Les ailes de la Sylphide de Pascale Maret

 Elle s’appelle Lucie. Elle nous embarque dans son monde peuplé d’êtres féériques,  mais dés le premier chapitre on pressent le drame, sans jamais le deviner.

Aussi chamboulées que moi, mes complices, Pépita, Lucie et Carole ont bien voulu se prêter à une lecture commune des Ailes de la Sylphide de Pascale Maret.

Alice : [Retour dans le passé], souvenez-vous de vos premières impressions avant de dévorer ce livre : qu’imaginiez-vous à la vue de la couverture, à la lecture du titre et du résumé?

Pépita : Je m’attendais à un roman en rapport avec la danse, mais beaucoup plus léger qu’il ne l’est en réalité. Et je trouve la couverture superbe !

Bouma : Je m’attendais à un roman fantastique dans la ligne de Maupassant après avoir vu une vidéo de Pascale Maret résumant son roman. Je m’attendais à retrouver la plume délicate et sensible de cette auteure. Je m’attendais à beaucoup de choses et pas forcément à ce que j’ai eu entre les mains.

Carole :  J’ai vu la sublime couverture, et attirée comme un papillon, j’ai pris le roman ! Je connaissais le ballet donc j’ai compris que la danse serait la toile de fond…mais j’étais loin de me douter du reste. Très belle surprise côté style, et évidemment troublée par le sujet.

Alice : En effet, une grosse surprise, ce livre ! Mais puisque Carole l’évoque, quel est le sujet du livre ? Qui se lance dans un petit résumé pour continuer ?

Pépita : C’est l’histoire d’une jeune fille passionnée de danse, un absolu pour elle, une exigence qu’elle s’impose au-delà du raisonnable. Les ailes de la sylphide est SON ballet et elle obtient le rôle principal pour le spectacle du Conservatoire. La concurrence est très rude et le monde de la danse impitoyable. C’est l’histoire d’une souffrance très intime que ce rôle va sortir des limbes de l’inconscient et qui va mener cette jeune fille jusqu’au pouvoir salvateur des mots. C’est une histoire métaphorique remarquablement bien maîtrisée et qui mène le lecteur en apnée dans sa révélation.

Carole : Pas mieux ! C’est sublimement et subtilement dit Pépita !

Bouma : Très bien dit mais pour moi tu occultes toute la partie fantastique du livre (qui représente bien la moitié du récit tout de même).
En effet, la jeune Lucie est tellement faite pour être la Sylphide que des ailes apparaissent sur son dos peu de temps après l’obtention du rôle. Désireuse de savoir si ce qu’elle voit est bien réel, elle se rend au cœur de la forêt bordant la maison familiale et y découvre un monde féerique. Celui-ci n’est pas celui auquel elle s’attendait et elle va même y découvrir un puissant être maléfique qui lui veut du mal…

Alice : Bouma évoque à deux reprises cette incursion du fantastique dans le récit. Pour Pépita et Carole, a priori, ça passe au second plan …. à moins que cela ne se confonde complètement avec la réalité ? Votre avis sur ce mélange des genres ?

Pépita : Je l’ai en effet vu davantage comme un moyen d’échapper au réel. Ce que vit Lucie, là, dans la forêt, c’est le fruit de son imagination pour moi. Le tour de force de l’auteure est de mêler si bien les deux que le lecteur oscille lui aussi entre les deux mondes, comme l’héroïne, dans un va-et-vient permanent. Ce serait de mon point de vue du fantasmagorique et non du fantastique.

Bouma : Moi je trouve qu’on est clairement dans le fantastique. Car avant la fin et l’épilogue, qui nous en explique trop à mon goût (je reviendrai la dessus plus tard), Lucie finit par croire aux sylphides et à l’univers féerique dans lequel elle évolue. Pour elle, c’est la réalité et elle hésite même, à un moment, à fuir dans cet univers.

Carole : Cette discussion prend une tournure qui me plaît beaucoup ! De mon côté, je suis plutôt comme Pépita, j’envisage les éléments extra-ordinaires d’un point de vue fantasmagorique. Lucie se crée des remparts psychologiques très forts pour se protéger, en vain, du moins pour tenter de créer une distance avec sa vie et ses horreurs. C’est une question de survie pour elle. Elle me fait penser à Alice par moments avec cet esprit suffisamment fort pour transcender la réalité et en même temps s’en échapper pour ne pas sombrer. Cela me rappelle cette phrase prononcée par Alice  : “If I had a world of my own, everything would be nonsense. Nothing would be what it is, because everything would be what it isn’t. And contrary wise, what is, it wouldn’t be. And what it wouldn’t be, it would. You see?”

Alice : [Un petit clin d’œil à Alice aux pays des merveilles ? Merci Carole !] Personnellement si Bouma écrit « elle finit par croire aux sylphides », comme l’héroïne, je me suis aussi surprise à douter et à croire à cette existence d’êtres illusoires. Je n’ai pas seulement oscillé comme le dit Pépita, mais je me suis agréablement laissée glisser dans ce trouble, sans une seule seconde imaginer l’épilogue (mais on y reviendra plus tard, comme dirait Bouma !)
Mais que ce soient les éléments merveilleux, la présence des gentils et des méchants, la situation familiale de Lucie (enfant adoptée), le prince charmant amoureux (Théo), n’avez-vous jamais pensé être au milieu d’un conte ?

Pépita : Quand je disais « osciller », c’est pour signifier dans ce récit cette alternance entre l’attirance de la forêt pour Lucie et la réalité de la danse, qu’elle finit du coup par avoir plus que du mal à gérer. Je ne me suis jamais sentie dans un conte mais dans une histoire sublimée au départ, et très vite, je me suis dit qu’elle était la traduction d’une souffrance psychologique très dure à supporter pour cette jeune fille que la préparation du ballet a remonté à la surface. Les ailes de la sylphide ne sont que la partie immergée de l’iceberg : Lucie a besoin de prendre son envol, de rompre les chaines de son silence. S’identifier à la sylphide lui permet de s’affranchir un peu de la réalité mais qui la rattrape et tomber fait mal. Très mal. Son mal-être, son anorexie, ses blessures physiques sont autant de signaux envoyés que l’entourage n’a pas su voir. J’ai trouvé cet aspect-là terrible. Tout comme l’épilogue. Mais j’aimerais qu’on ne le dévoile pas trop à nos lecteurs sinon c’est enlever tout intérêt à la lecture de ce roman !

Bouma : Mais quel débat ! Je suis restée franchement fixée au texte comparée à vous. Je n’ai pas deviné la fin avant de lire l’avant-dernier chapitre (celui juste avant l’épilogue). Mais bon, passons à la suite.

Alice : Avançons donc et abordons enfin cet épilogue qui a déjà été évoqué à plusieurs reprises. Attention, il ne s’agit pas de dévoiler le dénouement et de donner la clé du livre (ce serait dommage), mais plutôt de dire comment vous l’avez « accueilli » ? Vous y attendiez-vous ? Comment l’avez vous vécu ?

Pépita : L’épilogue, je l’ai reçu en plein ventre. Je suis tombée, comme Lucie. Littéralement. Je me doutais qu’une révélation allait expliquer ce refuge dans le surnaturel mais je n’ai absolument pas vu venir, comme toi Bouma. Puis, le choc passé, j’ai eu envie de comprendre. J’ai eu envie d’entendre ce que Lucie avait à dire. Du coup, lorsqu’on apprend sa vérité, on relit le roman d’une autre façon. C’est remarquablement bien mené. Autant la révélation est rude, autant j’ai trouvé que Lucie était bien accompagnée, là, à ce moment crucial pour elle. Elle ne peut plus s’échapper et on l’aide à accoucher d’elle-même à la fois avec tact (la femme policier) et fermeté (l’homme policier). C’est un roman bouleversant à bien des égards.

Carole : Sensiblement comme Pépita. Je suis tombée aussi. Je redoutais l’issue, je n’ai pas été déçue. La Sylphide prend alors toute son ampleur symboliquement parlant : sorte d’ange-gardien chargé de protéger les jeunes filles. Elle se rêve légère dans une vie plombée. C’est vraiment un roman qui bouleverse.

Bouma : Allez, bah moi cet épilogue il m’a déçu. Oui, il en fallait un, mais fallait-il tout nous expliquer dans les moindre détails… J’aurais aimé quelque chose de plus léger qui laisse soin aux lecteurs de reconstruire le récit à la lumière de ces révélations. Résultat : j’ai refermé le roman en étant en colère contre cette auteure qui me gâchait une si belle lecture. J’ai été totalement frustrée, comme lorsque qu’on vous donne de quoi réaliser un objet et qu’on le fait à votre place…

Alice : C’est vrai que ce dernier chapitre est un long retour en arrière qui défait tous les nœuds un par un. Il renvoie à des événements racontés précédemment que l’on comprend maintenant différemment. Carole et Pépita, avez-vous aussi vécu tout cela comme un trop plein d’explication, après la surprise du dénouement ?

Carole :  Et bien non pour ma part. Rien de trop. La juste dose d’éclaircissement, la juste dose de pudeur aussi.

Pépita : Pas un trop plein d’explication mais plutôt une réponse à ce que je pressentais : une souffrance incommensurable qui enfin trouve le chemin pour se déverser et offrir à Lucie une renaissance. Et je rejoins Carole dans la pudeur. J’y ajouterais la dignité.

Alice : La dignité ? Que veux-tu dire par là, Pépita ?

Pépita : La dignité parce que le choc passé de l’histoire de Lucie, on ne tombe pas dans le sordide. Du tout. Lucie est accompagnée dans sa parole qui se libère et les dernières pages indiquent que sa reconstruction est possible et qu’elle va pouvoir vivre, enfin. Elle n’est pas jugée, elle est respectée : on ne met pas en doute sa parole, on l’écoute, on l’aide à préciser, et tout s’enclenche alors.

Alice : On a pas mal discuté de ce livre sur son fond et sur sa forme et pourtant je me rend compte que l’on a à peine évoqué les personnages. Lucie, bien sûr, mais aussi son entourage : ses parents, sa cousine, le prof de danse, l’amoureux, …. et leurs rôles auprès de Lucie. Parler de chacun d’entre eux prendrait un temps fou, à votre choix, je vous laisse me parler de qui vous voulez …

Bouma : En grande amatrice de bluettes, je retiendrai l’amoureux, celui qui séduit, qui vous donne envie de connaître de nouveaux endroits, de nouvelles normes, celui pour lequel on doit faire des choix, pas forcément les bons. J’ai trouvé sa relation avec Lucie très ancrée dans la réalité. Il ne tourne pas autour du pot, sait affronter le quotidien d’une relation, sait prendre des décisions. Un personnage qui a son importance tant à la fin il ressemble à une bouée de sauvetage.

Pépita : Les personnages ….Alors, curieusement, je ne m’y suis pas trop attardée sur les autres personnages durant ma lecture. Ses parents sont aimants et protecteurs, maladroits, inquiets, comme peuvent l’être des parents. Sa cousine : un personnage diamétralement opposé qui vit sa vie d’étudiante. Son prof de danse : exigeant mais normal vu son cursus. Ce qui m’a interpellée, c’est qu’aucun des adultes ne perçoit sa souffrance malgré les signaux que Lucie envoie. Il n’ y a que l’amoureux qui lui, l’ancre dans la réalité. Je rejoins Bouma là-dessus. Mais Lucie le refuse, elle n’est pas prête, elle ne peut pas. J’ai même été étonnée qu’elle puisse s’autoriser une histoire d’amour. C’est très déstabilisant pour elle. Je l’ai trouvé formidable ce jeune homme !

Carole : Je retiens aussi la grande maturité de l’amoureux, et sa prise de risque. Il capte quelques signaux, à la différence des adultes comme le souligne Pépita.

Alice : AAAAh Théo ! Tout le monde tombe sous le charme de l’amoureux éconduit mais toujours là.
Je pensais que quelqu’un parlerait de la cousine. Je pense que c’est celle que j’aurais choisie. A la fois si présente et absente.  Celle qui pourrait être la confidente, la copine, la « chaperonne » passe complètement à côté et pourtant j’ai un sentiment qu’elle a toute son importance.  « Un personnage diamétralement opposé. » comme le dit Pépita et qui bouscule la vie réglée de Lucie par son indifférence.  Comment l’avez-vous ressentie Carole et Bouma ?

Bouma : Elles m’ont donné l’impression d’être colocs avant cousines. On retrouve alors dans leur relation l’intimité due à la promiscuité mais une totale absence de partage réel. Elles vivent côte à côte, pas ensemble.

Carole : A bien y réfléchir, je ne suis pas si sûre de l’indifférence affichée par la cousine. Ne serait-ce pas une stratégie d’évitement ? Par là j’entends, un réflexe inconscient qui consiste à se préserver soi-même. Est-elle si aveugle au mal-être de sa petite cousine ? N’a-t-elle vraiment rien vu ? Parfois il est difficile de se confronter aux problèmes de l’autre, parce que ça renvoie à notre propre vie et nos blessures…

Alice : Que de différences d’interprétations suscitées par cette lecture ! Parce que je pense que l’on a bien fait le tour, je finirai en vous demandant à chacune de donner un mot, et un seul. Un mot qui traduise une émotion ressentie à la lecture de ce livre

Pépita : Pas facile comme question …une sorte de peur diffuse.

Carole : J’ai bien réfléchi et je dis la pudeur.

Bouma : Je choisis le doute ( parce que j’ai déjà dit la colère…)

Alice : Et moi je rajoute le piège…

Une lecture riche qui nous a sacrément interpellées. Beaucoup d’interprétations différentes et pas mal de questions en suspens. Pour lever quelques interrogations, Pascale Maret a accepté de répondre à nos questions : ses réponses dans la chronique de demain A l’ombre du grand arbre !

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Et pour aller plus loin, voici nos avis sur nos blogs respectifs :

Pépita – Méli-Mélo de livres

Carole – Blog-3etoiles

Alice – Alireauxpaysdesmerveilles

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3 réflexions sur « Les ailes de la Sylphide de Pascale Maret »

  1. Bonjour, je viens de terminer la lecture des Ailes de la sylphide car nos élèves vont bientôt rencontrer l’auteure et j’avoue que si j’ai trouvé le style de Pascale Maret vraiment riche et la superposition du fantasme sur le réel très originale, je me pose la question du lectorat. Avez-vous des retours d’adolescents qui ont lu ce roman, notamment de jeunes garçons (car même si on voit du sexisme partout en ce moment, il faut quand même avouer que les filles et les garçons sont différent !) ?
    merci d’avance pour votre réponse.

    • Personnellement, je me pose la même question que vous. Si j’ai pu tester le livre auprès de ma fille de 12 ans qui a adoré, je n’ai pas de retour d’ado garçon.
      Mais j’essaye de vous trouver un bon interlocuteur pour vous apporter une réponse.
      -Alice-

      • Merci d’avance ! Et si je peux me permettre quelle a été la réaction de votre fille de 12 ans ? Je sais bien qu’il ne faut pas sous-estimer nos ados mais vous a-t-elle questionnée sur la fin du roman, sur le thème de la maltraitance et de la pédophilie qui prend dans les dernières pages une place importante pour comprendre le parcours de Lucie ? J’avoue que c’est un aspect que j’aurais du mal à aborder avec une classe de collégiens.

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