La littérature jeunesse, miroir de la société ?

562378_323563657713814_1149707705_n.jpgSur A l’Ombre du Grand Arbre, on a envie parfois de débattre sur des sujets liés à la littérature jeunesse.

Nos expériences de lecture, nos parcours de vie, nos identités de blogueurs et blogueuses donnent un très large aperçu de sa richesse.

Aujourd’hui, nous parlons de ces albums, romans, contes, documentaires,.. qui abordent des thématiques de la société actuelle et qu’on n’ose pas toujours mettre entre toutes les mains…et notamment de la littérature adolescente et jeunes adultes.

Alors, la littérature de jeunesse aujourd’hui, est-elle un miroir de la société ?

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Méli-Mélo de livres : La littérature pour adolescents est aujourd’hui de plus en plus segmentée : depuis Harry Potter, il y a le fantastique qui depuis, a pris de l’ampleur et on parle désormais de dystopies qui inondent le marché. Depuis Twilight, il y a la littérature vampirique qui submerge les librairies. Depuis Hunger Games,véritable tsunami en terme de ventes, il y a la littérature guerrière pseudo-futuriste. Depuis peu apparait la littérature dite réaliste qui s’empare de sujets de société, parfois même assez morbides. Du coup, la littérature pour ados est qualifiée de plus en plus de littérature « Young adults ». Difficile de s’y retrouver, encore plus de réduire une littérature aussi vaste dans des cases !


En tant qu’observateurs avertis de la littérature jeunesse au sens large, est-ce pour vous une littérature qui se cherche ou un phénomène purement commercial ?

La littérature de jeunesse de Judith et Sophie : Je dirais oui et non pour répondre à ta question. En fait, pour moi, tous ces genres comme la littérature vampirique, la dystopie me semblent être des phénomènes de mode, d’ailleurs l’apogée des vampires m’a l’air d’être passée. Sauf quelques exceptions, et heureusement qu’il y en a, j’ai l’impression que ces genres sont utilisés à des fins commerciales. Ce sont des romans avec beaucoup d’artifices où on délaisse parfois le style.
Au contraire, les romans plus réalistes sont obligés d’avoir des sujets de fond et une certaine qualité littéraire s’ils veulent une chance de percer.

En tout cas, c’est mon ressenti de lectrice, je lisais beaucoup de fantastique avant mais je la délaisse parce que je ne m’y retrouve plus contrairement à la littérature réaliste qui me procure maintenant plus d’émotions. Peut-être est-ce aussi moi qui n’ai plus les mêmes goûts.

Le cahier de lecture de Nathan : Littérature qui se cherche ? Je ne pense pas. Elle restera toujours changeante comme cela. Après Harry Potter cette littérature a vraiment pris une grande ampleur et beaucoup d’auteurs ont enfin pu faire éditer leurs livres fantastiques parce qu’Harry Potter avait marché et que les éditeurs cherchaient d’autres Harry. Après Twilight ça a été la vague vampirique qui a tout submergé si bien qu’au bout d’un moment on ne savait plus où donner de la tête et on s’est mis à le dédaigner … Enfin depuis Hunger Games, les éditeurs ont compris qu’il fallait éditer de la dystopie et on en a eu à la pelle … Donc oui cela marche par phénomènes, mais je refuse de dire comme Sophie « Ce sont des romans avec beaucoup d’artifices où on délaisse parfois le style. » Bien sûr il y en a, ne le nions pas, mais je pense aussi que cela ne part pas forcément des auteurs qui se disent « Je vais écrire ça parce que ça marche » (même s’il y en a sans doute) mais plutôt des éditeurs « Je vais éditer ça parce que ça marche ». Et il y a toujours dans ces vagues là des ovnis, des romans qui sortent du lot et font vraiment plaisir à lire tant ils sont originaux.

3 étoiles : Pour moi, la littérature se ne cherche pas, elle se dévoile et se réinvente sous toutes ses formes. L’effet de mode de certains genres est indéniable. Mais je crois aussi qu’il répond à une demande du lectorat. Depuis la saga et le succès d’Harry Potter, certains ont (re)découvert le plaisir de lire et ça c’est une très bonne chose. On ne peut faire abstraction de la crise économique qui touche l’édition papier, c’est un fait. L’éditeur prend un risque, calculé possiblement, et tente de publier ce qui va plaire et donc se vendre. Mais ce procédé lui permettra d’éditer par la suite d’autres livres moins  » à la mode « . Je crois surtout que la littérature est vivante et suit l’air du temps. Et ce depuis toujours. Souvenez-vous des grands romans du XIX ème siècle : le Romantisme, le Réalisme, le Parnasse, le Naturalisme, le Symbolisme. L’histoire littéraire suit son cours. A chacun de trouver ce qui lui plaît, et la qualité ne manque vraiment pas !

A lire au pays des merveilles : Depuis peu apparait la littérature dite réaliste qui s’empare de sujets de société … » Tu crois qu’elle est nouvelle cette littérature réaliste ? Moi je crois qu’elle a toujours été là, mais peut être moins mise en avant et moins demandée par le lectorat.

Méli-Mélo de livres : Je voulais dire la littérature réaliste pour les ados…elle prend de l’ampleur non ? Et elle aborde des sujets très difficiles qu’on n’aurait certainement pas fait lire à ma génération par exemple : le viol, l’inceste, la maladie, et j’en passe ! Certes, la littérature dite classique n’est pas rose non plus, je vous l’accorde (Germinal par exemple !). Mais est-ce des thématiques réellement demandées par les ados ? Ne leur impose-t-on pas une certaine littérature ?. Elle est certainement plus mise en avant aujourd’hui, c’est certain (rôle des médias). Et amplifiée par les adaptations cinématographiques qui en sont faites à grand renfort de marketing. J’ai l’impression qu’on fabrique du coup des goûts très stéréotypés chez eux aujourd’hui et dont on ne sort pas avant 30 ans (les « Young adults »).

Le cahier de lecture de Nathan : J’ai du mal à prendre du recul par rapport à ça. Les livres réalistes existaient déjà et j’en lisais avec plaisir mais j’ai l’impression qu’ils correspondaient plus à de la littérature dite « pour filles » comme les « Quatre filles et un jean ». Cela vient-il de mes goûts qui ont changé au fil des ans ou des la littérature YA qui évolue ? A vrai dire, je pense que ce sont un peu des deux. Les souvenirs qui me reviennent sont essentiellement des livres de chez Milan Macadam qui ont toujours proposé des sujets assez forts. (Judy portée disparue par exemple) Après la vague fantastique, puis celle de vampires, on est un peu revenu à la réalité avec la dystopie. Mais après avoir exploré le futur, on en revient au présent qui devient de plus en plus plébiscité. Je pense qu’en tant qu’adolescents entre la nostalgie de l’enfance et la peur du futur, on a besoin de ressentir beaucoup de choses tout en étant confronté au monde avec la sécurité des mots sur une page. Il suffit de voir Revanche de Cat Clarke qui est une véritable claque quant au sujet de l’homosexualité et du rejet dont sont victimes beaucoup de jeunes, Nos étoiles contraires de John Green l’histoire d’amour de deux malades…

Un petit bout de (bib) : Pour répondre à la première question de Pépita, je pense effectivement comme Carole que cette segmentation résulte plus de choix éditoriaux que d’une production orientée des auteurs. La bit-lit (littérature vampirique, anges, loup-garous…) n’est pas un phénomène propre aux ados, on la retrouve dans littérature dite adulte, tout comme la chick-litt (littérature de poulette). La littérature adolescente résulte d’influence diverses (en jeunesse et en adulte, un croisement nécessaire) mais je trouve que la segmenter serait surtout la restreindre.
Enfin pour revenir sur la littérature dite réaliste, je me rappelle de mon adolescence à lire « Junk » de Melvin Burgess ou encore « Zarbie les yeux verts » de Joyce Carol Oates dans la collection Scripto de Gallimard. Ils parlent de la consommation de drogue à 13 ans ou de la violence conjugale et la pression familiale. J’en garde des souvenirs forts et encore vivace. Je ne trouve donc pas qu’elle soit plus présente aujourd’hui qu’à mon époque, ni qu’il y a 10 ans.

Méli-Mélo de livres : En vous lisant, je perçois forcément les écarts de générations et c’est normal. Alors disons que la littérature de jeunesse divertit et fait réfléchir à la fois. Mais en tant qu’adultes et jeunes adultes, avez-vous parfois des réticences à proposer une lecture portant sur des sujets difficiles ou graves ou tout simplement à en parler (pas forcément des romans, cela peut concerner aussi des albums ou des documentaires par exemple) ? Quel est votre état d’esprit dans ce cas ?

Le cahier de lecture de Nathan : Malgré mes 17 ans, c’est vrai que j’ai déjà été confronté à cela … et justement pour Revanche ! Une jeune lectrice m’a demandé en commentaire si à mon avis elle pouvait le lire, je lui ai donné une réponse hésitante mais finalement j’étais quand même dans ce cas: à 12 ans peut-elle lire un livre au style si cru, aux thèmes graves (ça oui c’était plus sur le point précédent que se fondait l’hésitation) et aux personnages ayant quelques années de plus qu’elle et donc pas la même mentalité ?

Méli-Mélo de livres : Je te rejoins Nathan et je suis contente que tu sois à l’aise pour répondre à ma question car je ne voulais pas t’exclure. Je suis souvent confrontée à cela dans mon métier (bibliothécaire jeunesse) et je me suis comme toi interrogée sur une lecture récente que tu as lu aussi : « Le cœur des louves » de Stéphane Servant au Rouergue. L’éditeur avait envisagé de l’éditer dans un premier temps dans sa collection pour adultes « La Brune » et finalement, le choix s’est porté sur la collection DoAdo. Mais je pense pour ma part que s’agissant de ce roman, et pour ne pas passer à côté je dirais, 13-14 ans, c’est bien trop jeune. Si la littérature jeunesse s’empare de sujets de société, souvent empruntés à la littérature adultes, (la frontière est de moins en moins poreuse depuis 10 ans environ je trouve. Lorsque j’étais libraire il y a 20 ans, on n’entrait pas du tout dans ce débat), on peut légitimement se poser la question de la prescription. Je veux bien que la littérature permette d’échapper à la réalité, ce que remplit fort bien le fantastique, la fantasy, la bit-lit, la chick-lit, etc,…mais il ne faut pas qu’elle devienne plus glauque que la réalité lorsqu’elle s’adresse à un jeune public, non ? Perso, ça m’interroge beaucoup.

La littérature de jeunesse de Judith et Sophie : Cela m’est arrivé aussi d’aimer beaucoup un livre que ce soit album ou roman mais de ne pas être à l’aise pour le conseiller car le sujet était difficile. La question que tu poses Pépita est une grande question en effet. Que faire de ces livres, en tant que bibliothécaire, j’ose les proposer, les avoir en rayon même si les conseiller est difficile, peut-être trouveront-ils leurs lecteurs plus par hasard ou répondront-ils à une recherche précise.
Certains sont-ils plus « glauque » (dur ?) que la réalité ? Oui certainement mais peut-être ainsi rejoignent-ils le même objectif que des romans fantastiques, distraire en sortant du réel ?

Un petit bout de (bib) : Moi je trouve que c’est à l’adolescence que l’on est capable de lire les choses les plus dures par curiosité, défi ou tout simplement parce qu’on recherche le choc (qu’il soit stylistique ou thématique). Après c’est la notion même d’adolescence qu’il faut interroger. Pour certains livres on me demande mon avis (en tant que bibliothécaire jeunesse), je demande l’âge du lecteur et son niveau de lecture. Effectivement, je ne conseillerais pas la lecture de Hunger Games de Suzanne Collins à 10 ans mais pourtant des jeunes lecteurs viennent me demander la suite…

3 étoiles : Je rejoins Bouma sur le fait que les ados sont attirés par les romans réalistes, ceux qui traitent de sujets parfois durs, et je crois tout simplement que ceci s’explique par l’essence  » violente  » de l’adolescence même. Quoi de plus terrifiant que de grandir, de subir les changements de son corps, de ne pas toujours contrôler ses émotions, de faire des choix, de découvrir l’Amour ? Ces romans leur parlent, et parfois la littérature permet de se sentir moins seul(e) face à tout ça.

Le cahier de lecture de Nathan : Qu’on le veuille ou non, que cela soit inconscient ou conscient on se rapproche plus des romans qui sont proches de nous. Et ceux qui nous touchent le plus sont finalement ceux qui sont proches de nous et sont comme un miroir, même si le miroir est parfois déformant.

Méli-Mélo de livres : Si je synthétise en une phrase vos propos fort intéressants, la littérature de jeunesse constitue un miroir indispensable aux émotions vécues par les adolescents d’aujourd’hui. Est-ce pour vous amplifié par le pouvoir de l’image omni-présent dans nos vies ? Je pense en particulier aux séries cultes toutes adaptées au cinéma. Qu’avez-vous à dire de ce phénomène ?

Le cahier de lecture de Nathan : Non. Le pouvoir des mots est tout bonnement différent de celui des images.Le premier me semble bien plus bouleversant et capable tant dans le fond que la forme de faire passer des émotions fortes.Le second joue certes sur l’adaptation mais surtout sur une histoire souvent imaginaire, prenant et sur un forme accrocheur et captivant de l’attente addictive du prochain épisode … un bouquin joue beaucoup sur les émotions, une série sur l’addiction.

Un petit bout de (bib) : Les adaptations littéraires au cinéma sont devenues monnaies courantes (et pas qu’en jeunesse). Je les voies d’une manière optimiste comme un appel à la lecture. Je ne compte plus le nombre de jeunes filles/femmes qui se sont remises à la lecture grâce à Twilight. J’espère que cela continuera.

3 étoiles : Amplification du phénomène par les adaptations ciné et tv, oui très possiblement. En revanche, je n’oppose pas les deux : certains d’entre nous sont plus sensibles aux mots, d’autres aux images. Il n’y a qu’à voir comment nous chroniquons les albums et les romans. Ce qui m’intéresse c’est de savoir quel rebond les films/séries ont sur la lecture… Lire un livre ne mobilise pas les mêmes compétences que regarder un film, actif vs passif. C’est surtout comment l’imaginaire, et donc les images que nous créons en lisant des romans, est selon moi beaucoup moins limité qu’en fixant des films aux images imposées.

La littérature jeunesse de Judith et Sophie : On sait que les ados décrochent de la lecture et je pense qu’il découvre certains univers, qui étaient des livres au départ, au cinéma. L’aspect commercial est beaucoup plus développé avec le cinéma (et ça déteint en général ensuite sur les livres qui pourtant précédaient) et je pense que du coup, ça fait connaître des romans qui n’auraient pas percer à ce point sans l’adaptation.

Méli-Mélo de livres : On le constate donc : la porosité de lecture est de plus en plus ténue dans les publics jeunesse d’aujourd’hui : ados, jeunes adultes, adultes. J’aurai presque envie de dire qu’avant, les jeunes lisaient de temps en temps des livres pour adultes et que maintenant, les adultes dévorent la littérature pour ados. Sans doute le miroir de la société actuelle…Un dernier mot pour conclure ce débat ?

La littérature de jeunesse de Judith et Sophie : Je pense que la littérature ado est une littérature très ouverte tant sur des sujets que sur des styles. J’aurai bien du mal à l’expliquer mais il y a quelque chose que je ne retrouve pas dans la littérature adulte (les rares fois où j’en lis). Je pense que c’est surtout sur le ressenti, la force des émotions qui ont une dimension particulière dans des romans pour ados… peut-être simplement parce qu’il s’agit de personnages en construction pour leur vie d’adulte.

3 étoiles : Comme Sophie, je lis de moins en moins de littérature adulte, je ne m’y retrouve plus. J’ai l’impression que les romans ados sont plus riches en diversité des sujets abordés, moins téléscopés donc plus surprenants, et mieux écrits. Disons que depuis 3 ans, ma sensibilité de lectrice est davantage nourrie par cette littérature.

Un petit bout de (bib) : Mes copinautes ont traduit ce que je ressens aussi. Rien à rajouter.

Le cahier de lecture de Nathan : Je viens poser la clef de voûte à l’édifice avec mon point de vue d’ado ! Je lis parfois des livres pour adulte et il m’arrive de beaucoup aimer mais c’est plus rare. Lorsque c’est le cas c’est en effet parce que je suis très sensible au style et parce que cela me permet de ressentir beaucoup d’émotion. La littérature ado, me semble-t-il, ose beaucoup et nous, « jeunes adultes » (ou grands enfants ?) aimons être pris au dépourvu comme cela, surpris, étonnés et bouleversés. On se construit à notre âge … alors sans doute faut-il construire avec notre sensibilité au monde ?

Et vous ? Votre avis sur la question ?

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Les blogs participant à ce débat :

La littérature de jeunesse de Judith et Sophie

Le cahier de lecture de Nathan

A lire aux pays des merveilles

Un petit bout de (Bib)

Méli-Mélo de livres

3 étoiles

2 réflexions sur « La littérature jeunesse, miroir de la société ? »

  1. Un super débat ! Je suis assez d’accord avec vous ! Nathan, cher cousin, j’adore ta conclusion ! 🙂
    Je ne pense pas que la littérature jeunesse ou ado soit un phénomène commercial ! Honnêtement, oui ça s’est développé après les excellentes ventes d’un certain Harry, mais la littérature ado ne se cherche plus, elle s’est trouvée : diversité et inventivité sont ses maîtres mots ! Et j’espère bien qu’elle continuera à nous surprendre !
    Pour ce qui est des adaptations, on connaît tous cette phrase : « le poids des mots, le choc des images ». Alors, je pense que ces adaptations (quand elles sont réussies) offrent une seconde vie à un roman, et dans la tête des lecteurs qui la connaissaient et dans la tête de ceux qui découvrent la série pour la première fois.
    La conclusion de Nathan résume parfaitement mon point de vue : la littérature ado doit nous émouvoir, nous surprendre et nous ébranler ! Et aussi, nous faire réfléchir ! Car nos lectures nous éduquent aussi 🙂
    Continuez ce superbe blog !!
    Bonne journée !

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