En février dernier, à l’ombre du grand arbre, nous avions organisé notre premier swap ! Ma copinaute Céline m’avait donc offert le recueil de nouvelles de Jean-Claude Mourlevat, Silhouette, paru chez Gallimard, collection Scripto. Quelle découverte, quelle lecture pour le moins….surprenante ! Ni une, ni deux, ici on aime débattre et partager, et nous voilà embarqués sur une lecture commune avec mes complices !
Carole : On commencerait bien par planter le décor sans plomber l’ambiance ! Qui s’y frotte ?
Pépita : Silhouette, c’est le titre de la première nouvelle. Il y en a dix en tout et la dixième est la chute des neuf autres. Un univers emprunt de cynisme à chaque fois et qui en dit long sur la nature et la condition humaines. Des chutes auxquelles on ne s’attend pas. Le livre m’est parfois tombé des mains et j’ai dû respirer un bon coup…
Bouma : Le recueil offre un panorama assez éclectique de la nature humaine : hommes, femmes, jeunes, vieux, parents, célibataires, heureux, aigris, volontaires, soumis… Chaque nouvelle est l’occasion de découvrir un nouvel univers, toujours très ancré dans la réalité. Moi qui ai l’habitude des romans fantastiques de Jean-Claude Mourlevat, j’ai été tout aussi surprise que Pépita, mais peut-être pas pour les mêmes raisons…
Céline : Le point commun de ces nouvelles c’est que les héros, des gens ordinaires comme vous et moi, voient leurs petites faiblesses et travers leur revenir en pleine figure comme un boomerang. Et nous, lecteurs, la surprise de la chute cruelle de la première nouvelle passée, on s’interroge avec un plaisir un brin sadique : comment la suivante pourrait-elle se finir encore plus mal ?
Nathan : Vous avez bien planté le décor à ceci près que je ne suis pas du tout d’accord sur ce côté sadique ! Je ne me suis jamais senti sadique mais mal à l’aise. J’en venais même à espérer une fin heureuse à chaque fois, tout en sachant qu’elle ne viendrait pas ! On tombe de haut … et je soulignerai la chute de la dernière nouvelle, dixit Pépita : elle m’a laissé bouche bée, c’est un véritable coup de maître !
Céline : C’est justement là que ça devient intéressant ! Notre côté « lumière » espère à chaque fois une fin heureuse alors que notre côté « sombre » comprend très vite que la nouvelle suivante sera encore plus cruelle que la précédente. Et, curieusement, malgré notre malaise grandissant, on en redemande et on poursuit sa lecture avec une certaine délectation. En psychologie, on appelle ça l’effet catharsis. En plus, les personnages sont très proches de nous donc on se met très facilement à leur place. Ces récits fictionnels qui seraient intolérables s’ils étaient réels nous permettent ainsi de nous libérer de nos angoisses les plus intimes.
Carole : AhAHah ( rire de sadique bien sûr ) ! Et d’ailleurs laquelle de ces nouvelles vous pousse le plus dans vos retranchements sombres ?
Céline : Difficile de répondre à cette question sans trop dévoiler. Sans hésiter, Love, car je n’ai pu m’empêcher de penser « Bien fait » pour les « victimes » et de prendre parti pour les meurtrières alors que, dans la vie, je suis bien plus mesurée et croit en une justice impartiale pour tous, même pour le pire des salauds ! Pourtant, là, j’aurais bien pris la pelle aussi !!!!
Carole : Moi aussi j’ai une tendresse particulière pour le coup de pelle ! Elle est, à mon avis, la plus terrifiante et la plus animale en terme de comportements humains, et en même temps elle s’intitule love , quel cynisme ! J’adore !
Pépita : Complètement d’accord, celle-là, elle vaut son pesant d’or ! Pour un peu, j’aurais bien donné un coup de pelle aussi à ces sales types, enfin, je m’y voyais quoi ! Et puis cette jeune fille si bien comme il faut qui ne tique pas d’un poil quand elle apprend le fin mot de l’histoire…Petit arrangement intérieur quand tu nous tiens… Celle intitulée Pardon aussi, je l’ai trouvée pas mal dans le genre : elle me rappelle une chanson de Francis Cabrel dans son dernier CD (petit clin d’œil à Céline !) quand il dit que : « La vie ne tient qu’à un coup du sort ». Quand le bien devient mal ou vice-versa ! Et la chute de la dernière ! J’avoue l’avoir lue deux fois : la première fois, je me suis du coup demandée ce que j’étais en train de lire…je ne savais plus très bien. Fort ce monsieur Mourlevat !
Nathan : Je suis d’accord avec vous toutes … au final, je pense que celles qui poussent le plus dans nos retranchements sombres (dure question d’ailleurs …) ce sont celles où les victimes sont victimes d’autres humains, et non de la vie. Ce coup de pelle amplement mérité, ce « pardon » car compréhensible, car on a peut-être tous un jour subi des moqueries à l’école, au collège ou plus tard … ce qui rejoint la première nouvelle. Toutes suscitent différents sentiments … une terrible frustration ( Un escroc ), injustice ( Silhouette ) … ou angoisse ( Case Départ ) qui est peut-être une de celles qui m’a le plus touché, ayant été cambriolé l’an dernier … même si les cambrioleurs n’étaient peut-être pas aussi infâmes qu’ici.
Bouma : Personnellement, j’ai une certaine préférence pour L’Accord du Participe, où un maniaque de la conjugaison et de la grammaire décide de kidnapper le Ministre des Finances pour les lui inculquer. Peut-être parce qu’après l’avoir lu, je me suis dis que ça aurait pu m’arriver de me faire kidnapper pour les fautes d’orthographe. Pour celle-ci j’étais plutôt dans une optique second degré et humour.
Et puis il y a aussi Mon oncle Chris dans la catégorie émotion. Pour moi, elle n’est pas tout à fait comme les autres. Elle dénote plutôt d’une situation très actuelle. Ce petit garçon qui nous raconte son admiration évidente pour son oncle tout en entendant sa famille le décrier car il n’est pas dans la norme, pas capable de se poser dans une situation stable, normale. Cette nouvelle m’a émue, vraiment, elle est douce et amère, puissante.
Enfin, comme vous, Love m’a particulièrement touchée dans la violence de la situation, dans la tendresse de cette amitié féminine, dans la chute, brutale et presque évidente.
Vous le voyez, je suis incapable de donner une réelle préférence à l’une d’entre elles. Je les trouvais disparates au début, mais finalement chacune apporte quelque chose à l’ensemble, construit le livre pour former un tout très cohérent.
Carole : Comme toi Bouma, j’ai beaucoup aimé L’Accord du Participe... mais pour la raison inverse ! J’avoue avoir un gros souci d’intolérance avec ces fautes d’accord ! Du coup, la nouvelle m’a taraudée toute une nuit…au point de me lever pour peser le Bon Usage de Grévisse, et me recoucher sereinement avec la certitude que l’on pouvait effectivement assommer quelqu’un avec ! Comme quoi la littérature permet parfois d’assouvir quelques pulsions, et ainsi la réalité ne dépasse pas la fiction.
Nathan : Oui Mon oncle Chris est très touchante, pour l’émotion et les thèmes qu’elle aborde … Je n’en ai pas parlé puisqu’elle ne répondait pas vraiment à la question de Carole mais elle est vraiment enrichie par tous ces éléments qui la rendent parfaite : personnages bien construits et attachants, sentiments, un tout qui se tient et une chute retentissante …
Pépita : Je vous rejoins totalement. Difficile en effet de donner une préférence. A des degrés divers, ces nouvelles sont toutes très touchantes et en fonction de chaque personne, de son parcours de vie, de son expérience ou tout simplement de sa sensibilité, elles réveillent ou révèlent une part de nous-mêmes.
Céline : C’est là tout le génie de l’auteur qui, à travers ces dix nouvelles, nous rappelle sans ménagement que nous sommes peu de chose… La nouvelle Oncle Chris nous donne cette miette d’espoir dont nous avons toujours besoin !
Carole : Nous avons parlé du fond…( du trou ahahah ), maintenant la forme ! Qu’en pensez-vous ? La nouvelle semble le gabarit parfait, et le nombre ?
Pépita : Tout à fait, Carole. La nouvelle est parfaite pour ces histoires, ni trop long, ni trop court et des chutes à faire frémir. J’avoue qu’à un moment donné, j’aurais souhaité une nouvelle un peu plus légère…car cette lecture est tout de même parfois oppressante. Et puis, paradoxalement, on en redemande ! Quant à la dernière, qui englobe finalement les neuf autres, elle est extrêmement troublante. Du grand art.
Céline : Je partage l’avis de Pépita. Pour ma part, j’ai trouvé cette petite bouffée d’optimisme avec Oncle Chris. Quant au nombre, rien à redire. En clin-d’oeil à son fana des accords qui aux dix commandements de Dieu en ajoute un onzième « Tu accorderas correctement le participe avec être et avoir » , l’auteur aurait pu pousser jusqu’à onze.
Bouma : J’ai déjà lu la plupart des romans de Mourlevat et j’ai eu du mal à entrer directement dans le format de ces nouvelles ainsi que dans leur action ancrée dans la réalité. Le Combat d’hiver ou Le chagrin du roi mort sont des romans superbes que je vous conseille fortement si vous ne les avez pas lus mais ils parlent d’une autre réalité, d’un monde plus onirique, plus fantastique. Il m’a donc bien fallu passer les trois premières nouvelles avant de prendre le rythme, je les ai d’ailleurs relues après coup car j’avais la sensation d’avoir oublié des choses… 10, c’est un compte rond, peut-être plus facile à publier ?
Carole : C’est drôle j’ai fait le même rebond que toi Céline sur la 11 ème potentielle ! En plus je déteste les nombres pairs presque autant que les fautes d’accord ! Je ne connaissais pas l’écriture de Mourlevat, donc comme entrée en matière, ce recueil est parfait. Disons que ce n’est pas mon genre narratif favori, mais là c’est vraiment très bien écrit et ficelé !
Pépita : Pour ma part, je suis fan des nouvelles, j’aime ce genre donc j’étais dans mon élément. Lu d’une traite ce recueil car passé les deux trois premières, comme je disais, on en redemande ! J’ai aussi lu ceux dont parle Bouma, et c’est un univers très différent et je vous les recommande également. Et comme j’ai lu la dernière nouvelle deux fois, rien ne m’a manqué du coup.
Céline : C’est vrai que d’emblée, après avoir lu d’autres romans de l’auteur, on est surpris par ce genre, les nouvelles, ainsi que par la noirceur de ses textes. Mais, comme dit Pépita, une fois cet effet de surprise dépassé, on est à fond dedans… Jean-Claude Mourlevat s’en explique d’ailleurs sur son site : « Cela m’a fait « des vacances » par rapport à cette littérature de « jeunesse » où il convient de ménager les lecteurs, avec ce que cela suppose de concessions. » Maintenant, si nous adultes acceptons le jeu, en sera-t-il de même pour de plus jeunes lecteurs ?
Pépita : C’est vrai que je me suis posée aussi cette question. La collection Scripto s’adresse aux ados mais là, quand même, certains textes sont assez terribles. J’aurai du mal à les conseiller à de trop jeunes lecteurs. Plutôt à de jeunes adultes. T’en penses quoi Nathan ?
Nathan : Quant au nombre de nouvelles moi ça me va ! Le weekend où je l’ai lu (mon anniversaire), j’étais à moitié malade et dans les vapes, et malgré mes cousins qui étaient là, parfois je me posais dans un fauteuil, sous ma couette … et j’avalais une nouvelle. J’ai trouvé ça vraiment agréable et elles sont passées bien vite, ça me laisse un bon souvenir ! Quant à la dernière … waouh ! Ce sont 10 nouvelles indépendantes qui comme vous l’avez dit conviennent aux histoires racontées, mais une fois la dernière nouvelle lue, elles s’imbriquent toutes dans la même boîte, c’est comme je l’ai déjà dit un coup de maître réussi !
Enfin pour l’âge, eh bien cette collection n’est pas pour les tous jeunes … 13 ans je crois c’est l’âge recommandé ! A l’adolescence, on a besoin, je crois, d’avoir ce choc qu’on retrouve dans les collections Exprim’ de Sarbacane ou chez Le Rouergue. Des sujets durs de la vie, et c’est ce que prône Scripto, et beaucoup d’émotions. On ne va pas cacher aux ados la dure réalité (parfois !) de la vie, même s’ils l’apprennent en cours, chez eux, aux infos … On a besoin aussi parfois de sortir de l’onirique des romans jeunesse pour se prendre une claque. Je me rends compte d’ailleurs en lisant des romans pour le prix Ouest France, que certains sont proches de la réalité, presque plats. Je suis sûr que ceux-là sont de qualité littéraire indéniable, mais certains me laissent un peu sur ma faim. Pourquoi ? Par manque d’émotion.
Merci à tous pour ce moment de rigolade et d’échange.
Je vous joins une vidéo de l’auteur qui s’exprime au sujet de son recueil et je le remercie pour sa dédicace lors du Salon du Livre de Paris.
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