Lecture d’enfant #40 : La Vague

Du haut de ses douze ans et demi, Gabrielle aime les récits qui questionnent notre monde et son fonctionnement. Elle a dévoré La Vague de Todd Strasser et avait envie de partager son expérience de lecture. Publié pour la première fois en 1981, La Vague revient sur une expérience psychologique réalisée dans un lycée californien en 1969 par le professeur d’histoire Ron Jones, La troisième vague.

La Vague de Todd Strasser, PKJ, 2009.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de lire ce roman ?

J’ai vu le film (Die Welle, Dennis Gansel, 2008) avec ma mère. Je l’ai aimé et, quand j’ai appris qu’il y avait un livre, je me suis dit que j’aimerais en savoir plus et voir jusqu’à quel point le livre et le film se ressemblent.

L’histoire est-elle la même ? Quelles sont les différences ou similitudes ? Quel format t’a plu le plus ?

L’histoire est à peu près la même à part quelques détails (que je garde pour moi pour ne pas spoiler). J’ai préféré le livre car la fin est moins sombre.

Peux-tu nous dire de quoi parle ce roman ?

L’histoire se déroule dans un lycée californien. Un professeur d’histoire veut faire comprendre à ses élèves le nazisme et la mise en place d’un tel mouvement. Il veut aussi leur faire comprendre que même aujourd’hui, après en avoir pourtant tiré les leçons, notre société pourrait en reprendre la forme en un instant. Il leur propose une expérience de mise en situation : obéir à un leader, faire un salut, scander un slogan… Le mouvement va peu à peu prendre des proportions énormes en quittant la classe vers l’extérieur, et devenir incontrôlable.

Que penses-tu de cette expérience ? Crois-tu que le professeur a eu raison de la mettre en place?

Je pense que c’est complètement fou et pas la bonne méthode à employer. Les étudiants doivent se forger un avis personnel alors que là, le professeur les pousse à avoir un avis de groupe.

Mais justement, vivre en société c’est aussi vivre en groupe. Est-ce que cette expérience n’a pas pour but de leur montrer que c’est le groupe qui fait le mouvement ?

Et bien oui, il prouve que la solidité du groupe et la confiance en son leader peuvent déraper et mener à un régime totalitaire. Mais cela prouve aussi que l’expérience était dangereuse et qu’il aurait mieux valu se contenter de travaux de groupes plus classiques comme de la recherche ou un exposé par exemple.

Qu’as-tu aimé dans ce roman ? Ou à l’inverse, qu’est-ce qui t’a déplu ?

Je n’aime pas la couverture de l’édition jeunesse, je préfère celle de l’édition adulte qui me semble plus parlante. J’ai vraiment aimé l’écriture de l’auteur ; le fait que ce soit inspiré d’une histoire vraie est particulièrement intéressant. Les personnages sont sympathiques et j’ai aimé suivre leur cheminement.

Enfin, conseillerais-tu ce roman ? A qui ?

Je conseillerais ce livre à ma mère et aux lecteurs de plus de onze ans qui veulent comprendre comment se met en place une dictature.

Merci Gabrielle !

Lecture d’enfant #39 : Partis sans laisser d’adresse

C’est en lisant l’article qu’Isabelle et ses moussaillons ont consacré à ce roman que Théo, 9 ans, a eu envie de partir à la rencontre de Félix.
Il a eu un coup de cœur immédiat pour ce personnage malmené par la vie, et a souhaité partager ses impressions à son tour.

Partis sans laisser d’adresse de Susin Nielsen, Hélium, 2019.

Peux-tu résumer l’histoire ?

C’est l’histoire de Félix, qui a douze ans et qui vit dans un Combi Volkswagen avec sa mère Astrid. Elle n’arrête pas de dire que la situation va s’arranger mais elle ne s’arrange pas pendant plusieurs mois. Félix doit garder le secret et faire semblant d’avoir une vie normale pour ses copains du collège.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de lire ce livre ?

Pas la couverture, que je trouve affreuse. Mais le résumé m’a intrigué.

Pourquoi as-tu choisi de parler de ce livre ?

Parce que je l’ai bien aimé. Il explique bien ce que c’est qu’être SDF et je n’avais jamais lu un livre sur ce sujet.

Qu’as-tu aimé dans ce livre ?

J’ai aimé plusieurs choses. J’ai été content que Félix retrouve Dylan, qu’il avait dû quitter quand il avait déménagé, et qu’ils redeviennent amis comme avant.

C’était intéressant de pouvoir lire les articles que les enfants écrivent pour le journal du collège. Et j’ai été content que Félix soit sélectionné pour participer à son jeu télévisé préféré, parce qu’il en rêvait.

Quel est ton personnage préféré ?

Félix évidemment ! Parce qu’il est super intelligent et super gentil. Il ne mérite pas une maman comme ça.

D’ailleurs, je n’ai pas trop aimé la mère, parce que je l’ai trouvée égoïste. Elle ne fait aucun effort pour garder un travail, et ça a des conséquences pour son enfant. Elle lui fait faire n’importe quoi (voler, rentrer dans des maisons dont ils ne sont pas propriétaires…) et il est inquiet tout le temps ; il ne se sent pas en sécurité.

A qui conseillerais-tu ce livre ?

À des personnes qui sont intéressées par la pauvreté, parce que ça explique bien comme la vie est compliquée quand on manque d’argent. En plus ils ont honte alors que ce n’est pas leur faute.

Merci Théo !

Le Prix Vendredi, la cinquième édition

Le Prix Vendredi récompense chaque année un roman destiné aux adolescents. Une sorte de Goncourt pour ce public qui le mérite bien ! Le 8 novembre 2021, il a été attribué à Amour Chrome, de Sylvain Pattieu, tandis que deux mentions spéciales ont récompensé Joëlle Ecormier pour et Nastasia Rugani pour Je serai vivante. Bravo aux lauréat.e.s ! Pour prolonger l’expérience et continuer de célébrer la littérature ado, nous avons eu envie comme l’année dernière de partager nos impressions sur les dix titres de la sélection 2021.

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J’ai 14 ans et ce n’est pas une bonne nouvelle de Jo Witek, Actes Sud junior, 2021.

J’ai 14 ans et ce n’est pas une bonne nouvelle est un roman porté par le souffle de son héroïne, Efi, 14 ans, qui va devoir affronter une terrible épreuve : celle que ses parents lui ont préparée au début des vacances scolaires, celle du mariage forcé avec Soan, de 15 ans son aîné. Efi résiste mais qui peut résister à la horde sauvage qui unit tant de gens autour de certaines traditions ? Seule, c’est impossible. Alors il faudra compter sur Atâ, son grand frère, sur Mme Gatzea , son enseignante passionnée de littérature, sur Emily Dickinson, sur Petite Fleur, la chèvre apprivoisée et surtout sur Mme Renata, membre d’une ONG qui lutte contre le mariage forcé.
Si ce roman n’a pas été sans rappeler à Frédérique Les Impatientes de Djaïma Amadou Amal, prix Goncourt des lycéens en 2020, il offre cette originalité de ne se situer nulle part, ce qui lui confère une dimension – tristement – universelle.
Et puis il rappelle, dès le titre, ce que devrait être toute adolescence : une lumineuse et extraordinaire bonne nouvelle !

L’avis de Frédérique.

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La Gueule-du-Loup d’Eric Pessan, l’école des loisirs, 2021.

Isabelle n’a pas du tout regretté de s’être risquée à La-Gueule-du-Loup. Avec un nom pareil, il fallait avoir le goût du danger… La maison est à l’image de son nom, sombre et pleine d’ombres – drôle d’endroit pour venir se confiner. Quelle est la chose malsaine qui cerne les lieux ? Lorsqu’une peluche est retrouvée déchiquetée, il devient clair que ce n’est pas l’imagination de Joséphine et de ses proches qui leur joue des tours… Éric Pessan, de sa belle plume imagée, joue des codes du genre horrifique pour tirer sur toutes les cordes de notre paranoïa. Et pourtant, c’est sur un tout autre terrain qu’il nous entraîne finalement, suivant une partition inattendue mais d’autant plus glaçante, à la lisière entre le thriller, le conte, la poésie et le drame. Prise de court, Isabelle a lu ce livre en apnée, mais non sans noter au passage une foule de réflexions très juste sur l’époque contemporaine (on se gardera bien de vous en dire plus !). Ce roman hypnotique se dévore et laisse groggy, mais aussi étrangement apaisé.e.

L’avis complet d’Isabelle.

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La Sourcière d’Elise Fontenaille, Rouergue, 2021.

Pour Linda, La Sourcière est un conte poétique, cruel et féministe qui nous entraîne dans les pas de Garance au pays des volcans assoupis. Alors qu’elle grandit dans la protection de Gallou la Brodeuse et parcourt la lande accompagnée de la Renarde, elle avance inéluctablement vers son destin et la confrontation au cruel et sanguinaire Saigneur Guillaume.

L’avis complet de Linda.

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Olympe de Roquedor de Jean-Philippe Arrou-Vignod & François Place, Gallimard jeunesse, 2021.

Jean-Philippe Arrou-Vignod et François Place rendent hommage aux feuilletons populaires et aux romans de cape et d’épée du 19ème siècle, mais en bousculant allègrement les codes puisque le premier rôle revient à une jeune fille. Cette aventure s’inscrit dans un écrin historique, avec ce qu’il faut de châteaux, de cavalcades, de tavernes, de bandits et de chasses aux sorcières : on s’y croit ! C’est une époque où l’on dispose des jeunes filles comme du bétail, qu’il s’agisse de les jeter au couvent ou de les marier. Mais Olympe semble indomptable. On s’attache immédiatement à ce personnage flamboyant, partageant son désarroi et sa lutte désespérée pour défendre sa liberté. Ses péripéties sont portées par la plume généreuse des deux auteurs. Il y a de l’action et de la liberté, du souffle et du mystère, des combats et de la subversion – même si on aurait aimé que le roman aille plus loin encore : pourquoi cette jeune femme si pleine de ressources doit-elle être si souvent sauvée, voire éclipsée par ses alliés masculins ? Cela dit, les dialogues sont plus vrais que nature, dignes d’Alexandre Dumas ou même de Molière. Un brillant récit d’aventure dont Lucie et Isabelle n’ont fait qu’une bouchée.

Les avis complets d’Isabelle et de Lucie.

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Parler comme tu respires d’Isabelle Pandazopoulos, Rageot, 2021.

Dans Parler comme tu respires Isabelle Pandazopoulos raconte l’histoire de Sibylle, 15 ans, qui décide presque sur un coup de tête de se former à la sculpture. Dans une école spécialisée, loin de sa famille, elle va se découvrir et percer le lourd secret de famille à l’origine de son bégaiement.
Ce roman a fait à Lucie l’effet d’un catalogue de difficultés à placer dans un roman jeunesse contemporain. Jugez plutôt : sont abordées les tensions que l’orientation professionnelle peut créer entre parents et enfant, le handicap, Alzheimer, un parent en prison, l’homosexualité tant chez une fille que chez un garçon, la misogynie et un secret de famille.
En 320 pages, cela fait beaucoup. Sans mettre en doute la sincérité de son auteure, le nombre de thèmes abordés donne l’impression qu’elle a voulu placer un maximum de mots-clés en un minimum de pages. La lisibilité, mais aussi l’intrigue et la crédibilité en pâtissent nécessairement. Pourtant, la passion de l’héroïne pour Rodin et sa vocation de sculptrice étaient prometteuses…

L’avis de Lucie.

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Plein Gris de Marion Brunet, PKJ, 2020.

Dans Plein Gris de Marion Brunet, il n’y a pas de pause, pas de temps mort.
« Quand le corps apparaît à la surface, inerte, contre la coque du voilier, personne ne crie. Aucun d’entre nous. Comme si ça n’arrivait pas jusqu’à nos consciences. Comme si, en ne réagissant pas, on pouvait annuler la réalité du fait : c’est un cadavre qui remonte. Le cadavre de notre ami, pour être précise. »
Voilà, le décor est planté, une intrigue implacable est nouée et l’histoire peut commencer avec cette tourmente terrifiante qui se dessine à l’horizon. La double tourmente qui frappe le groupe, celle qui l’a précipité vers la mort de Clarence et celle qui submerge le voilier, place le récit sous haute tension. On le parcourt en apnée, happé.e par les spirales de pensée des navigateurs et la façon dont se révèlent, dans l’ouragan, les blessures cachées et le tumulte déchaîné sous la surface sciemment lissée tournée vers les autres. La narratrice dit très bien la férocité et la naïveté du regard adolescent sur la vie, l’ivresse de naviguer à la lisière du danger et les jeunes amitiés, intenses et troubles. Marion Brunet mène habilement sa barque entre huis clos et nature incommensurable, entre roman catastrophe et thriller psychologique. Addictif et réussi !

Les avis complet d’Isabelle et de Frédérique.

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Quelques secondes encore de Thomas Scotto, Nathan, 2021.

Une passion dangereuse, les limites repoussées, le saut de trop, pas assez près ou prêt, et c’est la chute… fatale. Alban n’est plus. Son cœur bat, il respire, artificiellement, mais non, il n’est plus. Ce n’est plus lui. Et les médecins qui veulent savoir. Pour les organes. Car le temps est compté.

Au fil de chapitres qui entrecroisent passé et présent, Anouk, la sœur d’Alban, nous raconte son frère, ses goûts, son caractère, leur relation fusionnelle, les souvenirs en cascade, des plus fous aux plus anodins. Elle nous décrit l’hôpital, la chambre, la confusion de sa mère, ce que son frère voulait et aurait voulu, l’absence de leur père, retenu à des centaines de kilomètres pour son travail. Elle décrit l’imbroglio d’émotions, et ces trois lettres que sa mère doit se résoudre à prononcer… « Oui »… ou …. « non ».

Ce texte, plein de délicatesse, a pris Blandine au cœur. Intime, humain, poignant, il nous bouleverse, nous bouscule, et nous pousse à nous interroger sur nos croyances, nos possibles en pareille situation.

L’avis complet de Frédérique.


Ils ont reçu une Mention Spéciale

de Joëlle Ecormier, Zebulo, 2021.

Pour Linda, est un récit sensible et poétique qui aborde les difficultés du deuil chez l’adolescent avec sincérité et justesse. Le texte nous entraîne dans une quête de vérité et d’acceptation pour rendre sa vie à un jeune homme rempli de colère et de chagrin par la perte d’un père disparu en mer. Il ne faudra rien de moins que l’amour d’une mère et d’une sœur, et la gentillesse d’un inconnu pour le ramener parmi les vivants.

L’avis de Linda.

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Je serai vivante de Nastasia Rugani, Gallimard Scripto, 2021.

Assise sur une chaise, une jeune fille dépose plainte. pour viol. En face d’elle, un officier aux questions froides et factuelles. Pas de place pour l’empathie. Sur sa chaise, dans sa tête, la jeune fille se souvient, par bribes, par émotions. Ses pensées s’échappent, remontent le temps et nous racontent.

Blandine a été malmenée par ce récit. Par son écriture d’abord. Une écriture ciselée, poétique, métaphorique, qui use de figures de styles. Qui tourne, contourne, nous perd aussi un peu dans le méandres des sentiments et souvenirs de la jeune fille. Et pourtant rien n’est confus, tout est glaçant. Son histoire, qui aurait pu, qui aurait dû être belle, puis le viol et ses suites. La rupture interne, familiale, sociale. Et enfin, ces murs oppressants du commissariat pour un témoignage éprouvant. La victime est deux fois victime, devoir raconter encore et encore, devoir prouver, n’être toujours pas crédible, être culpabilisée, salie.. Douter, pas d’elle-même, mais d’eux, de leur aide possible, de leur envie de l’aider. C’est éprouvant, écœurant. Heureusement, le récit s’éclaire par moments, et ce titre nous laisse rassurés par sa capacité, future, de résilience. Oui, elle sera vivante!


Le lauréat du Prix Vendredi 2021

Amour Chrome de Sylvain Pattieu, L’école des loisirs, 2021.

Amour Chrome s’engouffre dans le quotidien d’ados qui se cherchent, des gamins qui réagissent, interagissent entre eux de façon naturelle sans surjouer. Ce sont surtout des histoires de rêves d’ados comme il en existent tout autour de nous. Frédérique a trouvé ce roman chaleureux, humain et attachant : « Il est heureux, il est avec ses copines et son pote, il trace sa route. » Le jury du prix a salué « la force, la puissance poétique et la justesse de la langue, mais aussi l’énergie des personnages ».

L’avis de Frédérique.

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Et vous, lequel a votre préférence?

Lecture d’enfant #37 : Amari et le Bureau des affaires surnaturelles

Gabrielle, douze ans, dévore les romans et a souvent des coups de coeur littéraire. Elle a choisi de parlé de l’un des derniers : Amari et le Bureau des affaires surnaturelles de B.B. Alston.

Amari et le Bureau des affaire surnaturelles (tome 1) de B.B. Alston, Bayard jeunesse, 2021.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de lire ce livre ?

Sa couverture intrigante et la présentation de l’éditeur m’ont beaucoup plu.

Peux-tu nous dire de quoi parle ce roman ?

C’est l’histoire d’une jeune fille qui se fait persécutée dans son collège. Un jour en rentrant chez elle, elle découvre un colis sur lequel est écrit « TOP SECRET ». C’est ce qui va la mener dans un monde fantastique.

Qu’as-tu aimé dans cette histoire ?

J’ai bien aimé le côté fantastique du livre, la lecture était prenante, je n’arrivai pas à m’arrêter !!! Il y a de l’humour et pas mal d’action, on ne s’ennuie jamais.

En le lisant, j’ai trouvé qu’il y avait des similitudes avec Harry Potter. As-tu eu la même impression ? Penses-tu que cela puisse avoir influencer positivement ta lecture ?

Ca ne m’a pas influencé car j’ai pris l’histoire comme elle venait, sans voir de similitudes avec autre chose.

Quel est ton personnage préféré ?

Balthazar Magnus est mon personnage préféré car c’est un formateur qui soutient Amari lors de tout les moments difficiles. Il est gentil et attentionné, un peu comme un grand frère.

Quel est ton passage préféré ?

Je n’ai pas vraiment de passage préféré. C’est un livre plein d’aventures, de fantaisie et d’humour. J’ai beaucoup aimé les épreuves que doivent subir les stagiaires.

Conseillerais-tu ce livre ? Que dirais-tu pour encourager la lecture ?

Je le conseillerais fortement. Il est génial et on se met facilement dans la peau de l’héroïne.

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Pour en savoir plus sur ce roman, n’hésitez pas à lire l’avis de Linda.

Lecture commune : Les enfants sont rois.

Je préfère vous prévenir : cette lecture commune sera un peu particulière.

Pour deux raisons.

Tout d’abord parce que c’est une lecture commune d’un livre qui n’est pas explicitement destiné à la jeunesse mais publié en littérature générale. Mais ce roman a été un tel coup de cœur, que deux d’entre nous ont voulu échanger à son sujet et quoi de mieux que s’asseoir à l’ombre de notre grand arbre pour en discuter.

Et puis c’est surtout une lecture commune particulière parce que c’est la dernière que Pépita aura faite pour Le Grand Arbre. En effet en mai dernier, elle a décidé de quitter l’aventure collective après neuf ans de débats, de sélections thématiques, d’entretiens, de lectures communes, de swaps, de bookcamps… Au fil de ses milliers de messages sur le forum, Pépita a nourri nos échanges de sa vision généreuse de la littérature jeunesse, faisant découvrir à toute une génération de blogueuses les trésors de l’édition jeune public.

Pépita, si tu passes par là, pour ta présence lumineuse qui a irradié des racines au faîte de notre grand arbre, nous te remercions.

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Colette. – Quand tu as découvert ce titre Les enfants sont rois, qu’est-ce que ces mots ont convoqué en toi ? Personnellement j’ai directement pensé à cette critique qu’on a souvent faite à la pédo-psychiatre Françoise Dolto qui mettait l’enfant à l’honneur dans sa pratique, transformant selon ses détracteurs, les enfants en tyrans de leurs propres parents.

Pépita.- En fait, je me jette toujours sur les romans de Delphine de Vigan sans trop regarder de quoi ça parle ! Je l’ai pris comme un respect à avoir envers eux. Et en lisant, je te rejoins. Malheureusement, j’ai un peu deviné assez rapidement ce que cela voulait dire au fur et à mesure de cette histoire. Mais ce fut très intéressant de voir comment l’autrice en a entremêlé les fils.

Colette. – Justement avant de revenir à cette intrigue où « les enfants sont rois », est-ce que tu pourrais expliquer pourquoi tu te jettes sur les livres de Delphine de Vigan ? Je suis comme toi et je ne réfléchis pas trop avant d’acheter un roman de cette auteure. Cette fois d’ailleurs, je ne savais absolument rien du livre avant de l’acheter, une amie en a parlé en coup de vent dans un échange de SMS et hop le lendemain je l’avais sur ma table de chevet !

Pépita.- Difficile de répondre ! Je la lis depuis longtemps et je n’ai jamais été déçue. Elle a une façon d’aborder ses sujets que je trouve profonde sans juger, et surtout ses personnages sont remarquables d’exactitude, elle parle des femmes, et si bien ! Une écriture à la fois précise et simple et une construction toujours efficace. Ses romans sont sujets à discussion, au sens où ils éveillent en nous des questionnements. Elle a l’art de mettre le doigt là où ça nous titille sans vraiment se l’avouer ou se le formuler clairement

Colette. – Je savais que c’était une question difficile car moi même je ne saurais quoi répondre tellement c’est un tout, une œuvre de Delphine de Vigan. Comme tu l’as dit, c’est à la fois une structure narrative ingénieuse, des personnages féminins intenses, et des tabous, ses propres tabous, à faire exploser tout en subtilité. Bon en fait, j’avoue j’ai vécu de vraies expériences psychologiques intenses avec des livres de cette femme que ce soit avec Rien ne s’oppose à la nuit ou encore Les Loyautés. Ces livres-là ont laissé de satanées traces en moi… Du coup, sans doute que je cours après la promesse de nouvelles expériences marquantes en me plongeant dans ses livres dès qu’ils sortent. C’est un peu comme si elle m’était familière. Pas une amie. Pas une sœur. Une présence à qui j’aime croire que je ressemble. Revenons à Les enfants sont rois. A quels enfants ce titre réfère-t-il ?

Pépita.- Ce titre réfère d’abord aux deux enfants de l’histoire mais il s’adresse aussi et surtout à TOUS les enfants dont les adultes manipulent le droit à l’image.

Colette. – Peux-tu nous en dire un peu plus sur Sammy et Kimmy, les enfants de l’histoire ? Sont-ils vraiment les héros de cette histoire ?

Pépita.- Sammy et Kimmy, un garçon et une fille qui depuis leur plus jeune âge sont sur les réseaux sociaux : chaque moment de leur vie est filmé, partagé. Leur mère en a fait son business. Elle-même a participé à un épisode de télé-réalité, oh ! si peu : une recherche de reconnaissance énorme pour elle puisque ce fut un fiasco, qu’elle a transposé de façon obsessionnelle dans sa vie adulte. Sa famille – son mari la suit aussi – ne vit que pour cette chaîne, en concurrence avec d’autres. Voilà pour le cadre ! Ta question Colette laisse sous-entendre que tu penses que les deux enfants ne sont pas les héros de l’histoire. Moi je pense que oui. Est-ce la mère ? Sans doute aussi. Mais je préfère me mettre du côté de la souffrance de ces enfants. On pourrait penser aussi que les gagnants – et non les héros – de cette histoire sont les réseaux sociaux. De ce point de vue là, oui, ils le sont. Une autre héroïne, et pas des moindres, c’est la policière chargée de l’enquête. Elle, c’est une héroïne invisible du quotidien.

Colette. – Et c’est mon personnage préféré, Clara. Parce qu’elle est toute petite, peut-être. Kimmy dira d’elle, devenue adulte : « Elle s’est souvent demandé pourquoi elle se souvenait de cette femme, alors que sa mémoire a effacé les autres visages […] En la découvrant ce matin, si petite et en même temps si magnétique, elle a songé que c’était peut-être parce qu’elle avait la taille d’un enfant. » – tu comprendras sans doute pourquoi ça me parle.
Si je t’ai posé la question du statut des personnages et plus particulièrement du statut des héros romanesques, c’est parce que pendant toute la première partie du roman, finalement Kimmy et Sammy, les enfants qui donnent pourtant le titre du roman, sont complètement objectivés. On ne connaît ni leurs pensées ni leurs sentiments. Ils sont sans cesse sous l’œil de la caméra de leur mère et de milliers de spectateurs et de spectatrices mais que sait-on d’eux vraiment ? Ils sont parfois décrits physiquement mais c’est tout. Il faudra attendre qu’un certain nombre d’années soient passées pour qu’enfin la romancière fasse entendre leur voix. Et je trouve ce choix narratif tellement riche de sens. Sans jamais donner de leçon moralisatrice sur ce que Mélanie a fait subir à ses enfants, Delphine de Vigan nous fait vivre à travers ses choix d’écriture la dépossession, l’asservissement, la perte d’identité de ses personnages. Et si la véritable héroïne de cette histoire, c’était Elise Favart, celle grâce à qui la voix des enfants va paradoxalement pouvoir se faire entendre ? Celle grâce à qui on va pouvoir basculer du présent vers l’avenir ?

Pépita.- C’est curieux parce que tu vois, je les voyais ces enfants, je les ressentais, surtout dans la première partie, je les ai imaginés. Beaucoup moins dans la deuxième partie dans laquelle je les ai trouvés moins vivants en quelque sorte, comme éteints. C’est certain qu’Elise a joué un rôle primordial mais elle n’est pas si valorisée que cela dans le roman. Je la vois plus comme un déclic. Elle fait le passage entre les deux parties

Colette. – En lisant ta réponse, je me disais justement que l’autrice ne semble pas valoriser un personnage plus que l’autre si ? Quel a été ton préféré, si tu en as eu un ? Et pourquoi celui-là ?

Pépita.– Tu as raison de le souligner : l’autrice a vraiment adopté un ton neutre, presque « froid »: tout est dit sur un ton égal, comme pour atteindre une certaine normalité alors qu’en fait, toute cette histoire est tout sauf normal. J’ai un petit faible pour la policière, c’est certain. Tout est droit chez elle, une abnégation sans failles. La mère m’a à la fois agacée au plus haut point mais en même temps je ne pouvais m’empêcher d’avoir une forme de compassion pour elle. Comment ne pas se rendre compte qu’on rend ses enfants malheureux ? Comment ne pas se rendre compte de cette spirale infernale ? ça frise le voyeurisme non ? Tu l’as ressenti comment toi cet aspect du roman ? Toutes ces mises en scène factices jusqu’à l’écœurement….

Colette. – En fait, ce que j’ai trouvé très fort c’est d’avoir introduit le récit à l’époque où la téléréalité a commencé en France, comme pour « justifier » ce que vont être les choix de vie de Mélanie. Ce moment là, je m’en rappelle comme si c’était hier. J’étais une jeune adulte et avec ma sœur, encore adolescente, on regardait régulièrement Loft story. Et je me souviens très bien de ce sentiment totalement paradoxal qui m’envahissait alors : le sentiment de faire quelque chose de mal – comme un.e enfant qui fait une bêtise – et en même temps l’envie irrépressible de voir jusqu’où ça pouvait aller, ces relations forcées. Il y avait quelque chose de fascinant, qui tenait sûrement de l’aspect expérimental du projet : des humains dans une sorte de laboratoire, à la vue de toutes et de tous. Mais le XXIe siècle est allé encore plus loin que ces émissions de télé-réalité, le XXIe siècle a réussi à produire des personnages capables de vouloir mettre en scène eux-mêmes leur propre vie, avec leurs propres moyens, grâce à un média bien plus invasif que la télévision : j’ai nommé le dieu de notre époque, Internet. Il n’y a qu’à nous écouter. Tu cherches comment aller d’un point A à un point B ? Demande à Internet ! Tu veux savoir quoi faire pour le dîner ? Demande à Internet ! Un petit résumé du roman à lire en cours de Français ? Demande à Internet ! Tu veux prendre RDV pour te faire vacciner contre le coronavirus ? Demande à Internet ! Aujourd’hui, la Pythie des temps modernes, c’est Internet. D’ailleurs souvent mes élèves me parlent d’Internet comme si c’était quelqu’un, quelqu’un d’omniscient et d’omnipotent. Quelqu’un à qui elles et ils délèguent leur savoir, soit dit en passant. Tout ça pour dire que l’autrice a tellement bien introduit l’histoire de Mélanie que finalement, je n’ai pas été écœurée, ni choquée, ni étonnée. Et c’est peut-être ça le pire avec cette histoire : je ne connaissais pas du tout les chaînes Youtube au cœur de la narration, et bien ça ne m’a pas étonné. Que des gens choisissent d’utiliser leurs enfants comme outil de publicité permanente et bien, oui, c’est vraiment désolant, mais ça ne m’a pas étonné. Par contre comme toi, en tant que parent, je me suis demandée comment on pouvait se détacher à ce point de ses enfants. Au point de ne plus savoir s’ils vont bien. Au point de ne plus même y penser. Mais ce qu’interroge Delphine de Vigan, c’est comment, nous, en tant que société, on peut laisser faire ça au vu et au su de tout le monde. Est-ce que comme moi, tu t’es sentie interrogée, notamment dans ta propre utilisation des réseaux sociaux ?

Pépita. – Je ne me suis pas du tout sentie interrogée dans mon utilisation des RS ! Je n’y mets jamais ma photo ni celle de ma famille par exemple. Mais plutôt comment la société pourrait prendre du recul par rapport à cette utilisation. Quels garde-fous ? Quelles limites ? Quels avertissements ? Quelle formation citoyenne ? C’est surtout ça qu’interroge ce roman.

Colette. – Je me suis sentie interrogée non en tant que productrice de contenus mais comme utilisatrice. Si les gens se sont mis à exposer leur vie, c’est que d’autres gens les regardent faire. Je t’avoue que sur Instagram c’est ce qui me dérange toujours : montrer ce qu’on mange, montrer où on part en vacances, montrer où on vit. Ce n’est pas juste une question de montrer les visages de sa famille, il me semble que ça va plus loin. Pourquoi on fait ça ? Comme Mélanie, je crois qu’on court après les likes.
Mais tu as complètement raison, la question la plus intéressante, c’est celle des garde-fous. Tu sais combien cette question m’intéresse depuis que j’ai décidé de quitter les réseaux sociaux suite à la mort de Samuel Paty et aux horreurs que mes élèves me racontaient. Le garde-fou le plus évident pour moi, c’est la morale. Mais visiblement la morale n’est pas la même pour tous. Alors il y a la loi. Mais encore faut-il qu’elle soit appliquée… Concernant la structure du roman en deux parties. J’ai trouvé ce choix très surprenant par rapport aux autres romans de Delphine de Vigan. Qu’en as-tu pensé ?

Pépita. – Oui c’est vrai que ses romans sont bien plus linéaires d’habitude. Comme je le disais plus haut, cette césure en deux parties, c’est comme si il y avait deux côtés d’une réalité. La première une réalité virtuelle et la seconde la réalité réelle. La première enjolivée et la deuxième réaliste. C’est l’arrestation de la kidnappeuse qui fait la césure. Ce n’est pas ça qui l’intéresse l’autrice : c’est montrer ce décalage entre ces deux réalités très différentes. Et cela a pour effet d’amplifier davantage les dégâts causés.

Colette. – Et le fait que la deuxième partie nous propulse en 2031, dans le futur, est-ce que cela ne donnerait pas un petit côté science-fiction à ce roman ? Est-ce que tu y as vu un sens particulier au choix de cette date ?

Pépita.- Elle veut simplement montrer ce que sont devenus ses personnages. Je n’y ai pas vu de la science fiction, mais juste la continuité de la vie.

Colette. – Oui, tu as sans doute raison, peut-être que 2031 est une date choisie simplement pour que toute l’histoire « colle » avec la seule date réelle du roman qui est la première de Loft Story en 2001. J’y ai vu aussi une manière de nous interroger sur ce que nous allons faire des 10 années qui nous séparent de cette échéance pour mieux protéger nos jeunes, notamment, sur les réseaux sociaux. Au fait, est-ce que tu es allée voir des vidéos sur Youtube d’enfants influenceurs ? Et si oui, qu’as-tu éprouvée ?

Pépita. – Non je ne suis pas allée voir des vidéos d’enfants influenceurs car déjà les vidéos de youtubeurs, j’ai beaucoup de mal. Il y a un truc dont j’aurais souhaité qu’il soit approfondi : c’est la loi ! J’ai trouvé ça incroyable qu’elle soit autant balayée ou contournée plutôt. S’agissant d’enfants, tout de même ! Faut que je prenne le temps de creuser. Tu as été interpellée aussi j’imagine ?

Colette. – J’ai surtout été dégoûtée d’apprendre que cette loi existe et que simplement – comme tant d’autres censées nous protéger – elle n’est pas appliquée, il n’y a pas assez de professionnels employés pour vérifier qu’elle est respectée. C’est comme pour les contenus irrespectueux sur internet, sur les réseaux notamment, la loi existe mais encore faut-il qu’elle soit faite respecter par des forces de l’ordre dédiées à cette tâche (et je ne sais pas si ça existe).

Colette. – Des deux citations mises en exergue de chaque partie du livre, laquelle préfères-tu ?
« Nous avons eu l’occasion de changer le monde et nous avons préféré le télé-achat. » Stephen King.

ou
 » On pressentait que dans le temps d’une vie surgiraient des choses inimaginables auxquelles les gens s’habitueraient comme ils l’avaient fait en si peu de temps pour le portable, l’ordinateur, l’iPod ou le GPS » Annie Ernaux.

Pépita. – Je préfère celle d’Annie Ernaux car elle englobe le sujet plus largement je trouve. Ce roman, ce n’est pas que sur le télé-achat mais sur les RS et ce que nous en faisons.

Colette. – Pour conclure, à qui conseillerais-tu ce roman ? Avec des amies enseignantes, on en a un peu discuté : certaines, très emballées, le proposeraient à des élèves de 3e, d’autres non. L’une d’elles hésitait à le proposer à ses parents qui ne sont pas du tout connectés.

Pépita. – Je le conseillerais à des adultes mais aussi et surtout à des ados ! Je rejoins tes collègues ! Pour ceux qui ne sont pas connectés, ils risquent d’halluciner et de prendre les connectés pour des zombis ! Mais c’est peut-être pour ça qu’ils ne le sont pas justement. Ce roman est d’utilité publique !

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Et pour continuer de nourrir vos réflexions sur l’utilisation d’internet notamment par nos jeunes, la semaine prochaine, nous vous proposons une sélection thématique sur une pratique émancipatrice du net !

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Et n’oubliez pas que vous pouvez toujours lire Pépita sur son blog MéLi-MéLo de LIVRES et sur les réseaux sociaux associés pour profiter autrement de son regard amoureux de la littérature jeunesse et continuer de suivre avec elle le précieux précepte de Julien Green :

« Un livre est une fenêtre par laquelle on s’évade. »