Lecture commune : Nos chemins.

Et si aujourd’hui, en rentrant du boulot, vous fonciez dans la médiathèque la plus proche de chez vous, vous empruntiez l’album Nos chemins d’Irène Bonacina publié chez Albin Michel, vous rentriez chez vous avant l’heure du couvre-feu, vous vous installiez sous un plaid, une couverture, une couette bien douillette et partagiez cette lecture avec les enfants autour de vous. Et si après, vous profitiez de la chaleur des seules personnes avec qui il vous est permis d’avoir un contact physique pour discuter. Discuter de la direction à prendre. Comme nous l’avons fait avec Linda.

Nos chemins, Irène Bonacina,
Albin Michel, 2019.

Colette.Si le chemin est un lieu archétypal de la littérature, lieu de transition par excellence, lieu de tous les possibles, en général on l’envisage au singulier. Et là, dès le titre de l’album, le voici au pluriel. Que s’est-il passé dans ta tête quand tu as découvert ce titre associé à cet étrange duo d’ours blancs marchant dans cette magnifique nuit constellée d’étoiles arc-en-ciel ?

Ladythat.- J’ai été plus interpellée par l’illustration que par le titre. Ces deux ours m’ont semblé emprunter des chemins différents (rapports aux nombreuses couleurs qui se déploient à leurs pieds), éclairés par une lampe à huile et les étoiles de la nuit. Le titre pose cependant la question de ces chemins pluriels : sont-ils identiques à l’ourse adulte et son petit? Ou doit-on imaginer qu’ils vont chacun emprunter un chemin différent ?

Colette.– Tu soulignes d’entrée de jeu les nombreuses couleurs sous les pieds des deux ours, auxquelles s’ajoutent les nombreuses couleurs des étoiles au dessus de leurs têtes : je ne sais pas si tu es comme moi et que tu feuillettes d’abord les albums avant de t’y plonger, mais un des aspects qui m’a tout de suite ravie dans cet album, c’est la technique de l’illustratrice, Irène Bonacina, une technique qui permet à la lumière de jaillir littéralement du livre. Est-ce que tu veux bien décrire cette technique et partager l’impression que cela a créé en toi ?

Ladythat.– Je ne feuillette pas forcément un album avant de le lire, j’aime m’y plonger directement et laisser mes émotions venir comme elles se présentent. Et ici c’est clairement la luminosité des illustrations qui m’a attrapé et ébloui tout au long de ma lecture. Quand je parle d’illustrations ce n’est d’ailleurs pas le terme approprié car Irène Bonacina a choisi une technique de collages rétroéclairés par une boîte à lumière. L’association des dessins des ours et de cette superposition de papiers déchirés, collés et peints, est dynamisée par la lumière qui crée un jeu d’ombres et lumières particulièrement saisissant. J’ai d’ailleurs trouvé que la progression du gris vers les couleurs donne vraiment le rythme du cheminement de Petite Ourse. Qu’en penses-tu?

Colette.- Je viens de relire l’album à partir de ta remarque et tu as vraiment raison, on peut lire l’histoire de Petite Ourse à travers le cheminement et la progression des couleurs ! Du gris du début de la marche vers le jaune incroyablement chaleureux de la rencontre avec Oumi pour aller jusqu’au rouge brûlant de la solitude et terminer avec l’arc-en-ciel des retrouvailles finales ! Quelle prouesse esthétique ! Merci de me l’avoir fait remarquer et appécier ! J’ai commencé à dévoiler l’intrigue de cet album à travers le déploiement des couleurs, mais toi, comment le résumerais-tu ?

Ladythat. – Je dirais qu’il s’agit d’un récit initiatique au cours duquel Petite Ourse traverse des épreuves et fait l’expérience du deuil et de la solitude avant de se relever grâce à une rencontre, une amitié qui laisse place à l’espoir d’un avenir radieux. Un avenir qui sera riche des expériences passées et de la mise en commun de deux héritages différents. Je me trompe peut-être mais c’est « l’éveil de la lanterne » avec son double reflet qui me donne cette impression de passé/futur imbriqué au cœur de la lanterne – une symbolique du foyer ? – renforcé par l’invitation de Petite Ourse à Oumi de partager ses souvenirs.En parcourant à nouveau l’album j’en viens à me demander si les oiseaux qui viennent se mélanger aux couleurs arc-en-ciel ne sont pas la matérialisation des souvenirs de Oumi.

Colette.- C’est une très belle interprétation en tout cas, ces oiseaux-souvenirs qui se mêlent aux couleurs arc-en-ciel de la lanterne transmise par Mamie Babka à Petite-Ourse. Ce qui est aussi très original, me semble-t-il dans cet album c’est la perception de l’espace : c’est comme si on était plongé dans un espace immense, naturel, minéral où s’explorent le vide, l’eau, la lumière, dans une sorte de retour à un monde primordial, élémentaire. Un monde qui pourrait aussi être un monde intérieur. On oscille pendant toute la lecture entre dépaysement et retour aux origines, non ?

Ladythat. – Oui! Absolument. On ressent un sentiment d’immensité tout en cherchant quelque chose de plus exiguë, à l’image de l’amour entre Petite Ourse et Mamie Babka qui est énorme dans le ressenti, et plus intime puisqu’il n’appartient qu’à elles deux. Aussi, lorsque Petite Ourse se retrouve seule, elle se retrouve face à l’immensité du monde et des possibles tout en recherchant la chaleur d’un sentiment d’amitié ou d’amour à partager avec quelqu’un de spécial.

Colette.- Que penses-tu de la citation de Lhasa en exergue de l’album :
« Je poserai mon pied
Sur la route vivante
Et je serai portée d’ici
Jusqu’au cœur du monde »
En quoi cette citation résonne-t-elle pour toi avec cet album si particulier ?

Ladythat.- Il me semble qu’au même titre que l’histoire de Petite Ourse ou du titre de l’album, cette citation de Lhasa parle du voyage qu’est la vie.

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Et si, sous votre plaid, votre couverture, votre couette bien douillette, vous souhaitez prolonger ce moment hors du temps, à réfléchir à la bonne direction, la vôtre, on vous propose de vous plongez dans les méandres de la voix envoûtante de Lhasa.