Nous, les enfants sauvages

Ce roman, « Nous les enfants sauvages » d’Alice de Poncheville, édité par l’Ecole des loisirs,  a illuminé ma fin d’année par la justesse de son écriture, le réel transcendé par l’imaginaire de l’héroïne principale, et par son beau message de solidarité et de respect mutuel.

Alors tout naturellement, je l’ai proposé en lecture commune et Bouma a répondu à cet appel. Voici donc notre échange sur ce roman lumineux.

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P. :« Nous, les enfants sauvages » : un titre un peu guerrier non ? Qu’est-ce qu’il t’ a inspiré ?

B. : Les mots nous laissent des impressions différentes. Ce n’est pas le sens violent du terme, se rapprochant alors de sauvagerie, que j’ai entendu. Moi, ce titre m’a fait pensé à la nature qui reprend ses droits, aux animaux non domestiqués, à la liberté retrouvée.

P. : Pour ma part je l’ai vraiment ressentie comme un cri de « guerre » , une revendication, un groupe à part. Et c’est renforcé je trouve par la couverture. Et alors, ça raconte quoi cette histoire ?

B. : C’est l’histoire d’une terre future où l’élevage intensif a donné naissance à des animaux contaminés. Les épidémies ont décimé les familles. Les animaux ont été tenus responsables et complètement éliminés de la planète. Linka, sa petite sœur Oska et leur ami Milo vivent tous à la 16ème Maison des orphelins. Leur quotidien est rythmé par les habitudes, jusqu’au jour où ils découvrent une forme vivante dans les fondations d’un chantier…

P. : …mais une résistance souterraine s’organise. Ce sont les enfants sauvages. Ils tentent de sauver les animaux. Ils font preuve d’une intelligence et d’une organisation impressionnantes. Vont-ils y arriver ?
J’ai pour ma part trouvé que ce roman à ce petit quelque chose en plus, par rapport à d’autres romans traitant de la fin d’un certain monde. Es-tu d’accord avec cette impression ou pas du tout ? Tu peux me dire pourquoi ?

B. : Un petit plus, je ne sais pas. Il est différent ça c’est sûr. D’abord parce qu’il est en un seul tome alors que beaucoup de dystopie forment des cycles. Ensuite, je lui ai trouvé une certaine lenteur (dans le bon sens du terme). L’auteure prend le temps de placer ses personnages et son intrigue dans le contexte avant de les amener à le remettre en cause. Enfin, il est toujours intéressant d’amener un thème désormais habituel loin des sentiers battus.

P. : Oui c’est exactement cela que j’ai ressenti aussi. Alors que ce monde dévasté parait bien morne et sans espoir, j’y ai trouvé une belle lumière, notamment grâce aux personnages, en particulier les enfants, et surtout le trio Linka, Oska et Milo. Qu’aurais-tu à dire de ces personnages et la façon dont l’auteure les amène chacun dans l’histoire ?

B. : Ce que j’ai aimé c’est que l’auteure les présente d’abord comme une entité, un groupe, une famille. Bien sûr ils ne font pas qu’un, chacun à sa personnalité mais ils sont unis. Et puis, le Jour du don et du partage, le nouveau Noël arrive et ils se retrouvent séparés. Là, ils vont pouvoir penser un peu à eux-mêmes, plus que lorsqu’ils habitent la Maison des Orphelins et qu’ils se protègent les uns les autres. J’ai aimé les voir dans des environnements différents car cela révèle les sensibilités, les envies et les peurs. L’auteure semble nous amener sur trois fils distincts de l’intrigue avant que l’on ne se rende compte que tout est lié. En résumé, des personnages denses et complexes que l’on découvre peu à peu.

P. : Oui tout à fait ça : j’ai aimé aussi cette construction comme si l’auteure voulait aussi insuffler un message contre le communautarisme et l’importance de chaque individu dans sa globalité. Et qu’ils sont attachants ces enfants : trois fils déroulés, trois façons d’agir, de se mouvoir parmi les événements. Et en plus, on s’attache à chacun individuellement mais on sait qu’ils forment un tout, qu’ils ont besoin des uns et des autres.
Il y a un autre « personnage », c’est l’animal étonnant que découvre Linka, qu’elle nomme Vive. Que représente-t-il pour toi ?

B. : Ah… Vive… Vive est un mystère pour moi, le seul élément complètement fantastique du roman, celui que je n’ai pas réussi à visualiser. Si on voulait essayer de trouver une explication logique, on pourrait parler de transformation génétique ou de conséquences écologiques à partir d’animaux existants. Personnellement, je préfère y voir un élément magique, un guide, qui réveille en chacun l’envie d’un avenir meilleur où l’on peut prendre ses propres décisions.

P. : J’ai adoré cet animal ! Pour moi, il représente la part de rêve dont Linka a besoin. Il représente aussi une belle métaphore : cet animal est capable de se transformer quand Linka pense très fort à un animal. Et ce que c’est beau ces passages ! Je pense que Vive est là pour montrer que si on le veut vraiment, tout est possible. Le monde peut changer. Et sans dévoiler une partie de la fin, le passage de la grotte est comme une palpitation, un envol vers un monde meilleur possible. J’ai beaucoup aimé cette part de merveilleux induite par Vive, et dans Vive, il y a Vie. Les enfants lui font immédiatement confiance et ça , c’est un signe fort je trouve. Elle est comme un cœur qui palpite pour eux.
On parle beaucoup d’enfants. Mais il y a aussi des adultes dans ce roman. Un peu manichéen dans leur rôle non ? Certains très noirs, d’autres plus lumineux. Tu en as pensé quoi ?

B. : Ah les adultes… Effectivement certains sont très manichéens, je pense au directeur de la maison de correction pour le côté maléfique ou le cousin de Milo pour le côté lumineux. Mais au final j’ai aussi trouvé des personnages plus en nuances avec leur part d’ombre et de lumière. Il y a les bienveillants de base mais qui suivent les ordres, ne bougent pas, comme la surveillante de la maison des enfants. Et puis il y a ceux qui ont l’air méchant mais qui se révèlent porteur d’espoir et de bonté comme le châtelain chez qui Linka va passer le jour du don, ou la directrice de la maison des orphelins qui s’est attachée à Milo, comme une faiblesse. J’ai trouvé des failles en chacun d’eux à un moment donné. En fait je les ai trouvé très humains face à de telles situations.

P. : Je suis d’accord avec toi : l’auteure joue beaucoup sur l’ambivalence des personnages et je pense comme toi que le mot humanité est au cœur de ce roman.
Du coup, tu me tends une perche pour la question suivante : et ces enfants sauvages, comment les as-tu perçus ? Vraiment sauvages ?

B. Oui, j’ai trouvé que ces enfants étaient sauvages dans le sens où je l’expliquais au départ. Ils ne sont pas violents, ils sont libres, ils vivent en marge de la société. En ça ils représentent la sauvagerie face à l’ordre imposé par les autorités.

P. : Oui sauvages au sens où ils ne rentrent pas dans la norme c’est vrai mais en même temps j’ai été éblouie par leur intelligence, leur organisation, leur solidarité, leurs recherches sur le monde animal et végétal sans cruauté, leur adaptation, leur courage et leur tranquille évolution dans ce monde pourtant pas fait pour eux non plus. Oska, la jeune sœur de Linka, s’y sent d’emblée parfaitement à l’aise. Plus que sauvages, je dirais qu’ils sont des résistants à l’ordre établi. Sans doute l’auteure a-t-elle choisi ce mot pour bien délimiter les deux mondes, celui où tout est compartimenté et rigide, et celui de la vie finalement.
En relisant ta chronique, j’ai perçu que c’est un roman qui t’a séduit. Que dirais-tu à des lecteurs pour les inciter à le lire ?

B. : Pour les séduire, je leur dirai de lire cette dystopie française pour changer un peu de celles anglo-saxonnes 😉 Je leur dirai aussi que c’est un texte intemporel car il peut faire écho à de nombreuses références historiques de notre passé, de notre présent (malheureusement) et qu’il défend des idées qu’il ne faudrait pas oublier un jour. Oui nous sommes une société régit par des règles mais il faut aussi savoir dire quand elles dérapent, quand elles vont trop loin… et aussi qu’il faut savoir écouter les enfants et la jeunesse, car ils sont toujours porteurs d’espoir.

P. : J’ajouterais que c’est un roman sur l’engagement , la désobéissance à ce qu’on ne veut pas vivre, sur la réflexion donc et le refus d’accepter des règles cruelles. C’est un roman aussi sur le respect de la nature et sur ce que l’homme lui doit. Un roman sur l’amitié malgré des personnalités différentes, sur la solidarité entre générations quand elles décident d’aller dans le même sens pour sauver le monde. C’est un roman sur la capacité à rêver aussi. Un roman plein de poésie et de petits bonheurs fugaces qui aident à vivre.

En espérant vous avoir donné envie de lire ce roman…

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