Lecture Commune P’tit Biscuit et Interview de Cécile Hudrisier

Un lundi, le premier du mois de février.
Un lundi, avec une lecture commune comme tous les lundis.
Un lundi, avec un album à croquer.
Un lundi, avec Hérisson, Kik, Bouma et Carole.
Un lundi, pour bien commencer la semaine.
Un lundi, avec P’tit Biscuit de Cécile Hudrisier, édité par Didier Jeunesse en 2012.

Quel est votre premier souvenir d’une histoire mettant en scène un petit gâteau en forme de bonhomme qui est vivant ? Pour ma part, j’avoue que je pense directement au film Shreck, mais je me dis aussi que je connaissais avant ce personnage, que j’ai compris la référence lorsque j’ai vu apparaître le personnage dans le film, mais je ne me souviens de rien de précis avant ça…

Hérisson: Etrangement mon premier souvenir n’est pas un livre non plus, mais un gâteau… un bonhomme en pain d’épice, à l’école. Sans doute accompagné d’une histoire mais je serai bien incapable de me souvenir laquelle. Sinon celui qui m’a le plus marqué est moi aussi celui de Shrek !

Carole: Mon souvenir de ce petit bonhomme, c’est tout simplement le livre chez Père Castor dans la collection les classiques ! Et pour cause ! Il trône dans ma bibliothèque depuis toujours, possiblement depuis l’école maternelle ! Je l’ai toujours lu, et je l’ai souvent utilisé avec des maternelles justement ! Du coup, cette nouvelle version m’intéresse, histoire de faire une comparaison avec l’original.

Bouma: Mon premier souvenir d’un biscuit en forme de bonhomme est un souvenir gourmand. J’ai dû en faire pour Noël quand j’étais en maternelle. Je me rappelle surtout de la décoration en bonbon.

Quel a été votre premier sentiment en prenant ce livre pour commencer la lecture ? Qu’avez-vous penser en le feuilletant pour la première fois ? 

Bouma: Je suis allée acheter cet album chez mon libraire car je suis le blog de Cécile Hudrisier (http://leschosettes.canalblog.com/) et qu’il me faisait très envie. J’ai été séduite par l’objet en main, sa qualité d’impression, le feuilleter fut un vrai bonheur.

Carole: Cet album en tant que livre-objet est très beau ! Le format, la police du texte, le papier, les illustrations : tout, absolument tout est de grande qualité

Hérisson: Un très joli album ! Son format à l’italienne et son graphisme épuré sont séduisants, d’autant plus que c’est un album imprimé en France, avec une vraie démarche écologique claire et expliquée [http://www.didierjeunesse-durable.fr/]

Kik: Personnellement je suis tombée sous le charme de cet album à cause des arbres. Ils ont des couleurs un peu diluées (mais pas trop) qui rendent magnifiquement bien sur le blanc. Sans avoir ouvert le livre je l’aimais déjà.

Le sous-titre : L’histoire du bonhomme de pain d’épices qui ne voulut pas finir en miettes, indique que ce personnage à un certain tempérament. En effet dès la première pages, alors qu’il est à peine cuit, P’tit Biscuit s’enfuit de chez la Grand-mère qui vient de le cuisiner. 

Que pensiez-vous qu’il allait se passer à ce moment là ?

Hérisson: Dès le début en effet, il apparaît comme un personnage pensant à part entière, totalement craquant d’ailleurs. Je n’avais pas d’attente particulière cependant à ce moment là de l’histoire, j’attendais juste de voir ses aventures… et je n’ai pas été déçue!

Bouma: Tout comme Sophie, je n’avais pas spécialement d’attente particulière mais je ne m’attendais pas du tout à ça…

Carole: Comme je connaissais l’histoire originale, je me doutais que le petit bonhomme s’enfuirait à peine sorti du four….En revanche, je fus bien surprise de la suite… et de la chute évidemment !

À petits pas biscuités, le bonhomme de pain d’épices avance dans la forêt. Crisss… Crisss… Les feuilles craquent sous ses pieds.
« J’ai faim ! », dit une voix.
Et là, malgré le fait qu’il ne veut pas finir en miettes, P’tit Biscuit se retrouve boulotter progressivement par une souris, un serpent, un hibou et un loup. Il perd un bout de doigt, un bout de bras, un bout de pied, un bout de ventre. Les animaux sont de plus en plus gros, comme les morceaux engloutis.
Le loup est le plus vorace: 

« Croc! » fait le Loup, en emportant dans se gueule, un bout de chemise, un bout de ventre, un bout de nombril, et un bout de main… sans dire merci. »

Fatigué, P’tit Biscuit décide de rentrer chez celle qui l’a cuisiné.

Que pensez-vous autant dans la forme, que dans le fond, de cette partie centrale de l’album ?

Kik: Personnellement, j’aime l’effet de répétition. À chaque fois P’tit Biscuit repart dans la forêt « à petits pas biscuités ». Avec le loup je pensais qu’il y laisserait sa peau de biscuit. Ne me demandez pas pourquoi, mais j’adore la queue du loup, avec tous les traits entremêlés, surtout quand il repart sans dire merci.

Hérisson: Cette partie centrale fonctionne comme un conte en randonnée, structure narrative particulièrement intéressante et qui fonctionne toujours très bien avec les enfants, car ils peuvent participer à l’histoire. Cela rend l’histoire plus interactive avec le lecteur, ce que j’apprécie beaucoup.

Carole: La structure répétitive permet l’adhésion des plus jeunes. C’est déjà le cas dans l’histoire originale, tout comme dans Roule Galette, qui sont pour moi des classiques aujourd’hui. Elle permet la participation des enfants, un vrai dialogue entre eux et l’adulte qui leur lit, et permet de les questionner sur l’éventuel personnage /animal qui pourrait intervenir par la suite. Dans le texte original, le petit bonhomme croise un chat, puis une jument, un petit garçon et une petite fille et enfin une vache. C’est un renard qui aura le dernier mot ! Tous les personnages lui courent après les uns derrière les autres. Là, dans cette version, les personnages diffèrent : la souris, le serpent, le hibou et le loup ! ça change et tant mieux ! Sans compter le retour du petit bonhomme sur son lieu de naissance, ça c’est assez surprenant et inédit ! Donc oui la nouvelle version fonctionne à merveille par l’effet de surprise et le côté inédit ! j’adhère !

Bouma: J’ai acheté cet album sur le simple nom de Cécile Hudrisier car c’est une illustratrice que j’aime beaucoup. J’ai adoré la voir dans un autre style, moins de collages, plus d’aquarelle et de crayons. Cela donne une autre ambiance à son travail, plus intimiste et feutrée (selon moi). L’histoire s’y prête bien d’ailleurs. Ce petit biscuit est très généreux puisqu’il accepte d’aider les animaux qu’ils croisent en leur donnant un peu de son corps. Il n’y a pas que de l’humour, la tristesse, la compassion et le partage sont abordés avec simplicité. Pour le texte, j’ai beaucoup aimé sa rythmique qui le rapproche d’un conte. Un vrai régal pour la lecture à voix haute que je testerai d’ici peu c’est sûr !

Pour finir, et j’ai envie de dire pour le plus surprenant de cette album, que pensez- vous de la chute du livre ? 

Hérisson: Une fin surprenante en effet ! Notre P’tit Biscuit après s’être fait sévèrement croqué à plusieurs reprises retourne dans la maison de la femme qui l’a conçu. Alors qu’elle s’apprête à le dévorer, il se rebelle, mange cette femme en ouvrant une très graaaande bouche puis va se coucher. Rôde alors dans la chambre un petit oiseau qui mange les miettes laissées par terre…
Cette fin ouverte, qui change des versions précédentes du conte, m’a beaucoup plue car elle offre une belle vengeance au P’tit Biscuit, tout en laissant à l’enfant imaginer une autre fin s’il le souhaite, avec la présence de l’oiseau.

Bouma: La grand-mère prend finalement son goûter en mangeant son p’tit biscuit comme l’annonce le début de l’histoire. Mais elle n’est pas aimable pour un sou et je pense que la vengeance de sa création vient de là. A tous les animaux de la forêt qui avaient faim, il leur a donné un morceau de son corps. Mais cette mégère le prend pour son dû, et n’a finalement qu’un juste retour des choses en se faisant manger à son tour. J’ai franchement souri à cette fin à laquelle je ne m’attendais pas du tout. Mais surtout je me suis demandée : qui va reconstruire P’tit Biscuit maintenant qu’il n’y a plus personne avec des bras pour faire de la pâtisserie ???

Carole: Concernant la chute, je le trouve inattendue par définition et surtout très drôle ! Un peu de cynisme dans ce monde de bisounours ! Non plus sérieusement, je suis certaine que ça fonctionne très bien sur les petits ! La cruauté est aussi présente dans la cour de récré, et dans la vie…Je suis pour qu’on puisse proposer aux enfants d’autres fins, surtout en littérature, qu’une fin douce et mielleuse. Les contes le font depuis toujours. Je n’avais pas remarqué le petit oiseau de la dernière page. Du coup, à chacun d’interpréter selon sa sensibilité ou son sens de l’observation !

Interview de l’auteure, Cécile Hudrisier par mail, par Kik

Tout d’abord, j’aimerai poser quelques questions sur la genèse de l’album, pour lequel vous signez le texte et les illustrations. Est-il une envie personnelle ou une commande de l’éditeur ? Si c’est une envie personnelle, pourquoi cette histoire de bonhomme en pain d’épices ? Si c’est une commande, pourquoi avoir dit d’accord ? Qu’est ce qui vous a tenté dans cette histoire ?

Cécile Hudrisier :  Cela faisait un moment que j’avais envie d’un projet rien qu’à moi, texte et illustrations. Ce n’est pas une commande de mon éditeur, mais bien un projet personnel, mené en solo, sans savoir s’il trouverait preneur.
En fait, j’ai eu envie de parler d’un personnage a priori « fragile ». Je me suis dit qu’un personnage fait de biscuit évoquerait bien cette fragilité. (Est-on voué à se faire « manger » lorsqu’on a l’air aussi tendre et délicieux qu’un petit biscuit ?… c’était ma question de départ. Un sujet que j’avais envie de traiter.)

C’est pourquoi j’ai décidé de me réapproprier l’histoire du petit bonhomme de pain d’épices. En fait, c’étaient surtout les caractéristiques physiques du héros qui m’intéressaient. Aussi, le point de départ de l’histoire : je me suis toujours demandé pourquoi cette grand mère fabriquait un biscuit en forme de petit bonhomme, alors qu’elle aurait très bien pu se contenter de fabriquer un biscuit en forme de biscuit…?! J’ai lu plusieurs versions du conte traditionnel, et notamment dans une, il est dit que le vieux couple ne pouvant plus avoir d’enfant, la vieille dame avait eu l’idée de fabriquer un petit bonhomme avec du pain d’épices. J’avais trouvé ce postulat de départ, terriblement cruel… mais terriblement intéressant, aussi !

Les questions de création, d’engendrement…tout ça m’a vraiment inspirée.
Je n’ai pas du tout voulu faire une « réécriture d’un conte populaire », mais simplement m’approprier un personnage pour lui faire raconter une toute autre histoire, cruelle, mais drôle… Une histoire qui me ressemblerait, qui traiterait de sujets qui me touchent.

Pourquoi cette fin, avec le retour à la maison, et cette grand-mère énorme dans la double page qui boulotte pratiquement tout le bonhomme ? Puis ce revirement de situation ? Pourquoi avoir fait « gagner » le P’tit biscuit pour une fois ? 

Cécile Hudrisier : En fait, j’adore l’humour noir. J’adore être surprise, voire choquée. Je n’aime pas les trucs tièdes, ou bien pensants. (Oui, j’avoue que j’aime aussi être un peu « poil à gratter » !…) C’est pourquoi j’avais envie d’une fin qui décoiffe.
La grand-mère énorme qui dévore le ptit biscuit, oui, c’est un peu gore… mais il fallait bien ça pour la montée « dramatique » de l’histoire ! Et surtout, l’exploit du biscuit qui parvient à se rebiffer alors qu’il ne lui reste presque plus rien pour se rebiffer est d’autant plus valeureux, je trouve !
De plus, ça allait dans le sens que je voulais : mon ptit biscuit a beau être né de la dernière fournée, il a beau être gentil et poli, il n’est pas voué à se laisser dévorer,surtout pas par celle qui l’avait cuisiné pour de bien mauvaises raisons…

Question très pratique, juste pour mon esprit cartésien, comment il a fait P’tit Biscuit pour monter dans le lit sans jambes?!

Cécile Hudrisier : Ah ah !! j’adore ! Avec l’éditeur, on s’est un peu posé cette question, et en blaguant, je lui ai dit qu’il pouvait rouler jusqu’au lit… mais bon, en vrai, ça fait partie du mystèèèèèère.Tout comme : comment a-t-il pu ouvrir une bouche assez grande pour dévorer mémé ? comment l’a-t-il avalée vu qu’il n’a plus de ventre ? S’est-il servi de la pique à chignon de mamie pour s’en faire un cure-dent ?! A-t-il recraché son châle pour s’en faire une couverture ?
Et surtout,… comment va-t-il continuer à vivre maintenant qu’il n’est plus qu’une tête de galette ?! Au fond, est-il vraiment vainqueur dans cette histoire ?…
D’autant que si vous avez bien observé, le petit oiseau mangeur de miettes veille à son chevet…. hum hum…

Avez vous envie de faire d’autres adaptations d’histoires classiques de la littérature pour la jeunesse ?

Cécile Hudrisier : Pourquoi pas ! Pour l’instant je n’ai pas de projet en cours, mais j’ai lu des histoires anglo-saxones dont certains héros m’ont bien plu…affaire à suivre.

Quelle est la part de « papier » et de numérique dans la réalisation de vos illustrations ? 

Cécile Hudrisier : Dans cet ouvrage tout est fait main ! pas de numérique ou de retouches photoshop, que de l’aquarelle, de la mine graphite, un peu de crayons de couleurs et des papiers collés.
J’ai aussi oublié de parler de ma grande inspiration : « the melancoly death of oyster boy » et toutes les petites histoires terribles de Tim Burton. J’adore le mélange de poésie et d’humour noir.

Merci aux membres d’À l’ombre du grande arbre pour cette lecture commune.

Retrouvez les chroniques de Bouma et de Gabriel.

Bonne lecture à vous tous.