Laissez-vous renverser !

Et si on imaginait un monde où les rues ou les écoles auraient pour nom  » Christine de Pisan, Violette Morris, Hypathie… » Un monde où on ne dirait pas « magistrat, philosophe ou poète » mais « magistrate, philosophesse ou poétesse parce que ces mots n’ont été inventés que pour les femmes qui exercent cette profession ». Ce monde, ça tombe bien, c’est celui des deux tomes du récit Renversante de Florence Hinckel. On a testé ce monde inversé et on a eu envie de vous livrer nos réflexions !

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Colette. – Qu’est-ce qui vous a donné envie de lire Renversante de Florence Hinckel ? Qu’avez-vous pensé de la couverture ? Du titre ? Connaissiez-vous déjà l’autrice ?

Isabelle. – J’avais entendu parler de Florence Hinckel par d’autres lectrices qui m’avaient donné envie de découvrir cette autrice engagée. Cela dit, je ne l’ai lue pour la première que récemment avec L’énigme Edna, et je n’avais donc pas lu Renversante à sa parution en 2019. C’est un titre qui est passé hors de mon radar, peut-être parce que mes moussaillons étaient un peu jeunes par rapport à la cible à l’époque. J’ai eu envie de lire ce titre sur ta suggestion, chère Colette, mais aussi à l’occasion de la parution récente du deuxième tome. La couverture joue bien sûr avec les clichés de genre. Moi qui m’efforce de déconstruire ces stéréotypes, j’ai été intriguée par ce « renversement », avec une fillette côté bleu et un garçon renversé tête en bas côté rose.

Blandine. – Je connais l’écriture de l’autrice, lue dans différentes thématiques, mais toujours en ado. Et j’aime beaucoup. J’ai découvert ce titre par le biais d’une chronique de blog croisée (de Noukette et Jérôme) et forcément, j’ai été tentée ! J’avoue ne pas m’être vraiment penchée sur la couverture jusqu’à présent. Je découvre donc l’écriture du titre maintenant, et j’aime ! Parce qu’on le lit sans difficulté malgré ses lettres disposées curieusement. La bichromie rose/bleu donne le ton, et le dessin l’accentue subtilement.

Frédérique. – Je n’avais pas entendu parler de ce roman jusqu’à temps que Colette le mentionne. Intriguée je me suis lancée dans ce roman au format très court et très surprenant. On comprend bien le parti pris par l’éditeur concernant la couverture. Comment déconstruire un stéréotype tout en le gardant justement mais inversé, c’est bien pensé. Le titre est intriguant et se lit facilement, preuve que notre cerveau s’habitue à tout. Je connais trop peu Florence Hinckel, j’ai juste lu un des tomes de la série U4.

Colette. – A quel genre diriez-vous qu’appartient ce texte ? J’ai trouvé extrêmement surprenante la forme dans laquelle s’inscrit Florence Hinckel, notamment dans cette collection de L’école des loisirs, la collection neuf qui s’inscrit dans le genre romanesque dédié aux enfants de 8 à 11 ans ?

Blandine. – Je trouve aussi cette collection et cet âge appropriés. Parce que c’est dès cet âge-là que les filles et garçons peuvent vraiment percevoir, comprendre, raisonner et interféré pour que les choses changent, évoluent.

Isabelle. – Je suis très contente que tu poses la question Colette car c’est quelque chose qui m’a interrogée. Florence Hinckel donne la parole à Léa qui, pour faire plaisir à son père, va réfléchir à la place des femmes et des hommes dans la société. Il s’agit bien d’une œuvre d’imagination puisque la société en question est une sorte de miroir de la nôtre où les rapports de genre seraient inversés : les femmes dominent, pour le dire vite. Mais il n’y a pas vraiment de narration, nous passons en revue avec Léa les différents aspects de ces rapports de domination genrée. C’est une sorte d’expérience de pensée, presque un pamphlet, mais on n’y trouve pas vraiment d’intrigue au sens de la trame classique comportant un élément perturbateur, des péripéties et une résolution. Je me demande si le roman n’aurait pas gagné à en développer une.

Blandine. – Je trouve justement ce format aussi incisif que percutant. Il me fait penser et dire que nous n’avons pas/plus le temps, que nous avons assez attendu. A mon sens, une « intrigue » aurait dilué le propos. Là, pas de fioritures et toutes les sphères de la représentativité sont (entre)vues, avec un peu de vindicte. J’avoue qu’à la lecture des premières lignes, j’ai eu un sentiment un peu décourageant de déjà-vu tant dans le fond que dans la forme. Cependant, cette mise en miroir stricte de la société, bien que caricaturale, est intéressante et fait tout de même réfléchir. Notamment sur l’usage et l’évolution de la langue qui a été notre premier sujet de discussion.

Colette. Le 6 octobre, l’autrice écrivait justement sur sa page Instagram :

 » #metoo a 5 ans et ses répercussions n’en finissent pas de s’entrechoquer. La littérature jeunesse n’a pas attendu ce séisme médiatique pour proposer des résistances aux modèles dominants : héroïnes fortes, représentations plus variées, remise en cause de situations stéréotypées… #metoo a juste causé une accélération dans ce mouvement déjà bien engagé. Si ce que j’instillais de tel dans mes romans a forcément eu un impact, peut-être inconscient chez mes lecteurs et lectrices, le sujet du sexisme n’était jamais abordé dans mes rencontres avec elles et eux. Les profs n’orientaient jamais les débats dans cette direction. Je me disais : tant mieux, c’est bien si mes touches de résistance paraissent « ordinaires ». Cependant je voyais combien le sujet avait besoin d’être abordé dans les classes. Et j’avais besoin de dépoussiérer un peu certaines rencontres ronronnantes. Pour y mettre un coup de balai, je ne pouvais pas mieux faire que d’écrire Renversante. Je n’ai pas voulu diluer mon thème au sein d’une fiction élaborée et on me le reproche parfois, ç’aurait été plus facile à lire, etc… Il aurait surtout été, une fois de plus, plus facile d’éviter de parler du coeur du sujet. Renversante est un pamphlet, un manifeste, et c’est très volontaire : seule cette forme me (nous, avec élèves et profs) permettrait la frontalité. La fiction a le pouvoir du souffle, de l’emportement et du saisissement, mais elle a aussi celui de la dissimulation. J’adore m’effacer derrière les histoires que je raconte. Mais sur ce sujet-là, j’avais besoin de, moi aussi (me too), m’exprimer sans fard. Un pamphlet peut dévoiler, mettre à nu, faire réagir. Cela a généré des rencontres scolaires houleuses, libératrices, révélatrices, étonnantes, émouvantes… Rien de commun avec ce que j’ai pu connaître avec mes romans, aussi engagés soient-ils. J’ai réellement compris le mot « engagement » avec Renversante. Cela demande du courage, beaucoup de lectures et de réflexion pour tenir la route, cela induit aussi d’abandonner une forme de quiétude… Mais quel écrivain ou quelle écrivaine recherche la quiétude ?…

Colette. – Je vous demande votre avis : est-ce que vous pensez que l’art est plus efficace quand il aborde de manière frontale le sujet qui l’intéresse ou êtes-vous plus convaincues par une forme littéraire qui opte pour des effets de style et une narration ?

Blandine. – Je crois qu’il faut de tout, parce que nous ne réagissons pas tous de la même manière, parce que nous n’avons pas tous la même réceptivité, et que nous n’en sommes pas tous au même stade de réflexion. Je pense qu’il est nécessaire d’avoir des faisceaux multiples pour faire passer des messages qui vont ensuite se transformer en pensées puis actions.

Frédérique. – Personnellement j’aime le frontal car cette manière d’aborder provoque souvent un électrochoc et après « la digestion » une analyse. Etant très sensible à l’écriture, la littérature est souvent un bon canal. Et ici c’est plutôt très efficace !

Isabelle. – C’est intéressant d’en discuter. Je serais plutôt en désaccord. Je n’aime pas du tout quand la « morale » (ou la leçon) de l’histoire est téléphonée ou trop explicite. J’ai l’impression que mes enfants réagissent comme moi, ils aiment savourer un texte, entrer dans l’histoire et la laisser infuser pour en tirer des conclusions eux-mêmes. Ils n’aiment pas avoir l’impression qu’on cherche à les « éduquer ». Je le dis d’autant plus franchement que sur le fond, je partage à 100% le combat de Florence Hinckel ! Ce n’est que mon avis, mais il me semble que dans un roman (jeunesse en particulier mais pas que), l’intrigue joue beaucoup dans le plaisir de lecture, la plume aussi bien sûr, mais aussi la richesse de sens derrière une histoire – d’après moi, les meilleures sont celles qui peuvent s’interpréter de façon différente, faire écho à plusieurs problématiques. Ici, j’ai trouvé l’idée du renversement géniale car elle induit un effet de prise de conscience spectaculaire mais je crains qu’en l’absence d’une intrigue plus étoffée, les lecteur.ice.s qui ne sont pas déjà sensibilisé.e.s au féminisme se lassent. Ça a été le cas (dans les deux cas vers le chapitre 5) pour mon fils et ma nièce qui sont pourtant tous les deux sensibles au sujet. J’entends, cela dit, la frustration exprimée par l’autrice sur le peu d’effets manifestes sur les jeunes lecteur.ice.s de formes plus subtiles ou diffuses de transmission de messages émancipateurs ou subversifs. Mais pour ma part, je suis convaincue que les effets de représentations plus variées sont là même si cela ne fait pas l’objet d’un basculement conscient qui serait abordé lors des rencontres scolaires. Et pour happer des lecteur.ice.s les plus nombreux.ses possible, il faut une bonne histoire.

Colette. – Je ne sais pas si le texte aurait gagné à se construire au fil d’une intrigue mais en tout cas ce n’est clairement pas un texte narratif. D’ailleurs quand je le donne à lire à mes élèves – et je le propose à des beaucoup plus grands que l’âge associé à la collection neuf, je le propose à mes élèves de 3e – je le leur présente pour étudier le genre satirique. Car il me semble bien qu’il y a quelque chose du rire grinçant dans le propos de Florence Hinckel, ce que vous êtes plusieurs à nommer caricature me semble faire entièrement partie du procédé de critique de la société et de ses travers, j’avoue avoir beaucoup ri la première fois que j’ai lu le tome 1, tellement tout ce qui était écrit là me semblait absurde et impossible. Et vous avez-vous ri ?

Isabelle. – Mais oui, absolument ! Et ça a été la réaction aussi de mon fils de treize ans, un éclat de rire un peu gêné de remarquer à quel point nos rapports de genre et les constructions discursives qui les accompagnent sont absurdes. Certains renversements sont vraiment hilarants, par exemple dans le tome 2, lorsque Léa décrit les films de Jamie Bond et le rôle dévolu aux « Jamie Bond Boys ». La transposition met en relief l’absurdité de ce qu’on ne remarque plus par habitude et c’est très drôle. Puis passé le rire, on réfléchit.

Frédérique. – J’ai moi aussi beaucoup ri mais de façon un peu grinçante car Florence Hinckel met bien le doigt où ça fait mal. Renversante va droit au but et démonte cette société matriarcale pour le coup. Ce sont les caricatures de Clothilde Delacroix qui m’ont fait vraiment rire. J’adore son travail.

Blandine. – Alors non, je n’ai pas ri, ou ri jaune seulement.
Nous savons tous ce que Florence Hinckel dénonce, met en lumière, on le vit si souvent. Mais dit ainsi, d’une manière très factuelle et directe, cela paraît encore plus sidérant. J’ai beaucoup aimé les passages avec les Jamie Bond Boys et la force de l’habitude de ce qui nous est montré. Et par habitude, j’avoue encore tiquer sur plusieurs orthographes mises au féminin (la règle dans ce roman). La réflexion qui s’ensuit est très intéressante.

Colette. – Qu’en est-il justement de la langue que Florence Hinckel choisit pour écrire son récit ? Une langue où le féminin l’emporte sur le masculin. Blandine, tu dis avoir été gênée par cette féminisation de notre langue. Sa masculinisation – bien réelle, elle ! – ne vous gêne-t-elle pas tout autant ? Que se joue-t-il pour vous à travers la grammaire ?

Isabelle. – Pour ma part, j’ai trouvé que c’était un moyen efficace d’attirer l’attention sur cette caractéristique de la langue. C’est quelque chose qui est extrêmement clivant en France (en Allemagne où j’habite, la langue inclusive s’est généralisée sans que cela ne pose beaucoup de problème). Beaucoup de Français mettent en avant que le genre grammatical n’est pas le sexe, que les débats sur la langue ne règlent pas les problèmes de discrimination genrée, qu’il reste difficile de se mettre d’accord sur une langue inclusive et que les flottements sont perturbants pour les Dys, etc. Le problème, c’est que des recherches prouvent que l’usage du masculin générique produit des représentations biaisées : les images et associations qui nous viennent ne sont pas les mêmes selon que l’on dit « les chercheurs » ou « les chercheurs et chercheuses ». Il y a même des débats sur l’ancrage du masculin générique qui pourrait avoir été codifié tardivement. Les arguments selon lesquels les mots ne sonneraient pas agréablement – par exemple le mot autrice qui est pourtant ancien – sont vraiment arbitraires. Le roman y fait malicieusement allusion à un moment donné lorsque Léa déclare de façon toute aussi arbitraire que le mot écrivain, « qu’est-ce qu’il est moche, on entend ‘écrit vain’ ». Le roman pose donc d’excellentes questions par l’usage du « féminin générique » et nous invite à interroger ce qui nous semble acquis.

Renversante – Florence Hinckel et Clothilde Delacroix – Les mots de la fin

Colette. – Frédérique, je reprends ta remarque sur les images de Clotilde Delacroix, qui s’inscrit souvent dans une démarche humoristique : qu’est-ce que les dessins de cette illustratrice – qu’on adore ici notamment pour L’école, maman et moi – ont apporté à votre lecture, à votre compréhension du texte ?

Frédérique. – Je trouve ces dessins pertinents et tellement criant de vérité ! Des situations vécues ou vues si souvent dans notre quotidien. Il y a vraiment de quoi s’interroger. Pour moi, ces illustrations permettent à la jeune lectrice ou au jeune lecteur d’apporter encore plus au texte avec un soupçon d’humour. Après tout, c’est avec l’humour que l’on peut parfois faire passer des messages percutants !

Isabelle. – Les illustrations participent aussi du procédé de renversement. Elles illustrent certaines scènes décrites dans le texte en mobilisant des éléments ou attitudes particulièrement genrés, mais attribués à l’autre sexe : les hommes sont dotés d’accessoires ménagers, les femmes sont représentées dans des portraits encadrés et s’étalent dans le bus. Cela semble vraiment absurde, on rit, forcément, tant par exemple les hommes qui se trémoussent autour de Jamie Bond ont l’air ridicules. En même temps, on se rend compte qu’on ne connaît que trop bien les attitudes et clichés représentés.

Blandine. – Les illustrations complètent parfaitement le texte et sont très éloquentes. Isabelle en a très bien parlé. Et ne dit-on pas que les images « parlent » plus que les mots, permettant de sensibiliser et impacter davantage comme plus durablement. Le trait de Clotilde Delacroix est à l’image du texte: sobre, direct, efficace.

Colette. – Comment interprétez-vous le fait que l’autrice ait choisi de poursuivre l’histoire de Léa et Tom quelques années plus tard ? A première vue, ce n’était pas un texte qui appelait une suite. Qu’en dîtes-vous ?

Isabelle. – À mon avis, ce tome 2 permet à Florence Hinckel de faire deux choses. D’une part, dans la continuité directe du premier tome, elle continue de passer notre société au crible du renversement. Ainsi, le spectre de situations et de biais abordés s’élargit – on parle notamment de films ou de la cancel culture. Comme Tom et Léa grandissent, il est pas mal question du corps justement et de la sexualité – shaming, violence sexistes, charge mentale et contraceptive… D’autre part, ce tome 2 permet de souligner la force des préjugés et impensés. Léa avait fait l’expérience d’une vraie prise de conscience à l’issue du tome 1. Pourtant, quelques années plus tard, elle n’a plus très envie de soutenir Tom dans ses positions émancipatrices. Elle ne comprend pas pourquoi les garçons auraient besoin d’espaces de non-mixité. Le sexisme n’a-t-il pas reculé, les mentalités évolué ? L’existence est-elle vraiment plus difficile en tant que garçon ?

Blandine. – Je trouve cette suite intéressante à plusieurs niveaux. D’abord parce qu’on ne s’y attend pas! Léa ayant été « sensibilisée » disons aux problèmes rencontrés par les garçons dans tous les aspects de leur vie, on aurait pu logiquement pensé qu’elle serait restée de leur côté, combattant avec eux et à sa manière le sexisme. Mais non, car en grandissant, ce sont développées, agrégées ses propres problématiques identitaires et d’émancipation personnelle. Et puis, l’humain a tendance à oublier lorsqu’il ne se sent pas (directement) concerné. En donnant une suite à l’âge adolescent (et comme cet âge est crucial et déterminant!), Florence Hinckel fait une piqûre de rappel et explore des thématiques liées à cet âge et à l’adulte, qui ne pouvait être bien sûr pas abordées auparavant. J’ai trouvé le ton de ce deuxième tome plus grave que le premier, qui jouait la carte de l’humour, voire de l’absurde pour mieux dénoncer. Là, c’est davantage concret et tangible. Et beaucoup moins drôle, car on ne peut que constater l’ampleur du sexisme et le rapporter à notre quotidien. Je trouve donc ce deuxième tome parfaitement judicieux.

Frédérique. – Je suis d’accord avec Blandine, j’ai trouvé la suite plus grave et j’ai vraiment l’impression qu’il n’y a pas ou peu d’espoir. Chacun et chacune est enfermé dans son sexe et la compréhension de l’autre reste compliqué. Je trouve que ce roman est une bonne matière à discussion avec des jeunes. Ce texte n’appelait pas une suite mais il s’y prêtait bien. Le fait de retrouver nos jeunes héros un peu plus vieux permet ne faire comprendre aux lectrices-lecteurs que le combat n’est pas gagné !

Colette. – Pour moi le deuxième tome est aussi plus pointu car il aborde des notions particulièrement précises notamment en ce qui concerne nos représentations. Par exemple connaissiez-vous le syndrome de la schtroumpfette ou encore le test de Bechdel qui interroge le rôle du cinéma dans l’élaboration de nos représentations ?

Isabelle. – Oui, tu as raison ! En tant que féministe, je connaissais le syndrome de la schtroumpfette, le test de Bechdel, ou encore les concepts de male gaze, de charge mentale ou de culture du viol. Mais je me suis dit en lisant ce livre que la manière qu’a Lea d’introduire ces concepts avec des mots très simples en faisait presque un petit manuel féministe. En tout cas une introduction pertinente, complète et percutante grâce au jeu du renversement qui met en relief ce que chaque situation a de dérangeant. L’autrice lance même des perches à qui souhaiterait en savoir plus en glissant des références à Mona Chollet, Titiou Lecocq ou Virginie Despentes. Didactique !

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Et vous, seriez-vous tenté.e par l’expérience du Renversement ? Ou l’avez-vous déjà fait et qu’en avez-vous pensé ?

De la page à l’écran : Fantastique Maître Renard !

L’automne c’est la saison de la rousseur, rousseur des arbres, des sols jonchés de feuilles mortes et aussi rousseur des renards qui se nichent dans nos forêts. Et parmi les renards (auxquels nous avons consacré un article l’année dernière), un de nos préférés c’est celui de Roald Dahl : le bien nommé Fantastique Maître Renard !
Colette et Lucie vous livrent leur discussion sur le livre du célèbre auteur anglais et son adaptation par Wes Anderson.

Fantastique Maître Renard, Roald Dahl, Gallimard, 2018 pour la présente édition.

Colette. – Du livre ou du film, lequel as-tu découvert en premier ? Te souviens-tu de ce qui t’avait donné envie de le lire ou de le voir ?

Lucie. – C’est drôle que tu poses la question parce que la réponse n’est pas si évidente. En voyant le film – parce que je suis fan de l’univers de Wes Anderson -, l’histoire me disait fortement quelque chose, j’avais des flashs de la suite de l’intrigue. Je me suis aperçue après coup que j’avais la version audio (lue par Daniel Prévost, extraordinaire !) du roman de Roald Dahl quand j’étais enfant. Le passage des années et le changement de langue (nous regardons les films en VO) m’avaient empêchée de faire le lien. Finalement, ça a été version audio, puis film, puis version papier.
Et toi, quelle version as-tu découverte en premier ?

Colette. – Et bien il y a plusieurs années, dans le cadre de « collège au cinéma », le film de Wes Anderson a été proposé pour les niveaux 6e-5e. J’avais adoré cet univers à la fois décalé, cynique et merveilleux. J’ai revu le film plusieurs fois avec mes enfants notamment et cet été, au hasard d’une promenade dans une jolie librairie de Bayonne, mon Nathanaël m’a demandé de lui offrir Fantastique Maître Renard de Roald Dahl. C’est au fil de la lecture à haute voix que nous en avons faite que je me suis dit « mais je connais cette histoire, elle me rappelle quelque chose ! » et au bout de quelques pages, j’ai fait le lien entre le livre et le film. Finalement pour toi comme pour moi, le texte a fait résonner quelque chose dans notre mémoire !
Mais même si les deux versions résonnent, le Maître Renard d’Anderson et celui de Roald Dahl m’ont semblé très très différents. Qu’en dis-tu ?

Lucie. – Oui, tout à fait, Wes Anderson a ajouté l’intrigue parallèle du neveu un peu étrange, en pleine tourmente familiale. Cela correspond aux types de personnages qu’il affectionne, décalés, à la marge. Il est très proche de ceux de La Famille Tenenbaum par exemple. Maître Renard et sa famille sont bien trop « normaux » pour lui !
Il me semble que c’est vraiment la différence principale entre le livre et le film, mais as-tu remarqué d’autres éléments notables dont tu souhaites discuter ?

Colette. – Pour moi la principale différence est le genre dans lequel a choisi de s’inscrire Wes Anderson. Dans le livre de Roald Dahl, on est vraiment dans le conte merveilleux, court, rythmé par la comptine qui revient régulièrement dans le texte et des personnages construits autour de quelques traits de caractère presque caricaturaux. Le personnage de Renard par exemple est surtout caractérisé par sa ruse, caractéristique traditionnelle de l’animal dans l’histoire littéraire. Wes Anderson, quant à lui, en fait un personnage très ambivalent, dès le début. C’est cette ambivalence qui le caractérise tout au long du film, et qu’on ne retrouve pas du tout me semble-t-il sous la plume de Roald Dahl. De même pour le personnage de la Renarde, beaucoup plus présente dans le film que dans le livre, ainsi que les renardeaux dont il ne reste plus qu’un représentant dans le film. D’ailleurs, il me semble que le film raconte plus l’histoire de Kristofferson et Ash que de Mr Fox. C’est une oeuvre beaucoup plus foisonnante du côté des personnages que construit Wes Anderson.
Que dirais-tu des personnages d’ailleurs ? Je n’ai pas réussi à m’attacher aux personnages du livre mais ceux du film m’ont paru bien familiers.

Lucie. – Et bien oui, étonnamment les personnages sont plus complexes dans le film que dans le livre. Tu as raison, c’est suffisamment rare pour le souligner ! La famille Renard est somme toute assez « banale », avec une mère de famille qui tient à la sécurité des siens pendant que le père est prêt à prendre des risques pour réaliser ses rêves de grandeur (la crise de la quarantaine ?). Ils m’ont semblé plus « humains » que dans le livre, qui est effectivement plus proche du conte : un peu caricatural pour faire rire.
Mais peut-être songeais tu à autre chose avec cette question ?

Colette. – Non je pensais exactement à ça et justement je trouve que le film de Wes Anderson est beaucoup plus riche que le conte de Roald Dahl et c’est assez rare comme tu le soulignes ! Par conséquent, il me semble que les deux oeuvres ne s’adressent pas tout à fait au même public. Qu’en penses-tu ? T’es-tu posée la question de la réception des oeuvres ?

Lucie. – Oui, il me semble que le roman de Roald Dahl est accessible bien avant le film, en effet. Du fait de sa complexité (relative : si les parents saisissent les clins d’œil, ils ne gênent pas nécessairement la compréhension des enfants) mais surtout en raison des choix esthétiques du film. Les personnages sont presque inquiétants, je trouve. Le côté vieillot, très stylisé, peut rebuter les enfants. De fait, j’ai été confrontée à la différence de réception avec Théo, qui a adoré le livre mais n’a pas terminé le film.
Il y a aussi un aspect très travaillé, symétrique, chez Wes Anderson, auquel les enfants ne sont peut être pas habitués. Nous avons eu la chance de voir les maquettes et les figurines des personnages du film en vrai, les marottes du réalisateur se retrouvent partout ! D’ailleurs les maquettes étaient de la même taille que celles du Budapest Hotel, qui est un film en prises de vues réelles. Étonnant !
Est-ce que ce ne serait pas l’adaptation parfaite : celle qui s’inspire mais réinvente ? Ou au contraire la pire trahison ? Qu’en penses-tu ?

Colette. – Spontanément, je dirai que c’est l’adaptation parfaite ! Quand on parle adaptation souvent c’est pour constater « l’infériorité » du cinéma sur le littéraire. Ici, il me semble que ce n’est pas le cas. Mais ce n’est pas pour autant que Wes Anderson écrase le texte de Roald Dahl, au contraire, c’est comme s’il le prolongeait, qu’il lui donnait une autre dimension pour un autre public, pas un public en concurrence avec celui du livre, un autre, peut-être plus âgé comme tu l’as souligné.
Et toi quel est ton avis ?

Lucie. – Je suis d’accord avec toi. L’adaptation parfaite c’est celle qui garde l’esprit de l’œuvre tout en apportant la patte du réalisateur. Cela donne une dimension différente au texte original, sans pour autant le trahir.

Colette. – Tu as remarqué à quel point Roald Dahl a été adapté au cinéma ?

Lucie. – Oui, je pense à Matilda, James et la pêche géante, Le Bon Gros Géant

Colette. – Charlie et la chocolaterie, Un conte peut en cacher un autre

Lucie. – Ce sera l’occasion d’autres articles alors ! Même si la meilleure adaptation est très clairement Fantastic Mr Fox selon moi !

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Et vous, avez-vous aimé Fantastique Maître Renard ? Quelle est votre adaptation de Roald Dahl préférée ?

Lecture commune : La Perle

Au seuil de l’automne qui s’annonce, on vous invite à partir en quête d’un trésor : un trésor dont seule la nature a le secret, un trésor à partager ! Laissez-vous embarquer à bord de l’album intitulée La Perle d’Anne-Margot Ramstein et Matthias Aregui, un duo toujours surprenant !

La Perle, Anne-Margot Ramstein, Matthias Arégui, La Partie, 2021.

Lucie. – Colette, souhaite-tu ouvrir cette lecture commune en dévoilant les raisons qui t’ont poussée à proposer cet album ? Je serai curieuse de les découvrir !

Colette. – Nous avons découvert cet album par le plus beau des hasards à l’occasion de L’Escale du livre, festival littéraire bordelais. J’avais inscrit mon plus jeune fils à un atelier avec l’autrice, Anne-Margot Ramstein, parce que c’était un des rares accessibles aux enfants de son âge sur le dimanche après-midi. Avant l’atelier, l’autrice était en séance de dédicace. Nous n’avions pas de livres de cette artiste dont nous connaissions les livres grâce à nos médiathèques. J’ai proposé à mon fils d’en choisir un qu’il pourrait se faire dédicacer : il a choisi La Perle. Quel bonheur ! C’est bien évidemment la couverture de ce livre à la douce reliure grisée qui l’a attiré : cette couverture c’est une invitation au voyage digne de Baudelaire. Peau bronzée, doigts effilés, paysage insulaire, entre végétation verdoyante et ciel d’une lumière aveuglante, tout y est. Et puis ce geste, si élégant, qui nous invite à devenir le corps auquel est rattaché cette main tendue, ce geste là m’a appelée ! Cette étrange couverture a-t-elle eu le même effet sur vous ?

Lucie. – C’est vrai que cette couverture attire l’œil ! Entre les couleurs vives, très tranchées et cette illustration en vue subjective est étonnante, intrigante !

Blandine. – Il y a beaucoup de douceur et de délicatesse dans cette couverture. J’en suis émue. Comme si je recevais moi-même cette bague.
On ressent aussi toute la beauté et le soin apporté à l’objet-livre. Et j’aime beaucoup ces couleurs franches.

Frédérique. – J’ai découvert le travail de ce duo avec l’imagier Avant-Après. En me rendant au SLPJ93, je suis tombée sur les éditions de la PARTIE. Un duo d’éditrices, aguerries, qui ont exercés chez d’autres éditeurs…. Bref, cette couverture m’a bien attiré et je l’ai mis tout de suite en commande. Je te rejoins Colette, sur le fait que cette couverture sort « du lot », cette reliure grisée me rappelle les vieux carnets de voyage. Une vie va se passer à en juger cette lumière de la 1ère de couverture et la nuit tombée de la 4ème de couverture.

Colette. – Et quel a été votre horizon d’attente à l’ombre de cette jolie couverture ? Qu’est-ce que vous vous êtes imaginé ? Qu’avez-vous pensé découvrir de l’autre coté de cette longue main brune ?

Lucie. – Je m’attendais à de l’exotisme, avec cette peau halée et ces couleurs chatoyantes ; à voyager, mais pas de cette manière ! J’ai aimé cette bague à la fois précieuse et enfantine. Cette couverture annonçait un album inhabituel, j’étais pressée de le découvrir.

Blandine. – Je savais uniquement que cet album était sans texte. Et rien que pour ça, j’étais attirée, quasi conquise. Je n’ai eu aucune attente avant « lecture », je n’ai pas cherché à imaginer l’histoire que ses pages pouvaient raconter. Je me suis totalement laissée porter. Et j’en ai été soufflée.

Frédérique. – Je me suis dit que si c’était comme Avant-Après, il allait y avoir beaucoup beaucoup de détails dans cette histoire…

Colette. – Et alors qu’avez-vous découvert entre l’aube et l’aurore de cet album hors du commun ?

Blandine. – Je n’avais pas du tout imaginé ce contenu, cette fin, j’ai été soufflée par chaque double page et détail, par le double effet visuel entre la page de gauche qui se centre sur la perle et ce qui lui arrive ; et la page de droite qui la remet dans un contexte qui la dépasse, la sublime, l’utilise aussi. Pourtant, j’y ai trouvé de la beauté, de l’apaisement, un sentiment de « tout arrive à point à qui sait attendre » alors même que, au moment de ma première lecture, j’ai eu le sentiment que tout passait vite, pas du tout sur des décennies et en même temps, cela est si logique. Il y a comme une double temporalité. J’ai été émerveillée par ce voyage « d’une vie », à la fois de la perle en elle-même, ses « rencontres » fabuleuses, des plus beaux endroits aux plus populaires, ordinaires, et ce retour aux sources. Et de l’autre, ces deux vies humaines qui n’ont pas cessé de s’aimer, qui nous sont proches sans que nous les connaissions, puisque c’est la perle et non eux que nous avons suivie. Une vie que l’on devine simple et non conditionnée à des « apparats », alors même que la perle en est « victime ». J’aime cette ouverture d’interprétation que nous offre cet album sans texte.
Et que dire des couleurs ?! Splendides, immergeantes. Elles apportent à l’album un fort côté artistique, à la façon pop art.

Lucie. – J’ai découvert un voyage auquel je ne m’attendais pas. Pourtant le titre est parfaitement choisi : « La perle », et on suit effectivement le voyage, l’histoire, d’une perle. C’est fou comme on est formatés en tant que lecteurs. Pour moi, il était évident que la main de la couverture appartiendrait au personnage principal, la perle ayant un rôle essentiel mais pas central !
Ici l’objet est le personnage principal, d’où l’absence de texte. La conséquence : la temporalité est très différente de celle d’un humain, d’où la surprise finale. J’ai adoré cette boucle d’ailleurs, très poétique, romantique… Un peu de douceur dans ce monde de brutes ! Cela amène aussi de l’émotion, car l’identification ne fonctionne pas forcément avec une perle !
Elle passe aussi par la beauté des paysages, des illustrations, des couleurs, mais d’une manière très différente que dans une histoire traditionnelle.

Frédérique. – J’y ai découvert une formidable histoire de vie. A travers cette perle pêchée dans l’océan et ses péripéties, la route sera lente et longue et puis cette question qui reste en suspens : reviendra-t-elle à son propriétaire originel ou va-t-elle connaître encore d’autres aventures ?
Car il est vraiment question d’aventures et on se demande quand est-ce que cette perle va arrêter de s’échapper continuellement. Vous avez raison, mesdames, son destin n’est pas d’appartenir à une couronne ni de finir dans l’estomac d’un saumon ! Parlons un peu des enchainements, une spécialité de ce duo, avez-vous repéré les objets ou les personnages qui invitent à mener cette perle à sa destination finale?

Lucie. – Là encore, le rôle des humains est présent mais le hasard et les animaux jouent un rôle aussi important que les hommes dans ces enchaînements. Cela nous invite à réaliser que, bien que nous ayons un sentiment de contrôle des événements la plupart du temps, nous ne maîtrisons pas tout, et encore moins sur le long terme !
J’ai trouvé cet aspect vraiment intéressant.

Colette. – Très bien dit Lucie. Je rajouterai que j’ai été particulièrement séduite par le jeu des cadrages qui est une des spécialités de notre duo d’artistes, avec cette alternance macro/micro, panoramique / gros plan à chaque double page, bouleversant nos habitudes de lectrices à la fois dans notre manière de regarder mais aussi de raconter. Ce qui compte finalement ce n’est pas tant le récit que la poésie qui se dégage de ces paysages ou de ces détails vers lesquels les artistes guident notre regard.

Blandine. – Tout au long de ma « lecture », je me suis demandée comment l’album pouvait finir et la perle, terminer sa course. Je n’avais pas du tout imaginé ce voyage d’une vie et aux vies multiples entre ordinaire, simplicité, préciosité (sentimentale, pécuniaire, d’apparat).
Les enchainements des auteur.e.s sont brillants, entre le micro et le macro, il y a aussi une sorte de jeu. Je me suis mise à rechercher les éléments communs au fil des pages et à imaginer la suite de ce « voyage ». Le nid de la pie et la couronne de la Reine sont des trouvailles fabuleuses!

Colette. – Et dans ces enchaînements parfois improbables entre des environnements souvent très opposés avez-vous lu un message, une réflexion ? Si oui laquelle ?

Frédérique. – Ce qui m’a interpellée c’est ce sentiment de destruction tout de même. Elle commence doucement, une perle arrachée à son milieu naturel. Tout cet enchaînement se fait soit par un animal voleur ou destructeur comme vous l’avez dit précédemment, soit par la main de l’homme (vol, vente de la perle…). Dans cet album il y a tout de même quatre pages sur la fuite de la perle dans un environnement pollué et détruit par des machines. On y voit aussi la consommation … Finalement j’ai plutôt vu la chute comme un apaisement. Cette perle offert par amour revient à l’amoureux.

Blandine. – Mon sentiment premier à la fin de ma lecture a été que toute chose se trouve là où elle doit être. Qu’il n’y a pas de hasard. Et pourtant, que de concours de circonstances, de coïncidences dans cet album qui permettent à la Perle d’effectuer ce voyage.
J’ai aimé ce retour aux sources, ce lien évident que nous avons avec la Nature, et que nous malmenons pourtant pour vivre, améliorer nos quotidiens, pour l’apparat aussi.
Cet album universel peut parler à tous. Car il est sans texte, mais aussi parce que les frontières y sont abolies. Et c’est à double tranchant. Le beau s’exporte, s’expose, se transmet, s’apprend, se vend, se vole, et il y a aussi ce pointage subtil de la mondialisation, et à laquelle nous participons tous, qui que nous soyons, où que nous soyons. Car c’est bien grâce à elle que le jeune garçon des Îles devenu vieux retrouve la perle dans une bouteille de sirop d’érable.
Nous sommes tous liés.

Lucie. – Tout à fait d’accord avec Frédérique. Autant quelques passages sont assez « doux » (l’océan du début, la rivière au Canada) mais les auteurs mettent délibérément en images l’empreinte dévastatrice de l’homme sur la nature. Sans être lourd, le message saute aux yeux.

Colette. – En effet, il y a comme un arrière-plan politique à cette odyssée. Non seulement sur la question écologique mais aussi économique avec la scène de l’usine du sirop d’érable, produit qui fait le tour du monde par avion pour se retrouver dans la cuisine de tout un chacun. Vos remarques posent donc la question du lectorat de cet album : l’avez-vous partagé avec un jeune public ? Avez-vous recueilli leurs réactions ?

Lucie. – Je ne l’ai pas partagé avec un jeune public, mais je serai effectivement curieuse de savoir ce que des enfants en comprendraient.

Blandine. – Selon son âge, l’enfant verra plus ou moins de choses qu’il pourra verbaliser ou pas encore. Ce peut être des impressions avant d’être des réflexions.
Mon fils de 10 ans l’a lu. Il aime les albums sans texte et est très sensible, mais ne partage pas beaucoup. Il a aimé le style graphique, les couleurs, l’absence de mots, le voyage de cette perle mais nous n’avons pas approfondi. Parce que le moment ne s’y prêtait pas, aussi parce que c’est beau aussi, parfois, de prendre les choses comme elles viennent sans vouloir raisonner, commenter derrière. Juste apprécier la beauté sans analyser.

Colette.Pour terminer cette LC – sauf si vous avez d’autres questions- pourriez-vous nous dire quelle est votre (double) page préférée et pourquoi ?

Frédérique. – Ma double page préférée est celle du nid et du bateau. L’aventure y est totale : le bateau toutes voiles hissées donne l’impression d’un bateau de pirate. Le contenu du nid de pie laisse entrevoir ce qui va se dérouler ensuite. En effet, il y a une pièce de monnaie anglaise (on y voit le profil d’Elisabeth II) et sur la page suivante, la perle finira sur la couronne de cette même reine.

Lucie. – C’est drôle, j’aurais choisi la même pour des raisons similaires. Autant dans la vie le côté « tout est écrit et pensé » ne me plaît pas du tout, autant j’aime bien ces clins d’œil que les auteurs font au lecteur attentif.

Blandine. – J’ai particulièrement aimé la double page où la perle se trouve fichée dans la couronne de la Reine que porte maladroitement son fils aîné. (ce qui pose question de la valeur des objets selon le rang social comme de leur symbolique). C’est avec cette double-page que j’ai saisi le passage du temps de l’album, car on voit sur la page de droite trois portraits de la Reine avec sa couronne. Elle est d’abord seule, puis avec un bébé, puis avec un enfant sur le côté du fauteuil où elle se trouve et un autre bébé dans les bras. La couleur de ses cheveux diffère aussi, allant en s’éclaircissant. Et enfin, la scène générale avec les deux enfants ayant grandi et elle ayant les cheveux couleur argent.
J’aime cette vision subtile du temps qui passe, et les questions que soulèvent les détails.

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Et si vous aussi, vous aimez les albums sans texte, nous vous en avions proposé une sélection par ici suite à un débat que nous avions mené par .

Prix A l’ombre du grand arbre 2022 – Brindilles

Comme annoncé lors de l’anniversaire de notre grand arbre, nous vous proposerons au fil de l’été notre sélection pour le prix A l’ombre du grand arbre 2022. Ainsi vous pourrez, au fil de vos lectures estivales, égrainer les petites perles de la littérature jeunesse que nous avons sélectionnées pour vous, les savourer, les humer, les caresser puis venir voter ici pour vos titres préférés ! Les votes sont ouverts à partir d’aujourd’hui et jusqu’au 20 août. Les gagnants seront annoncés dans la foulée, lundi 22 août.

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Nous commençons cette semaine avec la catégorie « Brindilles » dédiée à la petite enfance avec trois albums pour se mettre en mouvement !

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Pipiou, quel appétit !

Pipiou est un petit poussin gourmand parti en quête d’un met savoureux. Mais ce n’est pas si facile de trouver quelque chose de comestible à hauteur d’oisillon. Pour atteindre ses objectifs, il faut savoir faire preuve d’ingéniosité. Nous vous laissons découvrir comment notre petit personnage parviendra à ses fins !

Pipiou, quel appétit ! Richard Marnier, Aude Maurel, éditions Frimousse, 2021.

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Touche à tout !

Voici un imagier qui met la photo à l’honneur ! Ici Anne Letuffe fait dialoguer le dessin et la photo par d’habiles jeux de découpe. Le tout-petit y est invité avec subtilité à faire des liens entre ses jeux et le monde si riche qui l’entoure.

Touche à tout, Anne Letuffe, Atelier du poisson soluble, 2021.

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Une histoire bien secouée

Une histoire bien secouée, Corinne Dreyfus, Thierry Magnier, 2021.

Une histoire bien secouée qui secouera de rires tous les membres de la famille ! Une bande de fourmis s’est invitée dans le livre et tout est chamboulé sur leur passage ! Les lettres partent dans tous les sens, la narration se disloque, et le lecteur peut enfin tester sa toute puissance sur ce monde de mots qui pourrait au premier abord semblé bien abstrait !

Une sélection pour oser, rire et jouer et revenir !

A consommer sans modération !

Alors, alors !

Quel est votre titre préféré dans la sélection “Brindilles” ?

  • Une histoire bien secouée, Corinne Dreyfus, Thierry Magnier, 2021. (39%, 11 Votes)
  • Touche à tout, Anne Letuffe, Atelier du poisson soluble, 2021. (36%, 10 Votes)
  • Pipiou, quel appétit ! Richard Marnier, Aude Maurel, éditions Frimousse, 2021. (25%, 7 Votes)

Total Voters: 28

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Histoires de dédicaces.

A l’ombre du grand arbre, on lit beaucoup d’histoires mais on s’en raconte aussi une multitude. L’histoire de nos vies, l’histoire de nos fulgurances et de nos ténèbres, l’histoire de nos enfants, l’histoire de nos familles. Et on se raconte aussi l’histoire de nos rencontres. Et c’est de nos rencontres littéraires qu’on voulait vous parler aujourd’hui à travers l’histoire de nos dédicaces. Tout est parti d’une discussion que nous avions eue sur un livre de Chabas que Colette avait glissé dans un swap pour Frédérique et qu’elle avait acheté sur un site de livres d’occasion. Quand elle l’avait reçu, incroyable surprise : il était dédicacé !!! Colette s’était étonnée que l’on puisse se séparer d’un livre dédicacé par un tel artiste et chacune a alors livré quelques anecdotes surprenantes !

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Du côté de chez Colette…

Je n’ai jamais été fan de dédicaces en fait avant de devenir maman. Avec mon mari, quand on a pensé la chambre de notre fils aîné, avant qu’il naisse, on a voulu lui créer un « mur des artistes » pour qu’il soit entouré de beauté partout où son regard neuf se poserait. Ma sœur, qui dessine beaucoup, m’avait offert une petite aquarelle me représentant enceinte avec elle à mes côtés et un doudou Totoro qu’elle avait cousu pour mon Théodore (c’était ses débuts en couture, il y a déjà 13 ans). Nous avions accroché son dessin dans la chambre de Théodore et puis on a eu l’idée d’accompagner ce dessin de croquis d’autres artistes.

Et à chaque rencontre, en librairie ou en salons du livre, nous demandions aux illustrateurs et illustratrices rencontré.e.s de faire un dessin pour « le mur des artistes » de notre fils. C’est ainsi que sur son mur, il y a désormais des dessins dédicacés de Claude Ponti (le premier !), Rebecca Dautremer, Geoffroy de Pennart, Hervé Tullet, Horne, Delphine Garcia, Marie Wabbes… Mais aussi d’une amie chère à mon cœur (des portraits de femmes inspirantes) et des aquarelles de ma sœur.

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Du côté de chez Frédérique…

Quelques rencontres avec Timothée de Fombelle … et François Place. En février 2019, j’apprends par hasard que Timothée de Fombelle est invité dans une grande librairie de Toulon. Il est présent pour nous parler de son dernier livre qui sera un triptyque : Alma.

En attendant ce moment c’est avec beaucoup d’émotion que je l’écoute parler du travail et des recherches menés pour l’écriture de son roman. Des recherches qui l’on amené souvent à faire venir des documents de différents pays notamment des Etats-Unis. Fin de la rencontre qui aura duré une petite heure. Pas de foule immense à affronter, juste ma grande timidité.

D’ailleurs quel bonheur de le retrouver deux ans plus tard au Salon du Livre et de la Presse jeunesse de Montreuil durant une lecture dessinée avec François Place. Une lecture ponctuée d’une histoire qui a inspiré les personnages d’Alma et de son frère. Comment, Timothée de Fombelle a suivi la trace de deux enfants esclaves et retrouvé un des aïeux. Malgré l’agitation dû aux nombreuses manifestations du salon, l’assemblée était suspendue aux dessins de François Place. Voir les personnages prendre vie simplement, des gens d’une autre époque…

Et quel ne fût pas notre trouble lorsqu’une chanteuse apparaîtra pour déclamer des chants issus de cette période d’esclavage aux Etats-Unis. Des chansons pour tenir et vivre dans ces immenses champs de coton.

Du côté de chez Blandine

Ce que j’aime, ce sont les rencontres, ce petit moment suspendu partagé, que va prolonger la dédicace. Pourtant, je suis d’un naturel réservé, alors il me faut puiser un peu/beaucoup en moi pour « oser » me présenter. Passé le moment « rouge tomate », on se confie, on s’ouvre un peu / beaucoup, et on partage autour du livre lu / en cours de lecture / ou à lire, et selon, cela peut influer sur la discussion puis sur la dédicace. Pour se transformer en beau souvenir!

Dédicaces au Festival du Livre Paris 2022

Un des plus forts souvenirs qui me restent est survenu en décembre 2012 lorsque j’ai appris le décès de Mario Ramos que j’avais eu la chance de rencontrer au Salon du Livre de Paris en mars de la même année (à la Porte de Versailles à l’époque). L’une de mes premières. Cela avait été bref (il y avait du monde) mais il prenait le temps d’échanger quelques mots avec chacun. Cette annonce m’a beaucoup touchée et peinée, et rendu ce moment encore plus précieux.

Dédicaces au Festival du Livre Paris 2022

Au Festival du Livre de Paris cette année, ce sont les potentielles dédicaces qui m’ont portée. J’y suis allée sans idée de quels auteurs y seraient et je me suis dirigée vers eux sans attente aucune, attirée par leur seule présence, un nom ou un titre reconnu, une couverture. Et cela m’a permis de découvrir des livres vers lesquels je ne serais pas allée sans, de faire de très belles rencontres et discussions avec des auteurs connus (François Roca) ou pas du tout (Astrid-Aimé), de partager des points communs ou des recommandations livresques, de connaître des histoires et de genèses de livres incroyables (tel le roman graphique « Des vivants : le réseau du musée de l’homme, 1940-42« ).

Les moments forts, c’est aussi lorsque je reçois un mot d’un auteur ou d’une maison d’éditions, via les réseaux sociaux ou dans ma boîte aux lettres. Tous ces moments, vrais et virtuels, me restent au cœur et je leur suis infiniment reconnaissante <3

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Du côté de chez Isabelle

Les dédicaces découlent de rencontres avec des auteur.ice.s. Comme je n’habite pas en France, je n’en ai pas souvent l’occasion et je trouve d’ailleurs cela un peu intimidant. Etrange aussi : on ne se connaît pas personnellement, mais écrire et lire est quelque chose d’assez intime et si on a déjà lu plusieurs livres de l’écrivain.e, on peut avoir l’impression d’avoir partagé quelque chose d’assez personnel. Mais avoir un blog donne parfois la chance de pouvoir dialoguer avec des auteur.ice.s. Beaucoup lisent les billets publiés autour de leurs titres et certain.e.s prennent le temps de réagir. Cela fait toujours immensément plaisir et donne l’impression d’être prise au sérieux par celles et ceux qui nous offrent les textes que nous aimons lire. Ils sont souvent curieux de sonder notre lecture personnelle, notre ressenti subjectif. Quelle surprise et quel bonheur quand, parfois, arrive un livre ou un dessin dédicacé par la poste !

Mon souvenir le plus sympathique, en la matière, concerne un jeune auteur-illustrateur pour lequel ma tribu avait eu un vrai coup de cœur, Cédric Philippe. Nous l’avions découvert en tant qu’illustrateur d’un roman génial d’Audren, La petite épopée des pions, qui mettait en scène des pions d’échec, le jeu préféré de mes moussaillons. Quelques mois plus tard, nous avons eu envie de lire Les fleurs sucrées des trèfles, roman publié cette fois en tant qu’illustrateur ET auteur. Le sujet de l’histoire était passionnant : la chance ! Ce roman fut l’un des plus étranges et des plus intéressants que nous avons lus : « Peut-être quelque chose à la frontière entre un conte, Alice au pays des Merveilles et un film de David Lynch ? », écrivais-je sur mon blog.

Quelques jours plus tard, Cédric Philippe m’écrivit non seulement pour me remercier pour ma chronique, mais pour demander si nous serions partants pour échanger un peu par mail sur nos impressions. Il s’intéressait particulièrement au ressenti de mes moussaillons et le cadet, qui avait particulièrement aimé le roman, accepta volontiers de répondre à quelques questions. L’échange fut fort sympathique et fut l’occasion, puisque nous aimions visiblement fréquenter les mêmes mondes littéraires, de partager des idées de lectures. Ce qui nous valut de nouveaux coups de cœur pour plusieurs romans animaliers, notamment Watership Down (un autre souvenir éblouissant) et Le vent dans les saules. Et la dédicace dans tout ça, me direz-vous ?

Et bien, figurez-vous que quelques temps plus tard, j’ai eu la surprise de recevoir par la poste ce dessin désopilant, représentant les bestioles que nous avions adorées dans Les fleurs sucrées des trèfles. Nous l’avons gardé précieusement. Je n’en reviens toujours pas de tant de gentillesse et de générosité !

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Du côté de chez Linda…

Je n’en demande jamais, trop timide. Mais j’accompagne mes filles dans cette démarche. Leur première dédicace était de Mymi Doinet. Gabrielle y était allée avec un tome de la série « les animaux de Lou » et Juliette avec « La Tour Eiffel a des ailes », elles étaient toutes petites encore et avaient adoré cette rencontre. Mymi avait collé des gommettes pailletées pour illustrer ses dédicaces et déjà Juliette hurlait que « c’est un truc de filles » ! Ensuite il y a eu Bertrand Santini et pour le coup nous avions eu un bel échange. Dernièrement Gabrielle a fait dédicacé Les Vigilantes par Fabien Clavel et elle espère avoir bientôt une dédicace de Valentine Goby.

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Du coté de chez Lucie…

Plus que la dédicace, c’est la rencontre qui m’intéresse. Je vois plus la dédicace comme un petit souvenir de l’échange que comme un but en tant que tel.
Notre première dédicace, c’est Jean Claverie qui nous a prédit à mon amoureux et moi un bel avenir dans L’art des bises il y a près de 20 ans. Un joli souhait qui nous accompagne encore aujourd’hui !

Les deux dernières rencontres marquantes ont été Timothée de Fombelle, dont toute la famille est fan, et Clarisse Lochmann.
Pour le premier, mon fils avait préparé une petite boite d’éléments naturels auxquels il avait imaginé la fonction pour Tobie Lolness. Puis il lui a demandé de dédicacer son exemplaire déjà très usé par les relectures.

J’ai découvert la seconde grâce à Colette, et ça a été une évidence de lui faire dédicacer sa Passoire adorée… Ce qui l’a amenée à m’envoyer un exemplaire de Barbe Bleue dédicacé par François Roca !

Bien que n’ayant pas rencontré l’illustrateur, j’ai aimé cet échange passionné autour de la littérature jeunesse, si représentatif des attentions que nous avons les unes pour les autres sous ce bel arbre.

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Du côté des anciennes…

Avant de partir, Pépita nous avait confié sa pratique des dédicaces :

« Ici je fais dédicacer pour mes… futurs petits-enfants ! ça plait beaucoup aux auteurs illustrateurs de voir que leurs livres iront dans les mains de futurs lecteurs ! Et moi ça me permet de me projeter dans du prochain bonheur de partages. Et ces dédicaces sont très touchantes ! Mais Covid est passé par là… et nos enfants ne se projettent plus comme parents. Mais ça peut changer ! On verra bien ! »

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Nous avons aussi eu la belle surprise de recevoir chacune de François Place une magnifique estampe de Olympe de Roquedor suite aux articles que nous lui avions consacrés (nos classiques préférés et un entretien).
Nous ne sommes toujours pas revenues de ce cadeau !

Et vous, avez-vous des histoires de dédicaces à partager ?