Une Preuve d’amour de Valentine Goby

Lorsque j’ai lu ce roman, j’ai été frappée une fois de plus par la délicatesse et la justesse de l’écriture de Valentine Goby. Aussi ai-je entrainé deux arbronautes, Pépita et Colette, à partager cette lecture (et j’espère qu’il en sera de même pour vous).

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Une preuve d’amour de Valentine Goby
Thierry Magnier, 2017 (2013 pour la première édition)

 

Bouma : Avant d’avoir lu ce roman, quels thèmes pensiez-vous y trouver en vous basant sur la couverture et le titre ?

Pépita: Tout de suite à une histoire d’adoption ou de migrants. Comme quoi, la couverture est explicite !

Colette : J’avoue qu’au seuil de ce texte, j’ai pensé lire une aventure en terre africaine, une aventure dans laquelle les héros devraient faire des sacrifices par amour..

Bouma : Pour moi il s’agissait plutôt de voyage avec cette jeune fille qui regarde au loin et la carte qui dessine les cheveux du visage central.
Et que raconte l’histoire finalement ?

Pépita : Le lecteur est transporté dans une classe, en cours de français, avec le texte des Misérables de Victor Hugo qui est étudié. Le professeur essaie de faire accoucher ces esprits une réflexion sur un personnage en particulier, celui de Fantine qui abandonne Causette. Mauvaise mère ou non ? Le débat est lancé, la discussion est vive… Abdou se lève d’un coup et quitte la classe. Il n’y a que Sonia qui perçoit le malaise du jeune homme et elle décide de l’aider.

Colette : Cette histoire est celle d’un amour naissant, un amour qui se tisse autour d’un mystère que le lecteur devra déchiffrer sur les pas du personnage principal, un amour courageux…

Bouma : Quel personnage vous a le plus touché et pourquoi ?

Pépita: et bien, je ne sais pas ! Bien sûr on s’attache d’emblée à Abdou et Sonia, c’est inévitable ! J’ai particulièrement apprécié les adultes dans cette histoire : le prof de français mais surtout le père de Sonia.

Colette : sans hésiter mon personnage préféré est celui du père de Sonia : quel  adulte bienveillant, respectueux, attentif, impliqué ! J’ai toujours eu une tendresse particulière pour ces papas qui s’occupent seuls de leurs enfants ! Pas de misérabilisme dans cette parentalité solitaire, mais des preuves d’amour en veux-tu en voilà !

Bouma : Je rebondis sur ta formulation Colette, non pas UNE mais DES preuves d’amour selon toi. D’amour maternel avec la mère d’Abdou, d’amour paternel avec le père de Sonia, d’accord. Mais n’y a-t-il pas aussi quelques preuves d’amour de la part de ces personnages adolescents ?
PS. Moi c’est le personnage d’Abdou qui m’a touché par sa sensibilité et sa relation au monde. Il dégage une présence même à travers les pages d’un livre.

Que pensez-vous des références à Victor Hugo ? Cela peut-il faire écho même chez des lecteurs qui ne l’ont pas lu ?

Pépita :J’ai trouvé ce procédé particulièrement intelligent, comme quoi les grandes œuvres traversent les siècles sans une ride ! Effectivement, soit on ne l’a pas lu mais je ne pense pas que cela gêne la compréhension de l’histoire (qui est très bien posée par rapport au contexte et à la référence) ou au plus, cela peut donner envie de lire ces pages. J’ai aimé aussi l’attitude de l’enseignant qui ne lâche rien, qui veut mener ces ados dans les derniers retranchements de leur réflexion. J’aurais du coup aimé le connaitre un peu plus aussi. Comme quoi les grandes œuvres ont toujours une résonance et que chacun peut s’identifier aux personnages à l’aune de sa propre vie. C’est aussi un roman sur la force de la littérature.

Colette : Absolument car oui j’ai honte  mais je n’ai jamais lu Les Misérables et j’ai parfaitement saisi à quel point cette référence était précieuse pour délier les nœuds en boule dans le cœur d’Abdou et Sonia. C’est un des miracles de la littérature : son précieux pouvoir cathartique ! Et puis je ne peux qu’apprécier un roman qui commence par une lecture analytique en cours de Français.

Bouma : Aviez-vous déjà lu d’autres romans de Valentine Goby ? Comment décririez-vous sa plume ?

Colette : J’avais lu Kinderzimmer offert par notre Carole lors de mon premier swap de Noël à vos côtés mes arbronautes et j’avais été bouleversée… Pour de nombreuses raisons, parce que c’est un roman essentiel sur la femme, son corps, la maternité quand tout vous prive de cette féminité, de ce corps, de cette maternité puisque l’histoire se déroule en grande partie à Ravensbrück… Je n’ai pas retrouvé le même style dans Une Preuve d’amour. Je ne saurais trop expliquer pourquoi. Parce que les choses n’y sont pas aussi complexes sans doute, parce que tout va très vite dans Une Preuve d’amour, le rythme de la narration est beaucoup plus basé sur le déroulé des évènements (comme souvent dans la littérature ado, me semble-t-il) que sur l’exploration des abysses de l’esprit humain !

Pépita : Je n’ai rien lu d’autre d’elle en jeunesse. Celui que tu cites Colette me tente depuis longtemps mais je n’ai pas encore eu l’occasion de le lire. Par contre, je l’ai lue en littérature adulte et j’ai notamment été embarquée par Un paquebot dans les arbres chez Actes sud. C’est une auteure qui a le don des personnages je trouve. Elle leur donne, malgré les situations qu’ils vivent souvent difficiles, une sorte d’élan de vie qui bouscule.

Bouma : Moi j’avais déjà lu Le Voyage immobile dans la collection d’Une seule voix chez Actes Sud Junior. Un texte très court encore plus que celui-ci, sur le handicap et la différence, qui avait su me toucher.
Pour Une preuve d’amour, certes les évènements conduisent la marche mais je trouve que la plume de Goby sait questionner le lecteur, l’interroger sur sa place dans le monde et dans la société.

 

Au final, Valentine Goby livre un roman plein de sens où littérature et réalité se font échos dans la quête de sens et la recherche identitaire.

Pour aller plus loin, retrouvez nos avis sur ce roman :

Colette

Pépita

Bouma

 

Bouche Cousue

Bouche cousue.-Marion Muller-Collard Gallimard, collection Scripto

 

En janvier dernier, la lecture de Bouche-Cousue de Marion Muller-Colard m’avait laissé bouche bée. Une claque, une secousse. Et un émerveillement esthétique à la fois. Nous en avons discuté, A l’ombre du Grand Arbre, longuement, passionnément. Il en est ressorti parfois des choses très personnelles, des digressions émouvantes que je ne pouvais pas toujours retranscrire ici.  Voici donc, en version « abrégée », le contenu de nos échanges.

C. du Tiroir : Quelques mots sur Bouche Cousue ? Comment présenteriez-vous l’intrigue en une phrase ?

Pépita : Une lecture gifle au sens propre comme au figuré, une plongée dans le désir ou les désirs, avoués ou inavoués, mais dans ce cas présent bafoués car muselés par un souci de propreté extérieure et un cri de solidarité aussi entre générations comme pour conjurer le sort.

Alice : Je dirais tout simplement que l’acceptation de certains baisers serait une idée bien plus brillante que celle de coudre des bouches.

Colette : Bouche cousue c’est l’histoire bouleversante d’Amandana, de Tom et de tant et tant d’adolescents en quête de sincérité, de vérité, d’honnêteté et qui ne trouvent face à eux que le silence de l’incompréhension.

Solectrice : Une femme meurtrie confie à son neveu l’histoire douloureuse de son adolescence et ses pensées torturées, brassées comme dans le tambour d’une machine à laver.

Pour ce qui est du format, on est dans le condensé, le direct. Une centaine de pages très (trop ?) vite avalées, on referme le livre un peu sur notre faim. Et pourtant, ce format est nécessaire. Qu’en pensez-vous ?

Pépita : Je ne suis pas à proprement restée sur ma faim, non, je ne peux pas dire ça. C’est une lettre qui est adressée à un jeune de 15 ans, d’une tante à son neveu, comme pour lui dire, non pas de ne pas faire la même erreur, mais de vivre sa vie pleinement. Un format court cinglant comme la gifle. De cette lecture, j’en suis sortie triste, en colère mais en même temps pleine d’un élan d’amour. Et aussi en me posant cette question : que ferais-je en tant que parent ? Quelle serait ma réaction ? Un temps d’introspection donc.

Alice : Je ne me suis pas du tout posé la question du format. Ni trop court, ni trop long. Ce livre m’a d’ailleurs fait penser à 50 minutes avec toi de Cathy Ytak dans la collection D’une seule voix, sûrement pour le côté monologue introspectif et la concision du texte.

Colette : Comme Alice je ne me suis pas posée la question du format trop heureuse de me laisser prendre au filet de voix d’Amandana et de pouvoir la lire jusqu’au bout, d’un trait, comme Tom a pu sans doute lire cette lettre de sa tante sans s’interrompre, y puisant immédiatement une forme d’énergie triste.

Solectrice : J’ai aimé le rythme de ce court roman. Pour moi, son format s’apparente justement à celui d’une longue lettre, confidence, s’attardant sur cette période intensément vécue par la narratrice. Plus long, je pense qu’il aurait perdu de son caractère percutant, qu’il se serait attardé sur des questions ou des explications, vaines pour accéder à l’émotion de la narratrice.

Bouche cousue aborde les tabous et les non-dits dans une famille, et le mal qu’il peuvent faire. Dans la lignée de son sujet, l’auteur adopte une narration très en retenue, avec beaucoup d’implicite. Trouvez-vous comme moi que cette pudeur, ces « creux », rendent son texte d’autant plus puissant et évocateur ?

Pépita : Oui je te rejoins totalement, c’est ce qui fait la force de ce récit de ne pas nommer l’homosexualité, y compris pour le couple d’hommes où Amande trouve refuge. On pourrait reprocher à l’auteure de cacher aussi les choses, comme pour les tabous de la famille. Justement non : cela donne de la place au lecteur pour respirer dans cet étouffoir et pour laisser venir à lui tous ces questionnements de l’adolescence. Chacun peut s’y retrouver du coup : l’adulte devenu adulte qui va faire ressurgir sa propre adolescence et l’adolescent qui va pouvoir se dire que ce qu’il ressent est universel. Je pense aussi que le fait d’avoir utilisé la lettre comme communication est très forte aussi, surtout à l’adolescence. Elle est comme une bouteille à la mer. Beaucoup de métaphores dans ce texte très chargées symboliquement et qui remuent beaucoup de l’intérieur : le lavomatique, l’âge pas anodin des personnages principaux (15 ans et 30 ans), les vêtements, comme tu dis Colette, j’ai trouvé cette scène sublime dans ce qu’elle révèle car un enfant qui se déguise, c’est perçu comme normal, mais chez l’adolescent c’est transgressif. Pourquoi ? (Je pense au magnifique film Billy Elliot). Ce roman aborde surtout, bien plus que l’homosexualité, le regard de la société sur les convenances sociales, le fait qu’à partir d’un certain âge, il faut rentrer dans les cases. Amande y est entrée dans la case mais à quel prix ! Cette lettre à son Tom, c’est lui dire de vivre SA vie. Cet aspect m’a bouleversée car on a tous dans nos familles une figure extérieure à nos parents qui nous a marqué à un moment de notre vie.

Colette : En effet l’implicite participe de la force de ce texte et aussi de son universalité. Ce n’est pas un livre « sur » l’homosexualité mais sur la quête de soi au cœur de l’adolescence. Je pense que n’importe qui peut se reconnaître dans les questionnements d’Amande, quelque soit son orientation sexuelle. La scène où Amande essaie les vêtements abandonnés dans le Lavomatic, par exemple, évoque pour moi un moment clé de l’adolescence, ce fameux moment où l’adolescent-homard change de carapace et se retrouve à nu – pour reprendre une métaphore de Dolto que je trouve assez juste. Il me semble que cette scène est d’ailleurs un symbole très fort qui relie l’univers familial d’Amande à ses tourments d’adolescente. J’aime beaucoup cette scène…
J’aime beaucoup Pépita ton analyse du déguisement qui devient travestissement selon l’âge, je n’y avais pas pensé, au final le poids du regard des autres c’est surtout de ça dont parle ce roman au final…

Alice : Je suis complètement d’accord avec tout ce que vous dites et j’aurais peu de choses à rajouter sur cette question…. Ou peut être que j’établirai un parallèle entre l’implicite très présent dans ce livre qui est comme un écho à tous les secrets et non-dits de cette famille conservatrice, qui ne veut surtout pas de vague. L’auteur n’en dévoile pas trop, comme les parents taisent ce qui n’est pas conforme. Deux formes de silence qui se complètent.

J’ai souri à la lecture de vos références littéraires et cinématographiques, pour ma part, j’avais en tête la chanson d’Alain Souchon  » L’amour à la machine »… Décidément, Le lavomatic est un symbole fort !

Solectrice : Comme il est bon de découvrir que ce sentiment de l’amour naissant n’est pas aussitôt étiqueté, mais ressenti de l’intérieur, à l’égal de tout autre amour. On ressent ainsi la candeur de la jeune fille et son émoi prend plus de force, devient universel. On partage sa pudeur, puis on est choqués par la violence des réactions de sa famille.

Il y a cette scène du repas de famille dont vous avez très bien parlé. Et puis il y a autre chose qui m’a été particulièrement douloureux, à la lecture, c’est la relation entre Amandana et sa soeur. Sa soeur, digne héritière de ses parents, empressée de perpétuer la tradition familiale du rien qui dépasse, comme pour mieux expier son propre péché, dont le récit ne nous dit pas comment il a été accueilli dans l’histoire familiale (on s’en doute). Cette Mado, qui participe a l’oppression mais dont on sent tellement aussi la propre blessure. Ces deux sœurs qui devraient être alliées, et qui se sont « ratées », comme l’explique Amandana notamment sur un épisode symbolique de leur vie de femmes. Partagez-vous mon sentiment sur ce personnages ? D’autres vous ont plus marqué ?

Pépita : Ah oui complètement d’accord avec toi. En fait, on pourrait penser qu’elle est plus forte qu’Amandana qui elle semble empêtrée dans son manque de confiance comme si elle n’était finalement pas née dans cette famille. Elle est comme un Ovni. Mais non, Amandana est plus forte mais elle ne le sait pas encore. Sa sœur est encore plus malheureuse car elle sent bien qu’elle s’est enfermée toute seule. C’est terrible. Il y a une immense solitude, un gouffre béant dans cette vie-là, une immense fatigue. Elle le sait. Mais elle n’a pas appris à faire autrement. Pire : elle le transmet à sa propre petite fille, qui m’a l’air aussi être une petite Mado en devenir. Soit elle reste toute sa vie ainsi en mettant un mouchoir sur ses aspirations profondes, soit un jour ça casse et là ça fait mal. La scène dont tu parles est très révélatrice dans cette indifférence. Mais je pense que Mado a tellement à porter pour elle-même et c’est déjà tellement lourd qu’elle n’a pas la force de porter plus. En contrepoint, j’ai trouvé que le couple d’hommes (que je les trouve épatants ces deux-là !) a bien su faire pour accompagner Amandana sur sa vie de femme. J’ai trouvé ce passage tellement lumineux, presque risible dans la maladresse mais si touchante. Que du coup cela a occulté un peu la froideur de la famille. J’ai préféré garder la lumière plutôt que la noirceur.
Une autre scène aussi juste ébauchée : celle de la bague…très révélatrice de la confusion des sentiments et de la perception que chacun peut en avoir…Cette Marie-Line, je la sens pas…Manipulatrice ? Indiférente ? Un jeu pour elle ?

Alice : Elles se sont ratées les sœurs ? Je ne sais pas … Elles peuvent se retrouver aussi un jour … Tout n’est pas irréversible…Ce serait pour moi une possible porte ouverte s’il y a avait une suite à ce livre.
Je ne dirais pas que Mado participe à l’oppression mais plutôt qu’elle fait figure de « soumise ». Comme le dit Pépita, elle s’est enfermée toute seule. Par choix ? Par crainte ? Par obligation ? On ne le sait pas.
Et tout porte à croire qu’elle subit sa vie plutôt que de la vivre.

Pépita : oui mais quand même…Amandana perçoit ce dimanche-là chez Mado sa sœur une lassitude qu’elle a du mal à dissimuler. Elle l’exprime très clairement comme si elle espérait que sa sœur, pour une fois, aurait pu se ranger de son côté. Du coup ça peut exploser à tout moment cette oppression et prendre un tour incontrôlable. Sauf que là tout est maitrisé, répété, comme une boucle que rien ne pourra jamais arrêter. Tout est dans une violence plus ou moins retenue (parce que le beau-frère, ce qu’il est cinglant dans son genre !) sauf la gifle qui elle claque et signifie fin de la discussion. C’est une cocotte-minute cette famille.

Colette : Mado, je ne la comprends pas en effet, je vois plutôt sa manière de perpétuer le silence traditionnel familial comme une manière de masquer sa « faute » à elle, de se rattraper, de se faire pardonner les règles qu’elle aussi à transgresser en ayant Tom alors qu’elle est encore lycéenne. Mais je ne lui pardonne pas d’avoir « balancé » sa sœur alors qu’elle partageait un secret qui aurait pu les rapprocher. Et comment se faire confiance après ça ???
Quant à mes personnages préférés, comme Pépita, il s’agit de Jérôme et Marc, leur bienveillance, leur écoute de chaque instant, leur amour pour Amandana sont vraiment touchants. Ils incarnent à la fois amitié et éducation bienveillante et j’ai vraiment été « déçue » que notre héroïne les rejette…

Solectrice : J’ai aussi été très touchée par ce passage que tu évoques et par cette relation manquée avec celle qui aurait dû la guider, l’aimer. Je comprends qu’elle se veut aussi distante que les parents, ses modèles. Je comprends aussi qu’elle porte sa blessure et qu’il en sort du venin, du mépris pour sa sœur. Et je trouve douloureux que cette relation les poursuive dans leur vie d’adultes, que rien ne vienne l’apaiser, que le non-dit l’emporte à nouveau.

Concernant les autres personnages, j’ai aimé, bien sûr, le duo de Marco et D’Jé, et le cocon qu’ils tissent autour d’Amande. J’ai apprécié la chance qu’elle avait de les rencontrer, l’amitié qu’ils lui témoignent et l’implicite aussi sur la profondeur de leur relation. Mais je me suis questionnée sur le choix que fait l’adolescente de les rejeter, malgré les remords qu’elle exprime.

Pépita : Contrairement à vous, je n’ai pas été « déçue » du rejet dAmandana envers le couple de ses amis. Je me suis dit c’est la vie ! Combien de personnes perdons-nous sur notre chemin ? Mais le souvenir de leur présence bienveillante peut toujours nous accompagner. Ils ont été là pour elle à un moment de sa vie, et avouons que leur rencontre était plus qu’improbable ! J’ai eu un pincement au cœur oui sur le moment. Mais le monde est petit…
J’aime beaucoup l’idée du giron maternel que tu développes Solectrice, car ce roman c’est aussi un roman d’émancipation, bridée certes, mais de tentative d’émancipation des jupes de maman. Et combien c’est fort en symboles dans ce récit !

 

Un roman qui a remué bien des choses chez chacune de nous, c’est sûr. On ne saurait que trop vous conseiller de le lire:

Bouche Cousue, Marion Muller-Colard. Gallimard Scripto, 2016.

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Morceaux choisis de nos chroniques (par ordre de parution) :

« Quelques chapitres nerveux, si forts et si douloureux, qui disent tant de choses, tout en subtilité.  » le Tiroir à histoires

« Un roman sincère et intime, d’une grande qualité d’écriture et d’une réflexion nécessaire. » A lire au pays des merveilles

« Ce roman est un boomerang. Comme ceux que savent si bien fabriquer les familles où la parole n’a pas sa place, où les tabous, eux, doivent surtout rester à leur place. »   Méli-mélo de livres

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Et on se retrouve mercredi à l’ombre du grand arbre pour une lecture d’ado de Bouche Cousue avec Lucie de Lectures Lutines et un entretien avec Marion Muller-Colard !

A mercredi !

 

Une vie d’ours… à déchiffrer

Une vie d’ours (Christophe Fourvel et Janik Coat au Baron Perché) est un album que j’avais repéré il y a quelques temps déjà sur le blog de littérature jeunesse La Mare aux mots. Je viens d’en faire la lecture et elle a soulevé tant de questions que j’ai eu envie de demander à mes copinautes leur avis dessus.

Je remercie donc Colette (La collectionneuse de Papillons), Sophie (La littérature jeunesse de Judith et Sophie), Alice (A lire au pays des merveilles), Pépita (Méli-mélo de livres) et Kik (Les Lectures de Kik) d’avoir bien voulu donner de leur temps pour partager leurs avis avec moi.

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Bouma : Votre première impression face au titre et à la couverture de cet album ? Selon vous, quelle(s) thématique(s) vont y être abordée(s) ?

Colette : Quand j’ai découvert le joli portrait de famille de la couverture d’Une vie d’ours, je me suis dit que cet album là allait parler des relations parents-enfants, du quotidien d’une famille d’animaux aux grand yeux étonnés qui dévoraient surement la vie à pleine dents. Mais j’avoue que le petit autocollant prévu par les bibliothécaires de la médiathèque où je l’ai emprunté qui annonce « A lire avec un adulte » m’a mis la puce à l’oreille, cela annonçait que la lecture ne serait peut-être pas si évidente…

Pépita : J’ai tout de suite pensé à une histoire parodie du conte Boucle d’or et les trois ours et en effet, il y a un peu de ça dans cet album mais pas que… Je te rejoins aussi Colette dans ton impression : un album sur la vie de la famille ours. Il y a de ça aussi mais pas que…
Cependant, ce titre… Les deux termes principaux pour moi : « une » et « vie ». Une pour dire qu’elle est parmi tant d’autres et vie implique un début et une fin. Et effectivement, il s’agit d’un album beaucoup plus lourd de sens qu’il n’y parait à première vue. Au final, le titre s’éclaire après la lecture et il est tout à fait bien trouvé.

Alice : Vous ne trouvez pas qu’ils sont sans expression ces ours, en fait ? Seule la main levée de l’aîné nous invite à rentrer dans le livre. Si on la cache, on a une photo de famille, presque un peu triste.
Quant au titre Une vie d’ours, il m’a évoqué l’expression « Une vie de chien », … pas terrible, hein ?
Du coup, je me retrouve avec entre les mains un album qui me donne une première impression pas très optimiste.
Heureusement, le soleil brille dans le fond de l’illustration et cette famille a l’air unie.

 

Bouma : Et maintenant que vous l’avez lu. Que raconte-t-il réellement ?

Pépita : On entre effectivement dans le quotidien d’une famille ours et le temps qui passe fait son œuvre.

Sophie : Une vie tout simplement avec les jeunes qui vieillissent, les anciens qui partent et les plus petits qui arrivent…

Colette : Une vie d’ours ne raconte rien de moins que ce que son titre laissait présager. A part qu’en fait il ne s’agit pas vraiment d’ours ici mais bien d’êtres humains. Le zoomorphisme n’est là semble-t-il que pour sublimer la finitude de toute existence humaine. Parce que c’est cela le sujet de cet album : l’humaine mortalité. Mais là où les illustrations nous permettent d’entrer émerveillés dans l’histoire, le texte lui est direct comme un le coup de poing du même nom !

Bouma : Moi j’ai été surprise par ce zoomorphisme car je m’attendais à un livre sur le rythme de la vie de l’ours avec ses périodes d’hivernation par exemple. Quelque chose de plus joyeux et plus enfantin. Je pense que cette attente m’a été induite par les illustrations de Janik Coat.

le baron perché

Que pensez-vous de ces illustrations d’ailleurs ? N’y-a-t-il pas un décalage avec le sujet de l’album ?

Pépita : Oui, complètement ! Par ces illustrations, on entre dans l’univers enfantin et on s’attend effectivement à une histoire sur les ours mais le texte est en partie en contradiction : trop explicite, trop pour « grand » et parfois très dérangeant en ce qu’il ne laisse pas libre cours à sa propre interprétation, à ce qui est dit là sur la mort, le deuil et la vie qui passe.

Sophie : C’est vrai que ces illustrations font tout de suite penser à l’univers des petits et à une histoire simple de leur quotidien. Malgré tout, plus je regarde ce livre, plus le regard des personnages laissent une sensation inquiétante, peut-être là pour avertir sur le contenu de l’histoire !

Alice : Si je re-feuillette le livre en ne tenant compte que des illustrations, je les trouvent sans âme, manquant d’expressivité.
Clairement représentatives de la technique utilisée par Janik Coat (utilisation de logiciel).
Elles ne me dérangent pas… mais n’apportent pas grand chose au texte non plus.

Colette : Comme Alice, je trouve les illustrations très représentatives du style de Janik Coat. Je ne les dirais pas sans âme mais en effet notre famille d’ours est comme figée. L’âme est ailleurs pour moi, dans la couleur, dans les formes, dans ce graphisme épuré et délicat de l’artiste. Mais comme Pépita le souligne il y a un vrai décalage entre ces illustrations et le texte si cru, si dur, presque… inapproprié !

Kik : Je suis une grande fan de Janik Coat et ces ours ne m’ont pas dérangés. Je n’ai pas senti ce décalage. Certes il existe une certaine neutralité. Côme. Quelque chose de figé mais je l’ai plutôt perçu comme des photos de famille. Vous savez comme ces portraits de famille faits chez le photographe il y a quelques décennies. Pour moi, ce livre est comme un album de famille.

Pépita : Tout comme Kik, l’univers de Janik Coat, j’entre bien dedans, le côté figé ne me dérange pas puisqu’il est effectivement renforcé par les couleurs et leurs forts contrastes. Et que de beaux albums elle a dessiné !

Bouma : Nous ne sommes donc pas toutes d’accord sur ce décalage et tant mieux puisque ma question suivante tourne autour de votre ressenti face à cette lecture.

Comment avez-vous vécu cette histoire ? Quels sentiments avez-vous ressenti une fois celle-ci terminée ?

Colette : En ce qui me concerne, le texte m’a vraiment dérangée et c’est un album que je n’ai pas eu envie de lire à mes enfants, alors que je suis vraiment absolument fan de Janik Coat comme Kik. Je trouve la thématique de la vieillesse et du cycle de la vie très importante à aborder dès le plus jeune âge mais pourquoi cette manière de numéroter les enfants de la famille au lieu de les nommer et surtout pourquoi ces intrusions de ce langage dit « des adultes » ou « des journalistes » dans un album jeunesse qui se présente comme un conte ? Ces intrusions – il me semble que le texte n’en avait pas besoin pour être clair – gâchent un peu la saveur de l’implicite propre à la lecture fictionnelle.

Kik : J’ai été surprise plutôt que gênée pour ma part. Je n’ai pas tout de suite compris où l’auteur nous emmenait. Dès la fin de la première lecture, j’ai relu l’album pour percevoir les nuances et les détails dans les illustrations.
Peu d’albums évoquent le temps qui passe de cette manière, il faut être prêt après sa lecture à un enfant à répondre à d’éventuelles questions. Pour moi, il est bon de se questionner sur la vie et la succession irrémédiable des générations.

Sophie :Comme Kik, j’ai plutôt été surprise pour finalement remarquer que je ne me retrouvais pas dans cette histoire. Il y a une structure familiale très classique mais cette succession comme si les générations ne faisait que se répéter ne me convient pas vraiment. Certes le sujet est important mais il y a une ambiance angoissante qui m’a été désagréable à la première comme aux lectures qui ont suivies.

Pépita : Je vous rejoins totalement : trop d’explications dans ce texte qui ne laissent pas la part au cheminement intérieur de chacun. J’ai été mal à l’aise à la première lecture. Je l’ai donc laissé reposer et relu. Et là, un peu d’agacement en fait. On peut parler de la mort et du deuil et du temps qui passe à travers les générations aux enfants, et je pense même qu’on peut tout aborder avec les enfants, mais pas de cette façon-là. C’est trop appuyé, trop explicatif, comme si le lecteur n’était pas capable de comprendre presque ! Et du coup, je pense que les questions de l’enfant ne peuvent plus émerger, il n’y a plus l’espace pour. Je ne l’aurais pas lu à mes enfants petits ou alors, je n’aurais pas tout lu, ce qui demande de la part de l’adulte une pré-lecture tout de même et c’est dommage.

Alice : Une lecture très distanciée pour ma part. Et je rejoins Pépita, trop de textes explicatifs et une linéarité sans surprise : ainsi va la vie …

Bouma : Moi c’est aussi cette linéarité qui m’a dérangé. Ajoutez à ça, ce non esprit de famille permanent : chacun pour sa pomme et toujours le plus fort qui se sert en premier, les enfants n’ayant que les restes… Je sais en tant qu’adulte que l’histoire est une métaphore de la vie mais je ne l’ai pas trouvée pertinente.

Au final, le recommanderiez-vous ? Pourquoi ?

Pépita : Le recommander. Je ne sais pas en fait. Ou alors avec un accompagnement, voire une mise en garde.

Sophie : J’aurais du mal à le recommander comme je n’ai pas trop accroché. Et puis même si le thème colle avec une demande, l’âge est difficile à déterminer. Les illustrations irait bien à des maternelles mais le texte est long et le contenu pas évident.

Alice : Pas tellement convaincue, j’aurais du mal à le proposer.

Colette : Au final je n’ai pas lu à mes garçons, ce qui prouve bien qu’inconsciemment je n’y ai pas trouvé de quoi nourrir leur curiosité… Dommage, j’aime tellement les dessins de Janik Coat !

Kik : Moi je le recommanderai. Un certain point de vue, à compléter avec d’autres. Il apporte quelque chose de différent.

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Et bien voilà, il ne vous reste plus qu’à trouver cet album et à vous faire votre propre avis dessus.