler des créatures pleines de noblesse, d’habileté et d’intelligence. Être libres !
Alors que son peuple vole pour se nourrir, Jonathan Livingston ne se nourrit que pour voler. Son objectif : expérimenter, apprendre et voler mieux, plus haut, plus vite. Quoi qu’en pense son clan, qui ne comprend pas sa vision et finit par l’exclure.
Dans ce conte philosophique New Age qui a fait son succès dans les années 1970, Richard Bach propose une vision libératrice du dépassement de soi par l’apprentissage. Il montre aussi que la liberté (entendue comme quête de perfection), et les découvertes qui en découlent, n’ont du sens que si on les partage.
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Liberté physique
C’est l’imagination d’Alma qui est à l’origine des aventures qu’elle va traverser durant son épopée de trois tomes. Parce qu’elle a créé un ailleurs pour son petit frère, il va partir à sa recherche. Et être capturé puis vendu comme esclave. De son côté, Alma est une héroïne fière et libre que rien arrête. Son prénom signifie d’ailleurs liberté dans la langue oko inventée par Timothée de Fombelle pour l’occasion. Alma est une fresque riche, poétique et précisément documentée sur le commerce triangulaire, portée par des personnages aussi attachants qu’intrépides. Prêts à tout pour retrouver leur liberté – qui est le titre du troisième et dernier tome !
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Comment mettre une baleine dans une valise ?, publié pour la première fois en 2018 par l’illustrateur espagnol Raùl Nieto Guridi, est une question philosophique qui invite à la réflexion sur l’importance et la valeur de ce qui compte le plus pour nous et que nous aimerions emporter si nous devions tout quitter. La baleine devient alors la métaphore de toutes ces choses qui représentent notre vie : objets, personnes, émotions, souvenirs… et que nous ne pouvons laisser derrière. Au fil des pages et de la lecture, il apparait rapidement qu’il est ici question d’un voyage sans retour.
Ce qui frappe le plus à la lecture c’est le minimalisme du texte et des illustrations qui disent pourtant beaucoup. A l’image de ce personnage non défini, au visage sans traits, un anonyme parmi tant d’autres, qui nous renvoie à nous-même et nous invite à plus d’empathie. Le vide des pages sur lequel se détachent les deux personnages crée un sentiment d’immensité renforcé par la différence de taille entre le personnage et sa baleine qui nous fait prendre conscience de la difficulté à réduire notre vie au minimum empaquetable.
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Au cœur de la montagne-décharge, Rêve et sa grand-mère vivent à l’écart du monde et des hommes, ne quittant leur logis qu’à la nuit tombée pour trouver dans les poubelles de quoi subsister. La grand-mère veille à la sécurité de la jeune fille à la beauté sans pareil. Mais en grandissant, Rêve est submergée par le désir de liberté et l’espoir d’un ailleurs resplendissant. Quand arrive le fils du Grand désœuvré, l’espoir s’épanouit dans le cœur des deux femmes…
L’histoire de Rêve se confond à celle de ces héroïnes de contes de fée, qui n’ont pour elles que leur beauté et l’espoir qu’un prince vienne sur son blanc destrier pour les sauver. Mais les rêves ne finissent pas toujours comme on l’avait espéré et la solution ne vient pas toujours de-là où on l’attendait.
Conte moderne, Le pays de Rêve aborde des thématiques très actuelles qui prennent forme dans les inégalités exprimées, d’une plume poétique et imagée, dans la pauvreté, la violence et les rêves brisés. L’exil, thème central de l’œuvre de David Diop, trouve ici forme dans deux anneaux d’or, héritage du passé et symbole de la liberté.
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Des animaux créés en laboratoire, qui n’ont jamais vu l’extérieur, et dont la vie est menacée. Une irrépressible quête de liberté, une envie de découvrir le monde. C’est ce que nous présente Le projet Barnabus, des Fan Brothers. Un sauve-qui-peut général vers le « dehors », assorti d’une dénonciation de la société de consommation et des normes imposées.
Un ouvrage émouvant, conduit par un Barnabus touchant. Parce que chacun a le droit d’être soi-même, en toute liberté !
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Cette thématique de la liberté plaît beaucoup aux frères Fan, puisqu’on la retrouve aussi dans Le nuage de Louise, paru deux ans plus tard.
Nous y rencontrons Louise, une petite fille qui acquiert un jour un très joli nuage. Elle le chérit, en prend soin, et il grandit… Mais celui-ci prend de plus en plus de place… et s’il fallait lui rendre sa liberté ?
Un très bel album qui nous montre que lorsque l’on tient à quelque chose, à quelqu’un, on doit le laisser libre de ses mouvements, ne pas l’enfermer égoïstement. Une très belle parabole poétique, délicatement illustrée.
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Dans Les chemins de traverse, nos deux jeunes héros, Félix et Nour, encouragé.e.s par Malika, la tante de cette dernière, profitent des portes ouvertes, des venelles, des ruelles, des sentiers, et même des anfractuosités des falaises pour découvrir le vaste monde à portée de mains. Par le jeu des découpes dans la page qui prennent la forme des espaces de transition entre les différents endroits explorés par les enfants, la lectrice, le lecteur est amené.e à parcourir à la fois la vie foisonnante du village et l’incroyable diversité des merveilles qu’offre la nature. Un album qui chante la liberté de mouvement et qui remet le corps des enfants au cœur d’un espace qui peut aussi être bienveillant, accueillant et source de joies multiples. A une époque où l’adulte a tendance à voir le danger partout, cet album est une invitation au voyage immédiat, celui qui s’offre à nous chaque jour quand on passe le seuil de la maison.
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Dans Le jour où je suis partie, Charlotte Bousquet aborde un thème qui lui est cher : le combat pour la liberté des femmes. Tidir a perdu sa meilleure amie, qui s’est suicidée suite à un mariage forcé. Elle s’enfuit pour aller à Rabat, où elle compte participer à la marche des femmes du 8 mars. Elle fuit elle aussi un mariage arrangé, mais elle fuit surtout pour affirmer haut et fort son droit à choisir son avenir.
Entre péripéties, nature sauvage et rencontres, ce roman engagé dresse le portrait d’une jeune femme forte, qui se bat pour son avenir. Il nous montre à quel point la liberté est fragile, et loin d’être acquise partout. Un texte qui dénonce les inégalités et qui porte aussi l’espoir d’un monde meilleur.
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Dans Le combat d’hiver, Jean-Claude Mourlevat nous présente la lutte de quatre adolescents. Quatre adolescents qui reprennent celle de leurs parents contre l’oppresseur, la Phalange, la groupe tyrannique qui règne de manière despotique.
Dans cette épopée dystopique, l’auteur évoque avec poésie la lutte contre la dictature, le combat pour la liberté dans un environnement sombre et inquiétant, peuplé de créatures dangereuses. A travers ses personnages, c’est toute la force de l’entraide, de l’amour et du courage qui affleurent. Un classique indémodable
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Liberté de penser
Une petite fille observe de drôles de machines. Des incroyables machines à liberté. Elles ont des formes et des couleurs étranges. À quoi servent-elles ?
Le lecteur attentif relèvera quelques indices au fil des pages et des illustrations toujours magnifiques de Matt Ottley. Qu’elle se retrouve dans « des endroits magiques et sauvages » ou dans « des profondeurs secrètes », sa machine à liberté permet à la petite fille de vivre intensément, de « devenir ce qu’elle avait toujours rêvé d’être ». De quelle manière ? Il faut découvrir cet album, véritable ode à l’imaginaire, pour le savoir !
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Red et Otis sont amis dans la pauvreté, celle qui touche autant les Blancs que les Noirs. Nous sommes au beau milieu des années 30’ et la population ne se mélange pas. Les deux garçons ne prennent pas en compte les recommandations maternelles et si l’un sèche l’école c’est pour mieux retrouver l’autre dans le bayou. Des mauvaises choses se trament dans cette Louisiane étouffante, des étranges et inquiétantes disparitions d’hommes de couleur font jaser les gens. Bien vite les deux compagnons font la connaissance de Shelley venue s’installer dans un vieux manoir avec sa gouvernante un poil autoritaire et une mère mélomane fatiguée…
« Cette BD est donc tout particulièrement un hommage au Southern Gothic… un Sud qui vit dans la misère, où la criminalité augmente, où les tensions sociales sont fortes, en particulier envers les Noirs américains dont l’émancipation n’est pas acceptée. » La population tente de trouver un espoir de liberté en s’installant dans cette contrée. L’arrivée de Shelley et de sa mère montre également les mentalités étriquées : « Je suis née dans un trou du Missouri, une souris sait très bien reconnaître une fouine. »
A la fois protectrice et lucide, la mère de Shelley fait tout son possible pour protéger l’innocence des trois enfants : « Approche mon petit Red…n’entre pas tout de suite dans le monde des adultes. » La construction de cette BD alterne parfaitement entre les scènes de nuit qui aggravent la tension si palpable contrastant avec le jour où l’amitié innocente essaye d’apporter un peu d’optimisme.
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C’est la censure et la liberté d’expression qui sont au centre de cet album de Gilles Baum illustré par Barroux.
Dans un pays lointain, le calife a ordonné un autodafé. Les livres brûlent, mais un jeune garçon découvre un morceau de feuille… Une fois le feu éteint, il va fouiller dans les cendres et y déniche une petite phrase.
Avec cet album, l’auteur nous dit la puissance des mots, leur beauté, leur force d’action. C’est un récit plein d’espoir sur les livres et les mots qui permettent de se révolter, de lutter contre l’oppression. Une ode à la lecture et à la liberté.
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Liberté de s’émanciper
« Aux filles du conte » est un superbe petit livre délicat et raffiné, relié au fil rouge pour envoyer au tapis les histoires cousues de fil blanc…Mais c’est surtout une ardente proclamation contre la soumission, les épreuves, le non-consentement, l’enfermement, l’injonction à la beauté, etc. , ces acouphènes dans les oreilles enfantines, depuis toujours, par la voix des contes, jusque dans la vraie vie, celle des talibans et de meetoo, à en devenir sourds. Dans un court format, titre phare de la collection « Manifeste poétique » des Editions du Pourquoi pas, Thomas Scotto porte une parole féministe puissante : l’heure de l’émancipation a sonné ! Il est grand temps de sortir de millénaires de patriarcat, de « peur bleue« , de » supplices de papier« , et de « mutisme [du] corps« …dans lesquels les filles des contes ont été enfermées pendant des siècles. Le moment est venu de mettre en œuvre « l’évidence de liberté » pour « espérer le Monde« , « l’horizon rouge » …et pourquoi pas… « marcher devant« ? Avec un extrait de la chanson d’Anne Sylvestre « Une sorcière comme les autres » en épigraphe, comme un encouragement, il offre aux filles des contes (que l’on reconnaît tout au long du texte), en vérité à celles d’aujourd’hui, dans un concentré de talent, de poésie et de finesse, un souffle d’espoir et de liberté, pour que plus jamais on ne les invente. Nous l’avions « tant fait déjà« …
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Libres d’être, publié aux éditions du pourquoi pas ? ce sont deux textes qui se font écho, dans un seul et même livre, deux époques, deux approches, pour un message unique et universel. La laïcité et l’émancipation du joug du patriarcat, comme armes de libération massive.
Sincère, engagé, virtuose, il est une référence incontournable pour Séverine. Identifié jeunesse, il est, en vérité, à mettre entre toutes les mains. Les 2 auteurs y croisent les mots d’un père d’aujourd’hui (partie autobiographique de Scotto), qui questionne et imagine l’avenir de ses filles, et ceux d’une jeune femme, en 1909, qui enrage contre l’ordre établi et aspire au contrôle de sa vie (partie fiction de Ytak).
En accord parfait, leurs voix entrent en résonance, bousculent et subjuguent. Elles interrogent, doutent, affirment, aussi, entre colère et impuissance, cri et chuchotement, passé et futur, douce poésie et références historiques, avec une infinie sensibilité, surtout, la liberté et l’égalité, sans compromission ni condition, pour toutes les femmes, ici, ailleurs. Qu’elles se libèrent du poids des convenances, des traditions, des voies tracées, qu’elles soient « libres d’être », tout simplement, définitivement.
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« Star indétrônable des orangs outans de la capitale, Nénette, 40 ans, était pensionnaire de la Ménagerie du Jardin des Plantes depuis sa tendre enfance. »
Nénette a bien mérité sa retraite. Elle recouvre une liberté bien mérité non loin de son habitat « pas naturel ». C’est dans un petit appartement très agréable donnant sur les toits parisiens, que Nénette profite de sa nouvelle et belle vie… Si belle que ça cette liberté ? Et si finalement Nénette aspirait à autre chose?
Le trait léger et gracieux de Claire Lebourg est un régal. Cette vie parisienne fait rêver, le lecteur y voit Nénette déambuler dans les rues de Montmartre, profiter des parcs et des cafés mais bientôt l’ennui s’installe. Au final, la liberté que l’on se choisit n’a pas de prix.
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Critique social, ce conte philosophique aux allures de fable animalière dénonce et se moque de ceux qui ont tout et sont incapables de se mettre à la place de ceux qui n’ont rien.
L’histoire est celle d’un bon gros matou de salon, habitué aux grand luxe et au confort que sa maitresse lui prodigue à grand renfort de coussins moelleux et de viande à tous les repas. Envieux de la liberté dont semblent jouir les chats de gouttière qu’il voit à travers sa fenêtre, il prend la poudre d’escampette pour les rejoindre et goutter à cette vie de la rue. Mais quand la faim se fait sentir, il comprend que la liberté a un prix…
Au contact des chats des rues, le matou est confronté à un dilemme, un questionnement plus actuel, qui le pousse à choisir entre son confort et sa liberté.
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Parmi les pions du coffret en bois de rose, il existe un pion téméraire qui va oser prendre ce qui lui revient de droit, sa liberté. S’il est vite désigné comme fou par ses camarades, il entend bien se libérer du joug de la Main qui l’enferme dans un rôle bien défini qui ne s’entend pas au-delà du plateau de l’échiquier.
En alliant une histoire drôle et pleine d’aventures à une réflexion philosophique judicieuse sur la liberté et le libre-arbitre, le récit fait passer son message avec pertinence et intelligence. La petite épopée des pions est aussi une aventure qui pousse à quitter le confort rassurant et sécurisant des limites d’un monde que l’on connait, qui pousse à partir à l’aventure pour s’émanciper en repoussant les limites de notre liberté.
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Et pour initier les plus jeunes à la liberté, voici un petit album qui s’adresse aux enfant dès 2 ans.
Dans ce tout-carton, Louna Demir et Jesuso Ortiz nous interpellent autour d’une question philosophique – Quel goût a la liberté ? – de manière ludique. Au travers des délicates illustrations de Jesuso Ortiz, on l’imagine sucrée, amère, acide… savoureuse aussi. De quoi amorcer une première réflexion sur ce concept avec les plus jeunes !
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Quelle lecture évoque le mieux la liberté pour vous ? Quel roman, quel album vous a donné des ailes pour la conquérir ?