Comme des images… vraiment ?

EXprim’, Editions Sarbacane, 2014

Une couverture qui attire, un titre qui intrigue, une lecture qui pose des questions… Il n’en fallait pas plus pour, qu’à l’ombre du grand arbre, on ait envie d’en parler et de VOUS en parler !

Autour de moi (Céline – Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse), pour en discuter à bâtons rompus, il y a Kik – Les Lectures de Kik, Nathan – Le cahier de lecture de Nathan, Sophie – La littérature jeunesse de Judith et Sophie et Céline – Le tiroir à histoires.

Prêts à les suivre de l’autre côté de l’image ?

Comme des images, qu’est-ce qui se cache derrière ce titre polysémique ?

Kik : Comme des images, car il y a des sœurs jumelles qui se ressemblent comme des images. Mais est-ce seulement cela ?

Sophie : Avant la lecture, j’ai pensé à la fameuse expression « Sages comme des images ». Après la lecture, je dirais que oui il y a de ça mais pas au premier degré, bien au contraire. On y montre une élite de la population, sage en apparence, mais seulement en apparence.

Nathan : Bien sûr il y a l’expression que tu cites Sophie, ce qui n’est sans doute pas anodin : ils sont, en apparence, sages comme des images parce qu’on leur demande le meilleur d’eux-mêmes, la perfection : élèves intelligents, premiers en tout, enfants modèles …
Mais il y a surtout pour moi une réflexion sur qui nous sommes et ce que nous montrons de nous. Ces ados, ils sont parfois sans véritable fond, contrairement à la jumelle, artiste et taciturne … Une image est sage parce qu’elle ne bouge pas. Or ces adolescents s’y adonnent parfois tellement qu’ils deviennent eux-mêmes les images qu’ils créent. Ne sont-ils pas alors plus que des reflets de leurs qualités, plats, sans contenu, sans intérêt ?

Céline : Avec l’image des jumelles dos à dos, (dont on ne sait pas tout de suite qu’il s’agit de sœurs jumelles), le titre m’a plutôt évoqué l’idée de reflet, et d’image virtuelle. A vrai dire, avant de le lire, je pensais que ça se passait dans le futur, qu’il était peut être question de clonage, etc… !!!  Au fur et à mesure de la lecture, j’ai apprécié ce titre et cette couverture qui a effectivement plusieurs sens et qui est très réussie à mon avis.

Tous les quatre avez fourni une clé de lecture intéressante. Dans ce titre, effectivement, on parle de gémellité ; de réalité virtuelle ; d’image d’enfants sages, pas si sages que cela ; de jeu d’images et d’apparences… le plus souvent trompeuses. Mais est-ce seulement cela ? demande à juste titre Kik.  Pour ne pas perdre nos lecteurs, un petit résumé s’impose, histoire de faire le lien entre toutes ces pièces du puzzle….

Kik : L’histoire commence le jour où Léopoldine a rompu avec Timothée pour Aurélien. Ou bien le jour où Timothée, par vengeance peut-être, a envoyé un mail avec une vidéo de Léopoldine à tout le monde.  Ou peut être même que l’histoire commence, lorsque Léopoldine est partie en vacances, et que sa sœur est devenue amie avec sa meilleure amie.
Des histoires qui se croisent et se décroisent. Des non-dits sur les sentiments. Et ça finit par un corps au milieu de la cours du lycée … Là par terre…

Nathan : Ou peut-être bien que l’histoire commence il y a bien plus longtemps, à l’aube d’une société faite d’images et de mondes virtuels ? Peut-être que notre narratrice, Léopoldine, et sa sœur ne sont que l’infime rouage d’une plus vaste histoire.
Ou alors l’histoire commence quand vous refermerez le livre, secoué et avec un regard neuf sur les choses. Peut-être.

Tous deux évoquez des histoires au pluriel. Peut-on dire que c’est la narration de ces multiples destins qui se croisent qui fait toute la richesse de ce titre ? Comme pour un mille-feuille, il y a les couches externes, visibles, et puis toutes les autres qu’on découvre au fur et à mesure… Mais peut-être que là aussi, la réponse n’est pas si simple ?

Nathan : Pas simple, en effet…  Une image c’est parfois vide de sens, une couche superficielle sans rien derrière. Or la richesse du roman c’est que l’histoire en apparence elle est bien simple, comme une image, deux dimensions, un roman court et rapidement lu avec plaisir. Mais derrière il y a en fait encore bien des couches qui s’ajoutent. Au final, on a un texte en apparence anodin mais profond et regorgeant d’interrogations qu’on n’aura jamais le temps de démêler …

Sophie : Comme le dit Nathan, il y a la première histoire, celle de Léopoldine, plutôt simple car plutôt connue comme mésaventure. C’est cette histoire qui va en révéler bien d’autres.

Céline  : En effet l’histoire du jour, celle qui fait le buzz dans tout le lycée, est finalement assez vite réglée, mais révèle d’autres histoires, plus lointaines et plus discrètes, d’autres humiliations, plus sourdes… et ce sont ces histoires-là qui mettent vraiment en lumière les personnages.

Nous sommes apparemment tous sur la même longueur d’ondes…
Outre cette lecture plurielle, bien moins « anodine » (pour reprendre le terme de Nathan) qu’il n’y parait, j’ai particulièrement apprécié l’écriture moderne de l’auteur et ses références nombreuses à ce que vivent les jeunes d’aujourd’hui. Et de votre côté, quels sont les aspects qui vous ont plu ?

Céline :  En intégrant ces nouveaux modes de communication (commentaires facebook, sms) à sa narration, Clémentine Beauvais rend compte aussi de l’instantanéité, de la superficialité et d’une certaines cruauté dans les échanges. Et ça rend vraiment le roman vivant.  J’ai trouvé ce procédé très judicieux.  Vraiment un point fort du roman !

Kik : On se sent dans la « vraie » vie d’adolescents. Tout va très vite, avec les réseaux sociaux. Une vidéo est postée sur le net, peu de temps après, tout le monde l’a vue sauf quelques profs. Et pourtant le harcèlement à l’école ne date pas d’aujourd’hui. Un problème récurrent, qui a pris une autre forme avec les nouvelles technologies.

Sophie : J’ai aimé aussi la modernité dans ce texte, les nouvelles technologies, l’événement qui prend très vite une grande ampleur jusqu’au suivant qui prendra sa place. Tout s’ enchaîne de nos jours, on passe très vite d’une chose à l’autre en oubliant bien souvent les conséquences que cela peut causer.

Nathan : Avec un tel sujet, les nouvelles technologies étaient de toute façon inévitables … et c’est pourquoi elles parsèment le récit. Sur facebook, youtube, par sms … tout ça n’est pas anodin : c’est là qu’une image se crée … ou se détruit. Et d’ailleurs c’est à cause de ça que la jumelle de Léopoldine, Iseult, va en souffrir, comme elle en avait déjà souffert au collège, lorsqu’elle avait perdu sa meilleure amie sur la méprise d’un professeur. Elles aussi, elles sont comme des images. Et pourtant, des jumeaux se ressemblent … mais ils sont loin d’être identiques.

Justement, outre le divertissement qu’il nous procure, peut-on dire que ce récit a une fonction préventive ? L’auteure a-t-elle voulu faire passer un message ?

Nathan : Bien entendu ! Celui qui m’a traversé de toutes parts, comme ma chronique en rend compte, c’est qu’il ne faut pas être comme des images. Soyons nous-mêmes et ce sera la seule image, parce qu’à trop s’inventer on finit par se perdre dans cette construction de soi-même et au final il n’y a plus que du vide. Et puis même, si on partait sur de la philo, on serait tout simplement dans la vision antique de la Beauté : quelqu’un est beau lorsque son apparence laisse apparaître ce qu’il y a en lui. J’aime beaucoup cette idée-là.

Sophie : Et même si c’est plus évident et en rien moralisateur dans l’histoire, il y a un avertissement sur les réseaux sociaux et internet en général. Attention aux images que l’on y met, elles sont publiques ! Prendre soin de son image veut aussi dire qu’il faut réfléchir à ce que l’on en fait dès le départ, quand on pense que cela reste dans l’intimité.

Céline : Je n’y ait pas du tout vu ce message pour ma part. Au contraire, je trouve que les nouvelles technologies ne sont ni dénoncées ni même jugées, juste intégrées au récit comme faisant partie de notre paysage au XXIème siècle, et conditionnant donc nos modes de communication… et de représentation. Comme Nathan, je lis le message de la fin (s’il y en a un) comme une invitation à avoir plus de substance qu’une image, et à dépasser également les images dans notre perception des autres.

Kik : Tout a été dit je pense. Je suis d’accord avec les deux points de vue présentés. J’ai perçu les deux lors de ma lecture.

Le mot de la fin ? Lire un livre, c’est aussi s’imaginer les personnages, le décor, les situations… Mettre les mots en images ! Quelle « image » forte retiendrez-vous de votre lecture ? Pour ma part, c’est cette première phrase qui s’étale seule sur une page blanche, un peu comme ce corps en plein milieu de la cour ! Dès l’ouverture, cette vision m’a procuré un sacré frisson.

Nathan : Pour ma part, étrangement, l’image qui me reste gravée dans la mémoire, c’est le personnage d’Iseult, la jumelle, assise dans la cour, repliée sur elle-même, muette et dessinant.

Sophie : Comme toi Céline, c’est le corps annoncé dès le début, étendu dans la cour, qui me reste en tête.

Kik : C’est étrange mais en repensant « visuellement » à ce roman, je pense à un immense lycée, énorme, un vrai labyrinthe, et dedans trois jeunes filles qui déambulent toutes seules, ou par deux. Il y en a deux qui sont identiques, et une autre différente. Un trio perdu au milieu des couloirs, d’une immense cour, comme dans un espace infini.

C’est sur ces quelques images – mais, vous l’aurez compris, il y en a bien d’autres – que nous vous laissons avec l’envie, nous l’espérons, de vous plonger dans ce roman pas comme les autres !

Quelques extraits de nos billets pour finir de vous convaincre (à découvrir en intégralité sur nos blogs respectifs) :

Clémentine Beauvais a le don de s’attaquer à des sujets forts et sensibles sans aucun tabou et j’apprécie beaucoup la sincérité de son écriture et de ses mots. Quand elle écrit en plus pour la collection eXprim’ chez Sarbacane, les chances de me décevoir son minimes et elle ne l’a pas fait.

La littérature jeunesse de Judith et de Sophie

***

Un roman qui plaît énormément mais qui dérange tout autant puisqu’il appuie là où ça fait mal !

Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse

***

(…) un livre sur l’apparence avant tout, sur ce qu’on laisse voir et ce qu’on dissimule. Un livre puissant, juste, touchant, qui s’avale d’une traite et ne laisse malgré tout pas indemne.

Le cahier de lecture de Nathan

***

Un roman hypnotique et moderne qui décrit avec justesse et intelligence certains travers de la société, les affres de l’adolescence, l’ingérence humaine : le cri primal de l’injustice, le premier non.

3 étoiles

***

Un roman qui tord le ventre, car tout en voulant savoir à qui est le corps étendu dans la cour, on ne veut pas découvrir toute la vérité et savoir ce qui a été la cause de cette chute. On devine peu à peu les non-dits, ce que la narratrice ne veut pas s’avouer.

Les Lectures de Kik 

***

Comme des images est un roman contemporain, ancré dans l’ère 2.0, comme en témoigne sa narration originale, vivante, empruntant volontiers et judicieusement les codes des  nouvelles formes de communication.

Le tiroir à histoires

Retrouvez aussi :

Lecture Commune : Les Invités

A l’ombre du grand arbre, on sait recevoir, même quand les feuilles tombent sous la pluie ! Aujourd’hui, nous recevons donc… les invités !

Carole (3 étoiles)  : Bonjour à tous et toutes, quelqu’un peut-il m’expliciter ce titre pour commencer ?

Céline (Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait LIVRESse) : Plutôt complexe comme première question ! Si on reprend la définition du dictionnaire, un invité est une personne invitée par une autre. Sauf qu’ici, l’auteure ne nous révèle jamais l’identité exacte de l’un comme de l’autre. Sauf que les invités en question ne le sont pas vraiment, ils profitent de l’hospitalité culturelle de leurs hôtes pour s’inviter, s’installer, s’imposer, asservir, profiter, piller, … Arrivés en amis, ils finissent par montrer un autre visage, celui d’oppresseurs !

Za (Le cabas de Za) : Ce sont des invités qui s’invitent ! Et les gens qui les reçoivent, contraints et forcés, font preuve d’hospitalité. Naïfs qu’ils sont…

Carole (3 étoiles) : Et quelqu’un peut me planter le décor, l’époque et les principaux personnages ?

Gabriel (La mare aux mots) : Je pense que c’est ça le souci du livre, d’après moi. On ne sait pas quand et où ça se passe, on ne sait pas qui sont les invités, de qui on nous parle. C’est intemporel et universel, c’est à la fois la force et la faiblesse du livre.

Céline (Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait LIVRESse) : Gabriel a tout à fait raison ! Cette histoire ne fait à aucun moment référence à des situations passées ou présentes mais en filigrane, l’adulte, lui, y verra sans doute le spectre du colonialisme voire de l’esclavagisme. Mais qu’en sera-t-il du jeune lecteur ?

Gabriel (La mare aux mots) : Justement moi je n’ai compris qu’on y parlait du colonialisme qu’après avoir fait des recherches… Je l’ai lu septique, intrigué… je l’ai fait lire à ma compagne qui a eu la même réaction… Nous parle-t-on des immigrés ? Est-ce un livre raciste ? J’avais l’impression que le livre aurait pu être écrit par quelqu’un d’extrême droite ! Puis quand j’ai su de quoi ça parlait je me suis dit  » ah ok… » et du coup on a une autre vision du livre. Le souci est qu’on ne comprend pas, d’après moi, en le lisant et que donc c’est dangereux.

Céline (Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait LIVRESse) : C’est vrai que cela peut porter à confusion ! Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est la petite note en avant-propos qui nous propose une clé de lecture:
« De l’école, Charlotte Moundlic se souvient avoir appris ceci: « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir envers les autres dans un esprit de fraternité. » Elle a toujours trouvé ça bien comme article, c’est normal que ce soit le premier. »
Puis certains éléments ont confirmé mon hypothèse : les invités ont des chaussures, ce qui n’est pas le cas des hôtes, par exemple. L’auteure aurait peut-être pu expliciter ces propos en postface de son histoire, comme l’a par exemple fait Janne Teller dans son Guerre – Et si ça nous arrivait. Cela aurait permis de lever toute ambiguïté !

Carole (3 étoiles) : A votre avis, ce livre s’adresse à quelle tranche d’âge du coup ? C’est précisé sur la 4 ème ? Une note de l’éditeur ou de l’auteure ?

Za (Le cabas de Za) : Cette collection se veut transgénérationnelle. Les textes sont courts, lisibles dès 8 ou 9 ans. Ils sont vite lus à haute voix et constituent un support idéal au débat. Dans le cas des Invités, je ne me vois pas trop le faire lire à des enfants sans l’accompagner d’une explication préalable et/ou surtout d’une discussion après la lecture. Le côté intemporel et non situé géographiquement nécessite un échange avec l’adulte et c’est ce qui pourrait en faire tout l’intérêt d’ailleurs.

Gabriel (La mare aux mots) : J’allais justement dire ça, je ne le mettrai pas dans les mains d’un enfant sans en parler après. Donc à partir de là, oui je dirais 8-9 ans.

Céline (Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait LIVRESse) : Je pense aussi que cette lecture doit être préparée, encadrée et prolongée… Je serais curieuse d’entendre les commentaires d’enfants de 8-9 ans ! Avec les plus grands (10-14), il pourrait faire l’objet de recherches complémentaires sur le colonialisme, l’esclavagisme, les droits de l’Homme…  La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme illustrée par Folon pourrait être un bon point de départ. Enfin, là, c’est la prof qui parle !

Carole (3 étoiles) : Chacun de vous pourrait me dire ce qu’il lui a plu et déplu ?

Za (Le cabas de Za) : J’aime la brièveté du texte (c’est la marque de la collection), sa simplicité (dans le bon sens du terme), la langue claire et directe de Charlotte Moundlic. D’ailleurs, il ne faut pas manquer de lire ses albums illustrés par Olivier Tallec, ils sont formidables ! En revanche, la question du colonialisme ne saute pas aux yeux à la première lecture et cela peut prêter à une redoutable confusion, à cent lieues bien sûr des intentions de l’auteure.

Céline (Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait LIVRESse) : J’ai aimé le style particulier de l’auteure (des phrases simples, courtes voire coupantes); le sujet à la fois original et intéressant qui amène au débat de fond sur les rapports entre les hommes; la manière de l’amener (une histoire anodine qui tourne, sans crier gare, à l’horreur) ainsi que le fait que le narrateur soit un enfant – l’histoire qu’il nous raconte n’en a que plus de poids… Le point négatif, c’est cette petite note explicative finale qui fait défaut. Il ne faudrait pas que ce titre soit mal interprété et qu’au lieu d’atteindre son objectif premier qui est de prôner le respect de l’autre, le (jeune) lecteur y voit un motif d’avoir peur de l’Etranger.

Gabriel (La mare aux mots) : Le texte est très beau, très poétique. Charlotte Moundlic a une vraie plume. Le fait qu’on ne comprenne pas forcément de quoi ça parle m’a plus dérangé que déplu… et ça fait débattre ! (et un livre qui amène le débat est forcément intéressant).

Bibliographie sélective de Charlotte Moundlic :
Les Invités, éditions Thierry Magnier, 2011
Juste en fermant les yeux, éditions Thierry Magnier, 2009
La croûte, illustré par Olivier Tallec, Flammarion, 2009
Le slip de bain, illustré par Olivier Tallec, Flammarion, 2011
Mon coeur en miettes, illustré par Olivier Tallec, Flammarion, 2012
Petit maboule et Juste en fermant les yeux, Thierry Magnier, 2008

Nos billets sur Les invités :
Céline B : http://lacoupeetleslevres.blogspot.fr/2012/06/les-invites.html
Gabriel : http://lamareauxmots.com/blog/prives-de-liberte/

« Le faire ou mourir » – lecture commune

le-faire-ou-mourir.gif

SophieLJ (La littérature jeunesse de Judith et Sophie) : Bonjour tout le monde. Aujourd’hui, on va discuter du premier livre de Claire-Lise Marguier : Le faire ou mourir. Entrons directement dans le vif du sujet : il parle de quoi ce roman au titre énigmatique ?

Carole (3 étoiles) : C’est l’histoire de Damien, dit Dam, un ado de 16 ans. Fraîchement débarqué dans un nouveau collège, il cherche sa place partout : dans sa famille, dans sa classe et surtout dans sa propre vie et son corps. Il va faire des rencontres, une surtout, celle avec Samy, qui vont le bouleverser et changer le cours de sa jeune et sombre vie. Le faire ou mourir, c’est l’histoire d’une quête, celle de l’adolescence malmenée, fragile, sensible, violente qui grandit via une appartenance à une tribu, la musique, les codes, des rituels, l’Amitié et l’Amour.

Dorot’ (Les livres de Dorot’) : Je pense qu’il est important de souligner le fait que Damien n’est bien nulle part. Dans sa famille, il y a la grande sœur qui passe avant lui dans tout, et à l’école, dès son plus jeune âge, il se fait malmener par des caïds de la cour de récré…

 

Dorot’ : La rencontre avec Samy m’a beaucoup marquée. Et vous ? Qu’est-ce que vous en pensez ? Pourquoi cette rencontre a évolué en amitié si intense ?

SophieLJ : Je ne sais pas s’il y a vraiment une explication, comme dans toutes les relations les choses se font sans qu’on ne puisse vraiment l’expliquer.

Si je devais quand même dire quelque chose, c’est que ça viendrait de leur profonde différence de caractères. Samy est un jeune homme plein d’assurance et de confiance en lui, il s’assume totalement et n’en devient pas hautain mais au contraire très gentil. C’est sûrement cette gentillesse qui l’a poussé vers Damien, garçon solitaire et torturé. Et vice-versa, Damien avait besoin de quelqu’un qui le rassure.

Carole : J’ajouterais qu’à l’adolescence, on fonctionne souvent en binôme, et souvent du même sexe. C’est vrai que Samy et Dam apparaissent opposés sur bien des points, et en même temps ils sont similaires dans la mesure où ils se comprennent. C’est une mise en abîme de la complexité de la personnalité adolescente je trouve. Ils ont en commun cette sensibilité et cette intelligence de cœur qui m’émeuvent.

 

Carole : Avez-vous été sensible à l’univers de ces ados ? Leur musique, les codes vestimentaires, leur façon d’exister ?

Dorot’ : Musique, codes, je suis passée un peu à côté. Par contre leur façon d’être, de se soutenir m’a émue énormément. Peut-être parce que ce genre de comportement était le mien à l’époque où je vivais en internat. Dans un groupe on voit sa famille, on est solidaire, on s’apprécie malgré les défauts de chacun. Un monde à part que tous les parents ne sont pas prêts d’accepter…

SophieLJ : Comme Dorot’, je ne me suis pas vraiment reconnue dans leurs codes autour du gothique et de la destruction de soi. En revanche, leurs sentiments m’ont beaucoup touchée et j’ai retrouvé des sensations que j’avais ressenties à l’adolescence : l’injustice et l’incompréhension des adultes en particulier.

Carole : Me concernant, j’ai été hyper sensible à leur musique, écoutant la même depuis toujours, sans le côté gothique et dépressif. Rien que la dédicace de l’auteure au leader du groupe Indochine m’a plongée directement dans l’ambiance. Évidemment, la sensibilité à fleur de peau de Damien a eu quelques échos à ma propre adolescence. Et comme vous, le conflit avec la génération parent m’a également parlé, sensation de compréhension renforcée par l’emploi du « je » comme le souligne Sophie.

 

SophieLJ : Qu’avez-vous pensé du style de l’auteur ?

SophieLJ : Elle écrit à la première personne via le personnage de Damien. Ses phrases sont assez courtes et saccadées. J’ai aimé ce style, ça rend la lecture particulièrement fluide et représente assez bien l’adolescence et la vitesse à laquelle on ressent les choses.

Carole : Le rythme est rapide, parfois confus, avec une ponctuation minimale : autant d’éléments de style qui soulignent la jeunesse des personnages, leur pensée en prise directe avec les évènements qu’ils vivent et tous ces chamboulements sensoriels et émotifs. Il y a tous les ingrédients de la littérature adolescente qui la transcendent au niveau universel pour tous les lecteurs ados mais aussi pour ceux et celles qui ont un jour traversé cette période riche et difficile à la fois. Bref j’ai ADORE ce livre qui m’a émue, beaucoup.

Dorot’ : Pour ce qui est l’écriture du roman, vous avez tout dit. J’adhère totalement à cette forme de narration et quand c’est bien écrit comme c’est le cas ici, c’est encore mieux.
Il y a juste une chose qui m’a froissée dans ce livre… Les parents respectifs de Damien et de Samy.
Le père de Damien complètement obtus et enfermé dans ses préjugés et la mère à Samy qui comprend tout et consent à tout… Pas de nuances de gris pour ces personnages, juste noir et blanc, dommage.

SophieLJ : C’est vrai que c’est regrettable de ne pas avoir de juste milieu pour les parents de Dam et Samy. De la même façon, la mère de Dam semble totalement soumise. Ça aurait été peut-être plus intéressant de lui donner un peu plus de caractère face à son mari parce qu’elle n’a pas toujours l’air d’accord avec son jugement.

Carole : Concernant, les personnages des parents, qui sont aux antipodes, ça ne m’a pas gênée à la lecture, j’ai plus focalisé sur Damien et Samy à vrai dire. Il faut de tout pour faire un monde, alors pourquoi pas ces parents-là !

 

ATTENTION si vous n’avez pas lu le livre, mieux vaut éviter de lire ce passage !

 

SophieLJ : Qu’avez-vous pensé de cette double fin ?

SophieLJ : En ce qui me concerne j’ai adoré. Ça donne une bonne dose d’adrénaline. J’ai été suffoquée par la première fin. Puis la seconde m’a rassurée, les choses peuvent parfois se finir bien !
En tout cas, ça montre bien que la vie peut basculer en quelques secondes.

Dorot’ : J’ai aimé le choix proposé par l’auteur pour finir son histoire…
Comme tu dis Sophie, en lisant la première issue on suffoque, on a mal pour Damien et les autres, on se demande pourquoi, même si on a un semblant de réponse !
Un brin d’espoir avec la deuxième proposition, même si tout n’est pas rose…

Carole : Pour la première fin, j’étais complètement angoissée à cette idée et en même temps assez fascinée parce que finalement cette fin est crédible, et c’est là tout le talent de l’auteure je trouve. Évidemment, la seconde fin est plus  » joyeuse  » si on peut dire, et toute aussi crédible.

 

Vous pouvez reprendre votre lecture sereinement.

 

SophieLJ : Le mot de la fin ?

Carole : Perso, j’ai vraiment adoré ce roman : j’ai ri, j’ai pleuré, j’ai souri, j’ai paniqué, j’ai chanté, j’ai visualisé… Bref toutes les émotions propres à la grande ado que je suis y sont passées !

Dorot’ : Pour finir, je voudrais juste ajouter que les premiers romans comme celui-ci sont rares. Écrit avec une sensibilité inouïe, et avec des mots justes. Les ados à qui je l’ai prêté, l’ont lu plusieurs fois et tous ont apprécié.

Un livre émouvant et bouleversant. Un livre qui a rappelé à l’adulte que je suis devenue, l’ado que j’ai été, et les émotions à fleur de peau qui nous perturbent tant à la puberté.

SophieLJ : En effet Dorot’, les premiers romans de cette qualité sont rares. J’ai adoré ce livre qui fait réfléchir et qui donne beaucoup d’émotions. J’ai hâte de découvrir la suite du travail de Claire-Lise Marguier.

 

Nos billets sur Le faire ou mourir

Dorot’ : http://www.livres-de-dorot.fr/le-faire-ou-mourir-claire-lise-marguier-a35494419
SophieLJ : http://litterature-jeunesse.over-blog.fr/article-le-faire-ou-mourir-108048837.html
Thierry : http://lecturejeunesse83.wordpress.com/2012/04/26/8250/

Le faire ou mourir
Claire-Lise Marguier
Éditions du Rouergue
Collection DoAdo

La boulangerie de la rue des dimanches – lecture commune

Parler de ce roman un dimanche, c’est parfait, non ?

Commençons par l’histoire,

que se passe-t-il dans La Boulangerie de la rue des dimanches ?

Alice (Sous un pissenlit) – Ce livre  parle avant tout d’amour. Il débute sur une note bien ronde et bien douce que nous jouent Louis Talboni et Adèle Pelviaire. Un amour si fort et si marqué par la musique qu’ils en oublient d’apprendre un métier et vivent véritablement d’amour et d’eau fraîche ! Peu leur importe car ils ont Vivaldi, ses Quatre saisons et leur fils Jack. Mais la symphonie se transforme en marche funèbre lorsque Louis et Adèle meurent ensemble, en même temps. L’amour est toujours là, même sur le chemin funeste…

Jack se retrouve donc à l’Orphelinat où il va apprendre le métier de boulanger. Sa spécialité ? Les baguettes pas trop cuites et les religieuses au chocolat. C’est tout. Et c’est bien assez… Des baguettes pas trop cuites et des religieuses au chocolat ? Oui, il suffit parfois de peu pour changer des vies: d’abord celle d’un quartier puis celle de Jack.

Et ça se termine comment ? Sur une note complètement gorgée d’amour. Alors, voilà. Pour moi ça parle d’amour La boulangerie de la rue des dimanches. Ça parle de l’amour, celui avec un grand A, celui que l’on peut même croiser dans la mie d’une baguette pas trop cuit.

Sophie (La littérature jeunesse de Judith et Sophie) – En effet Alice, l’amour est le cœur de ce livre. Je rajouterais juste que la vie aussi. Pas seulement celle qui consiste à se lever le matin pour travailler. Mais celle dont on doit profiter avec les petits bonheurs du quotidien. C’est ce que j’ai retenu de ce livre.

Za ( Le cabas de Za) – Il y est aussi question de plaisir. Le plaisir des choses inutiles et gratuites : écouter un morceau de musique, manger un gâteau, sentir l’odeur du pain… et lire un livre ?

Thalie (Parfums de livres) – Ahhh, mais cela parle aussi des émotions et de la vie. La musique est présente dans l’écriture, la magie opère à chaque page. Les mots sonnent et résonnent, s’amusent, se taquinent. Les personnages sont des métaphores de l’amour (le don de soi jusqu’à en mourir), la cupidité, l’avidité, etc… Et au milieu de cela (coule une rivière) se trouve notre héros, notre fil rouge, celui qui donne le la: Jack Talboni. Il est candide, pur, naïf, il écrit sa partition, sa vie en tâtonnant. Jack est au début un peu brouillon, une mélodie en devenir puis s’affirme à sa manière avec douceur. Il élève le rythme, ses journées, son quotidien deviennent soutenus puis s’apaisent, comme une symphonie de Vivaldi.

Ce n’est pas un conte ou une fable qui nous est présenté mais un chef d’œuvre d’esthétisme. Les illustrations sont d’une finesse incroyable, l’objet est magnifique et l’écriture un pur moment de poésie.

Ah, les illustrations de Till Charlier…

On ouvre le livre pour en reprendre une miette encore.

Alice – Les illustrations ! À elles seules, elles sont aussi tout un monde… Elles enveloppent encore plus le lecteur dans sa lecture.

Leiloona (Bric à Book– Elles font partie intégrante de l’histoire, permettant aussi au petit côté décalé de ce roman de s’épanouir. J’ai pensé à Roald Dahl, mais aussi à Mathias Malzieu… Un petit air rétro qui permet aussi de ne pas « fixer » une époque précise pour cette histoire, lui donnant alors la dimension d’un conte.

Thalie – Les illustrations, très fines, m’ont rappelée celles de certaines affiches des années 50 ou des années 60. J’aime beaucoup le côté rétro des illustrations qui confèrent à l’ensemble un aspect vieilli surprenant et original.

Za – Le travail de Till Charlier concourt à la légèreté et à l’élégance de l’histoire. Ses images sont d’une grande délicatesse. Même la scène de l’enterrement des parents de Jack est traitée avec poésie. Les couleurs qui tirent sur le sépia, les décors, les costumes des personnages ont effectivement un petit côté années cinquante. Lady La Loola a d’ailleurs plus l’allure d’une chanteuse de Jazz que d’une star de R’n’B ! L’association Galmot/Charlier, inédite, fonctionne parfaitement. Je verrai bien La boulangerie de la rue des dimanches adaptée au cinéma par Jean-Pierre Jeunet, moi…

Sophie – L’illustrateur a un style crayonné plein de tendresse avec lequel il parvient à dessiner les pires moments de la vie de Jack sans pour autant tomber dans le pathétique. J’ai aussi particulièrement aimé les couleurs qui rappellent le sépia des vieilles photos.

Marianne (La mare aux mots) – J’ai beaucoup aimé les petites incrustations dans le roman. Les personnages ont l’air frêles, un peu écorchés, mais plein de vie, et ça correspond tout à fait à ce qu’ils dégagent dans l’histoire.

Le jeu des références est inévitable.

La Boulangerie de la rue des dimanches en distille quelques-unes,

et pas des moindres…

Leiloona – Dans ce livre, il y a à la fois du Vian et du Dahl. Une histoire complètement décalée, un brin lugubre, mais qui ne tombe jamais dans le pathos.

Et puis, au centre de cette histoire, il y aussi ce petit bonhomme qui n’a pas eu de merveilleuses fées penchées sur son berceau. Dans sa besace, il ne possède qu’un savoir (mais un merveilleux) : celui de bien faire les baguettes et les religieuses. Alors, malgré le peu d’armes données dans son enfance, il croit en ce qu’il fait. Et il réussit. Un très joli message d’espoir pour ces enfants qui n’ont pas une cuillère en argent dans la bouche.

Za – J’aime beaucoup l’idée d’une parenté avec Roald Dahl ! Des mômes un peu boiteux de la vie (Charlie ou encore le héros de « Sacrées sorcières ») et à qui tout est permis, pour qui tout est possible. Et puis la dose de fantaisie débridée aussi..

Thalie – Oui, le parallèle avec Dahl est excellent, il y a de la « magie » dans ce livre.

Marianne – Je suis d’accord avec tout ça : de l’amour, de la tendresse, des baguettes, des religieuses, de la musique, une famille atypique, la vie simple mais merveilleuse. Un peu de Boris Vian effectivement, de Roald Dahl et de Pierre Gripari, mais aussi la griffe personnelle des auteurs. C’est une ode à l’émerveillement de tous les instants. Jack nous invite à relativiser, et à prendre la vie du bon côté, toujours !

Comme il faut bien pinailler un peu,

on cherche ce qui ne nous aurait pas tout à fait convaincues…

Marianne – J’ai la mémoire sélective pour ça, alors spontanément, je ne vois rien. En réfléchissant, j’aurais sans doute aimé que certains passages soient légèrement plus développés, avec plus de détails qui ajouteraient encore un peu de croustillant et de tendresse.

Za – Sans hésiter, ce qui m’a moyennement plu, c’est cette idée de rédemption par le travail. Mais quelle horreur ! Plus sérieusement, peut-être la love-story finale avec la diva R’n’B dont je trouve le personnage un peu décalé par rapport aux autres. Mais je dois vraiment me forcer pour mettre un bémol à cette belle partition

Sophie – Comme Za, j’ai moyennement apprécié le personnage de Lady La Loola que je ne trouve pas très cohérent dans cet univers.

Alice – J’en aurais pris plus sur Lady La Loola, plus parce qu’elle débarque à la fin du roman, et je n’avais pas envie d’en sortir… C’est plus une question de désir et du besoin de ne pas quitter un univers qu’une question de points négatifs pour moi.

Thalie – En ce qui me concerne je mettrai un bémol sur la fin du livre. J’aurais aimé quelque chose d’autre de plus fou. Je n’aime pas le personnage de Lady La Loola qui arrive trop vite et qui ne me semble pas à la hauteur de Jack Talboni. J’aurais aimé une histoire aussi belle que celle de ses parents, une fin un peu moins rapide. Mais là c’est mon envie d’encore qui parle. La gourmandise, toujours la gourmandise !

Leiloona – Pour moi aussi le personnage de la vamp détonne par rapport au reste… Mais cela va aussi contre certains a priori « et si la vamp’ était une personne sincère qui n’attendait que la religieuse de notre Jack » ? Mais je ne peux m’empêcher de voir cette relation comme complètement farfelue… Ils sont si différents l’un de l’autre…

Mais le plaisir, le bonheur de cette lecture reprennent le dessus…

Thalie – Savoir ce que j’ai le plus aimé est compliqué, tellement ce livre m’a séduite au premier regard. Je dirais donc que c’est ce qui se dégage de ce livre. L’objet en tant que tel, la douceur de la couverture, l’intelligence et la finesse des illustrations, l’originalité du texte. C’est un livre que l’on a envie de traiter avec respect et délicatesse.

Leiloona – C’est un ensemble… D’abord la qualité de production du livre (car c’est ce qui nous touche en premier, et ce soin est assez rare pour être souligné), puis le style un peu déjanté qui appartient à l’univers du conte.

Sophie – C’est l’ambiance qui se dégage de se livre qui m’a le plus plu : ce petit côté loufoque où on sait que rien n’est réaliste et pourtant on a envie d’y croire.

Alice – C’est une question d’ensemble. Il y a à la fois, l’histoire, l’art avec lequel elle est raconté, les illustrations, la douceur du papier. Bref, un bon livre c’est comme un mur de briques: pour que celui-ci soit fort et puisse bien supporter une maison, toutes les briques doivent bien s’emboîter ensemble et il ne doit pas en manquer une. C’est ce qui se passe pour ce roman, il y a la voix de l’auteur et un univers graphique qui s’assemblent parfaitement.

Za – Ce livre est tout d’abord un bel objet éditorial. Et puis il y a le style d’Alexis Galmot, ce style qui avance tout seul et qui se lit si bien à voix haute. La première chose que l’on reçoit de ce texte, c’est le plaisir des mots, le bonheur d’avoir en face de soi une véritable œuvre littéraire à hauteur d’enfant, à portée de tous !

Marianne – C’est peut-être bête, mais j’ai particulièrement aimé le thème de la boulangerie, en bonne gourmande que je suis. J’ai reniflé les petits bonheurs à plein nez rien qu’en lisant le titre, et je ne me suis pas trompée ! J’ai également beaucoup aimé l’ambiance de conte qui s’ancre quand même dans le réel : rien de complètement surnaturel, mais rien de complètement normal non plus !

Finalement, à qui pourrait-on conseiller ce livre ?

Alice – On peut dire que les lecteurs qui aiment les histoires originales et ceux qui aiment aussi s’attarder à la virtuosité des mots seront conquis. C’est aussi une lecture à faire découvrir à ceux qui n’ont pas l’habitude des livres « ovnis » (là, c’est l’ancienne libraire qui parle!). En fait, c’est difficile de parler de dresser un profil de lecteurs, car on peut être très surpris sur les lectures des gens. Je préfère finalement ne pas catégoriser car à trop catégoriser, on peut perdre les lecteurs éventuels.

Za – On peut conseiller ce roman à tous ! De 8 à 108 ans et même au-delà ! C’est un roman qui transcende les catégories d’âge, un texte à conseiller aux amateurs de hamacs, aux amoureux de temps libre, de dimanches ensoleillés. Ou, au contraire, à glisser sournoisement dans les lectures des stakhanovistes ou des réfractaires aux romans d’amour, histoire de les surprendre agréablement…

Sophie – Je le proposerais à des enfants autour de 10 ans, filles ou garçons s’y retrouveront à mon avis. Comme on l’a dit plus tôt, le public de Roald Dahl se plaira dans cet univers loufoque. C’est un petit roman très agréable à lire qui ravira tous les gourmands et amateurs d’univers déjanté.

Marianne – À tous les gourmands : les gourmands de bonnes douceurs, mais aussi les gourmands de la vie, qui n’ont pas peur d’un peu de folie douce ! Plus généralement, dès 9 ans, et sans limite !

Leiloona – Oui, dès 8 ans… Même si vers 15 ans, les adolescents risquent de trouver l’intrigue un peu « bébé ».

Thalie – Je conseillerais ce livre plutôt à des grands, dès 10 ans pour être plus précise. L’âge où l’on comprend les subtilités. Ce livre me semble vraiment idéal pour discuter en famille, un délicieux moment de partage.

Nos billets sur La boulangerie de la rue des dimanches :

Leiloona : http://www.bricabook.fr/2012/06/la-boulangerie-de-la-rue-des-dimanches/

Marianne : http://lamareauxmots.com/blog/?p=3777

Alice : http://sousunpissenlit.wordpress.com/tag/boulangerie-de-la-rue-des-dimanches/

La boulangerie de la rue des dimanches
Alexis Galmot & Till Charlier
Grasset Jeunesse
collection Lecteurs en herbe
2011

Lecture commune : On n’a rien vu venir

Un dimanche de pluie, nous avons eu la bonne idée de nous réunir autour de petits gâteaux (merci Dorota, tes muffins étaient fameux) et d’un thé. On s’est dit : « tiens si on débattait sur un livre qu’on est plusieurs à avoir lu ». On s’est mis d’accord pour que ça soit On n’a rien vu venir de Sandrine Beau, Clémentine Beauvais, Annelise Heurtier, Agnès Laroche, Fanny Robin, Séverine Vidal et Anne-Gaëlle Balpe et préfacé par Stéphane Hessel. Il était logique de se mettre à plusieurs pour commenter un livre écrit à plusieurs non ? Nous recommencerons chaque premier jour du mois cet exercice, mais la prochaine fois on ne fait pas ça chez moi car c’est un peu petit…

Gabriel (La mare aux mots) : Alors les filles… ça parle de quoi ce roman ?

Céline (Qu’importe la flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse) : « On n’a rien vu venir » parle de l’arrivée au pouvoir d’un parti liberticide et des changements que cela va occasionner pour 7 familles parmi d’autres. Le Parti décide de tout : de ce que vous pouvez ou non manger, des chansons que vous pouvez ou non chanter et du nombre de décibels que vous ne pouvez dépasser, de la couleur des vêtements à porter, de l’heure à laquelle vous réveiller, etc. A l’école, les élèves sont classés par niveau de docilité et des Vigilants veillent à faire respecter le nombre incalculable de nouvelles règles. Des caméras sont installées au sein des familles « à risques ». Pire, le pouvoir en place encourage la délation; tous ceux qui dépassent le nuancier des couleurs sont renvoyés dans des pays où ils n’ont jamais mis les pieds; les handicapés sont placés dans des centres adaptés; les homosexuels, dans des centres de rééducation morale… Et pourtant, personne n’avait rien vu venir… Petit à petit, la résistance s’organise.

Dorot’ (Les livres de Dorot’) : Ce livre met l’accent sur un problème majeur : on peut se faire embobiner par les beaux parleurs, en croyant en leurs discours, et tout ça avec la majorité d’une population!

Gabriel (La mare aux mots) : Quelqu’un reveut du thé ? Bon et sinon qu’avez-vous préféré dans ce roman ?

Carole (3etoiles) : Le concept des 7 voix, 7 mains, 7 sensibilités unies vers un but commun : le non-consensus. Le sujet à débattre et à discuter en famille, en classe, entre copains. 7 mains talentueuses tendues vers la prévention, l’éveil à la foi sociale et politique des plus jeunes, le réveil tardif de certains déjà bien grands… L’écriture est salvatrice, la lecture démocratique. C’est un hymne à la République, à ses valeurs, à ses symboles. Un roman d’utilité publique à mon avis.

Letterbee (Butiner de livres en livres) : Ce que j’ai préféré, c’est dur à dire, il y a plusieurs points qui me viennent à l’esprit. J’ai apprécié qu’elles retranscrivent la tension de l’action sans faire appel dans les récits à des descriptions de violence physique (sauf une fois mais légèrement.) Pas besoin de flots d’hémoglobine pour que l’on ressente tout le danger de l’histoire. Outre la grande qualité que ça apporte au roman, cela permet de le faire lire à de jeunes lecteurs.

Anne (Enfantipages), qui passait par là : S’il faut choisir : J’ai adoré l’idée du nuancier ! Son originalité et sa force imagée…

Céline (Qu’importe la flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse) : Le fait qu’il s’agisse d’un livre engagé où, avec des mots simples mais des images fortes, les sept auteures mettent en garde contre les partis qui avancent masqués… Le message est clair: si l’on n’y prend garde, si on se laisse bercer par des propos démagogiques, populistes, on peut amener démocratiquement au pouvoir un parti qui ne l’est pas! A l’issue de la lecture de cet ouvrage où chacun se sentira à un moment ou l’autre personnellement concerné, on ne peut que s’interroger sur nos choix et nos non-choix… Les illustrations d’Aurore Petit, en noir et rouge, apportent encore davantage de poids à ce qui est dit. On s’inscrit ici explicitement dans la démarche: « De l’enfant lecteur au libre électeur »!

Aurélie (Royaume des livres) : L’écriture des chapitres en voix différentes. Ce mélange d’auteurs, organisés avec une chronologie commune, un fond commun, un mélange de personnages qu’ils ont su faire se croiser, se connaître, se juger parfois. Cette façon de faire vivre chacun un personnage tout en restant fidèle à la trame commune, en harmonie avec la voix des autres auteurs. Cette progression des récits avec le temps, chacun son tour, ce que j’ai trouvé assez original là où je m’attendais à avoir 7 voix différentes du même moment (dans le style d’Une histoire à quatre voix d’Anthony Browne). Bref, la collaboration de ces 7 talentueux auteurs.

Dorota (Les livres de Dorot’) : Je rejoins de très près l’avis d’Aurélie et de Carole. Sinon, j’ai bien aimé le fait que les auteurs montrent chez certains personnages de l’histoire comme un éveil de la conscience. Certains se sont laissé berner par cette partie, mais une fois « réveillé » ont une envie de le dire et essayer de changer les choses avec les autres.

Corinne (De pages en pages) : J’ai tout aimé dans ce livre ! D’abord, la façon dont il est construit. Les styles d’écriture sont différents mais s’imbriquent parfaitement et se complètent pour rendre chaque chapitre plus crédible. Ensuite, la façon dont le sujet est traité. C’est tellement rare de trouver des textes aussi bien ciblés. Il s’adresse aux tout jeunes lecteurs et est parfaitement adapté à sa cible.
Enfin, le ton ! On passe presque du rire aux larmes et ça, c’est un beau tour de force.
Petite mention spéciale aux nuanciers quand même, c’est trop fort comme idée !

Gabriel (La mare aux mots) : Y’a pas un truc qui crame dans le four ? Ça sent bizarre… Il n’y a que du positif dans vos avis ! Il n’y a rien que vous avez moins aimé, sur lequel vous auriez des réserves ?

Dorota (Les livres de Dorot’) : Difficile pour moi de répondre à cette question, vu que j’ai adoré ce livre avec tous les récits qui le composent. La seule chose qui m’a dérangée c’est le fait que les évènements arrivent immédiatement après les élections, le soir même, trop vite. Et, personnellement je n’aime pas la couverture. J’aurais aimé voir dessus les visages de toutes les couleurs, un petit clin d’œil à la partie de la « Liberté ».

Corinne (De pages en pages) : Ce que j’ai moins aimé (notez la nuance hein !) : le fait que les chapitres soient découpés chronologiquement par jour et que ces jours se suivent (qui plus est sur une seule semaine*). C’est la seule chose qui, à mes yeux, n’était pas très crédible puisqu’on faisait un bout de chemin (parfois long) dans chaque environnement. Certes, cela ramène chaque fois plus ou moins au point de départ (le résultat des élections), mais malgré tout, je pense que ce n’était pas nécessaire. À part ce détail, je n’ai absolument rien à reprocher à cet excellent roman.

Céline (Qu’importe la flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse) : En réalité, j’ai TOUT aimé: de la préface mobilisatrice de Stéphane Hessel à l’épilogue empli d’espoir de Séverine Vidal en passant par les sept récits qui visent en plein dans le mille en évoquant des thèmes qui font débat dans nos sociétés, des sujets chauds liés au droit à la différence: la vieillesse, la couleur de peau (et ce fameux nuancier dont parle Corinne), la personne handicapée, l’homosexualité,… Le changement de plume ne nuit en aucun cas à la fluidité du texte. Les récits s’entremêlent et les personnages sont tous liés. Le tout forme donc un ensemble cohérent, agréable à lire. Un véritable coup de cœur en ce qui me concerne!

Aurélie (Royaume des livres) : A moi, ce que j’ai le moins aimé, enfin si on le peut dire comme ça… :  Il y a eu la voix d’un jeune garçon, dont les parents ont voté pour le parti de la Liberté, mais j’aurais trouvé cela intéressant d’avoir également la voix d’un jeune qui était lui aussi pour le parti de la Liberté, pour voir ce qu’il ressentait des obligations que le parti avait mises en place et qui ne correspondaient peut être pas à ce qu’il s’attendait en votant pour lui. Le parti de la Liberté est allé bien plus loin que les promesses faites avant l’élection, ceux qui ont voté pour lui auraient-ils regretté leur choix ?

Carole (3etoiles) : en ce qui concerne le petit moins du livre : je rejoins Corinne sur le fil chronologique, même si 7 jours correspondent aux 7 auteurs… En fait ça me fait trop penser aux 7 jours de la création selon la Bible, ou 7 jours de rétractation après signature… ça reste tout de même cohérent et ça n’a pas empêché la fluidité de la lecture.

Letterbee (Butiner de livres en livres) : Je n’ai aucun bémol à apporter, j’ai adoré le livre de bout en bout.

Gabriel (La mare aux mots) : Même quand vous dites du mal vous dites : « c’est pour dire du bien » ! Bon et vous le conseilleriez à qui ?

Letterbee (Butiner de livres en livres) : C’est un livre que je peux conseiller et d’ailleurs que je conseille à tout le monde. À mon avis, il peut se lire à partir de 8 ans et d’ailleurs je l’ai fait lire à mon fils, qui l’a lu d’une traite et a beaucoup aimé, ça a été ensuite l’occasion de discussion entre nous. Je peux le conseiller aux adultes vu que je l’ai lu avec beaucoup de plaisir, je l’ai aussi mis entre les mains de mon mari qui l’a dévoré et bientôt ce sera ma meilleure amie qui le découvrira. Enfin, il est parfait pour les adolescents, entre 10 et 15 ans, il est important de le leur proposer.

Corinne (De pages en pages) : Tout comme LetterBee, je dirais qu’il est parfait pour tous les âges et s’adresse à tout le monde. Il est conseillé à partir de 9 ans. Je trouve que c’est un peu jeune. Je le recommanderais plutôt à partir de 10-12 ans selon la maturité de l’enfant. En tout cas, il est parfait pour aborder bon nombre de sujets « qui fâchent » avec ses enfants et commencer à les sensibiliser !

Céline (Qu’importe la flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse) : Je partage l’avis général. Pour ce qui est du fond, ce livre est à mettre entre TOUTES les mains, les jeunes comme les moins jeunes ! Comme le dit Stéphane Hessel dans sa préface: « Il n’est jamais trop tôt pour s’engager » et, au vu de la montée en puissance des partis extrémistes dans nos pays européens, on ne rappellera jamais assez le « plus jamais ça »! Pour ce qui est de la forme, il s’adresse davantage aux adolescents mais les adultes y trouveront leur compte également ! Pour l’anecdote, ma grand-mère de 86 ans l’a lu d’une traite, l’a serré sur son cœur avant de me le rendre en me disant, très émue: « Merci! ».

Aurélie (Royaume des livres) : Je rejoindrais les autres avis, il est à mettre entre toutes les mains, adolescents et adultes. A partir de 11-12 ans pour moi aussi, il devient même une référence pour aborder avec les jeunes les dérives, la tolérance, l’importance de faire des choix éclairés, la République. Je le vois tout à fait à sa place dans les cours de collège, c’est un très bon outil pour aborder l’éducation civique, quel que soit le nom qu’elle porte aujourd’hui. Et en ces temps post électoraux, tous les adultes devraient le lire aussi !

Dorota (Les livres de Dorot’) : Quoi dire d’autre? A partir de 10 ans, avant je pense que les enfants sont trop jeunes pour ce texte. Et surtout à mettre entre les mains des certains parents…

Carole (3etoiles) : Complètement d’accord sur les plus de 10 ans, ados, parents, éducateurs, enseignants, formateurs ! Ce livre est d’utilité publique, il devrait même faire partie de la liste officielle des œuvres littéraires du cycle 3, et vivement recommandé dans le secondaire aussi ! Bref partout où l’éducation à la citoyenneté et au libre-arbitre se joue ! Partout où les valeurs républicaines sont encore valorisées et transmises.

Gabriel (La mare aux mots) : Oh ! J’avais pas vu l’heure ! Faut que j’aille chercher ma fille à l’école moi… Alors il faut conclure… Que diriez-vous à quelqu’un pour lui donner envie de le lire ?

Aurélie (Royaume des livres) : Qu’il y a quelques livres à côté desquels il ne faut pas passer et que celui-ci en fait définitivement partie.

Carole (3etoiles) : Que s’il y a un livre à lire pour expliquer et comprendre la démocratie aux enfants, c’est celui-là !

Letterbee (Butiner de livres en livres) : C’est un roman au sujet très fort, excellemment mené par 7 brillantes auteures; il est indispensable de le lire.

Corinne (De pages en pages) : Je crois que tout a été dit ! Courez l’acheter et revenez nous dire ce que vous en avez pensé.

Céline (Qu’importe la flacon, pourvu qu’on ait LIVREsse) : Pour conclure, je reprendrais les termes de Stéphane Hessel qui signe la préface de ce livre et qui, faut-il le rappeler, a participé à la rédaction de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme:  » « On n’a rien vu venir » parle de ce qui peut arriver si l’on n’y prend pas garde. C’est pourquoi je considère que c’est un livre important, et je vous encourage à le lire. »

Dorota (Les livres de Dorot’) : Un livre qui fait comprendre à tout le monde qu’il faut tout mettre en œuvre, tous ensemble, pour que la démocratie soit le seul choix évident pour tout le monde.

Gabriel (La mare aux mots) : Merci les filles, je file ! À dans un mois !

* petite erreur relevée par quelques personnes, en fait le livre se déroule sur plusieurs semaines.

Attention, il y a des mensonges dans la présentation de ce texte (mais tout ce qui a été dit sur le roman est vrai). Les participants ne se sont pas réellement rencontrés. Le rédacteur de cet échange a décidé de vous mentir… et vous n’aviez rien vu venir !

Chaque 1er jour du mois vous retrouverez une lecture commune.

Retrouvez toutes nos chroniques sur On n’a rien vu venir :

3 étoiles : http://blog.3-etoiles.fr/2012/03/eveil-a-la-politique-quand-je-serai-grand-je-serai-president/
Enfantipages : http://enfantipages.blog.lemonde.fr/2012/03/16/on-na-rien-vu-venir/
Qu’importe le flacon : http://lacoupeetleslevres.blogspot.com/2012/04/on-na-rien-vu-venir.html et la playlist : http://lacoupeetleslevres.blogspot.com/2012/05/la-playlist-de-on-na-rien-vu-venir.html
De pages en pages : http://depagesenpages.wordpress.com/2012/05/22/on-na-rien-vu-venir/
La mare aux mots : http://lamareauxmots.com/blog/?p=4309
Lecture Jeunesse 83 : http://lecturejeunesse83.wordpress.com/2012/04/06/on-na-rien-vu-venir/