Martin Page nous répond…

martin page avril 2013Martin Page a étudié successivement l’anthropologie, le droit, la psychologie, la linguistique, la philosophie, la sociologie et l’histoire de l’art, avant de se lancer dans l’écriture. Auteur reconnu, Martin Page a su s’imposer dans le monde de la littérature contemporaine avec des romans pour adultes et aussi pour la jeunesse.

Il a accepté de nous parler de son roman « Plus tard je serai moi » (Le Rouergue, Doado, 2013)  et de son travail d’écrivain en particulier, pour éclairer notre lecture commune, publiée hier.

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-D’où vous est venue cette idée de roman, en particulier le titre ?

Comme beaucoup, enfant, adolescent, j’ai vécu ces situations où il me semblait que j’étais plus adulte que mes parents. Je voulais parler de ce renversement des rôles qui est très courant. Je pense aussi qu’il m’importait de mettre en scène une jeune fille qui vivrait la période adolescente, en dehors des clichés habituels.  Je ne crois pas à la fameuse crise d’adolescence. Je crois en revanche à une crise des parents et de la société plus généralement, qui pèse sur les épaules des enfants qui grandissent, et qui donc par contrecoup peuvent manifester des angoisses et des douleurs, et y réagir.

Le titre n’est pas de moi. C’est mon amie qui l’a trouvé (j’en profite : elle sort son premier livre jeunesse à l’École des Loisirs cet automne, dans la collection Mouche : Apprendre à ronronner).

-Comment s’inscrit ce roman dans votre travail ?  

C’est un nouveau roman. Cela faisait longtemps que je n’avais pas mis en scène une héroïne et j’aime beaucoup ça. Je suis irrité et fatigué par les personnages féminins souvent proposés. Tout comme je suis navré par les femmes, et les hommes, de la vie réelle qui sont trop pleinement dans leurs assignations habituelles. J’aime les femmes indépendantes et féministes, je créé donc des personnages féminins qui ont ce type de personnalité. Il ne s’agit pas d’être démonstratif, mais par petites touches de composer des personnages dont l’éthique et le caractère vont à l’encontre d’un état d’esprit dominant coercitif à l’égard des femmes et des hommes.

-Quel est pour vous le lecteur idéal de ce livre ? Réellement des ados ?

Ce livre, comme mes autres livres, s’adresse à tout le monde (même un livre pour les petits comme Conversation avec un gâteau au chocolat, est lu par les adultes -et certains de mes livres adultes sont lus par des adolescents). J’ai des retours d’adolescents qui l’ont beaucoup aimé. Des adultes aussi. Evidemment, j’ai des retours d’adultes qui trouvent que ce livre s’adresse aux adultes. Je pense que ceux-ci ont oublié ce que c’est que d’être un adolescent. Les questions que l’on se pose.

-Pourquoi cet intérêt pour la relation parent / enfant ? Et cette rupture forte de la communication, surtout ?

Cela me paraît naturel  : je suis l’enfant de mes parents, et puis je veux des enfants, et donc être parent. Par ailleurs, je viens d’une famille qui a vécu des choses difficiles. Ces questions sont importantes pour moi. Parler, s’entendre, créer un espace relationnel où la communication est possible, ce n’est pas l’évidence. C’est un travail, une construction, qui nécessite une remise en cause, ou tout du moins une capacité d’évolution. Et je trouve que beaucoup de parents ne cherchent pas à parler à leurs enfants adolescents, ni à les écouter. Parce qu’ils ont peur pour eux, parce qu’ils projettent leurs désirs non réalisés, parce qu’ils ont vécu leur jeunesse à une autre époque et qu’ils ont tendance à réfléchir par rapport à leurs références. Je crois aussi que beaucoup de parents ont du mal avec la fonction même de parents, et on peut les comprendre. On y est mal préparé. Ça devrait faire l’objet de cours. On devrait en parler au collège, au lycée.

Mais ce que je dis du difficile dialogue parent-enfant est aussi valable pour le difficile dialogue dans le couple ou entre amis. Tout ça se construit et se pense. Ce n’est pas évident. Nous avons une familiarité trompeuse : enfants, parents, amis, amoureux, nous parlons la même langue. Et pourtant nous ne nous comprenons pas, nous ne nous écoutons pas. Prendre conscience que notre langue maternelle est une langue unique, individuelle, et étrangère aux autres (comme celle des autres nous est étrangère) est un pas décisif vers une entente possible. Une belle communication.

-Ce livre à destination de jeunes lecteurs est-il une façon de leur faire passer un message ?

Un message ? Je ne sais pas. J’espère surtout que les lecteurs vont éprouver du plaisir. C’est mon premier objectif. La littérature, l’art en général, est pour moi une des grandes sources de plaisir de l’existence. Et je suis très mécontent quand certains arrivent à transformer la littérature en punition et à la rendre douloureuse (j’ai des souvenirs peu agréables de profs de français qui opéraient ainsi). Certains plaisirs ont le pouvoir de nous donner à penser. Ensuite j’ai une histoire personnelle, et on n’échappe pas à soi-même, donc mes livres sont pleins de ce que je suis, de mes expériences, de mes réactions et pensées concernant ces expériences. Mon exemple, mis en scène, transformé, repensé, constitue sans doute en lui-même une sorte de message, en tout cas d’éthique.

De façon plus directe, je pense que le roman est un genre merveilleux qu’on peut nourrir de philosophie, d’éléments intimes, d’éthique, d’imagination, aussi oui il y a des choses auxquelles je crois et que je veux faire passer. Par exemple, mes personnages sont souvent obstinés et savent éviter les conflits, ils sont rusés et savent transformer leurs douleurs en énergie. Un roman est, pour moi, un allié, un objet de résistance intime, un outil pour apprendre et continuer à grandir.

-La pression parentale est-il un sujet d’actualité selon vous ?

Non, c’est commun à toutes les époques. Dans ce livre, je voulais parler aussi de la pression sociale sur les parents, qui sont très démunis pour y résister.

-Vous utilisez souvent l’humour, le second degré, … dans vos livres. Pourquoi ?

Parce que j’ai un rapport tragique à l’existence, que je lutte tout le temps contre le désespoir et la dépression. L’humour, pour reprendre Deleuze, est l’arme des minoritaires, c’est une manière de survivre à ce qui nous arrive. L’humour pour moi est indissociable de la création. Les grands artistes se servent de l’humour (Shakespeare, Cervantes).

-Dans vos romans jeunesse, les «héros» sont souvent des enfants «à part», pourquoi ?

Dans mes livres pour les adultes, les héros sont aussi des personnages « à part ».  Sans doute parce que ce sont les seuls êtres qui m’intéressent vraiment. Mais vous savez, il suffit de s’intéresser un peu à n’importe qui, et très vite on voit des failles même chez ceux qui semblent les plus intégrés.

-Vous écrivez aussi pour les adultes. Est-il plus facile ou plus difficile d’écrire en littérature jeunesse ? Avez-vous une préférence ?

Si on a l’ambition de bien faire les choses, alors, dans tous les cas, on est confronté au travail et aux difficultés. Mais c’est une bonne nouvelle que ce soit difficile, car elle est fertile. De belles choses naissent. Mes romans jeunesse sont plus courts, et leur construction plus simple, donc ils me demandent moins de temps. Mais j’y mets la même passion et la même rigueur que pour mes livres adultes.

-Quelles sont vos références littéraires en jeunesse ?

Roald Dahl. Italo Calvino : deux écrivains qui ont écrit pour la jeunesse et les adultes. Qui ont mêlé gravité et légèreté, imagination et intimité. Il faut ajouter Maurice Sendak, Ruth Krauss et Crockett Johnson, Tomi Ungerer, Edward Gorey, Christophe Honoré, Marie-Aude Murail. Il y a tellement de bons auteurs et dessinateurs.

-Avez-vous des projets en cours ?

Oui. J’ai terminé un essai sur l’écriture (pour adultes). Il devrait sortir en janvier prochain aux éditions de l’Olivier. Et j’ai commencé un nouveau livre sous pseudonyme. J’ai aussi amorcé le début d’un roman ado. Mais je m’y mettrai plus tard. Je n’arrive pas à écrire deux livres en même temps. A côté de ça je dessine et j’écris de petits livres « faits maison » inclassables et impubliables ailleurs pour adultes (je vais bientôt ouvrir un site internet pour les présenter, pour l’instant ça passe par mon site personnel). Et puis, la NRF m’a commandé une nouvelle pour son prochain numéro et je dois écrire un texte pour un festival littéraire en Finlande. Je suis bien occupé, et c’est très agréable.

Nous espérons que vous en savez davantage maintenant sur cet auteur et
nous  remercions très sincèrement Martin Page pour sa disponibilité et toutes ces réponses très éclairantes .

Pour en savoir plus :

-Le blog de l’auteur

-Sa bibliographie : en jeunesse et ses romans pour adultes

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